Marie José Chombart De Lauwe

Marie José Chombart De Lauwe

Etudiante en médecine, résistante bretonne, arrêtée en Mai 1942, déportée à Ravensbrück et Mauthausen. S’investira très tôt dans le travail de mémoire de la Déportation.

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Durée : 24:02

L’engagement

Je suis née à Paris en 1923, mon père était médecin pédiatre à Paris et ma mère l’aidait en travaillant avec lui et j’ai donc vécu à Paris jusqu’à l’âge de 12 ans et demi. Nous passions tous les étés en Bretagne, dans l’Ile de Bréhat où ma grand-mère maternelle avait une maison. Quand mon père est tombé gravement malade, des suites de la guerre de 1914 – il avait été gazé – et avais donc pris une retraite anticipée dans l’Ile de Bréhat dans cette maison de famille. Puis à partir de 13 ans, j’ai vécu toute l’année en Bretagne. Alors là, je travaillais par correspondance pour mes études et est arrivée la guerre.

Je suis pensionnaire dans la petite ville de Tréguier, en classe de première, et arrive l’invasion pendant l’été et je me souviens toujours que la directrice de l’établissement est passée dans les classes et on a entendu le discours de Pétain du 16 juin. Nous pleurions, on était bouleversé, c’était vraiment la défaite, l’échec, et là-dessus, l’établissement a renvoyé les élèves dans leurs familles, parce qu’on devait passer le baccalauréat première partie qui n’a pas eu lieu.

Donc je retourne dans l’Ile de Bréhat et là les troupes allemandes commencent à s’installer. Et tout de suite, il y a eu les premiers gestes de résistance par des évasions vers l’Angleterre. L’histoire de l’Ile de Sein est bien connue mais à Paimpol, à côté de chez moi, y’avait ce qu’on appelait une école qui préparait les futurs capitaines de la marine marchande. Quatre-vingt garçons ont embarqué, et il y a eu ces gestes-là dans les heures d’arrivée des troupes allemandes et puis tout s’est installé.

A commencé une période d’écrasement total, de brimades, de règlements qu’on essayait de transgresser mais entretemps, tout de même au mois d’août, on nous a convoqués pour passer la première partie du baccalauréat, et je me rappelle, c’était dans une ville voisine, dans une école qui était occupée par les troupes et alors on a composé à l’écrit sous une verrière et il y avait une clique allemande à côté, fifres, tambours etc.

Le temps a passé et je suis retournée à Tréguier après mes vacances chez mes parents à l’Ile de Bréhat où j’ai fait ma classe de terminale, et commencé déjà la résistance.

L’action

Alors nous les très jeunes, qu’est-ce qu’on faisait comme petits actes de résistance ? Par exemple, on mettait des croix de Lorraine avec des « V » sur les murs, voyez des choses comme ça, les filles se promenaient avec des vêtements, une bleue, une blanche, une rouge, petits actes, oui.

Mais les choses s’organisaient déjà, et sur la côte, ma mère qu’on appelait Suzanne Wilborts, c’est mon nom de jeune fille, Wilborts, c’est un nom d’origine flamande-belge, avait organisée un premier petit groupe et on a appelé « la petite bande à Sidonie ». C’était un nom de guerre pour commencer les évasions et on était également en contact avec un frère des écoles chrétiennes qui était à Plouha, à côté de Paimpol, donc on a aidé d’abord des Français qui voulaient rejoindre Londres et puis ont commencé les évacuations d’Anglais. Alors au printemps, une de mes camarades de classe me dit « derrière chez moi, il y a un groupe d’Anglais, il faut les aider à partir ». Elle m’amène un d’entre eux, il s’appelait Harry Pol et nous faisions un tour en bicyclette, il avait un petit béret, il avait une vraie fausse carte d’identité et je l’ai emmené à l’Ile de Bréhat.

