Victor Chaudron

Victor Chaudron

Agent de liaison dans les maquis de la Côte d’Or.

Vidéo

Durée : 14:22

L’engagement

J’ai fait mes études secondaires dans une école religieuse de la région, dans l’Auxois, et je voudrais en particulier parler d’un de mes professeurs qui était le professeur d’allemand que j’ai eu à Flavigny-sur-Ozerain dans cette école, qui fréquentait beaucoup l’Allemagne à l’époque hitlérienne et qui nous a rapporté de ses incursions en Allemagne, des souvenirs, des scènes qui ne pouvaient tromper personne.

Il nous racontait par exemple, les « grands messes », c’est comme ça qu’on appelait ça, de Nuremberg, où le Führer parlait devant des dizaines de milliers de personnes, avec beaucoup de théâtre, avec beaucoup de luminaires, à la lumière des torches, enfin toutes sortes de choses que notre professeur nous répétait en nous disant « attention, il y a là un véritable danger, premièrement parce que ce sont des gens… sur le plan militaire qui vont devenir très dangereux et puis d’autre part qui sont au service d’une idéologie qui est profondément inhumaine et tout simplement pour ce qui est de notre cas, anti-chrétienne ».

Le nazisme, on nous l’a toujours dépeint comme quelque chose d’anti-chrétien. Et je peux vous dire que cela m’a beaucoup marqué et ce fut probablement une des raisons majeures, une des raisons péremptoires qui m’ont conduit à entrer en Résistance.

J’ai eu dès le début…, les jours qui ont suivi l’Armistice, une réaction de résistance en ce sens qu’avec un ami très cher, qui est devenu deux ans après mon chef de maquis, mais qui à l’époque n’était qu’un camarade, nous nous sommes livrés à la collecte, au ramassage et à la dissimulation d’armes de l’armée française.

Autant d’armes qui nous ont servis par la suite. Pendant disons un an et demi, presque deux ans, j’ai été moniteur dans ce centre de formation professionnel créé par Vichy.

Fin 1942 début 43, je suis touché par l’édit de Vichy concernant le service du travail obligatoire. Pour moi, il n’était pas question, à aucun moment, d’aller travailler pour l’Allemagne, pour l’ennemi en Allemagne, j’ai… immédiatement choisi d’être réfractaire et j’ai pris, ben je suis entré en clandestinité, pratiquement, je suis revenu m’installer chez ma mère.

Mon vieux camarade, Bernard Guillemin, avec lequel j’avais caché, soustrait des armes et caché des armes en 1940, est revenu immédiatement prendre contact avec moi et m’a proposé d’entrer dans l’organisation dont il commençait à s’occuper, c’est-à-dire ce qui est devenu peu à peu le maquis Bernard.

Le maquis Bernard

Je suis donc à partir de janvier 1943, en compagnie de mon épouse et avec son assentiment complet, en clandestinité, c’est-à-dire que je n’ai ni salaire, ni carte d’alimentation, ni aucun secours de qui que ce soit.  Bernard Guillemin prend contact avec moi et me demande d’entrer dans son organisation mais de rester dans la situation où je me trouve, c’est-à-dire, me disant, me précisant en particulier, ben qu’il ne peut pas me prendre en charge au sein d’un maquis, d’abord parce que celui-ci n’existe à peu près pas, c’est l’époque où Bernard Guillemin recherche les grottes, les façons où l’on peut installer un maquis mais ses installations n’existent pas.

Il me demande donc de rester, de continuer à vivre de la même façon, dans le milieu familial, mais par contre d’être à sa disposition pour exercer un certain nombre d’activités de résistance. Ce que j’accepte, et assez rapidement il me demande d’ailleurs d’être le responsable du village sur le plan résistance, c’est ce que l’on appelle un sédentaire ou un régulier.

C’est ainsi que pendant cette année, j’ai participé, avec Bernard toujours, à des sabotages, sabotages de lignes électriques en particulier, de lignes téléphoniques également, et puis en même temps, j’étais chargé un peu de recrutement.

Ce n’était pas facile en 1943 de recruter au sein de la Résistance, vous savez, beaucoup de gens étaient encore très attentistes.

Le maquis de Bernard, proprement dit, a été structuré à partir disons de septembre 1943, c’est-à-dire l’automne, date à laquelle il a installé un certain nombre de garçons dans la grotte dite de Grissey, dans la vallée de l’Ozerain. Notre organisation, sur les ordres de Bernard Guillemin, avait acceptée d’être gérée par une organisation nationale que l’on appelle FTP, Francs-tireurs et partisans. J’ajouterai simplement que nous ne connaissions absolument pas à l’époque l’obédience à laquelle pouvait appartenir, l’obédience politique en particulier, à laquelle pouvait appartenir cette organisation.

