André Fournier

André Fournier

Résistant des mouvement Défense de la France, dans le réseau Libre Patrie et Vengeance, déporté à Dachau.

Vidéo

Durée : 14:09

L’engagement

En mai 40, je suis étudiant en médecine et j’habite Paris. Je suis mobilisable le 13 juin, or le 13 juin, les Allemands entrent à Paris, alors je me dirige quand même, parce qu’il y avait eu des avis du général Héring qui était Gouverneur militaire de Paris comme quoi les jeunes conscrits devaient se présenter à leur caserne.

Moi je devais aller à la caserne de Montrouge, j’y suis allé, je suis tombé sur un sergent qui m’a dit « mais ça ne va pas la tête, tout le monde est parti vers le Sud, y’a plus personne ici, y’a même plus une voiture », par conséquent je suis parti à pied et j’ai rejoint péniblement, en 3 semaines, Toulouse où ma famille se trouvait à ce moment-là.

Mon père était mobilisé comme capitaine de l’armée de l’air et il était parti vers Toulouse parce que son ministère était replié là-bas et il avait eu le temps de trouver un appartement pour les personnes qui travaillaient avec lui, ses collaborateurs, qu’il logeait.

J’ai été informé immédiatement du discours de De Gaulle, enfin de ce qu’il avait dit le 18 juin etc. Je suis devenu un gaulliste immédiat. Et puis j’ai fait une année de médecine supplémentaire, la deuxième et puis je suis allé aux Chantiers de Jeunesse parce qu’on m’y a obligé. J’ai dû faire huit mois de chantier de jeunesse et finalement j’ai compris en étant avec tous ces gars-là qu’au fond d’eux-mêmes, ils n’étaient pas du tout persuadés de la révolution nationale de Pétain et qu’ils faisaient ça parce que c’était leur métier. En espérant pour certains, en espérant que les circonstances referaient une armée française.

J’ai été libéré fin juillet des Chantiers de Jeunesse, je suis immédiatement remonté à Paris et je me suis inscrit à la fac à Paris et là, j’ai rencontré un ami, un étudiant comme moi, que j’avais connu plusieurs années auparavant et il me dit « moi je travaille dans un réseau », ah bah j’ai dit « tu me prends avec toi ». C’est ce qu’il a fait, quelques jours après j’ai rencontré Philippe Viannay à Défense de la France et j’ai été engagé.

L’action

Alors au début j’étais engagé comme distributeur de journaux, hein. J’ai connu très bien ceux qui détenaient les journaux, qui étaient Salmon et Jurgensen mais seulement ça n’a pas duré très longtemps parce que le journal a été imprimé très peu de temps après dans les caves de la Sorbonne et là, mon camarade qui s’appelait Pascano a participé à ça, j’ai aidé un peu à ça et puis très rapidement nous nous sommes non pas fâchés mais nous avons changé de route avec Philippe Viannay parce que Philippe Viannay d’abord avait une réaction qui…, il était un type extrêmement sympathique puis surtout très enthousiaste, seulement il voulait que la Résistance soit une résistance avec les gens de France.

Le gaullisme, ce n’était pas tout à fait son affaire. Alors là, on n’était pas d’accord. Alors en tout cas Pascano non plus, si bien qu’on s’est séparés de Défense de la France. Et on est allés s’inscrire dans un autre réseau, ça ne s’est pas fait facilement d’ailleurs, qui était Ceux de la Résistance.

Avec Lecomte-Boinet

Lecomte-Boinet. Et puis là, alors là on a commencé à travailler pour ces gars-là, en essayant de recruter d’abord des gens en tous cas, pour faire de la résistance, c’est-à-dire essentiellement du renseignement parce qu’on était à ce moment-là fin 42, on était en novembre 1942 et au moment où est survenu d’ailleurs l’explosion de joie du débarquement américain hein. On a essayé de recruter des étudiants en particulier, bien entendu. On ne se faisait pas très bien recevoir en général.