On lui a donné des papiers pour qu’il reparte etc. Il y avait un contrôle au moment de l’embarquement où il y avait une sentinelle et l’Anglais et la sentinelle allemande m’ont aidée à descendre ma bicyclette d’un bateau, vous voyez, naïvement la petite jeune fille était engagée et à ce moment-là il n’y a plus eu des petits « V », des choses sur les murs, ça devenait très sérieux.

Alors j’ai passé ma 2èmepartie de baccalauréat, je me rappelle d’ailleurs qu’à l’oral, j’ai tiré un papier qu’était le thème de la liberté en philosophie… alors que j’étais en train de faire… ce qui m’a valu une mention… le professeur étant d’accord, évidemment.

Donc ayant passé mon baccalauréat de terminale, j’ai, l’été, j’ai circulé pour ramasser des plans de défense côtière, car le groupe s’était organisé. Aux hommes qui partaient, on confiait des renseignements qui étaient utiles aux Alliés, car entre temps, on a eu un agent de Londres qui nous a rejoint et qui nous a aidé à organiser le réseau.

Lors des premiers départs en bateau, qui étaient très compliqués, je raconte ça comme si c’était facile, mais il fallait partir évidemment de nuit, éviter les projecteurs etc. bon. Mais on leur donnait les papiers à remettre vers Londres à de Gaulle ou des gens de son entourage, en leur disant « envoyez-nous quelqu’un pour assurer des liaisons, pour nous organiser ».

On n’était pas des spécialistes évidemment, donc on avait eu un agent de Londres qui nous avait dit « vous allez dédoubler votre groupe, l’un va continuer les évasions avec le frère Jean-Baptiste Legeay de la côte et l’autre, il faut rejoindre Rennes où il y a des responsables de « 31 Georges France » qui est un réseau franco-anglais qui s’occupe des renseignements.

Et j’ai été attachée à ce groupe. J’étais chargée du renseignement. Alors la côte était zone interdite, et j’étais étudiante à Rennes, je voulais commencer ma médecine et à Rennes, il y avait le responsable du réseau qui s’appelait monsieur Turban qui était ingénieur à la gare, donc fort bien placé pour voir toutes les troupes, transports de troupes etc., il avait un interprète qui était en liaison avec le bureau allemand qui était aussi un autre membre de notre réseau et un 3ème homme : un radio avec poste émetteur clandestin.

Ma tâche a été de rejoindre la côte où ma mère avait regroupé les plans qui avaient été rassemblés par nos différents résistants, voyez, et j’allais ou jusqu’à Bréhat ou j’avais une grand-mère à Saint-Brieuc et je ramenais ces documents à Rennes, soit chez le radio, soit l’interprète me donnait des rendez-vous, on allait au café de la Paix, café de, etc., et puis de temps ma mère m’envoyait des lettres où je savais, je devais chauffer un message, voilà, écrit avec du sulfite de soude et puis voilà le message apparaissait, j’allais tout de suite chez le radio, voilà exactement ma tâche dans le réseau.

L’arrestation et la déportation

Naturellement le contre-espionnage allemand était à la recherche de ceux qui travaillaient contre les occupants. Alors le premier groupe arrêté a été ceux de l’évasion de la côte avec le frère Jean-Baptiste Legeay, ils ont été arrêtés, tout un groupe important, ils ont été jugés au bout de plusieurs mois, ramenés à Paris, etc., et finalement il y a eu des condamnations très graves puisqu’il y a eu des condamnations à mort et les trois principaux responsables, non seulement étaient condamnés à mort, mais en Allemagne ils ont été guillotinés, ce qui est assez exceptionnel.

Au premier trimestre 42, les responsables de Rennes ont été à leur tour arrêtés avec, je vous ai cité ces 3 personnages, voyez, alors il y avait autour d’eux, tout un groupe dont les frères Le Tac par exemple qui sont bien connus, que j’ai bien connus. Alors nous voilà nous, groupe de la côte coupé de liaison avec Londres, et on a repris contact avec quelqu’un qu’on nous a envoyé et qui en fait était un agent double.

