François Perrot

François Perrot

Résistant de la première heure dans les Hautes-Alpes Il est arrêté et déporté en  mars 1943 à Buchenwald et Flossenbürg jusqu’au 15 mai 1945, Il s’investira très tôt dans le travail de mémoire de la Résistance et de la Déportation et sera président de l’UNADIF de 1994 à 2012.

Vidéo

Durée : 20:32

L’engagement

Mes parents étaient Francs-Comtois tous les deux, et au gré des mutations paternelles, je suis né à Strasbourg. Mon père était forestier, je dois ajouter que mon père et mes trois oncles avaient fait la guerre de 14-18, donc dès ma jeunesse j’ai été baigné dans cette ambiance comme beaucoup de mes camarades résistants et déportés d’ailleurs.

Je n’étais pas un très bon élève, je me passionnais beaucoup plus pour la guerre que pour les mathématiques élémentaires et je pensais qu’à ça, d’ailleurs il faut dire que je me destinais à Saint-Cyr et je m’intéressais beaucoup à l’Allemagne et à la différence de beaucoup de Français.

J’avais lu, malgré ma jeunesse, j’avais lu Mein Kampf, j’avais lu Herman Raunchning qui avait écrit un bouquin qui s’appelait « Hitler m’a dit », qui m’avait beaucoup impressionné parce que, il s’était un ami d’Hitler, il était de Dantzig je crois et donc au départ, il était très nazi, il était de Dantzig en Allemagne etc. mais il au fur et à mesure des années depuis 1933, il s’est rendu compte qu’Hitler était fou et allait amener l’Allemagne à sa perte, il est parti en Suisse où il a publié ce livre que j’ai lu quand j’avais 17 ou 18 ans.

A la déclaration de guerre, nous étions parisiens, mon père était haut-fonctionnaire à Paris, se souvenant de la guerre 14-18, de la Marne etc.… il a voulu mettre sa famille à l’abri et il nous a installés à Orléans. D’Orléans donc nous sommes partis au moment de l’exode vers le Sud comme des millions de Français, nous avons été hébergés par des amis qui avaient une propriété dans le Lot dans un petit village. Dans ce village a atterri en même temps que nous ou quelques jours après un détachement de l’armée en déroute. Et moi, je passais mes journées avec ces soldats qui avaient un matériel radio, si bien que j’ai écouté avec eux le 17 juin le discours du maréchal Pétain et le 18 l’appel du Général, et que, comme je vous disais tout à l’heure, je me destinais à Saint-Cyr, je n’ai pas du tout été impressionné par ce Maréchal vainqueur de Verdun mais au contraire par ce Général inconnu.

Je suis un peu comme, il y a des gens plus célèbres que moi qui ont décrit mieux que moi ça, André Frossard a dit « j’ai été un gaulliste immédiat », Marcel Jullian a dit « j’ai été un gaulliste instinctif ».

A ce moment-là vous vous êtes dit « je suis le général de Gaulle » ?

Absolument 

Vous en avez parlé avec vos parents ?

Oui, alors mes parents, qui c’était des parents, partageaient en gros mes sentiments mais ils étaient prudents pour leur progéniture, d’ailleurs j’ai oublié de vous dire qu’en septembre 1939, élève de math, j’ai dit à mon père, « je vais m’engager, je m’engage pour la durée de la guerre dans l’Infanterie », il m’a dit « écoute, passe ton bachot, on verra après ».

L’action

Donc les vacances se sont passées et puis à la rentrée, mon père, ma mère et mes sœurs sont rentrés à Paris, mes sœurs étaient au lycée Fénelon et ils se sont dit « ah on va pas emmener François parce que compte-tenu de ses sentiments et de ses réactions qui risquent d’être instinctives, on va pas le mettre à portée des Allemands » et alors une famille amie qui habitait Gap et qui a bien voulu m’héberger, si bien qu’évidemment je n’ai pas passé le bac et me suis retrouvé en math au lycée de Gap.

