Pierre Saint Macary

Pierre Saint Macary

Entrée en Résistance très tôt, arrêté puis  déporte Mauthausen. Après la guerre il poursuivit une carrière militaire puis investira dans la mémoire de la Résistance.

Vidéo

Durée : 18:11

L’engagement

Je suis né en 1920, c’est-à-dire je suis un enfant de la guerre, de la guerre de 14, … d’une famille très restreinte puisque mes parents et mes 3 frères, on a vécu sans cousinage et sans rien du tout, 3 garçons, les 2 autres plus jeunes que moi, un qui a été général d’aviation et le dernier médecin des hôpitaux.

C’est une famille modeste qui a connu l’adversité financière, qui n’a pas de patrimoine, rien. Il s’est trouvé que dans les 20 premières années de ma vie, j’ai dû habiter à 6 endroits différents et déménager 12 fois. Donc en même temps, c’est une famille errante, si je puis dire, errante en France, parce qu’on a habité Marseille, Asnières, Strasbourg, Bordeaux, Orléans, Le Mans et Orléans.

Alors, les deux autres éléments, c’est le lycée, je suis arrivé juste au moment où les études secondaires devenaient gratuites, ce qui m’a permis de faire des études secondaires, bon,  et le troisième élément, c’est le scoutisme, où je suis entré en 1935 sur la volonté expresse de mes parents et moi n’appréciant pas trop mais finalement m’étant complètement passionné, étant influencé par ça, ce qui fait que je me suis retrouvé préparer Saint-Cyr par goût des hommes, goût du scoutisme, et par facilité si je puis dire, parce qu’il y avait une préparation à Orléans, ce qui ne compliquait pas la vie des parents, la vie économique en particulier et que j’avais, en principe, toutes les aptitudes pour être reçu à Saint-Cyr, aptitudes scolaires, entre guillemets, bon donc je décide de préparer Saint-Cyr je devais être reçu brillamment, je suis collé brillamment deux fois       Alors à ce moment-là arrive la catastrophe absolue qui me, qui me marque encore maintenant, c’est la défaite de 40. Quand on habite Orléans, qu’on quitte Orléans comme réfugié avec la voiture, avec les matelas sur le toit, le poste radio dans le fond de la voiture, les 3 enfants poussés dedans, tout le matériel et qu’on descend vers le Sud, puisqu’on était d’origine méridionale, on est retourné chez, dans la famille si je puis dire, enfin ce qui restait de famille, et que le premier Allemand que j’ai vu, le premier motocycliste allemand, voyez avec les grandes bottes et la grosse moto, c’est sur le pont de l’Adour à Bayonne, à Bayonne, vous voyez ce que ça peut représenter pour le type d’enfant que j’étais, traditionaliste, croyant à la grande force de la France,  ayant fait des études scolaires où tout allait bien, où la France était ce qu’elle était à ce moment-là.

A l’été 40, on revient à Orléans Ce qui se passe l’été 40 est difficile à encaisser puisque tout est cassé, la France est coupée en deux, on est occupé, etc.… tout le phénomène politique. On entend le maréchal Pétain, on entend parler de de Gaulle, on commence à écouter la radio de Londres parce que tout le monde à peu près écoute quand même la radio de Londres, on sait que les, autrement dit je n’ai pas eu l’éclair FFL de dire je m’en vais et je me bats, c’est vrai, c’est pas vrai, pour des raisons, comment dirais-je, de timidité sociale, parce que je ne savais pas comment faire, j’avais aucune, aucun moyen, ni assez d’argent, ni assez de relations pour trouver le moyen de partir de France.

Alors à ce moment-là, l’armée d’Armistice existe, il y a une école militaire, et y’a un concours. Je travaille comme une brute, j’arrive à être reçu, le classement de passage va devenir le classement de sortie puisque dès qu’on rentre au mois d’octobre, les Allemands arrivent, enfin le 11 novembre, et dissolvent l’armée d’Armistice

Après tout un palabre où on nous a dit, faut rester, faut rien faire etc. ce qui nous a rendus fous parce que nous les cyrards d’Aix-en-Provence, on était prêts à se faire hacher en menus morceaux dans la vallée du Rhône, ou pour défendre Toulon pour que la flotte s’en aille, ou pour partir en bateau en Afrique du Nord. Mais on nous a pas demandé notre avis, on nous a dit, vous restez là, et finalement on nous a démobilisés, j’allais dire comme des crétins, pour ne pas dire pire.

