Tillion Germaine

Auteur de la fiche : Association Germaine Tillion

Germaine Tillion

Ethnologue et résistante pendant la deuxième guerre mondiale, ayant passé sa vie à la recherche du vrai et du juste, est entrée au Panthéon le 27 mai 2015. Sa mère, Émilie (1876-1945), femme de lettres et humaniste, elle aussi résistante, fut déportée, comme sa fille, à Ravensbrück où elle mourut gazée.

Germaine Tillion est née le 30 mai 1907 à Allègre, dans le Puy-en-Velay. C’est la fille de  Lucien Tillion, magistrat et homme de culture et d’Emilie Tillion, née Cussac, elle aussi esprit curieux et ouvert.  En 1922 la famille déménage dans la région parisienne, trois ans avant la mort de Lucien Tillion à la suite d’une pneumonie. Émilie poursuit chez Hachette le travail entrepris avec la collaboration de son mari, l’écriture et la publication de Guides bleus, destinés aux touristes qui visitent les régions de France et des pays d’Europe. 

Germaine Tillion mène des études d’histoire de l’art et de préhistoire à l’Ecole du Louvre, puis suit les cours de Marcel Mauss à l’Institut d’ethnologie dont elle sort diplômée en 1932. Parallèlement elle aide sa mère en contribuant aux Guides bleus. Émilie est très proche de sa fille et s’intéresse à ses études : « Elle recevait merveilleusement nos camarades (Germaine a une sœur, Françoise, qui s’est orientée vers les sciences politiques), et plusieurs étaient presque jaloux de nous car ils auraient voulu l’avoir pour mère ». En 1933, Germaine se rend en Allemagne où elle assiste à la montée du nazisme. Elle débute sa carrière d’ethnologue en 1934 lorsqu’elle obtient une bourse de l’Institut international des langues et civilisations africaines pour mener une recherche ethnographique dans l’Aurès. Thérèse Rivière, responsable du Département « Afrique Blanche et Levant » du Musée d’Ethnographie du Trocadéro, bénéficie aussi d’une bourse pour la même mission qui a pour objectif d’étudier la population Chaouïa, d’en connaître les usages, les croyances et les techniques. Germaine Tillion effectuera quatre longues missions dans l’Aurès de 1934 à 1940 ; sa thèse, sous la direction conjointe de Marcel Mauss et de Louis Massignon, le grand orientaliste, porte sur l’organisation sociale des Chaouias. De retour d’Algérie en juin 1940, elle s’engage, dès l’annonce de l’armistice par Pétain, dans la résistance, dans le groupe « Réseau du Musée de l’Homme Hauet-Vildé ». Les activités de ce réseau sont variées : évasion de prisonniers (faux certificats de maladie, recrutement de passeurs), propagande (édition et diffusion de tracts, des journaux Résistance et Vérité française) et renseignement (collecte d’informations et leur acheminement vers Londres). Émilie s’est aussi engagée aux côtés de sa fille : dès l’invasion allemande, elle a donné les papiers d’identité de membres de sa famille à ses amis Lévy, puis elle sert de boîte aux lettres au groupe du Musée de l’Homme et assure la liaison avec des écrivains et des artistes. Plusieurs membres de ce réseau de résistance sont arrêtés en 1941 puis condamnés à mort et exécutés en 1942. Germaine Tillion est, elle-même, dénoncée et arrêtée le 13 août 1942. Elle est accusée de propagande anti-allemande, espionnage et intelligence avec l’ennemi ; elle est incarcérée à la prison de la Santé où elle reste deux mois, avant d’être transférée dans la prison de Fresnes pour une année en qualité de « prisonnière NN » (pour Nacht und Nebel – Nuit et Brouillard) – une expression qui désigne les prisonniers politiques tenus sous stricte surveillance et non informés de leur sort, destinés à disparaître sans laisser de traces. Elle continue de rédiger sa thèse qui ne l’avait pas quittée. Au début de l’année 1943, elle apprend l’arrestation de sa mère poursuivie pour les mêmes faits de résistance qu’elle. Émilie est aussi incarcérée à Fresnes ; elles ne sont pas au même étage mais le 11 avril leurs deux portes s’ouvrent en même temps : « Elle me fait signe, elle essaie de sourire… moi aussi », se rappelle Germaine. Le 21 octobre 1943, Germaine Tillion est déportée au camp allemand de Ravensbrück où elle vit et voit l’horreur pendant 18 mois ; elle y est souvent classée dans la catégorie des Verfügbar, celle des prisonnières sans affectation, alors disponibles pour toutes sortes de travaux occasionnels dont le déchargement des trains. Elle y entreprend une étude ethnographique du camp. A l’automne 1944, réfugiée dans une caisse d’emballage, pour remonter le moral de ses camarades d’infortune, elle rédige une opérette-revue, Le Verfügbar aux Enfers, qui fustige, sur un mode satirique, les conditions de vie dans le camp. Sa mère la rejoint à Ravensbrück en février 1944 ; elle n’est pas dans le même block que Germaine, mais celle-ci parvenait « grâce à d’innombrables complicités, à voir » sa « mère quelques instants tous les jours et à veiller sur elle. » Mais rien ne permettra de sauver Émilie, âgée de 69 ans. « Le 2 mars 1945, se souvient Anise Postel-Vinay, on apprit qu’une sélection générale se préparait pour le soir. Les cheveux blancs de Madame Tillion, sa démarche fatiguée la menaçaient particulièrement ». De jeunes camarades essayèrent de la dissimuler mais le médecin SS la désigna et elle fut conduite à la chambre à gaz.