Nous avons formé un petit noyau avec des camarades du cru, j’avais un poste de radio, j’écoutais Londres tous les soirs, tous les matins suivants j’apportais les nouvelles au lycée. Mon camarade Georges Damien qui avait un joli coup de plume ou de crayon avait dessiné deux papillons : l’un représentait simplement la croix de Lorraine la France Libre et l’autre un crâne orné d’une mèche et d’une moustache hitlérienne entrecroisées par deux tibias en forme de croix gammée et le mot poison, tout ça en rouge. Moi j’étais chargé de les enduire de gomme arabique, y’avait pas d’autocollants à l’époque, alors dans mon petit cabinet de toilette je trafiquais la gomme arabique et nous allions comme ça mettre des inscriptions sur les murs de la Préfecture, de la Poste et coller nos papillons et sur l’hôtel Lombard où siégeait la commission d’Armistice italienne.

Puis un beau jour, j’entends à la radio de Londres, parler des « aventures » des Français Libres au Tchad, de Leclerc et d’Ornano qui a été tué à Mourzouq, et puis nous avions donné à notre petit groupe le nom de « maillon d’Ornano », maillon ça donnait bien l’idée d’essayer de se rattacher à une chaîne, ce qu’on a appelé plus tard des réseaux.

Puis nous avons essayé de trouver dans nos villes quelques appuis, je me souviens être allé voir un commerçant de la ville qui était officier de réserve mais je n’ai pas réussi à le convaincre, vraiment cette ville était, à l’époque, très maréchaliste. Arrive le printemps, mois de mars où on s’est dit « on ne va pas passer toute la guerre à coller des papillons, c’est pas ça qui va faire avancer la victoire ». Alors à quatre, nous avons rassemblé nos petites économies sur nos livrets de Caisse d’Épargne, nous partons pour Marseille, l’un d’entre nous est allé au consulat des États-Unis où il s’est fait gentiment éconduire.

Puis au bout de trois jours, un beau matin, à 6 heures du matin, un coup à la porte, et c’est la police qui est venue nous chercher et nous a emmené à l’Hôtel de Police qui était à l’ancien évêché de Marseille. Et puis au bout de 2 ou 3 jours donc, les policiers de Gap sont venus nous chercher

Ils avaient entendu parler de votre petit groupe ?

Oui, absolument, parce qu’ils avaient fait une enquête, parce que le lycée avait signalé notre disparition. Moi j’avais laissé aux personnes qui m’hébergeaient un message en disant « je pars pour rejoindre la France Libre » et alors on a été de nouveau interrogés à la police de Gap

Sans brutalité ?

Ah oui, oui absolument et puis remis à la disposition de nos familles, enfin moi, en ce qui me concerne chez les personnes qui m’hébergeaient. Et puis, le 1eravril 1941 le proviseur a réuni le conseil de discipline, « il n’est pas possible de conserver ces mauvais élèves au lycée où leur présence constituerait un foyer d’agitation politique », alors je suis rentré à Paris.

J’ai refait une terminale à Henri-IV cette fois et j’ai pris contact avec le Front national étudiant et en suis devenu assez rapidement responsable pour le lycée Henri-IV. Et j’ai… alors ça a pris une ampleur quand même… toujours ce que j’appelle de l’agit-prop. !!! mais on avait, au lieu d’avoir des petits papillons faits à la main, on avait des tracts ronéotés. On a commencé à avoir des journaux, des journaux clandestins, c’était quand même déjà plus… moins artisanal. On est allé à l’Institut d’Hygiène protester contre l’insuffisance des rations alimentaires pour les étudiants. On est allé aussi interrompre la première, leçon en Sorbonne du professeur Labroue pour qui on avait créé une chaire d’histoire juive, vous imaginez dans quel sens !!!! Nous avons fait lever la séance à grands coups de boules puantes.