Il a travaillé pendant un mois avec mes parents, avec les gens de la côte et moi-même etc. et au bout d’un mois, quand il a eu les preuves contre chacun, il nous, il a transmis ces renseignements au service du contre-espionnage, l’Abwehr, de sorte que le 22 mai 42, très tôt le matin, 14 personnes ont été arrêtées sur la côte et à Rennes. Et c’est comme ça que j’ai été prise dans mon lit.

Alors j’avais une chambre d’étudiante dans un pavillon que… cette chambre était louée par… c’était un petit entrepreneur de papiers peints, voyez dans cette impasse, qui louait deux chambres d’étudiantes mais ce jour-là ils étaient absents, le matin ils étaient partis chez des amis, j’étais seule dans la maison et on sonne à la porte, je regarde, ma chambre était au premier et en bas je vois, traction noire, police allemande etc., alors j’ai ouvert la porte, j’ai fait la naïve, « de quoi s’agit-il… » et ils m’ont dit « vous êtes arrêtée », alors là « mais pourquoi ? », réponse « oh vous savez très bien ».

Et puis ils m’ont laissée m’habiller, ils ont fouillé ma chambre, ils n’ont rien trouvé, et ils m’ont emmenée d’abord à la Kommandantur et puis à la prison. Je croyais être arrêtée seule. Alors en fait j’avais un document que j’avais caché, j’avais une ceinture, ce qu’on appelait une ceinture de pompier, c’était la mode des ceintures un peu élastique, assez large, avec une petite poche où on mettait des papiers, et j’avais dedans un texte que j’ai pu jeter dans les cabinets en passant… ils m’ont laissé y aller… et ils n’ont pas pu, bon.

Mais enfin, ils avaient beaucoup plus grave contre nous. Alors le lendemain matin, on me dit de descendre dans le hall de la prison et là je vois les 13 autres du groupe… dont mes deux parents. Alors une jeune fille de Tréguier, le beau-père de ma sœur à Saint-Brieuc, un entrepreneur de Perros, d’autres de Lannion, enfin tout le groupe était pris, et si, il en restait quelques-uns au dehors, mais ils avaient presque tout le groupe. Donc j’ai tout de suite pensé que la dénonciation devait venir de notre nouveau contact. Alors donc, je reviens dans le hall de la prison, on nous a embarqués, on s’est trouvé à la prison d’Angers. Angers était une prison militaire pour tout l’Ouest de la France, de l’Abwehr et avec un petit noyau, on l’a appris par la suite, de la Gestapo qui était à côté.

Et là, je suis restée deux mois et demi, avec les interrogatoires et toujours au secret évidemment, chacun au secret. Alors quand je suis emmenée la 1èrefois à l’interrogatoire, c’était une demie-cave avec un soupirail, là, ils m’ont fait asseoir, il y avait une grande table et tous les plans des derniers mois de défense côtière, les derniers mois étaient sur la table, donc on a compris d’où venait…

Oui, bien sûr ?

Alors on nous disait « on a le matériel, voyez » … Effectivement au début, on nie tout mais c’était nier l’évidence. Ça a été très dur, et là, j’ai cru que c’était fini, qu’on allait être exécutés. Alors j’ai eu une période pénible parce qu’ils m’ont enlevée de la division des femmes et ils m’ont mis dans une cellule isolée, au bout de la division des hommes où j’étais privée de soupe, j’étais au pain sec quoi, ils m’avaient tout enlevé dans cette cellule, etc.… avec menaces, tout ce qu’on peut imaginer, bousculée.

