Raoul Tourette

Raoul Tourette

Résistant à Bourg-en-Bresse, arrêté et déporté en août 1944 à Neuengamme connaîtra « les marches de la mort » avant de rejoindre à Paris l’hôtel Lutetia.

Vidéo

Durée : 17:26

L’engagement

Lorsque les Allemands envahissent la France, vous avez 19 ans ?

19 ans et je suis à Bourg-en-Bresse et je travaille chez un carrossier nommé Buller qui m’a appris la forge, qui m’a appris le travail des carrossiers et surtout une chose qui m’a sauvé, il m’a appris la soudure électrique électro-Schweizer, qui fait que tout ça je me suis présenté avec les Allemands d’une façon pour me défendre. J’ai pensé tout de suite à me défendre.

Mon père était concierge du lycée Lalande, c’était d’ailleurs un grand résistant. Quand les Allemands ont mis la ligne de démarcation, ils ont transformé le lycée en poste, donc une partie de l’établissement a été coincé pour les Allemands, pour leur téléphone, pour tout ça. Ce qui fait que mon père a profité justement de cette installation qui lui permettait d’écouter les écoutes téléphoniques du fait qu’il n’y avait rien qui le mettait comme homme dangereux, c’était le concierge. Et de ce fait, il transmettait à Londres tout ce qu’il avait entendu la journée.

Vous savez qu’il y a eu, sitôt que l’armée n’existait plus, il y a eu, ce qu’ils ont inventé, enfin, comment dirais-je, les chantiers de jeunesse, les fameux chantiers où on était habillés en vert, avec le blouson de cuir, le béret vert, le pantalon de golf de velours vert, les godillots, tout ça, ce qui fait que j’ai été au 8ème groupement de Châtelard… qui nous a commencé à nous donner une idée de la résistance, parce que j’étais sous les ordres du colonel de Courson.

Au moment de la dissolution de l’armée de l’Armistice, ton chantier de jeunesse n’était pas loin du campement du 27èmeRégiment de chasseurs alpins et donc il y a un certain nombre d’officiers qui vous ont approchés en vous disant, et bien il faut… ?

Ben oui, attention, vraiment, ceux qui nous ont permis de faire de la résistance, c’est le 27èmeChasseur justement d’où faisait partie Tom, il faisait partie du 27èmeChasseurs…

Tom Morel, plateau des Glières ? …Plateau des Glières. Et ils sont venus au Châtelard, au 8ème groupement, là où j’étais, et là, ils nous ont dit « il faut faire un camp »

Donc un maquis ? …Un maquis ….. C’est-à-dire un groupe dissimulé….  Oui parce qu’on avait besoin de nourriture, c’était de l’avoine avec un peu de lait, c’est tout ce qu’on avait, il n’y avait pas autre chose, alors il fallait vraiment qu’on défende et les gens du coin, sans les trahir et en même temps il fallait faire notre possible de faire un réseau parce qu’on devait être pas plus de 30 par groupement, car c’était ce qu’il y avait de plus facile à nourrir.

L’action

Souvent, moi, je partais avec un vieux paysan, qui avait au moins 70 ans, j’allais jusqu’à Saint-Gingolphchercher du tabac et les Suisses nous donnaient des sacs de tabac. Il y avait un cheval et c’est le cheval qui portait le tabac, on arrivait à Saint-Gingolph mais fallait se méfier, parce que les Italiens qui gardaient à ce moment-là la frontière à Saint-Gingolph avaient juré d’avoir les maquisards. Alors ils nous tiraient dessus, mais attention, quand ils s’apercevaient qu’on était là.

Et surtout, on avait les Suisses qui nous donnaient avec le tabac des poires de poivre et au moment où on avait les chiens, on leur poussait la gueule pour qu’ils ouvrent la gueule et on leur foutait un coup de poire, le chien était foutu mais nous, il fallait nous en aller immédiatement parce que les Italiens nous tiraient dessus

Ah oui, vous vous êtes trouvé en face des Italiens ?

Ah oui, on était à 10 mètres, 10-12 mètres des Italiens, étonnés d’ailleurs, eux ils étaient étonnés, ils avaient la frousse, et c’est là que Tom qui est un officier du 27èmea su faire un machin pour la Résistance du tonnerre parce que vraiment, on était vraiment installés, attention il y avait 15 pou cents d’Espagnols, plus nous.

Vous étiez combien ?

Ben nous autres, on était 250-300, mais enfin Tom avait arrangé l’histoire de manière qu’on ne soit jamais en paquet, de manière à ne pas permettre aux machins de nous détruire à la mitrailleuse.

L’arrestation

C’est les gendarmes de Bonneville qui nous ont prévenus comme quoi les paysans étaient rançonnés

Par des gens qui se présentaient résistants ?

Ils se présentaient résistants, alors automatiquement, nous, on s’est réuni, une vingtaine, et on allait voir les attendre et on les a attendus le lendemain, et le lendemain, on les a exécutés sur le fumier. A ce moment-là, c’est des gendarmes

Des gendarmes français ? … Des gardes-mobiles français, les GMR, les fameux GMR qui nous ont arrêtés et qui m’ont amené à Bonneville.A la demande du magistrat ? …. D’accord, vous êtes passé en jugement et après ce jugement

Jugement à Chambéry… moi j’ai été condamné à 14 ans… de prison

Et là vous avez commencé à faire de la prison ?