Vous étiez dans l’Oise, n’est-ce pas ?

Et puis alors dans l’Oise, oui parce que j’avais de la famille dans l’Oise, à vrai dire, ma mère… qui s’était remariée avec un monsieur qui a été tout heureux d’avoir le moyen de faire quelque chose. Ensuite, il y a eu le développement de notre mouvement, un mouvement d’étudiants, on a recruté à ce moment-là deux Saint-Cyriens, un d’abord et puis un de ses copains ensuite, et puis il y a un autre médecin qui est venu se joindre à nous et puis on a recruté, on a trouvé des gens plus importants, notamment un certain commandant Decaen qui a été extrêmement intéressant parce qu’il était déjà à l’Armée Secrète et il nous a servi d’agent de renseignement, il nous a demandé de nous servir de Ceux de la Résistance pour transmettre les renseignements qu’il avait.

Il connaissait de par sa fonction, il était inspecteur des marchés et qu’il connaissait donc tout le monde pratiquement et il connaissait très bien un certain nombre de gens dans des usines notamment du Nord de la France qui toutes ou presque toutes travaillaient pour les Allemands. Donc là, il y avait une filière à créer pour évacuer ces renseignements vers l’Angleterre. C’est à ça que nous avons servi et on a continué ça jusqu’à nos arrestations finalement.

Dans l’intervalle, on avait créé nous-mêmes un réseau, indépendant de Ceux de la Résistance qui s’appelait Libre Patrie et qui s’est fédéré ultérieurement à Action Vengeance. Et en définitive, on a eu quelque chose d’assez structuré, avec quand même pas mal de monde, pas mal de gens qui avaient promis de se trouver mobilisable le jour où l’Armée Secrète prendrait corps parce qu’on y croyait un petit peu quand même à l’Armée Secrète et puis on a été un petit peu bousculé par le fait qu’il y a eu les décrets Laval qui ont obligé pratiquement des tas de jeunes à se cacher et finalement la nécessité où on s’est trouvé avec ces jeunes-là, ça a été de s’occuper d’évasion.

Alors c’est ça qui nous a perdu finalement. Nous avons été, à un moment donné, sollicités pour héberger parmi nous une femme qui venait d’un réseau du Sud de la France. On n’était pas très chaud pour la recevoir et finalement on l’a admise quand même comme agent de liaison en lui donnant une boite aux lettres et puis on a appris ultérieurement qu’elle vivait avec une autre femme que malheureusement on a rencontré une fois, Pascano et moi, une fois, et c’est une fois de trop.

Elle nous avait invités à prendre le thé, c’est très gentil mais elle avait un réfrigérateur, elle a ouvert le réfrigérateur, elle sort du lait condensé, y’avait pas de lait condensé en France, il y avait du lait condensé parachuté oui, alors moi j’ai compris tout de suite que c’était très mauvais, quelle que soit son activité, c’était très mauvais, évidemment je me suis débiné rapidement.

Pas très longtemps après, puisque ça a été le 20 septembre 1943, mon ami Pascano a été arrêté. C’est la Gestapo qui l’a accueilli. L’autre ami qui avait une fonction importante qui était Saint-Cyrien, qui au fond était chargé de ce qui serait militaire, parce que c’était encore une supputation un peu lointaine, lui a été brûlé, les Allemands étaient venus chez lui, alors il est parti. Et moi je n’étais pas brûlé à ce moment-là, je suis resté et j’ai dirigé le réseau pendant un mois.

Et là, on m’a demandé de planquer des Américains, sept ou huit Américains d’une forteresse volante qui était tombée dans la banlieue de Parisau cours d’un bombardement du Bourget. Alors j’ai organisé un truc avec notre équipe de Méru, dans l’Oise, et un des nôtres qui était boucher de son métier a donné une adresse et un marchand de bois qui travaillait avec Robert Decaen a transporté les Américains jusque dans un local qui se trouvait au Moulin de Pouilly qui était un repaire déjà de clandestins. Ces gens-là avaient déjà hébergé, dans ce moulin avait déjà hébergé des aviateurs anglais. Alors là, on leur a servi des aviateurs américains. Ils s’en sont très bien occupés.