Je n’ai pas été torturée avec baignoire ou autre mais j’ai été tout de même battue… Donc au bout de deux mois et demi, tout le groupe est envoyé à Paris, alors c’est d’ailleurs là, la dernière fois que j’ai vu mon père. On nous emmène à la gare d’Angers et puis on a pris un train, un train normal, mais des compartiments réservés pour nous. Et cela, j’ai ressenti très fort ce que j’avais déjà perçu quand j’ai été arrêtée, c’est que j’étais passée dans un autre monde. Et j’ai souvent raconté que quand j’ai quitté ma maison dans le, ma chambre d’étudiante et la maison, j’avais mis les clés dans la boîte aux lettres, puis je suis montée dans la traction et j’ai eu l’impression d’un mur de fer qui coupait ma vie en deux.

J’étais passée de l’autre côté de la vie. Et là, se retrouver dans un train où on voit les gens qui circulent, on voit les maisons etc. j’étais vraiment dans un ailleurs, les gares passaient comme derrière un miroir, voyez.

A la Santé, il y avait des divisions françaises mais j’étais dans la 2èmedivision allemande qu’on appelait punitive et cette 2ème division comprenait des otages et des condamnés à mort. El là aussi, c’est quelque chose qui m’a marquée toute ma vie, parce que j’ai découvert des hommes et des femmes d’un grand courage extraordinaire. On emmenait le matin des gens pour les fusiller etc. Alors on me dira oui, comment j’ai découvert, parce que j’étais toujours au secret, toujours isolée, mais un prisonnier se débrouille toujours pour parler avec les voisins. On tape sur le mur, on essaye par le vasistas, et puis à la Santé, il y avait un moyen de communication merveilleux qu’on appelait le téléphone, c’est-à-dire les cabinets étaient un siège en ciment qui donnait sur les égouts, sans chasse d’eau, voyez, donc en mettant la tête au-dessus, ça sentait très mauvais, mais on pouvait parler avec celui du dessus, de droite, de gauche et même l’autre côté de la division, ce qui est tout à fait exceptionnel et là j’ai parlé avec des gens extraordinaires, c’était un soutien…

J’ai vu en face de moi, Marie-Claude Vaillant-Couturier, pour la première fois, c’est-à-dire que quand on ouvrait la porte le matin, ily avait une petite cruche, on avait pas l’eau courante évidemment, on ouvrait la porte, on posait la cruche et on sortait les poussières, donc je voyais par l’œilleton, celle qui était en face et puis on a correspondu, c’était Marie-Claude Vaillant-Couturier, voyez… et puis j’ai été changée de cellule et je me suis trouvée à côté d’une femme qui m’a beaucoup marquée, c’est    France Bloch-Sérazin.

France Bloch-Sérazin était une femme chimiste qui avait fabriqué des explosifs pour faire sauter les trains, c’était le groupe de Raymond Losserand, les actions dures, donc cette femme, elle était terroriste, elle était Juive et elle était communiste. Elle avait tout contre elle, le pire. Alors on a beaucoup parlé, et elle avait un petit garçon de trois ans caché, son mari était parti dans les maquis etc. et elle me racontait sa vie, enfin on parlait beaucoup par ces cabinets, voilà. Et puis de temps en temps, elle disait « oh, faut pas que je m’attendrisse, faut pas trop que je parle du petit Roland », voyez… Et puis un jour il y a eu un procès et je les voyais passer par le petit œilleton, et c’est là que je l’ai vu, je l’ai aperçue, avec ses cheveux noirs, le visage très pâle… C’était la seule femme, ils étaient au moins une quinzaine, même je crois un peu plus.

Ça a duré plusieurs jours et puis le dernier jour quand ils sont revenus, ils sont entrés dans la division, ils n’étaient plus menottés, ils étaient groupés entre eux et ils ont crié très fort « on est condamnés à mort » et là toute la division a chanté la Marseillaise. Ça c’est quelque chose d’assez exceptionnel qu’on n’oublie pas.

