Jean Jacques Auduc

Jean Jacques Auduc

Agent de la France Libre et Croix de guerre à 15 ans.

Vidéo

Durée : 19:02

L’engagement

J’ai appris très jeune les valeurs républicaines et patriotiques de mon pays, d’abord à l’école, chaque matin en entrant, au tableau noir, il y avait inscrit « morale et instruction civique ». Deuxièmement dans ma famille, lors des réunions de famille, mes deux grands-pères qui avaient fait la grande guerre, l’un dans les hussards, l’autre dans l’infanterie où il avait été gazé d’ailleurs, racontaient leurs histoires, tout ce qu’ils avaient subi et moi qui était très jeune, ça m’intéressait beaucoup, mais ça me faisait quand même un peu peur. Ils affirmaient qu’une telle boucherie ne pourrait plus jamais se reproduire.

Alors je suis rentré dans la résistance à 11 ans, parce que mes parents étaient impliqués dans la résistance, mon père, ma mère. Nous appartenions au groupe Sacristain-Buckmaster- Hercule-Lighterman. Ce groupe avait parachuté un officier, français d’ailleurs, André Dubois, qui devait former des petits réseaux.

Il venait de Londres et était chargé de faire des petits groupes, si vous voulez, dans ceux de Sarthe, notamment pour recevoir les parachutages, faire le renseignement et aider le plus possible à la victoire.

Il se trouve que mon père est rentré bizarrement dans la résistance, … il était, à la fin de la guerre, agent motocycliste au 6ème Génie d’Angers et il a vu un groupe de nazis, parce que pour moi, il y a deux choses, il y a les nazis et il y a les Allemands, ce n’est pas la même chose. Il avait vu les nazis entrer dans un couvent où il y avait un orphelinat avec une centaine d’enfants et les bonnes sœurs bien sûr, le jardinier, le père-curé et au lieu de les chasser parce qu’ils voulaient s’installer dans leur couvent, ils ont branché deux mitrailleuses et ils ont assassiné les enfants, les bonnes sœurs et tout le monde.

Alors mon père a pensé que ces hommes-là n’étaient pas des hommes comme les autres, n’étaient pas des militaires comme les autres, parce qu’un militaire ne fait pas ça et un homme normal non plus. Et il a pensé qu’ils pouvaient en faire autant à ses enfants, chez lui, et c’est pour ça qu’il a décidé et juré qu’il rentrerait le plus vite possible dans la Résistance, pour venger cette horrible catastrophe.

Il a cherché un mouvement et il a eu beaucoup de chance, il est tombé sur justement monsieur André Dubois qui venait d’être parachuté et qui cherchait quelqu’un pour former un groupe dans la Sarthe.

L’action

Alors ce sous-groupe si on peut appeler ça, on appelle ça des sous-groupes, était composé uniquement de notre famille, c’est-à-dire qu’il y avait mon père, ma mère, moi, ma grand-mère, mes oncles et mes tantes, ce qui évitait les fuites.

Alors moi, j’avais 11 ans à l’époque, et j’étais plus spécialement chargé de prendre dans un restaurant du Mans, il y avait un radiateur du chauffage central, les courriers de Paris et du Nord descendaient dans cet hôtel, qui était l’Hôtel de la Calanque, mettaient les plis qu’ils avaient dans le radiateur qui était aménagé spécialement et reprenaient les ordres. Si bien que s’ils étaient arrêtés, c’est malheureusement arrivé, torturés ils pouvaient avouer qu’ils avaient vu un radiateur mais ils ne savaient pas où était Hercule, le chef, … ils pouvaient rien dire même sous la torture.

Les documents que vous récupériez dans des radiateurs avaient été émis par la hiérarchie du réseau ?

Oui, par des réseaux du Nord et du Pas-de-Calais… Alors moi j’étais chargé, avec mon petit vélo, de reprendre ça et de l’apporter à Hercule qui avait ses postes-émetteurs chez ma grand-mère à Cérance-Foulletourte, près du Mans, à 25 km. Alors avec mon petit vélo, je faisais 25 km et 25 km pour revenir et quelquefois on me disait « ben y’a du nouveau, tu retournes », alors ça faisait beaucoup de kilomètres pour des petites jambes et un petit vélo !!!