À son retour de Ravensbrück, Germaine Tillion reprend son étude ethnographique du camp, dont elle publiera une première version en 1946, qui sera transformée en ouvrage (Ravensbrück) d’abord en 1973, puis de nouveau en 1988. Elle participe à plusieurs activités et missions en relation avec son engagement dans la résistance. Ainsi elle appuie l’appel de David Rousset contre les camps toujours en activité (notamment en Union soviétique) et devient membre de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire.

En 1954 elle est envoyée en mission en Algérie au lendemain du soulèvement et entreprend de lutter contre la « clochardisation » de la population en créant les centres sociaux destinés à fournir aux démunis une formation ouvrant sur un métier; parallèlement, « soucieuse de sauver des têtes avant de défendre des causes », elle mène des combats contre la torture, contre la peine de mort, pour une paix équilibrée. Ainsi en 1957, alors que la bataille d’Alger fait rage, elle s’efforce de négocier une trêve entre les combattants. Ses nouvelles expériences algériennes sont exposées dans ses ouvrages L’Algérie et 1957 et Les ennemis complémentaires. Elle parvient aussi, à cette période, à introduire l’enseignement dans toutes les prisons françaises. Le conflit algérien achevé, elle effectue plusieurs enquêtes sur la condition des femmes dans le monde musulman, enseigne à l’École des hautes études, où elle est nommée directeur d’études en 1958, anime une équipe de recherche sur les sociétés maghrébines (« Littérature orale, dialectologie, ethnologie du domaine arabo-berbère »). Elle publie un ouvrage important sur le statut des femmes dans le monde méditerranéen, Le harem et les cousins (1966, 1982). Quant à Il était une fois l’ethnographie (2000), c’est le compte-rendu d’une partie des enquêtes qu’elle mena dans l’Aurès dans les années 1930 (le reste de ses notes, de son manuscrit de thèse disparut à Ravensbrück).

Malgré ces activités, elle n’oublie pas ses combats passés, et continue de lutter contre les injustices présente et continue de lutter contre les injustices présentes. Ainsi en 1996 – elle a alors 89 ans – elle participe, aux côtés de Stéphane Hessel, Edgar Morin et Paul Ricœur, au mouvement de défense des « sans-papiers » réfugiés dans l’église Saint-Bernard à Paris. En 2000 elle signe « l’Appel des douze » afin que soit reconnue et condamnée la pratique de la torture pendant la guerre d’Algérie.

A la recherche du vrai et du juste, édité en 2001 par Tzvetan Todorov, rassemble des textes de Germaine Tillion écrits entre 1940 et 2000. En 2005 est publié Le Verfügbar aux enfers qui est représenté pour la première fois au théâtre du Châtelet à l’occasion du centenaire de Germaine Tillion en 2007. En 2009, T. Todorov réunit dans Fragments de vie d’autres textes de Germaine Tillion. De nombreux essais ont été consacrés à cette femme d’exception dont le courage, la quête de vérité et de justice forcent l’admiration.

(Par l’intermédiaire de l’Association Germaine Tillion, elle fait don de ses archives à la Bibliothèque Nationale de France tandis que ses études et documents sur la déportation sont déposés au Musée de la Résistance et de la déportation de Besançon (Fonds Germaine Tillion)).