La Vérité Française

Musée de l'Homme
Vérité Française

Auteur de la fiche : Fabrice Bourrée

La Vérité Française

En septembre 1940, après une retraite chez les Dominicains de la rue de la Glacière où il fréquente particulièrement le révérend père Guihaire, le docteur Lafaye fonde avec Jehan de Launoy un mouvement clandestin qui prend la dénomination de Vérité française.

Ce groupe se rattachera quelque temps plus tard au réseau dit du Musée de l’Homme par l’intermédiaire du colonel Dutheil de la Rochère. Germaine Tillion homologuera ainsi officiellement « La Vérité Française » auprès du groupe du musée de l’Homme dès la Libération.

Plusieurs équipes fonctionnent à Paris et à Soissons. Dans la capitale, les animateurs sont Maurice Dutheil de la Rochère, le comte Jehan de Launoy, le docteur Julien Lafaye, Louis Mandin (secrétaire de rédaction au Mercure de France), Pierre Stumm, le docteur Delort et le père GuihairePierre Stumm (« Athos ») dirigeait un groupe de sabotage et de renseignement qui opérait dès août 1940 dans la région d’Argenteuil, à Courbevoie, aux usines Renault et à la gare de l’Est. C’est en septembre 1940 qu’il affilie son groupe à celui de son ami Jehan de Launoy.

Parmi les principaux membres du groupe, nous pouvons mentionner : Roland Coqueugniot (« Roncevaux »), commerçant à Paris ; Raymond Guet (« Jean Bart »), administrateur principal de la Marine en disponibilité ;  le vicomte Paul de Launoy ; Ernest Massip, commis principal de comptabilité à l’Administration centrale des finances et Jean Willoughby. Ces personnes sont, pour la plupart, d’anciens combattants de 1914-18, officiers de réserve et titulaires de la Légion d’Honneur.

Les activités du groupe sont très diverses. Leur but est de favoriser la Résistance sous toutes ses formes : recueillir des prisonniers évadés, guider leur passage en zone libre, cacher des réfractaires, organiser des dépôts d’armes (en particulier à Soissons) et enfin créer un périodique clandestin intitulé Vérité française (qui était également le nom des groupes liés à la droite traditionnelle diffusant ce journal). Ce sont les dominicains de la rue de la Glacière qui fourniront l’argent nécessaire à la mise en route du journal.

Le premier numéro dactylographié en nombre date de septembre 1940. Une ronéo est cachée, d’abord chez Roland Langlois, garçon de chenil du Dr. Lafaye, puis chez la mère du Docteur Holstein. Les créateurs et inspirateurs du journal semblent être les Pères Guihaire et Chenault. Lafaye est l’un des principaux rédacteurs du journal sous le pseudonyme de FT Nel. Mlle Tarsot et Louis Rousseau assurent à Versailles la garde des archives. Mlle Tarsot participe également à la diffusion du journal avec son neveu Pierre Léry et avec Bernard Decloux. Ils les répandent en particulier dans les milieux instituteurs. Au total, 32 numéros paraîtront.

En juillet 1941, les Allemands arrêtent le colonel de la Rochère et découvrent sur lui un carnet contenant certains renseignements et notamment l’indicatif suivant : Jean de la Figue, 18 rue Lauriston. Il s’agit du pseudonyme de Jehan de Launoy. En août 1941, Jacques Desoubrie, agent double chargé par les Allemands d’infiltrer les organisations de résistance, se rend chez Jean Vogel, un des responsables du groupe de Soissons, muni du mot de passe fourni par les Allemands. Il se présente comme évadé d’une prison allemande et traqué par la gestapo. Jean Vogel l’héberge quelques jours et le met en rapport avec son chef, Lucien Douay, qui le conduit auprès du responsable parisien, Jean de Launoy. Celui-ci ne fit preuve d’aucune méfiance et fit de Desoubrie son secrétaire particulier, poste de choix qui va lui permettre de connaître tous les détails de l’organisation. Il est chargé précisément de la diffusion du journal et de divers tracts. Il assure la liaison entre les différents membres du groupe à Paris et se rend fréquemment à Soissons auprès de M. Douay. Il assiste à des réunions et notamment à un repas chez Jean Vogel au cours duquel celui-ci donna certains détails sur le fonctionnement du réseau. Chaque jour, Desoubrie note scrupuleusement tous les renseignements qu’il peut recueillir, consigne des noms, des adresses, des faits précis et constitue sur le compte de chacun un dossier accablant.