Alors, ça c’était une de mes premières missions, le seconde mission qui m’a été donnée, vous savez qu’à cette époque-là une réunion de plus de 30 personnes, vous étiez immédiatement contrôlés, soit par la police française, soit par le police allemande.

Un jour les Anglais avaient fait des photos aériennes du terrain d’aviation du Mans, ils s’étaient aperçus qu’il y avait 3 escadrilles allemandes, alors ça les inquiétait beaucoup parce que d’habitude, il n’y en avait qu’une en stationnement et j’ai été envoyé avec mon cerf-volant, le plus près possible, et c’était des vieux soldats allemands qui gardaient le terrain, qui n’étaient pas méchants du tout, ça c’était des Allemands, c’était pas des nazis, et ils m’ont laissé approcher, ils ont même joué avec moi avec mon cerf-volant et je me suis penché, je me suis aperçu que les avions étaient des leurres, c’était des avions en bois, ils étaient pas peints en dessous.

Alors j’ai rendu compte bien sûr, et les Anglais, avec l’humour britannique bien connu, ont bombardé quelques semaines après le terrain d’aviation du Mans avec des bombes en bois ! Alors les Allemands ont compris que la Résistance existait bien, qu’ils étaient surveillés, et qu’ils pouvaient pas faire n’importe quoi. Ça c’était une de mes missions. Début 1943 alors la troisième chose que je faisais ,… comme je vous le disais, c’était une organisation familiale, et quand nous recevions des parachutages, c’était uniquement la famille qui devait enlever ça, le plus rapidement possible, on recevait quand même 3 tonnes d’armes à chaque coup. Alors avec des chevaux, ils font moins de bruit et puis on n’avait pas d’essence…

Et moi mon poste, j’étais guetteur. Je prenais la place d’un adulte. Et un jour, un parachutage, j’ai entendu un bruit sourd, énorme, qui venait du fond du pré, et j’ai donné l’alerte et en fait c’était un troupeau de vaches qui avaient vu les lampes s’allumer et qui fonçaient dessus ! J’ai pensé que j’allais me faire rouspéter mais mon chef m’a félicité, il m’a dit que j’avais été très vigilant et que c’était très bien.

En plus de ça, mon père avait rejoint un réseau, le réseau Sacristain qui était commandé par le commandant Floege, chargé de récupérer les aviateurs américains tombés dans la Sarthe.

Dans l’Ouest, mais comme il n’avait plus de radio, il avait perdu son radio, c’était Hercule qui émettait pour lui, et il avait chargé mon père d’aller récupérer les aviateurs. Il y en a eu beaucoup, et nous en avons eu jusqu’à cinq à la maison et la filière pour les faire repartir était bloquée.

Les gens avaient été arrêtés, on ne pouvait plus les faire repartir. Alors cinq grands gaillards de 20 ans dans une pièce de 3 mètres sur 3, ça va une semaine mais un mois, ça va plus. Il faut les sortir. Alors pour les sortir, c’est pas un adulte qui pouvait le faire. Alors ma mère qui était spécialisée là-dedans, avait fait des faux papiers, ils étaient tous sourds et muets, c’était beaucoup plus facile, tous jardiniers, et je les sortais un par un.

Un jour, on s’est fait arrêter à l’octroi du Mans, parce que toutes les portes du Mans étaient gardées par la police française et la police allemande et on s’est faits arrêter et là j’ai eu peur pour le coup, parce que je ne connaissais pas la réaction de mon grand américain ! Le mieux, c’est qu’il ne bouge pas, c’est ce qu’il a fait. Je lui ai serré la main très fortement, il était blanc comme un linge, il n’a pas bougé, j’ai pris ses papiers dans sa poche, je les ai présentés à la police allemande, qui m’a dit « oncle, grand-malheur », j’ai dit « oui grand malheur », « raouste, foutez le camp », alors on est partis, les jambes comme du coton, tous les deux, et il m’a dit « je veux bien les voir à 3000 mètres mais par terre, non… » Il parlait un peu français. Oui un peu… Et bon celui-là est resté avec nous, les autres on les a fait partir. Celui-là est resté avec nous jusqu’à l’écroulement du réseau et nous servait de moniteur pour les armes que nous recevions de Londres.

