Pierre Lefranc
J’ai eu la chance d’appartenir à une famille très patriote et très républicaine, les deux dans la tradition familiale étaient liées. Ce qui fait que naturellement au moment de la défaite et du chaos qui a suivi la défaite de mai et juin 1940, une grande émotion a régné dans la famille. Et puis cette émotion s’est transformée petit à petit en révolte au moment où Pétain, le 10 juillet 1940 a mis fin à la République dans des conditions comme vous le savez tout à fait contestables.
Avez-vous entendu l’appel du Général de Gaulle ?
Non, non, non, j’ai entendu l’affreux discours de Pétain annonçant la cessation des hostilités avant même qu’il ait connu d’ailleurs les conditions de l’Armistice puisqu’il a fait déposer les armes à l’Armée française avant de connaître les conditions de l’Armistice, donc les Allemands avaient beau jeu d’exiger ce qu’ils voulaient.
Non, je n’ai pas entendu l’appel du 18 juin mais il se trouve que certains journaux de province ont publié le 19 juin, des petits entrefilets disant « le Général de Gaulle, ancien sous-secrétaire d’État à la guerre, a pris la parole à Londres, etc. ». Donc si vous voulez, on est tombé là-dessus et à partir de ce moment-là on a essayé d’attraper Londres, avant on avait aucune raison d’écouter la radio de Londres.
On écoutait la radio française quand elle émettait, puis je vous rappelle que c’était des postes à lampes, qu’on ne pouvait pas transporter le poste, qu’il fallait des antennes, tout le bazar… Donc à partir du moment où on a su qu’il y avait quelqu’un, où j’ai su qu’il y avait quelqu’un à Londres qui appelait à la résistance, j’ai essayé d’attraper naturellement les ondes de la BBC que j’ai eu avec difficulté, parce que j’avais un petit poste et puis pas une bonne antenne, etc. mais enfin j’ai …, à partir de ce moment-là j’ai réussi à entendre des bribes, des bribes des discours de de Gaulle qui correspondaient naturellement à ce que je pensais et qui nous ont confortés dans notre conviction.
C’est en Corrèze où nous étions réfugiés et où mon arrière-grand-père avait été sénateur puis député de la Corrèze et il avait même été l’un de ceux qui avait voté la République en 75, j’ai écrit et diffusé le premier tract que j’ai tapé sur une machine à écrire que j’avais louée chez un marchand de Brive et que j’ai distribué dans un certain nombre de maisons.
Est-ce que vous aviez entendu parler du tract d’Edmond Michelet ?
Non, absolument pas, d’ailleurs je connaissais absolument pas Edmond Michelet et je n’ai écrit mon tract date d’après le 18 juin hein et Michelet c’est le 17 juin
Voilà, moi c’était donc après, et je n’ai eu aucune connaissance de ce tract. Il se trouve que les Allemands sont venus quand même perquisitionner dans la maison de mes parents, dans la banlieue de Brive, où nous avions notre domicile et ma mère devant cette pression a tout détruit. Ce en quoi, elle a bien fait, mais je n’ai, je n’ai jamais retrouvé d’exemplaire de ce tract.
Je suis rentré à Paris pour reprendre mes études, j’avais, je m’étais inscrit à l’École libre des Sciences Politiques et là nous avons cherché à plusieurs, comment manifester notre opposition, notre révolte, surtout que les propos du chef de l’État étaient très pessimistes, il remettait sur tous les Français la responsabilité de la défaite.
Ce qui était totalement inacceptable alors que lui avait été Président du Conseil Supérieur de la Guerre pendant des années et des années, donc par conséquent on a cherché comment exprimer cette révolte. Et le recteur de l’Université de Paris a fermé les facultés le 11 novembre pour éviter qu’il y ait des manifestations à l’intérieur des facultés, moyennant quoi on était libre, puisqu’il n’y avait pas de cours.