Une autre fois, nous nous sommes promenés boulevard Saint-Michel à Paris : c’était pas très intelligent mais enfin c’était sympathique pour nos amis Juifs, nous nous sommes baladés sur le boulevard Saint-Michel avec des étoiles que nous avions fabriquées, des étoiles jaunes sur lesquelles nous avions écrit, je ne sais plus, catholique ou Franc-Comtois, ou je sais plus quoi… il faut dire que mes parents à ce moment-là étaient partis à Bar-le-Duc, mon père avait été nommé conservateur des forêts à Bar-le-Duc et ils nous avaient laissé l’appartement de Paris à ma sœur, à l’aînée de mes sœurs et à moi. Ma sœur avait suivi le même itinéraire que moi, elle était membre de la section du Front national étudiants au lycée Fénelon, et notre appartement était devenu un lieu de réunions, aussi bien pour les filles de Fénelon que pour les garçons de Sciences-Po ou la fac de Droit mais tout ça ne me satisfait toujours pas.

J’habitais au-dessus d’une boulangerie et j’ai bien noté en allant chercher mon pain avec mes petits tickets que le boulanger, on s’est senti très vite en connivence et un jour je me suis confié à lui et je lui ai dit « écoutez, je cherche à rejoindre un maquis ou à partir à la France Libre, vous n’auriez pas des tuyaux ? », il me dit « écoutez, peut-être, j’ai peut-être votre affaire » et il m’a obtenu un rendez-vous avec madame Germaine Peyrolles, avocate au barreau de Paris, qui après la guerre a été vice-présidente MRP de l’Assemblée Nationale, je crois que c’était là, je ne me souviens plus, elle m’a dit « écoutez », c’était je sais en février 43 « vous savez les maquis, ça commence seulement et puis c’est l’hiver, alors attendez un peu je vous ferai signe au printemps, je vous ferai signe le moment venu, on trouvera une solution, mais en attendant ne restez pas trop chez vous, essayez d’aller coucher ailleurs ».

Alors je retourne chez mon brave boulanger, je lui raconte tout ça et il me dit « ben écoutez, j’ai une petite maison au bord de de la voie ferrée, après la gare Montparnasse, qui ne sert à rien, qui est fermée, je vais vous y conduire, vous aurez la clé et vous coucherez là », ce que j’ai fait.

L’arrestation et la déportation

Un beau jour, mon chef dans la Résistance me dit « il y a 2 camarades qui sont en instance de départ pour le maquis, alors ils sont à Paris, en transit à Paris pour quelques jours, puisque tu as un grand appartement, tu peux les héberger, tu vas les héberger » ben je dis « bien entendu »… j’ai tout de suite répondu oui… avec en plus en arrière-pensée « tiens, tiens, ben s’ils ont le tuyau pour le maquis, je vais partir avec eux ». Et puis alors là du coup je ne suis plus allé coucher chez mon boulanger à Montparnasse, je suis resté, je voulais pas laisser ma sœur avec ces 2 garçons, … et puis 2 jours après… on a frappé à la porte, comme à Marseille, mais cette fois c’était la Gestapo.

Ils avaient été informés comment alors ?

Et bien par les 2 garçons, qu’ils ont fait semblant d’arrêter

Ah !

Et oui, bien sûr, ils ont arrêté ma sœur également et nous sommes partis menottés l’un à l’autre… rue des Saussaies

Vous avez été battu, torturé ?

Non pas torturé, j’ai reçu quelques coups de goumi, de… mais comme j’avais raconté à peu près, parce ce qu’on avait vécu ensemble pendant 2 jours avec les 2 mouchards, alors je leur ai tout raconté, y compris Marseille, Gap etc. … donc je n’avais plus rien à avouer. Puis dans la nuit je suis transféré à Fresnes.

Puis début août 43 avec un certain nombre, nous sommes rassemblés et emmenés, je sais plus ne sais plus par car ou panier à salade, à la gare du Nord. Nous arrivons à Royallieu, alors-là Royallieu, c’était le mois d’août, c’est formidable, après les épreuves de la prison, l’isolement ou la promiscuité et ce qui nous attendait par la suite, c’était plutôt une oasis, y’avait une vie sociale, on était tous ensemble, on respirait, on était au grand air, au soleil, y’en a qui jouait au foot.