L’arrestation de la famille et la fuite

Au mois de novembre 43, j’étais en mission chez ma grand-mère et quand je suis rentré à la maison, il y a des voisins qui m’attendaient et qui m’ont dit « surtout, ne rentre pas chez toi parce que tes parents viennent d’être arrêtés et la Gestapo t’attend », parce qu’à 11 ans, moi sous la torture ou voyant mes parents torturés, j’aurais avoué tout ce que je savais, c’est bien évident.

Alors c’était prévu, c’était prévu. Je devais me rendre à Chartres d’abord, chez le colonel qui avait commandé la base aérienne de Chartres et après suivre la filière, et je sortais de mon petit village, je n’avais jamais pris le train, j’avais pas de papiers, je sais pas si vous vous rendez compte, à 11 ans, pas de papiers, pas d’argent et recherché par la Gestapo. Ça fait beaucoup pour…

Mais vous aviez votre grand-mère qui était encore là ?

Elle avait pris le maquis avec mon petit frère

Votre grand-père, lui était mort ?

Il était mort, oui… mes oncles étaient déportés, mes tantes étaient arrêtées à la prison du Mans. Je suis donc parti, c’était prévu, à Chartres, chez le colonel l’ancien… alors là il m’a gardé une huitaine de jours et il sentait qu’il allait être arrêté lui aussi, il m’a envoyé sur Paris. Et je suis arrivé à la gare Montparnasse où quelqu’un devait me prendre en charge, quand je suis arrivé tout à l’heure, j’y ai pensé. Et cette personne qui devait me prendre en charge n’est jamais venue me chercher, parce qu’elle avait été arrêtée.

Vous étiez seul ? …. J’étais seul. Sans adresse. Alors à l’époque il y avait des porteurs, avec la plaque sur la casquette, et tout le monde étant parti, je suis resté sur le quai, j’avais pas de bagage, j’avais rien, y’a un porteur qui est venu me voir et m’a dit « mais qu’est-ce que tu fais là mon petit bonhomme ? », bon ben là, j’étais paniqué, j’étais perdu hein, je lui ai dit « voilà, je suis recherché par la Gestapo, je viens de la Sarthe » et tout ça et il me dit « oui ben moi je viens de, j’ai des attaches aussi dans la Sarthe, tu vas venir chez moi ». Il s’était marié la veille.

Et l’hiver 1943, il faisait très très froid, beaucoup plus que maintenant, et j’ai dormi avec lui dans son lit, parce que j’avais tellement froid et la mariée a dormi sur la peau de mouton. Voyez, il y a des gens, sans me connaître, avec le risque de se faire arrêter… C’est pour ça que j’insiste sur ces petits détails si vous voulez. Et puis, c’est pareil, je ne pouvais pas rester chez lui hein alors il a trouvé d’autres gens et là les Anglais m’ont retrouvé.

Un jour, à la BBC, on a entendu « Jean-Jacques est bien chez ses amis les marchands de couleurs ». Et j’avais une adresse, j’ai été chez ces gens-là, et là pendant 3 mois, j’ai fait tous les métiers, à 11 ans. J’ai vendu au zoo à Vincennes, j’ai promené des petits chiens pour les gens, j’ai fait les queues pour les tickets d’alimentation… j’ai fait un peu de tout, fallait manger hein, et je sais pas si c’était le diable ou le Bon Dieu, j’étais bien chez certaines personnes mais au bout de 3 jours ou au bout de 8 jours, je partais, il ne faut plus rester et la Gestapo a toujours eu un jour de retard.

Toujours, si je restais 3 jours, ça arrivait le 4ème, 8 jours, ça arrivait le neuvième… Je ne sais pas. Et j’ai fini mon périple chez les demoiselles de petite vertu. 

Ah bon, mais elles avaient une vertu patriotique !

Voilà, qui m’ont pris en amitié. J’étais comme leur gamin. J’étais chauffé, j’étais nourri, de par leur profession, elles avaient tout ce qu’il fallait, et je peux dire qu’elles m’ont sauvé la vie.