C’est dans les sous-sols de la faculté de Droit de Paris, rue Saint-Jacques, que nous avons polycopié le premier tract d’appel à une manifestation le 11 novembre, où ? Bah le lieu s’imposait, c’était Soldat Inconnu. C’est comme ça que nous nous sommes retrouvés à plusieurs centaines, très difficile de savoir le nombre que nous étions, il y avait aussi des lycéens qui, à la sortie des cours le soir, nous ont rejoints et les choses se sont à peu près bien passées et avec des Marseillaises, des cris de Vive de Gaulle jusqu’à un certain moment où des Allemands qui étaient là, des officiers, des soldats qui se promenaient sur les Champs-Élysées ont été malmenés. A partir de ce moment-là, les Allemands ont trouvé que ça dépassait les limites et nous avons vu monter une compagnie qui marchait au pas cadencé, ils sont passés devant nous avenue des Champs-Élysées, ils sont montés à l’Etoile, là ils ont formé un demi-cercle et ils nous ont dispersé.
Alors ils ont tiré, heureusement ils ont un peu tiré en l’air sans ça il y aurait eu des centaines de blessés ou de morts mais moi-même je n’ai pas eu de chance, j’ai été blessé par une grenade, alors certains ont lancé des grenades, heureusement des grenades offensives qui sont pas très méchantes, qui m’a éclaté à mes pieds et j’ai été ramassé et incarcéré à la prison de la Santé, où nous avons été gardés pendant un mois. Donc à partir de ce moment-là, si vous voulez, je peux dire que mon destin était fixé, les Allemands m’ont aidé à prendre la bonne voie et j’ai cherché par tous les moyens à avoir des premiers contacts, mais à cette époque de la fin de l’année 1940, c’était, c’était très difficile.
Montpellier. L’action au sein des mouvements « Liberté », puis « Combat »
J’ai décidé de partir en zone libre. Je suis d’abord allé à Montpellier, où avec plusieurs camarades, nous avons créé un petit îlot de résistance qui s’est appelé « Liberté » dont le chef… que je n’ai jamais vu à l’époque d’ailleurs était, curieusement je m’en suis aperçu après, Pierre-Henri Teitgen qui était professeur de droit constitutionnel et qui était donc mon propre professeur à l’Université de Montpellier, à la faculté de droit de Montpellier.
Et puis ce mouvement « Liberté » a été un des mouvements qui a constitué ensuite « Combat », c’était un des éléments de « Combat ». Alors mon idée était naturellement de rejoindre de Gaulle, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’autres moyens, il n’y avait pas encore beaucoup d’atterrissages clandestins, en plus quand il y en avait un, c’était réservé à des personnalités, moi j’étais rien du tout, j’étais un simple étudiant. Donc nous avons essayé de partir avec un petit groupe, à pied, traverser les Pyrénées pour rejoindre l’Afrique du Nord.
Prisonnier au camp de Miranda
Les Espagnols étaient très vigilants et on a été très vite arrêtés, emprisonnés et emmenés dans ce camp de Miranda de Ebro, qu’était un très grand camp. On était à peu 4000 ou 5000 là-dedans, mais le régime était, je le dis relativement acceptable, en ce sens qu’on n’était pas maltraité, que naturellement on était mal nourri, ça va de soi, mais il n’y avait aucune mesure diabolique comme il y a eu dans les camps de concentration allemands.
Mais enfin notre séjour a été très long et ce qu’était le plus pénible c’était que personne n’était encore sorti du camp quand nous y sommes arrivés. Alors nous sommes dits « ben on est là jusqu’à la fin de la guerre, on va moisir ici jusqu’à la fin de la guerre ». On était séparé d’abord dans les prisons, on était dans des cellules où se trouvaient des Espagnols qui étaient en général des Espagnols qui étaient condamnés à mort par le régime de Franco.
C’étaient des républicains qui avaient été faits prisonniers et condamnés à mort. Donc ces condamnés à mort dans ma cellule, il y en avait huit et moi, c’était une cellule minuscule, et bien tous les matins, ils préparaient leur paquetage, une lette pour leurs familles, ils descendaient dans la cour, et là, après un son de tambour et de trompette, on lisait la liste de ceux qui allaient être fusillés dans la journée. Donc quand ils sortaient de la cellule pour descendre dans la cour, ils ne savaient pas s’ils remonteraient. Alors sur un jeune homme, si vous voulez, … plongé dans ce drame humain effroyable qui était cette espèce d’attente de la mort quotidienne, ça a été quand même un sacré traumatisme. Et puis ces types étaient d’un courage formidable, et puis alors ce qui était émouvant c’est qu’ils nous ont un peu, enfin moi, moi ils m’ont un peu considéré mais les autres aussi dans les autres cellules, comme des combattants de la Liberté, comme des gens qui allaient, qui étaient debout, qui seraient sans doute libérés un jour ou l’autre et qui allaient se battre pour les mêmes causes qu’eux avaient défendues.