L’affaire Werner

Notre chef, Bernard Guillemin, a été au cours d’un engagement qui a eu lieu en décembre 43, a été assez grièvement blessé, à la jambe, à la cheville, il est donc indisponible pendant quelque temps, il est soigné entre les mains de gens qui le cachent, sa tête a été mise à prix, il ne faut pas l’oublier, les Allemands le recherchent activement, il n’a donc plus, pendant quelque temps, de contact direct avec ses hommes. En janvier 44, le 23 janvier exactement, par un hasard de circonstance, il y a un engagement entre donc un groupe de résistance et une formation allemande.

Les Allemands qui eux, sont bien aguerris et qui connaissent bien la façon de se battre, capturent un de nos camarades, en tuent deux autres, et le reste réussit à fuir et à rentrer au maquis. Les camarades, qui précisément se trouvent sans chef ou plus exactement sont dirigés par un adjoint de Bernard, essaient de trouver le moyen de libérer ce camarade. Et finalement ils trouvent un moyen, c’est d’aller se poster en embuscade sur la route nationale entre Dijon et Sombernon, pour situer exactement, et d’essayer de capturer un officier, le plus gradé possible, et puis de proposer l’échange aux Allemands.

Le major Werner est donc capturé, blessé assez grièvement. Malheureusement les choses traînent, l’état-major FTP alerté par les soins de la Résistance, met un certain temps à exécuter les démarches qu’il eut été urgent d’entreprendre, et les Allemands eux ne perdent pas de temps et découvrent peu à peu, grâce aux renseignements qui leur parviennent et grâce à l’aide d’un certain nombre de Français bien sûr qui travaillent pour eux, et finalement ils se trouvent sur la piste de l’endroit où se trouve le major et se trouvent également sur la piste des gens qui ont fomenté toute cette affaire.

C’est la raison pour laquelle finalement, le commandant Bernard consent à ce que l’on mette fin à l’affaire en tuant le major Werner. Il est certain que le major avait pendant les heures pendant lesquelles il a été prisonnier de la Résistance, il a appris un certain nombre de choses, sur ses gardiens, sur les responsables du groupe, etc.

C’est donc difficile de le remettre en liberté en le confiant par exemple à un hôpital voisin. Cette affaire Werner a eu une suite sanglante, il faut le dire, puisque 15 de nos camarades ont été capturés, seront condamnés à mort et fusillés à Dijon le 1ermars 1944, et par ailleurs 27 personnes sont capturées également et emmenées en déportation, 12 ne reviendront pas des camps de déportation.

Le commandant Bernard a décidé en quelque sorte de faire éclater son organisation, en donnant la possibilité à un certain nombre de prendre… ben de s’installer ailleurs ou de prendre une autre orientation.

Avec son accord total, j’ai quitté la région, seul, en laissant mon épouse chez ma mère, je me suis réfugié dans la vallée de la Saône, dans la région de Seurre où j’ai participé à la constitution… d’un autre maquis qu’on a appelé le maquis Bonaparte et ceci en collaboration étroite avec un camarade d’études qui était instituteur dans cette région-là, dans la région de Seurre, et ensemble, nous avons constitué cette organisation qu’on a appelé le maquis Bonaparte, qui je le précise était également d’obédience FTP.

Le maquis Bonaparte

J’ai donc continué mon activité de résistance, … alors actif cette fois, je n’étais plus sédentaire, j’étais au sein d’une organisation complètement clandestine. L’activité a été… ce qu’elle est dans un maquis à l’époque, sabotages, sabotages en particulier sur les voies ferrées et puis différentes autres activités où l’on voit apparaître d’ailleurs au moins de juillet 44, une certaine administration du secteur, car les Allemands ne contrôlaient plus comme auparavant toutes ces zones rurales et par conséquent, nous avions décidé de prendre contact avec les maires des différentes localités, et qui ont, où nous participions à l’organisation du ravitaillement, de différentes gestions administratives, c’était assez curieux.

Un jour arrive à Brazey-en-Plaine, une colonne, et le responsable de cette colonne, un officier de je ne sais plus quel grade, convoque le maire à l’Hôtel de Ville et lui dit « monsieur le Maire, je sais que à tel endroit se trouve un groupe de partisans assez important, alors faites savoir à ces jeunes que nous n’irons pas les attaquer, nous n’avons plus le temps ni la possibilité de nous livrer à ce jeu, mais que je leur demande de ne pas nous attaquer eux non plus ou alors votre village est détruit ».

Le maire s’est empressé de nous faire connaître ce message et bien entendu, nous n’avons pas tenté d’attaquer, nous n’avons pas voulu attaquer les Allemands pour ne pas provoquer des représailles sanglantes sur la population.