L’arrestation

Mon beau-père qui était le mari de ma mère a été arrêté à cause des cartes d’identité qu’il avait réceptionnées et j’ai été arrêté 2 jours après, parce qu’il y avait dans les papiers, il y avait mes coordonnées, mes adresses etc. Donc on s’est trouvé arrêtés tous les deux, lui n’a pas vécu longtemps mais j’en savais rien moi, je suis resté à la Gestapo, à Creil, interrogé pendant, je sais pas, un mois, un mois et demi, quelque chose comme ça, et bien évidemment battu, tapé, interrogé, réinterrogé etc. Et puis en définitive déporté, voilà.

La déportation

Celui qui nous avait permis de créer un réseau était Pierre Kahn qui faisait partie du comité de coordination, c’était un proche de Jean Moulin, dans la zone Nord, et c’est grâce à lui qu’on avait finalement constitué un réseau valable, et j’ai été arrêté d’ailleurs un jour où j’avais rendez-vous avec lui. Mais heureusement il avait l’habitude de ce genre de choses et il ne s’est pas laissé prendre à la souricière qui était établie bien sûr.

Et j’ai rencontré Pierre Kahn à Buchenwald, je crois que c’était le 14 mai, quelque chose comme ça, il revenait d’Auschwitz et avec les gens qu’on a appelés les tatoués. Et on est on peut dire tombé dans les bras l’un de l’autre et alors on s’est donné rendez-vous pour le lendemain matin et alors je n’ai jamais revu Pierre Kahn parce que dans l’intervalle, j’avais été pris comme médecin devant partir instantanément, c’est comme ça là-bas, on vous disait « tu fais tes bagages » et puis 10 minutes après, on était à la porte et on partait. C’est un peu comme ça que ça s’est passé, sauf que je suis parti finalement à 5 heures du matin et que lui, je ne l’ai jamais revu. Voilà.

 Dans cet enfer des camps, vous rencontrez quand même une certaine fraternité ?

Ah oui, j’ai eu des amis extraordinaires, d’abord quand on est arrivé à Buchenwald, il n’y avait pratiquement, on était pratiquement que des résistants et des vrais résistants tous, tous ceux qui étaient autour de moi, et puis enfin ce n’était pas que des Français, il y avait par exemple le chef d’état-major de l’armée belge, il y avait un ancien premier ministre belge, il y avait des copains du réseau de Rémi que nous ne connaissions pas à ce moment-là mais nous avons fait connaissance tout de suite.

Pour plusieurs raisons, je me suis trouvé immédiatement avec des camarades de lit, si je peux dire, parce qu’on couchait les uns à côté des autres, qui étaient des types de la Résistance. Comme ami, je me suis trouvé instantanément un ami le premier jour, c’était un radio de la France Combattante. Donc on s’est trouvé tout de suite dans le bain et dans le bain d’une camaraderie extraordinaire. Après il y a eu, ça a été variable dans les différents camps où je suis allé bien sûr, mais j’ai quand même trouvé partout des gens extraordinaires, des gens comme le général Frère par exemple, le prince Léopold de Prusse …..

Delestraint ?

Oui, Delestraint qui était… quand je me suis trouvé, parce que j’ai donc fait Natzweiler, après Natzweiler, Neckargerach, Neckargerach, j’ai été ré-évacué sur Natzweiler et ensuite évacué sur Dachau. Et Delestraint était à Dachau.

Vous rencontrez Michelet aussi ?

Michelet oui. Et j’ai libéré donc par les Américains le 29 avril 1945, comme Dachau, c’est le dernier camp libéré. Voilà.