Donc ils ont eu à notre égard des tas d’attentions, enfin celles qu’on peut avoir en prison, ça va pas très loin, mais enfin par exemple les Espagnols ne nous avaient pas donné de gamelles, donc il y avait 8 gamelles pour 9 personnes, donc ils distribuaient le rata mais nous on avait pas de gamelles, alors à chaque repas, il y avait un Espagnol qui se privait de repas et qui nous passait sa gamelle. Voyez, c’est ce genre de truc-là, alors que ces gars étaient condamnés à mort et qu’ils savaient qu’ils pouvaient mourir le lendemain ou le surlendemain. Alors là c’était une situation extrêmement impressionnante et qui moi m’a beaucoup marqué parce que j’ai eu beaucoup d’admiration pour ces, pour ces combattants-là… qui auraient pu sombrer dans le désespoir mais non, qui, qui se tenaient debout.
Heureusement la guerre a un petit peu changé à ce moment-là, les données ont été plutôt favorables aux Alliés qu’aux Allemands et Franco qui avait joué un rôle d’équilibre pendant des mois a finalement accepté de nous libérer par petits paquets.
L’Angleterre : les Français Libres
Alors nous sommes partis, nous avons eu une petite aventure en Afrique du Nord car le bateau qui nous a emmenés était un bateau qui venait de Casablanca qui était… à l’époque l’Afrique du Nord était sous les ordres civils et militaires du Général Giraud qui portait ce titre « Commandant en chef civil et militaire », on n’a jamais vu un titre comme celui-là.
On a eu un peu de mal à quitter le Maroc et finalement on a rejoint l’Angleterre, et là on a eu le choix de plusieurs affectations et finalement étant donné mon niveau universitaire, j’ai été envoyé à l’École des Cadets de la France Libre, qu’était en fait, le Saint-Cyr que de Gaulle avait créé en Angleterre. Et puis alors à la sortie, « l’amphi garnison » comme on dit à Saint-Cyr, j’ai, on a eu plusieurs opportunités, finalement moi j’ai choisi de, nous étions officiers donc, donc j’ai choisi de partir dans les maquis qui manquaient d’encadrement.
Indre. Maquisard Franc-Tireur et Partisan
Le (Illisibles) des maquis avait été très nombreux. Ils avaient reçu beaucoup de garçons qui échappaient au Service du Travail Obligatoire, et ces maquis n’avaient pas de cadres. C’était des braves gars qui étaient sortis de la masse du peuple si vous voulez mais qui n’avaient aucune formation spécialisée. Alors cette mission m’a paru intéressante et nous avons fait toute une série de stages chez les Anglais.
Alors les Anglais, vous savez, ils sont très systématiques, ils sont très précis, ils aiment les détails, alors on a fait toute une série d’écoles dans des Special Training Schools où on a appris le sabotage, on nous a même appris à conduire des locomotives à vapeur, on nous a appris, on a fait un stage dans un abattoir pour abattre des animaux pour nourrir les maquis, enfin des trucs extravagants mais finalement c’était très bien fait.
Et puis là on a attendu, une fois que… et puis un stage de parachute naturellement et on a attendu d’être envoyé en France. Nous avons eu un petit problème parce que le lieu où nous devions être parachuté avait été occupé par les Allemands, donc ils nous ont emmenés, on a été au terrain, on nous a harnaché, on a pris nos papiers, on a été, on avait nos parachutes sur le dos quand toc « vous ne partez pas ». Alors ça fait un drôle d’effet, finalement on est parti trois jours après.
