Maurice Voutey

Maurice Voutey

Maurice Voutey, historien, Résistant et Déporté, démontre la précocité de la presse clandestine et ses nombreuses difficultés.

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Durée : 9:37

La presse clandestine : une forme de résistance précoce ?

Traiter de la presse résistante, c’est un domaine qui est extrêmement vaste. La Bibliothèque Nationale en 1954 a publié un ouvrage qui s’appelle Catalogue des périodiques clandestins diffusés en France de 1939 à 1944, or ce catalogue qui ne comprend que les périodiques, pas les tracts, ce catalogue qui est incomplet, comporte 1100 titres, c’est dire l’abondance et le foisonnement de cette presse clandestine, là la presse au sens strict du terme, c’est-à-dire les périodiques. Ce foisonnement rend très difficile une étude très détaillée.

La presse clandestine est inséparable des mouvements de résistance. Si les réseaux sont clandestins mais cherchent à passer totalement inaperçus, les mouvements et les partis engagés dans la Résistance ont une double obligation, d’abord d’être clandestin bien sûr, mais aussi de faire savoir qu’ils existent contrairement aux réseaux. Et faire savoir que l’on existe, c’est éditer des journaux clandestins, c’est éditer des tracts clandestins, c’est même aussi participer à des campagnes de graffitis, on dirait aujourd’hui des tags, si bien que je donnerai un sens assez large au terme de presse clandestine, j’entendrai par là ce qui est l’expression écrite de la Résistance.

La Résistance a connu dès le début des sabotages, des actions diverses mais le premier acte de résistance, ça a été la résistance par l’écrit.

1940 : quelques dates clés

Avant même l’appel du général de Gaulle, dès le 17 juin 1940, il y a des voix qui s’élèvent, des voix extrêmement diverses, j’en retiendrai 3 dans leur diversité, il y a d’une part Michelet, il y a d’autre part Tillon et d’autre part le général Cochet. Leur discours est tout à fait différent mais tous s’élèvent contre cette capitulation de la France.

Les tracts sont diffusés, sont imprimés, enfin imprimés, sont reproduits le 17 et sont diffusés dans les jours qui suivent. Le 14 septembre 1940, le Militärbefehlshaber in Frankreich, c’est-à-dire le chef des troupes d’occupation allemande en France ordonne le 14 septembre 1940 : « Toutes les personnes qui entreront en possession de tracts, brochures et imprimés quelconque de caractère antiallemand ou provenant de sources antiallemandes devront les remettre immédiatement à la Kommandantur la plus proche, le cas échéant par l’intermédiaire des autorités communales ».

Donc très vite, cette décision du Militärbefehlshaber in Frankreich atteste que le problème se pose déjà, il y a déjà une expression écrite d’opposition à l’occupation et au régime de Vichy.

Dès la fin de 1940, sont diffusés au plan national, Valmy, Pantagruel, La Relève, l’Université Libre, Libérer et Fédérer, Résistance, unRésistancequi émane du groupe de résistance du Musée de l’Homme, tandis que continuent à paraître des journaux qui étaient déjà interdits depuis le début de la guerre, l’Humanitéet la Vie Ouvrière. Donc très vite, dès la fin de l’année 1940, il y a une presse clandestine qui est extrêmement importante.

Les difficultés de cette presse : Censure, répression, pénurie.

Dans la presse clandestine, la personne avec qui j’ai occasionnellement travaillé était un imprimeur de métier, il était typographe et il a monté une imprimerie clandestine et nous les jeunes, nous étions chargés de répondre un peu à ses besoins.

Il avait besoin de papier par exemple, il fallait bien aller voler le papier ici ou là, le papier, on ne pouvait pas aller acheter du papier. Je crois que c’est une chose qu’il faut bien considérer, c’est qu’il y avait une surveillance. Au début, on pouvait peut-être acheter une ronéo ou acheter une imprimerie dans les premières semaines de l’occupation, je parle pour la zone occupée, je ne parle pas pour la zone non-occupée mais ensuite, très rapidement, il y a eu un contrôle extrêmement strict de tout matériel qui pouvait se prêter à reproduction.

Il y avait donc des problèmes extrêmement complexes qui se sont posés pour les personnes qui voulaient éditer soit des journaux clandestins, soit des tracts. Peu à peu, cela s’est organisé mais il y avait une surveillance policière qui était extrêmement stricte.

Un exemple de propagande ennemie :

L’ennemi s’efforce de réagir en éditant de fausses feuilles clandestines, et il y en a une qui est particulièrement cocasse qui est intitulé Justice, avec un J majuscule, elle est en date du 20 janvier 1944 et cette feuille donne d’abord des informations assez ambigües, des succès, plutôt des revers allemands, des difficultés allemandes mais qui toutes correspondent à des avancées des communistes. Ce qui est donc déjà assez inquiétant. Et à la fin de ce numéro, une nouvelle est présentée comme réjouissante, alors je vous donne le texte exact de cette nouvelle telle que publiée dans ce tract nazi destiné à jeter le trouble : « Le décret sur la nationalisation des femmes, – je dis bien la nationalisation des femmes- vient d’être mis en vigueur ».

Avis, avis donc, là c’est moi qui commente, ce n’est plus le journal, avis aux braves bourgeois qui sympathiseraient avec la Résistance, les résistants étant tous pour l’ennemi des Rouges, si vous voulez que vos biens et même vos femmes soient nationalisées, il faut soutenir la Résistance.

Question

On imagine bien ce que pouvait dire cette presse des années 43, 44 mais on n’imagine beaucoup moins bien ce que la presse pouvait dire dans les années 40 et 41. Donc quel pouvait être le fond de ces journaux de résistance dans les premières années de la guerre ?

       Je voudrais d’abord redresser une erreur, une erreur qui est souvent commise, de dire, « on ne savait rien sur les camps de concentration ». J’ai eu un différend avec un de mes très bons amis qui était beaucoup plus âgé que moi, il était journaliste, un jour, je lui dis « mais moi quand je suis arrivé à Dachau, je savais ce que c’était », il m’a dit « ce n’est pas possible », ah bah j’ai dit « si, dans le journal dans lequel tu travailles, est paru en 1939, au mois d’août, un excellent reportage sur Dachau avec la description des uniformes rayés », il m’a dit « non, c’est pas possible ». On a parié un repas et le repas, je l’ai gagné. Donc je crois qu’il faut d’abord redresser une erreur, il est faux de dire que, en 1939, 1940, même avant, dès 33, on ne savait pas du tout ce qui se passait en Allemagne. On le savait mais ça paraissait tellement loin de nous que pfft…

Maintenant la seconde partie de votre question, votre vraie question, c’est qu’est-ce que pouvait bien dire la presse clandestine ou les tracts clandestins dans les années, disons la fin des années 40, quand ça commence vraiment en 41, quand ça allait extrêmement mal ? Et bien, ils donnaient des informations, ils donnaient des articles de fond, ils s’efforçaient de rappeler le passé, un passé glorieux, il y a même eu des réflexions extrêmement importantes sur la nature du nazisme…, je crois que ces journaux n’étaient pas vides. Naturellement les nouvelles qui étaient diffusées étaient souvent déformées, souvent fragmentaires, très souvent partiales. Je crois que la presse de la Résistance reçoit des nouvelles qui sont plus ou moins sûres, qui sont plus ou moins déformées, que le journaliste parfois, a tendance, le journaliste qui n’est pas forcément un professionnel, qui peut être un amateur, a tendance un peu à tirer de son côté pour en faire l’usage le plus utile qu’il lui paraisse.