Et on n’a pas été punis, c’était le plus curieux, parce que souvent, quand on emmenait les condamnés le matin, on essayait de chanter et alors les surveillants ouvraient la porte, nous bousculaient etc. Alors elle m’a raconté la fin du procès. Quand le verdict a été rendu par le président du tribunal, la mort pour la plupart d’entre eux, les résistants se sont levés en disant qu’ils ne regrettaient rien, qu’ils s’étaient battus pour leur patrie, pour la justice etc. Et le président du tribunal leur a rendu hommage… et c’est comme ça qu’on les a laissés se regrouper et qu’ils sont revenus entre eux, voyez, ça c’est des gestes qu’on n’oublie pas.

Et puis ils avaient dit à la femme « nous on est généreux, on n’exécute pas les femmes » mais elle me disait « avec tout ce qu’il y a contre moi, j’ai pas l’espoir de survivre, j’aurais préféré, tant qu’à mourir, être fusillée avec mes camarades » qui effectivement ont été fusillés. Et puis un beau jour, on est venu la chercher et elle a été déportée. Et au retour, je l’ai cherchée, j’avais l’adresse de ses parents, de sa famille, j’ai appris la fin de l’histoire, elle avait été guillotinée à Hambourg. Sur la place d’Hambourg, il y a d’ailleurs une plaque pour elle. Voilà la générosité par rapport aux femmes, la mort la plus humiliante, guillotinée toute seule.

Alors après, ils nous ont mis à Fresnes, cette division a été mise à Fresnes et le temps passait et entre temps j’allais à l’interrogatoire, non plus dans la prison comme à Angers mais rue des Saussaies, le ministère de l’Intérieur actuellement. Et là, pendant que les instructeurs allaient déjeuner, j’étais enfermée dans une cellule et dans cette cellule on mettait des graffitis… alors il y a plusieurs années d’ailleurs, Jacques Delarue avait fait le relevé des graffitis des cellules de la rue des Saussaies et on a retrouvé le mien et il y a une plaquette qui est sortie, et j’avais écrit des vers de Vigny, c’est la mort du loup :

« Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

Ce qui était de circonstance.

J’ai été confrontée avec ma mère, avec la jeune fille de Tréguier, enfin on mentait tous de plus belle etc., alors de sorte que, à la fin de l’hiver, les gens ont dit « voilà votre affaire est considérée à peu près classée » et on a été classés « Nuit et Brouillard » « et vous allez être déportés ». Ils ne savaient pas s’ils devaient nous envoyer plus à l’Est, c’est-à-dire Auschwitz ou plus près.

Finalement pour nous, ça a été, on peut dire une chance, ça a été Ravensbrück. Il y avait des sélections aussi déjà, il y avait certains de nos camarades qui ont été sélectionnés pour être liquidés. Au début il n’y avait pas de chambre à gaz à Ravensbrück, il y avait des sélections dans une chambre d’euthanasie à Benzburg, un peu plus loin, et puis il y en a qui ont été emmenés à Auschwitz, il y avait des échanges entre camps, etc., donc j’ai découvert le crime contre l’humanité.

Je dis souvent le pire crime contre l’humanité, c’est l’envoi d’enfants à la chambre à gaz, cet outil de mort de masse, ça c’est le plus caractéristique des crimes contre l’humanité. Mais j’en ai vu d’autres dans des camps, je dirais, ordinaires qui n’étaient pas un camp d’extermination mais de concentration. Le premier, avant de parler des enfants, quand j’arrive à Ravensbrück, je vous parlais de ces appels terribles, il y avait un groupe de jeunes filles qui avaient droit à des tabourets et qui étaient ces filles ? et bien c’était des animaux de laboratoire. Les nazis, les médecins nazis faisaient des expérimentations sur l’être humain, là, donc 75 jeunes filles, en majorité des résistantes polonaises avaient été emmenées à Revier, c’est-à-dire l’hôpital du camp et elles avaient des plaies ouvertes du genou à la cheville, ils faisaient des expériences dans ces plaies et avec ces plaies.