Et donc moi et un certain nombre de camarades, on s’est senti totalement désolidarisés du système antérieur, qui pour nous n’avait d’intérêt que de faire comme l’armée allemande après Iéna, reconstituée en douce, ou la Reichswehr reconstituée en douce par, entre les deux guerres, par les Allemands, on pensait que l’armée d’Armistice ça serait ça.

Et tout d’un coup, on nous dit non… tout est foutu, et si on ne veut pas partir se battre en uniforme en Algérie, enfin en Afrique du Nord, et puis après éventuellement ailleurs, il faut rentrer dans la Résistance, alors comment entrer dans la Résistance ?

Il ne suffisait pas de lever le doigt en l’air et de dire je voudrais bien être résistant, qui est-ce qui veut bien de moi ? Bon alors à la suite de divers trucs, je passe, c’est pas très important, mon instructeur à Saint-Cyr lui nous a dit « vous voyez bien qu’on a été bernés puisque l’armée de l’Armistice n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire, maintenant il y a, on peut faire autre chose, restez en contact avec moi et je vous dirai le moment venu ce qu’il faudra faire ».

L’action

Après 6 mois de bricolage, un peu de Sciences-Po etc., des contacts à Paris, j’ai rencontré Philippe Viannay par hasard, etc. je me retrouve le 1erjuin 1943, à Aix-en-Provence, résistant officiel, avec mon nom, mes papiers etc. c’est ce que j’ai appelé la résistance ouvertement illégitime ou illégitime. Comme agent de liaison du chef d’une région militaire, dans une organisation militaire, dont je ne savais même pas qu’elle allait s’appeler l’ORA, l’organisation de résistance de l’armée, ce qui fait que quand j’ai été arrêté, on me disait « quand quel mouvement tu es ? », je dis « pff !!! j’en sais rien », bon.

Alors ça moi j’en ai fait exactement trois mois et demi puisque le 15 septembre, je suis tombé le plus bêtement qu’il existe dans la souricière, assez compliqué, pour sauvegarder… étant coupé des contacts habituels, j’ai voulu sauvegarder quelqu’un et j’ai été tout seul non pas à un rendez-vous mais dans une souricière.

Y’a des trucs de sécurité qui ont pas marché, alors d’habitude, je crois pas d’ailleurs, c’est plus qu’une boutade, on n’avait pas appris la technique du travail clandestin à Saint-Cyr, donc on était des jeunes couillons si vous voulez, par certains côtés et on n’agissait pas, on croyait bien faire mais en fait on était un peu boyscouts, si je puis dire.

Donc je me retrouve en prison à la Gestapo de Marseille pendant 2 mois et demi et ensuite en prison aux Petites Baumettes, j’ai inauguré les Petites Baumettes et je passe 6 mois, tout l’hiver 43, ce qui est une énorme chance, j’ai appris après. La chose positive pour moi, c’est que visiblement la Gestapo m’avait oublié notre affaire. A mon avis, elle a suivi une piste qui n’a pas marché et n’a pas suivi la nôtre, si vous voulez. Et là je me retrouve à Compiègne, après un voyage en train, compliqué, menottés deux par deux. Il y en a qui en ont profité pour s’évader, parce qu’ils savaient tripoter les menottes, et sauter par la fenêtre, moi j’y arrive pas, donc un mois de Compiègne. Alors là, c’est ce que je vous ai déjà un peu parlé, à Compiègne, il y a une atmosphère de liberté, de liberté physique puisqu’au lieu d’être dans une cellule, on est dans un camp et alors surtout la grande surprise de retrouver des tas de gens qu’on connaît.

On se dit, mais tout le monde est arrêté, enfin tout le monde est arrêté ou bien… autrement dit, on a l’impression que Compiègne, c’est la France quoi, voyez, et alors là on a le rêve que le pétainisme sera éliminé. Y’a un point aussi très important, c’est que dans l’armée d’Armistice, y’a en eu à Saint-Cyr, on était farouchement contre l’armée de 39, on considérait que c’est tous des vieux cons et que nous on ferait autre chose, y compris, on prenait modèle sur les Japonais, à ce moment-là qui avaient d’autres techniques, bon et alors là, ce que nous on faisait pour l’armée, les autres le faisaient pour le reste, ce qui fait qu’il y avait des juges, des profs et tout et on rêve, je dis, c’est pour ça que j’ai appelé ça « le rêve de Compiègne ».