Au bout de trois semaines à un mois, on nous dit « demain, vous allez partir pour l’Allemagne, votre sort sera considérablement amélioré, vous travaillerez, vous serez payés », ça c’était de l’intox pour éviter les évasions bien sûr… Alors en général, ils faisaient un convoi quand il y avait un millier, un millier de candidats si j’ose dire, et puis en route, à pied, alors là je sais très bien que c’était à pied, en colonne, encadrés bien sûr, à travers la ville jusqu’à la gare, qui n’était pas tout près, parce que Royallieu c’était un peu à l’extérieur.

 Nous montons dans des wagons à bestiaux. Alors bon, donc une nuit et une journée entière… se sont passées et à la tombée de la nuit du 2èmejour, nous sommes arrivés dans une gare où on nous a fait descendre. J’ai vu Weimar et en route dans la nuit vers Buchenwald.

Et puis un beau jour arrive l’affectation au kommando, la grosse majorité affectée à Dora qui était un kommando extrêmement dur et une vingtaine d’autres. D’autres ont été affectés dans le camp de Buchenwald et une vingtaine d’autres dont moi affectée à Berlstedt, une installation de la DEST, Deutsche Erd und Steinwerke, c’est-à-dire – un ouvrage de terre et de pierre allemand- qui faisait partie de l’empire économique d’Himmler, composée de carrières de pierre, de carrières d’argile et de briqueteries et de tuileries.

Les Français arrivent dans un monde germano-slave… où ils ne sont pas aimés, pas aimés par les Allemands bien entendu, ils ne sont pas aimés par les Tchèques parce qu’ils nous accusent à juste titre de Munich, pas aimés par les Polonais qui nous, bien que nous ayons déclaré la guerre pour eux, nous sommes restés derrière la ligne Maginot, pas trop aimés par les Russes non plus et sinon pas aimés, du moins jalousés, jalousés, on a le plus beau pays du monde, on a la meilleure cuisine, les plus beaux paysages, les plus belles femmes, bon une jalouse certaine, plus les griefs des Tchèques etc. donc un monde à priori hostile, à priori hostile donc forcément…

Donc on se serre les coudes entre Français, et les Belges, Franco-Belges, il y a vraiment une unité Franco-Belge et puis à l’intérieur de cette unité Franco-Belge générale, y’a des sous-unités, par exemple, alors en ce qui me concerne, je me suis retrouvé avec trois Francs-Comtois de Paris : moi ! et deux Jurassiens membres d’un réseau anglais, arrêtés ensemble à Dôle et donc il s’est créé instinctivement là-aussi, à trois, une fraternité particulière à l’intérieur de la fraternité Franco-Belge, voyez, et c’est comme ça au fond, qu’on arrivait en se serrant les coudes à …survivre moralement, à tenir le coup, à se réconforter les uns les autres, quand un flanchait, les 2 autres… voilà.

Je n’ai pas de statistiques pour Buchenwald, Dachau Flossenbürg mais pour Flossenbürg qui était au Sud, Wetterfeldnous sommes partis le 20 avril et libérés le 23, partis à 15000 et 7000 morts…d’une balle dans la tête.Le long de la route…d’abord ils ont été inhumés localement et puis ensuite rassemblés dans d’immenses cimetières. Et un beau jour, une colonne blindée de l’armée Patton nous a rattrapés sur la route.

Et les SS se sont battus ? Ah non, les SS…Se sont rendus

Souvenir inoubliable, à la gare de Metz, les Lorraines en costume, la fanfare jouant « vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine », enfin voilà …… C’était la grosse émotion

Message aux jeunes générations

Il faut avoir foi en quelque chose, que ce soit une foi religieuse ou politique, morale, philosophique, enfin tout ce qu’on veut, il faut croire en quelque chose et puis il faut croire à la supériorité… des bons sur les mauvais ! … en définitive même si les mauvais commencent par l’emporter souvent et y croire fermement et moi, pendant toutes ces 2 années… je me suis dit en regardant les SS, je me suis dit, je me disais intérieurement « Rira bien qui rira le dernier, enfin… » !!!!!!  et bien oui il faut y croire.