Et j’ai été déposé en avion cette fois, non pas parachuté mais déposé, dans l’Indre, près du Blanc et je suis tombé dans un maquis FTP dont le chef, un homme tout à fait extraordinaire et remarquable était de son état mécanicien de garage. Alors au début, on avait un peu de mal avec lui parce qu’il voyait arriver des jeunes officiers, d’origine bourgeoise etc. et il a eu peur pendant quelques moments de perdre son commandement, qu’on allait se mêler des affaires qu’il menait et puis finalement, il s’est aperçu qu’on avait une capacité technique… de fait de notre formation, qui pouvait permette des opérations importantes sans prendre de grands risques.
Parce que … le rôle de maquis, c’est ça, c’est d’attaquer, de détruire mais pas se faire prendre, si vous vous faites détruire à la première opération, il n’y a plus de maquis. Donc il s’était aperçu qu’on avait quand même une certaine formation et il nous a passé pratiquement le commandement militaire de l’opération et nous avons donc participé à toute une série d’embuscades, de sabotages qui ont permis le regroupement des forces allemandes sur un grand axe où l’aviation est arrivée, l’aviation Alliée, en a détruit beaucoup et ce qu’a permis, entraîné par la suite la reddition de toute une Division sur les bords de la Loire : La Division Elster……..
Et ils ont été complètement désorganisés……..Ils étaient 20000 ou quelque chose comme ça……Oui…….C’était énorme
Je crois que c’est une opération de maquis typique. Nous n’avons pas détruit complètement l’ennemi mais nous avons réussi à le rassembler sur un seul axe où la supériorité aérienne des Alliés a joué, eux ils ont été matraqués et quand ils sont arrivés à la Loire, ils étaient épuisés. Alors là, malheureusement les Allemands exigeaient de se rendre aux Américains et non pas au maquis. Donc les Américains étaient trop contents naturellement de recevoir la reddition d’une Division, mais enfin voilà, ça s’est mal terminé !
Saint-Nazaire. Encadrement des F. F. I.
Nous étions trois plus un autre officier, quatre, on est venu nous chercher en avion, on nous a ramené à Londres, là il a été question de nous envoyer en Yougoslavie… de Gaulle voulait envoyer des militaires français auprès de Tito, puis, ça ne s’est pas fait, alors on nous a réaffecté aux Services Spéciaux qui étaient à Paris, c’est là où on nous a envoyé comme encadrement des FFI devant Saint-Nazaire. Nous avions avec nous des compagnies de braves garçons, issus des maquis en général, qui avaient aucune formation militaire. On avait quelques armes et on a établi une espèce de cordon autour de Saint-Nazaire pour empêcher les Allemands de sortir.
C’était tout à fait illusoire. Ils étaient plus de 10 000 à Saint-Nazaire et si pendant tout l’hiver 44-45, ils avaient essayé de sortir pour jeter le trouble dans les arrières des Alliés, ils auraient réussi en une demie journée. Nous n’avions que des fusils mitrailleurs, on n’avait pas d’artillerie, on n’avait pas de chars, on n’avait rien. On était dans des trous, dans la boue, au froid, parce qu’il a fait très froid cet hiver de l’année 44-45 et finalement nous n’avons eu qu’une attaque au moment où Von Rundstedta lancé sa propre offensive dans les Ardennes.
Je pense que les Allemands de Saint-Nazaire ont reçu à ce moment-là l’ordre de faire quelque chose et ils nous ont attaqué. Heureusement ils n’avaient plus de conviction et ils n’avaient plus tellement envie de se batte, heureusement, parce que s’ils étaient passés comme je viens de le dire, ils auraient mis un désordre épouvantable dans le ravitaillement en essence, en munitions etc., des troupes alliées qui se battaient dans l’Est et qui étaient en face de l’offensive deVon Rundstedt.