On rêvait d’une France complètement renouvelé par cette épreuve, sans savoir que le plus dur en fait nous attendait. Finalement je suis du convoi du 8 avril… on nous dit « on part », alors on part et on sait pas où on va, puisque les convois sont pas affichés, enfin on sait pas vers où on va. Alors nous, il s’est trouvé qu’on a vaguement su qu’on risquait d’aller à Mauthausen, mais on n’en était pas sûr, bon. Alors on monte dans les wagons… 80 par wagon au lieu de 40 bon, ce qui est déjà inconfortable et puis comme il y a des évasions avant la frontière, avant la frontière de la Lorraine…enfin de l’Alsace occupée… y’a des tirs, on tire après des types, on s’arrête, on nous fait tous déshabiller, on met toutes les frusques, tout le paquet des frusques parce il y avait 1500…, on était  1400, on savait pas, ça fait un paquet de frusques donc 3 wagons de frusques et le contenu des 3 wagons, on le rembourre dans le reste, ce qui fait qu’au lieu d’être 80, on devient 110, 110 ou 120 selon les wagons, ce qui est vraiment beaucoup. 110 et 120 à poil pendant 3 jours, voilà, bon.

On arrive donc à Mauthausen à poil, on s’habille n’importe comment en prenant des trucs sur le quai et on fait les marches de 4 kilomètres vers Mauthausen, où là on tombe dans le processus bien connu, l’attente, les douches, la quarantaine avec tout ce que ça comporte enfin qui est déjà connu et puis finalement on nous donne un numéro et nous expédie dans un kommando. Mauthausen, c’est une plaque-tournante donc on alimente les grands kommandos qui sont pour la majorité des kommandos d’usines souterraines puisque c’est le moment où on enfouit l’industrie de guerre.

Après on va dans un autre kommando, il m’arrive divers machins, divers malheurs que j’ai racontés, dont la dysenterie, etc. j’aide un peu là aussi, bon et puis je me fais casser la gueule, etc., etc. et rémission qui va durer jusqu’à la fin du camp ou à peu près, je tombe dans un kommando de Français, où je suis aide-maçon pendant presque 10 mois. C’est une véritable période de rémission et on est tous dans la même chambre, donc on est protégé par une planque énorme si vous voulez, mais par des tas de petits barrages contre les ennuis quoi. On a touché des manteaux à peu près au moment où il fallait, on a touché des bonnes chaussures au moment où la neige est arrivée, on était… on était du point de vue travail on était pas trop tendus, on n’était pas comme sur le grand chantier de la mine où évidemment sur le grand chantier de la mine, on est un individu, on travaille au marteau-piqueur et on en meurt, enfin etc., etc. Finalement… au grand… au grand discours si voulez sur ce qui s’est passé dans le camp, je trouve qu’on omet trop la phase de sauvegarde.

La première chose, c’est de sauvegarder la vie des gens, c’est-à-dire de les mettre dans des conditions où ils pouvaient survivre en courant moins de risques etc. De temps en temps, on nous en faisait courir, on m’en a fait courir à moi en me mettant kapo mais enfin de toutes les façons c’était pour sauvegarder. Et donc avant… on n’avait pas d’action positive si vous voulez, on avait, c’était une action, en militaire on aurait dit que c’était une action défensive quoi… c’était la sauvegarde.

Et nous, on a été exactement dans cette situation de sauvegarde, avec une petite marge de liberté supplémentaire, tout en sachant que, ça j’y ai réfléchi après, c’est que dès qu’il y a une petite marge de liberté. On l’utilise aussitôt, c’est la loi de la nature comme l’eau passe à travers le béton, la vie passe à travers les obstacles quoi, voilà. Alors ça, dure jusqu’à Pâques l’année d’après, donc ce qui fait que, y’a un de mes articles que j’ai appelé « une très longue semaine sainte » puisqu’entre le départ de Compiègne et le départ de Melk, il s’est écoulé exactement un an de Pâques à Pâques.