Le 25 novembre 1941, au moment où les Allemands pensent ne plus rien ignorer de l’organisation, 80 arrestations sont opérées tant à Paris qu’à Soissons. A Paris, Jehan et Paul de Launoy, M. et Mme Willoughby, Ernest, Thérèse et Marie-José Massip, Roland Coqueugniot,Louis Mandin, Pierre Stumm, et Raymond Guet sont appréhendés. La police allemande effectue également une descente au couvent Saint-Jacques, 35 rue de la Glacière où elle interpelle  les RP Guihaire, Chenault, Desobry (prieur) et Chevignard (maître des novices). Julien Lafaye est arrêté à Versailles le même jour. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Michel Dujardin, Maurice Moreau et Roger Pincet d’être arrêtés. Georges Holstein, assistant du Dr Lafaye à Versailles, est interpellé à son tour le 22 décembre 1941.
Les inculpés sont transférés à Fresnes et quelques-uns sont relaxés, parmi lesquels le révérend père Chevignard, le 18 décembre 1941 et Paul de Launoy le 16 janvier 1942. Les autres personnes appréhendées sont maintenues à Fresnes.

Leur procès, dont l’instruction a été continuellement secrète, se déroule du 15 avril au 30 mai 1942 au tribunal militaire allemand de la rue Boissy-d’Anglas. A l’issue du procès, Roland Coqueugniot, Daniel Douay, Jehan de Launoy , Emile Louys, Pierre Stumm et Jean Vogel sont condamnés à mort et fusillés le 27 octobre 1942. Les autres condamnés à mort, à savoir le capitaine Descamps, le père Guihaire, le Dr LafayeLouis Mandin, André Meurgue et Maurice Moreau voient l’exécution de la sentence suspendue. Massip est condamné à huit ans de prison pour détention d’armes et de tracts, Mme Germaine Vogel à deux ans, Roger Pincet à six ans, Louis Leseigneur à sept ans, le père Henri Chenault à quinze mois et Holstein à cinq ans. Trente-trois inculpés avaient comparu à l’audience du 30 mai mais nous ignorons les peines infligées aux autres prévenus et les acquittements qui ont pu éventuellement intervenir dans cette affaire. Les avocats français n’eurent pas le droit de plaider et des défenseurs allemands furent désignés d’office. Il est à noter que le dossier des condamnés à mort fut soumis à Hitler car celui-ci se réservait l’examen et la confirmation des jugements dans lesquels étaient impliqués des officiers de l’Armée française.

Les résistants dont la sentence de mort fut suspendue et ceux condamnés à des peines de réclusion furent tous déportés dans le cadre du décret « Nuit et Brouillard », la plupart à Karlsruhe, Reinbach et Sonnenburg.

Le 29 octobre 1942, le procureur principal Wutzdorff reçoit du Commandant du Tribunal du Gross-Paris une lettre lui demandant d’exécuter la sentence de mort à l’égard de quatre ressortissants français condamnés à mort par le Tribunal supérieur de guerre à Paris, et qui se trouvent incarcéré à Sonnenburg, à savoir les nommés Guihaire, Meurghe, Descamps et Moreau. Ce courrier stipule en outre que « le commandant en Chef de l’Armée de Terre a suspendu le jugement contre Mandin et Lafaye » et que ceux-ci « doivent être traités comme des prisonniers en réclusion. Toute communication avec le monde extérieur leur est strictement interdite ». Le magistrat se déclare en désaccord avec cette décision car son rôle n’est pas d’exécuter les sentences de mort. Il a finalement du s’incliner puisque les quatre individus nommés dans la lettre seront exécutés. On peut supposer qu’étant donné la notoriété de plusieurs de ces condamnés, la commutation de peine n’était qu’un simulacre, destiné à permettre leur suppression loin de tout regard indiscret et sous le couvert du secret absolu qui était la stipulation essentielle du décret Nuit et Brouillard.

Le révérend père Guihaire, déporté au camp de Brandenbourg à la fin d’août 1942, y est exécuté le 5 décembre de la même année, en même temps que Henri Descamps, André Meurgue et Maurice Moreau. Maurice Dutheil de la Rochère, déporté d’abord à la prison de Rheinbach, décède au pénitencier de Sonnenburg (Pologne) en janvier 1944 à l’âge de 74 ans. Julien Lafaye décède au même endroit le 15 mai 1944 après avoir subi de multiples mauvais traitements. Le père ChenaultM. et Mme Mandin, M. Pincet, Georges Holstein, du groupe de Paris, et MM. Leseigneur, Pluche, Delhaye et Dufour du groupe de Soissons meurent également en déportation.

Quant à Jacques Desoubrie, impliqué dans plusieurs affaires de dénonciations, il fut jugé en 1947 par la cour de justice de la Seine qui le condamna à mort.


Sources : Archives nationales (Z6/818-819, cour de justice de la Seine, procès Desoubrie ; F60/1573, « affaire de Soissons » ; 72AJ1911 ) – Archives du couvent Saint-Jacques (journal du Père Guihaire) – Archives de l’abbé Joseph de la Martinière, Musée de la Résistance, Besançon – Archives municipales de Versailles – Archives famille Latapie – Archives famille Daout-Holstein – Colette Couvreur, Pierre Descamps, Vie et mort du chef d’escadron Descamps, Privat, 1968