Le dénouement

Au bout de 3 mois, mes parents ont été déportés, bien sûr, on ne savait ce que c’était que les camps de concentration, et je n’intéressais plus la Gestapo. 

Vous saviez qu’ils étaient en Allemagne ?

Je savais qu’ils étaient en Allemagne travailler. N’intéressant plus la Gestapo, je n’étais plus recherché, donc je suis rentré chez ma grand-mère.

En 44, à peu près ?

Oui, en 44. Et là, je me suis engagé dans les FFI… local. Je voulais absolument aller libérer les camps, aller libérer mes parents. Et là, j’ai participé un peu à la libération du secteur, si vous voulez, et les Anglais m’ont récupéré à nouveau, parce qu’ils ne nous ont jamais laissés tomber, et ils m’ont placé en Angleterre chez un officier britannique en attendant que mes parents arrivent. Et pour toutes ces actions, j’ai reçu la Croix de Guerre qui m’a été attribuée par le général de Gaulle.

En quelle année ?

En 45. J’avais 11 ans, 1 mois et 12 jours, je suis d’avril, je suis la plus jeune Croix de Guerre de France. J’ai eu la Cross of Liberty par le général Eisenhower, j’avais 15 ans, et j’étais proposé pour la Légion d’honneur à 20 ans, mais j’ai été refusé, le motif étant, le gendarme qui était venu me dire ça, était très embêté, motif « a travaillé avec une puissance étrangère, la Grande-Bretagne ». Et j’ai dû ré-attendre 58 ans pour avoir la Légion d’honneur.

Incroyable ! Et vos parents étaient dans le même camp ?

Non, ma mère était à Ravensbrück. Elle a été vendue par les SS à un laboratoire de renommée mondiale, qui existe toujours, et ils ont fait des expériences sur elle et sur les femmes. 98% de ce kommando allait directement au four crématoire en sortant. Elle était dans les 2% qui s’en sont tirés, et après ils l’ont envoyé en Silésie dans une usine de poudre à canon qui lui a brûlée les poumons. Elle est rentrée en convoi sanitaire et elle est décédée à 45 ans.

Libérée par les Américains. Elle a été envoyée en Hollande où ils l’ont soignée… Et puis alors mon père, lui a été à Buchenwald et il a été à Dachau. Il a travaillé avec Von Braun… Von Braun voulait des Français pour travailler avec lui.

Mon oncle est mort à Mauthausen, euthanasié, et puis les deux autres sont rentrés. Alors mon père a fait faire un mémorial important, là-bas à Cérance-Foulletourte, sur la route d’Angers où il y a le nom des 64 morts du réseau. Voilà. Et depuis les autres sont morts et depuis je suis le dernier survivant.

Alors pendant des années et des années, tant que mon père était là, ou les autres, j’ai plus voulu entendre parler de ça, parce que j’ai gâché ma vie, j’ai gâché ma jeunesse, je n’ai pas fait d’études. Mon père est rentré, il faisait 38 kilos, ma mère en mauvaise état, il a fallu que je me mette au travail.

Moi j’ai tout perdu dans cette Histoire-là hein, alors je me suis marié, j’ai pris des cours par correspondance de sylviculture parce que je voulais aller en forêt et surtout ne plus voir les Hommes… Après quand tout le monde a été disparu, je me suis dit « je ne peux pas laisser ça, c’est pas possible, il faut… », c’est pourquoi je vais témoigner dans les collèges, dans les lycées, raconter ma petite histoire d’un enfant de 11 ans.

Message aux jeunes générations

Ayez confiance dans vos parents. Ayez confiance dans vos éducateurs. Vous avez la chance de pouvoir apprendre, nous on l’a pas eu… Ayez confiance dans votre pays, la France, qui est un très beau pays, mais surtout, surtout, ayez confiance en vous-mêmes et si nous, les adultes, on n’est pas capable de vous faire mesurer la valeur de la liberté et si vous, vous refusez de la protéger, alors vous êtes condamnés à l’esclavage, à la disparition comme nous l’aurions été sans le sacrifice de la Résistance française.