Là j’ai commencé à faire de la prison, d’abord à Annecy, ensuite à Chambéry et c’est le directeur de la prison de Chambéry qui m’a permis de préparer mon évasion. Il avait peur de rien. D’abord il m’a appelé, il m’a écarté des autres, il m’a dit « vous viendrez dans mon bureau, j’ai besoin de vous parler ». Je me suis présenté à lui, il m’a dit « je suis résistant, j’ai droit comme vous au respect », je lui ai dit « mais si vous êtes résistant, vous êtes avec nous », c’est tout.  Et nous on est partis, où j’ai été à Bourg, de là, à Bourg, par le train, on est monté dans le train, on s’est plus occupé de rien, parce qu’à ce moment-là la police n’était pas formidable, hein. Ce qui fait que je suis arrivé à Marseille et c’est là que j’ai résisté, j’étais avec le neveu du général de Gaulle… le commandant Caillot.

La seconde arrestation

J’étais à Marseille, dans le boulevard Dugommier, il y a une boîte de nuit ,… je regardais les photographies, et à ce moment-là, d’un seul coup je me trouve entouré de tous les côtés.

Des hommes en arme ?

Non, non … en civil, qui me prennent au bras et qui me jettent dans la traction qu’ils avaient et puis ils m’amènent rue du Paradis, aux anciens Établissements Esso…, ils se servaient de ce machin-là comme bureau, et ils nous questionnaient là. On a voulu justement que l’on dise tout ce que l’on savait, et tout ça, ben moi mais…

Vous avez été torturé là ?

Là, ben là, les doigts, les machins, mais c’est surtout, …ils nous attachaient sur les chaises et ils nous mettaient à l’envers, et le gars il prenait les pieds et puis il levait et on tombait d’en haut.

Et si ces policiers allemands t’ont arrêté, c’est parce que tu recherchais ton frère ?

Oui, je recherchais mon frère qui avait été surpris, lui aussi il s’était fait prendre, et lui… il est tombé sur Barbie. … Le tortionnaire ?… Il a été condamné à mort. Il a été exécuté. Immédiatement ? …Presque qu’immédiatement

La déportation

Après Marseille, vous êtes allé en camp de concentration, à Neuengamme puis Wilhemshaven ?

Et on me met au déchargement de péniches. Et décharger des péniches, croyez-moi, au bout de 2 heures, vous avez des mains, vous ne les sentez plus, elles sont pleines de sang et tout ça.

Et là, je me débrouille à questionner le cuisinier pour savoir s’il y avait des moyens de se défendre pour justement faire que, il y ait le moyen de sortir de ce machin, parce que je suis pas plus fort que les autres, je serais mort comme tout le monde hein, c’est là qu’il m’a dit « ben demain, y’a ce qu’on appelle celui qui veut travailler pour …l’Allemagne », alors le lendemain matin, je me mets sur les quais, à l’endroit où on devait être pour être répertorié et on me dit « qu’est-ce que vous savez faire ? » alors je leur dis « électro-Schweizer, soudeur à l’arc », « ah bien », comme c’était une nouvelle, c’était un nouveau travail hein, attention, il y en avait pas beaucoup, alors ils m’ont dit « et bien on va essayer, on va voir ce que vous valez », alors le lieutenant, qui a fait faire le travail,  m’a dit « vous souderez toujours comme ça, car c’est bien soudé », et c’est comme ça, voyez, que je suis arrivé là.

Donc tu arrives à Neuengamme en juillet, 44, précise peut-être ce que tu faisais à Marseille… ?

Et bien voilà, … j’arrive à Marseille, on devait trouver le fameux train blindé qui devait empêcher le débarquement de Sainte-Maxime… alors de ce fait, … je me mets à travailler à fond et je faisais mon boulot de soudeur à l’arc, électro-Schweizer, d’une façon formidable, alors ce qui fait que les Allemands m’ont, comment dirais-je…presque pas… m’ont aidé, chaque fois qu’ils pouvaient me donner un litre de soupe et tout ça. Tout ça, ça m’a permis de m’en sortir. Je m’excuse, c’est mon, c’était le seul moyen de sauver sa vie, il n’y en avait pas d’autre.

Le dénouement

Quand ils ont senti que la guerre était terminée, qu’ils nous ont préparés pour justement se rendre dans la baie de Lübeck, depuis Wilhemshaven jusqu’à la baie de Lübeck, qui représentait 650 km, à pied, avec 4 bouts de pain pour tout le voyage !

Quelle température à l’époque ?

Il faisait -5, -6… c’était déjà dur mais alors c’était… on était déjà au mois de mars hein. Et de là, on est montés sur un bateau, je me rappelle plus le nom du bateau, et on a été amenés en Suède… bateau allemand

Bateau allemand !

C’est surtout les Allemands qui ont profité de nous pour s’échanger leur vie contre la nôtre, c’est comme ça que nous avons été libérés.

Et vous avez été pris en charge par la Croix-Rouge suédoise ?

La Croix-Rouge suédoise, on a été soignés, Très bien soignés

Oh ! Formidable. Quand je suis parti de la Suède, je faisais 80 kilos. Quand je suis arrivé, je faisais 131 kilos !

Mais vous êtes resté combien de temps ?… Un mois.…

Message aux jeunes générations

Et dire aux jeunes de se rappeler ce que les gens ont souffert. Rappelez-vous tous de ce qu’on peut souffrir bêtement quand vous avez des gens comme Hitler, comme n’importe lequel, comme Franco et tout ça, à faire des bagarres… c’est donner aux gens une mauvaise raison d’être méchant.