A partir de janvier 44, toutes les femmes NN ont été regroupées dans une même baraque, le fameux Block 32, dont on parle quelquefois, mais ces filles opérées, qu’on appelait dans le camp « les lapins » étaient aussi au Block 32, donc on vivait tous les jours avec elles et j’ai gardé des relations amicales avec quelques survivantes … Elles ont été sauvées grâce à la lutte du camp, à la résistance du camp, voyez à la fin, le commandant les recherchaient, à la fin il y avait une chambre à gaz à Ravensbrück, donc il y avait un désordre énorme, fouilles dans le camp partout… on a pu en cacher, changer de baraque, changer de numéro, etc.  il y a eu quelques survivantes grâce à l’entraide du camp.

Alors quand vous avez un camp de femmes, il y en a qui arrivent enceinte, une femme allemande ou n’importe quelle nationalité qui avait des rapports avec un non-Allemand, avec un Juif, avec n’importe quoi, tout, et à plus forte raison si c’était des Juifs etc., le bébé était tué à la naissance.

En 44, ils sont débordés…, le camp… accueille des gens refoulés de partout, des femmes non-Juives etc., de sorte qu’ils ne tuent plus les enfants à la naissance, bon mais ça meurt, y’a rien, et puis en septembre 44, ils décident de les garder, sentant la fin de la guerre venir. On installe une pièce qu’on appelle la « kinderzimmer », la chambre des enfants et je suis une des jeunes filles choisies pour s’en occuper. Faire boire un bébé avec une bouteille, ce n’est pas facile du tout les nouveau-nés, il fallait des tétines et l’histoire-là, je dis quand on a rien, on devient inventif et il y a une infirmière qui a eu une idée géniale et encore beaucoup de courage, une infirmière d’Europe Centrale, elle a attendu que le docteur traite, le médecin-chef soit sorti et elle lui a volé sa paire de gants de caoutchouc dans son bureau et dans les dix doigts, on a fait des tétines. C’est comme ça qu’on a essayé de faire survivre quelques enfants, oui.

Le dénouement

Alors les femmes NN de Ravensbrück, à ce moment-là sont transférées au camp de Mauthausen. On ne savait pas ce qu’ils feraient de nous, le voyage a duré 5 jours et on est arrivées épuisées au camp, et le camp est à 5 km, il faut monter à pied, et celles qui ne pouvaient plus avancer étaient abattues d’une balle dans la tête. J’avais très peur pour ma mère, parce qu’elle était âgée et qu’elle tienne pas le coup, enfin bon, on est arrivées en haut et là, ils nous ont mis dans une baraque, dans de très mauvaises conditions où ils nous ont fait travailler dans une gare de triage bombardée où il y avait pas mal de tués, mais là-dessus la Croix-Rouge était en train de négocier, voyez, le comte Bernadotte et Himmler,  pour sauver le plus de gens possible et notre convoi a été pris dans ces négociations, de sorte qu’on a été libérées le 22 avril.

Les camions de la Croix-Rouge sont venus et ils nous ont ramenées vers la Suisse où on a été désinfectées, on avait des grandes blessées par les bombardements qui ont été mis à l’hôpital et les valides sont rentrées en France. Donc je suis arrivée en France avec ma mère, mais là, on a téléphoné à ma grand-mère et on a appris le décès de mon père… qui était décédé à Buchenwald

Message aux jeunes générations

Oui, ben si j’ai un message à passer, c’est à l’adresse des jeunes générations en leur disant de demeurer vigilant parce que le crime, c’est le rejet et la haine de l’autre et que ça peut commencer dans leur classe, … commencer dans leur quartier donc il faut qu’ils soient solidement formés au respect de l’autre et, dans toute leur vie civique, qu’ils tiennent ces valeurs essentielles pour l’avenir