Au service de presse de la 1èreArmée
Là-dessus ça s’est un peu mieux organisé et nous avons été rappelés à Paris, à la DGER à l’époque, ça s’appelait comme ça, et de Lattre qui commandait la 1ere Armée a demandé des officiers parlant anglais, ayant déjà des titres, ayant fait quelque chose… pour cornaquer les correspondants de guerre étrangers qui venaient enquêter sur l’action de la 1èreArmée Française. Or de Lattre, vous le savez, aimait beaucoup qu’on parle de la 1èreArmée, il avait raison, et accessoirement qu’on parle de lui. Donc il avait monté un service de presse très efficace, à la 1èreArmée, mais il manquait de cadres. Et il fallait donc des gens qui avaient de l’expérience pour piloter, y’avait de tout, des Chinois, des Américains, des Canadiens, etc., qui faisaient en général les fronts de toutes les armées et qui séjournaient de temps en temps au PC de la 1èreArmée. Donc comme ça j’ai eu la chance si vous voulez de pouvoir parcourir le front de la 1èreArmée, participer à quelques opérations et … me trouver le jour venu, par hasard, le jour où de Gaulle a traversé le Rhin. De Lattre nous a fait venir nous a dit « écoutez il y a une prise d’armes sur les bords du Rhin, parce que c’est là que les forces françaises ont traversé le Rhin, et on va remettre quelques décorations aux officiers du génie qui ont réalisé cette prouesse donc il y aura des correspondants de guerre, donc allez-y ».
Nous sommes arrivés-là et on ne savait pas qui allait présider la cérémonie. Quand on a vu arriver l’automitrailleuse, une grosse berline et de Gaulle est sorti. On a été tous étonné, on ne savait pas qu’on allait le voir
Vous l’aviez déjà vu ?
Je l’avais vu, je l’avais rencontré ou plutôt… faut pas présenter les choses comme ça… Il nous avait rendu visite à Gibraltar car notre convoi qui devait nous emmener en Angleterre s’est formé dans la rade de Gibraltar et de Gaulle passait à ce moment-là pour aller en Afrique du Nord. Il a su qu’il y avait des évadés de France à bord de ce transport de troupes, il est venu nous voir.
Là aussi, nous avons été très étonnés, on s’y attendait pas du tout, on nous a dit, « y’a une personnalité qui va venir vous voir, c’est de Gaulle ». Il nous a d’ailleurs parlé assez sévèrement, ce qui nous a un peu secoué parce qu’il nous a reproché d’avoir mis du temps à venir mais ma foi … on avait fait ce qu’on avait pu ! Ce n’est pas tellement facile et puis enfin il nous a dit que nous avions quand même bien fait et qu’il fallait tout faire, etc. Alors un discours assez sévère, puis de Gaulle est reparti et on s’est tous concertés en disant « mais c’est curieux quand même, il aurait pu nous dire un mot chaleureux » puis on s’est dit qu’après tout il avait parlé comme à des combattants, que nous n’étions pas tout à fait encore mais enfin ils nous a parlé comme à des hommes d’abord alors que nous étions très jeunes, et comme à des combattants donc finalement cette petite réaction superficielle est passée et on a gardé un bon souvenir de cette rencontre.
Donc je l’ai rencontré une première fois-là, je l’avais également rencontré à Paris, entre nos deux affectations dans une petite réception familiale qui avait été donné par un de ses ministres et puis c’est là où il nous avait dit « vous savez, les Français Libres, les Français Libres doivent toujours être au premier rang, etc. » et puis donc on l’a revu ce jour-là. Non sans émotion parce qu’au moment de la prise d’armes, il y avait donc le bataillon, le drapeau, la Marseillaise etc., un avion allemand est arrivé… un Messerschmitt 109 qui remontait le Rhin est arrivé, il s’est mis à tourner autour de nous. Il a vu qu’il y avait une prise d’armes, il était très bas hein, et il n’a rien fait. Naturellement il ne savait pas que de Gaulle était là mais il n’a rien fait, il a tourné 2,3 fois, on s’est tous regardés pétrifiés. De Lattre a passé un savon épouvantable à ses officiers parce qu’il n’y avait pas de DCA, il n’y avait rien, et puis ce fameux Messerschmitt est parti sans rien faire.