 Et donc, et là on nous évacue, les Russes sont à 50 kilomètres, Vienne est déjà pris et nous, on était à 100 km de Vienne et on nous expédie dans le Revier autrichien, c’est-à-dire le truc où c’était écrit sur les murs « dans le Revierautrichien, nous ne capitulerons jamais », en allemand.  Et on se retrouve dans un camp exactement symétrique de Melk, qui était Ebensee sauf que… Ebensee, c’était dans la montagne, et donc là on travaillait, enfin, du point de vue du percement du tunnel, on travaillait à l’explosif etc. alors qu’à Melk, on travaillait seulement au marteau-piqueur. Et alors là évidemment les trois dernières semaines d’un camp surpeuplé puisqu’on avait évacué des tas de gens, on n’était plus rien parce que toutes les positions qu’on avait acquises, ou d’autres avaient acquises pour eux ou pour nous à Melk, elles étaient toutes perdues en arrivant à Ebensee.

Le dénouement

Alors arrive le 6 mai puisque nous, on a été libérés les derniers, le 6 mai par un char léger américain, on fait un journal, parce qu’on trouve que la manifestation la plus évidente de la liberté, c’est la liberté de la presse, et puis quand on s’aperçoit qu’on ne vient pas, personne s’occupe de notre évacuation, je ne sais pas qui décide qu’on va partir avec un camion et donc on part en camion vers l’Ouest, comme ça, bon… alors on va à Linz, on nous avait dit qu’il y avait des avions, pas d’avion, on va à Passau, y’a rien du tout, on va à Nuremberg, ce qui permet de faire connaissance avec Nuremberg

à peu près réduit à zéro, sauf une croix gammée énorme qui subsiste.

Finalement  on trouve le train à Würzburg,et alors là, on change de catégorie… ben d’avoir été évacués les derniers finalement ça a été un énorme avantage, parce que les premiers déportés qui sont arrivés dans ces centres de réexpédition, si je puis dire, ont été mal accueillis parce que les ordres des militaires c’était évacuer les prisonniers de guerre, les STO, puis les déportés, on ne savait même qu’il y en avait paraît-il, tandis que nous, nos prédécesseurs avaient tellement hurlé et leur gueule avait tellement hurlé pour eux, que quand on est arrivé on était les seigneurs, on était prioritaires, « nous, on dit, prioritaires, c’est pas vrai ! ». Instantanément on était devenus les seigneurs de la guerre, quoi. Donc on a été les prioritaires pour embarquer dans le train, puis à la frontière, alors on nous fait débarquer et là je me souviens presque de rien, on me donne des papiers, tout s’arrange, etc. et on repart dans un train en bois, enfin vous savez les wagons en bois comme il y avait, pour Paris où on arrive au Lutetia, … où on était habitués à recevoir les déportés et où là alors finalement, ça m’est revenu il n’y a pas longtemps, … j’éprouve une des plus grosses, une des plus lourdes émotions, c’est de voir les gens qui criaient les noms des disparus en brandissant des photos et nous, et là on s’est aperçus tout d’un coup qu’on pouvait rien leur dire, qu’on était totalement démunis devant ce malheur énorme dont on prenait conscience, On savais bien que nos copains étaient morts, mais on n’avait pas conscience que c’était leurs familles qui étaient là.

Là aussi j’ai eu de la chance, mes parents étaient des sinistrés mais on les avait relogés, mes frères étaient en bonne situation même s’il y en avait un qui a été malade mais…

Message aux jeunes générations

Je suis devenu un Européen absolu, pour la bonne raison, que si l’Europe veut exister, il faut qu’elle ait la dimension de l’Europe, ça c’est de la géopolitique que j’avais appris quand je travaillais à Sciences-Po et d’autre part, il faut qu’elle ait une gouvernance pour être autre chose qu’un marché de gens qui se chamaillent tous les ans sur les budgets, voilà. Donc au bout du compte, je suis devenu farouchement Européen en ayant reporté ma, comment dirais-je, ma condamnation alors absolue et celle-là la plus tragique si vous voulez, sur le système nazi et sur le système totalitaire. Et donc moi, ce que je dis, c’est que dès qu’on voit apparaître la première ombre, … le premier fétu d’un système totalitaire, il faut l’en empêcher parce qu’au bout, il y a le camp de concentration, voilà.