Mais je pense que s’il existe encore ce pilote et qu’il sait qu’il a eu de Gaulle dans son collimateur, je pense qu’il doit avoir des nuits qui ne sont pas très paisibles. Et puis après on est donc entré en Allemagne et personnellement moi je suis resté jusqu’au 8 mai
La Victoire en Allemagne
Nous avons assisté donc à la Victoire en Allemagne à Langenargen, là où était installé le PC de de Lattre, et on était finalement un petit peu triste. On était heureux parce que… le but était atteint, la France était présente en Allemagne, on avait une zone d’occupation, de Lattre avait été invité à signer à Berlin donc c’était un miracle extraordinaire, pensez qu’en 4 ans notre pauvre pays effondré, inanimé était présent à la Victoire, c’était, c’était un miracle incroyable qu’était d’ailleurs… naturellement dû en premier à Charles de Gaulle mais ensuite à tous les combattants qui avaient permis que la France soit présente dans tous les combats, en Érythrée, en Afrique Centrale, en Italie, sur le front des Vosges etc.
Mais enfin, on était un petit peu triste parce que si vous voulez la fraternité des armes est quelque chose auxquels les hommes attachent beaucoup de prix et qui est en effet un sentiment merveilleux et on se rendait compte que ce sentiment, cette fraternité allait disparaître, que nous allions tous partir dans des directions différentes donc notre… notre joie profonde d’avoir atteint le but qu’on s’était fixé était un petit peu terni par la perspective de la séparation et de la … destruction de cette fatalité qui nous avaient menée pendant des années.
On pouvait rester dans l’armée, on était officier d’active hein, on était Saint-Cyriens donc on était officier d’active, beaucoup de mes camarades sont restés dans l’armée. Moi je n’avais pas tellement envie de rester dans l’armée.
Chef de cabinet de de Gaulle en 1958, préfet de l’Indre de 1963 à 1965
C’est à ce moment-là que le Général a voulu me nommer préfet mais comme il avait lui-même instauré une règle, à savoir qu’on ne pouvait pas nommer un préfet sans que ce préfet occupe une situation territoriale, ce qui n’était pas le cas sous la 4èmerépublique puisqu’il y a beaucoup de préfets qu’ont jamais occupé de situation territoriale, finalement j’ai été obligé de quitter l’Élysée pour aller occuper mon poste et j’ai choisi, on a eu l’extrême élégance de me proposer plusieurs départements mais pour des raisons affectives que vous imaginez facilement, j’ai choisi l’Indre.
Et j’ai retrouvé mon, mon chef de maquis, qui était retourné dans son garage et qu’était d’ailleurs en mauvaise santé mais que j’ai invité à plusieurs reprises à la préfecture.
Co-fondateur de l’Institut Charles de Gaulle
J’avais eu le temps de fonder avec l’accord du Général, l’Institut Charles de Gaulle qui malheureusement s’est réuni pour la première fois, le Général venait de mourir, en février 71, mais il avait vu les statuts, je lui avais montré, il les avait approuvés, il avait approuvé la liste des membres du conseil d’administration, la présidence d’André Malraux, donc c’est une affaire qui était partie sur des bases solides avec son accord. Donc cet Institut dont vous connaissez les activités, je l’ai pratiquement dirigé pendant une vingtaine d’années.
Messages aux jeunes générations
Je crois qu’il faut savoir dire non de temps en temps. Alors c’est pas facile, parce que quelquefois ça heurte l’environnement, toutes les idées qui circulent et dire non, ce qu’a fait de Gaulle le 18 juin, ce qu’un certain nombre d’entre nous, à des échelons très modestes, ont fait, c’est quand même à mon avis une capacité humaine, une capacité de l’homme, unique à l’homme.
Si j’ai un message à transmettre aux jeunes, c’est que s’il y a quelque chose un jour, une situation, une décision à prendre où l’essentiel à leurs yeux, l’essentiel, pas forcément le même pour tout le monde, mais l’essentiel est en cause, il faut qu’ils puissent dire non et si on accepte cette idée-là, de savoir un jour refuser ce qu’on n’accepte pas, beaucoup de choses à mon avis s’éclairent, beaucoup de choix de la vie s’éclairent. Vous savez, de Gaulle a dit « quand vous avez deux chemins, choisissez celui qui monte le plus haut », alors ça peut s’appliquer à beaucoup de circonstances, tous les jeunes ont dans leur vie à un moment donné ou à un autre, tout le monde connaît une situation analogue au 18 juin. Tout le monde, pour des occasions professionnelles, familiales, que sais-je, y’a un moment donné où il faut choisir, et là l’important c’est de ne pas accepter l’inacceptable.