MARBOT René

Auteur de la fiche : Général Pierre Gillet

René Marbot

Général Pierre Gillet
Hommage rendu à René Marbot le 11 décembre 2020

Je ne me permettrai pas de faire l’éloge funèbre de notre ancien René Marbot. Je ne suis pas légitime et sa vie est bien trop féconde pour savoir quoi mettre en valeur. Alors à quoi sert-il de s’exprimer maintenant ?

Je voudrais tout simplement assurer notre ancien, qui je n’en doute pas m’écoute du haut du Ciel, que nous sommes fiers de notre nom de promotion, cadets de la France libre, grâce à des gens comme lui. Les cadets représentent une jeunesse généreuse et courageuse, à l’enthousiasme contagieux. Faire les choses à moitié ne vous serait jamais venu à l’idée. Il vous a fallu un sacré culot pour rejoindre la France Libre. Vous n’étiez pas venus chercher la tranquillité mais l’action, et pas n’importe laquelle. Celle qui permet de rester libre, comme le nom de votre école le suggérait, c’est à dire poursuivre le bien et s’y tenir. Engagement que vous avez tenu votre vie durant.

Lorsque nous avons reçu notre nom de promotion il y a plus de 30 ans, nous n’avions pas pleinement conscience de la somme de sacrifices qui se cachait derrière celui-ci. Aujourd’hui le temps a passé, les années de vie militaire nous ont appris ce que signifie la fidélité à l’engagement pris un soir d’été 1987 sur le Marchfeld de Saint-Cyr. Aujourd’hui, cher René Marbot, vous qui avez achevé votre pèlerinage terrestre, nous nous tournons vers vous pour vous remercier une dernière fois de la flamme que vous avez allumé dans nos cœurs de soldat en nous léguant une partie de votre jeunesse.

Nous approchons de Noël, la Lumière va bientôt luire dans les ténèbres. Nous aurons une pensée, une prière, pour vous et votre famille car vous aussi les cadets, en votre temps, vous avez fait luire une lumière d’espérance dans une France en guerre.

La promotion CFL se tourne vers vous et dans un dernier élan très saint-cyrien vous dit : merci les Anciens, comptez sur nous pour faire durer votre mémoire. Plaise à Dieu de vous accueillir dans son royaume de paix pour que vous soyez toujours auprès de nous dans les combats qui nous attendent. Prenons un peu de votre audace, permettez-moi de vous souhaiter un joyeux Noël !

Hommage à René Marbot

par son fils Michel, au nom de tous ses enfants St Louis des Invalides, 11 décembre 2020

Au nom de tous les miens, de mes sœurs et de mon frère, de toute notre famille au sens large, je remercie nos amis ici présents et ceux qui sont avec nous par la pensée. Je vous remercie tout particulièrement, Révérend Père Duché, de nous accueillir pour une cérémonie d’une grande dignité qui honore la mémoire de notre père, René Marbot.

Les lieux s’y prêtent, ils reflètent la majesté de Louis XIV. C’est justement sous le règne du Roi-Soleil que des Marbot ont quitté leur Corrèze natale pour servir la grandeur de la France à l’étranger, dans les Caraïbes, dans l’Océan Indien, puis au Liban où notre père est né, Liban qu’il a tant aimé. Notre père s’inscrit dans cette lignée.

À quelques pas derrière moi, se trouve le tombeau de Napoléon dont la gloire a rejailli sur notre famille, puisque le nom Marbot est inscrit sur l’Arc de Triomphe. Notre père s’est aussi battu pour la France.

Le troisième personnage à qui ce lieu rend hommage est justement le général de Gaulle dont l’esprit pourrait se résumer ainsi : la grandeur de la France alliée à l’humilité personnelle. C’est l’esprit de la France Libre, c’est l’esprit de notre père, celui qu’il nous a transmis.

En s’engageant en 1940 dans la France Libre, puis en rejoignant l’École des Cadets de la France Libre, en étant parachuté sur la France, René Marbot a mérité de rejoindre le Panthéon de notre famille. Il avait à peine 18 ans. En France, au moment de la défaite, la situation n’était pas simple, il n’était facile d’y voir clair. Comment expliquer son discernement si précoce ?

La réponse se trouve sans doute dans notre propre famille. Notre père était très proche de sa grand-mère Marie-Athina Canaris, la petite-fille de Constantin Canaris, libérateur de la Grèce en 1821, après cinq siècles d’occupation ottomane. Canaris fut, pendant 40 ans, l’homme fort de la Grèce, un personnage semblable à de Gaulle, honnête et sobre, guidé par l’intérêt supérieur de la Patrie. Notre père étant orphelin à dix ans – et bien qu’il ait eu un second père –, c’est surtout sa mère qui l’a élevé.

Pour illustrer ce qu’est une mère grecque, je vais vous relater un fait. Nous sommes dans les premiers jours d’août 1944, mon père est mis au secret car il peut à tout moment être parachuté sur la France. C’est à dire qu’il n’a plus le droit de correspondre avec sa famille. Pour tranquilliser sa mère, il a écrit d’avance une série de lettres et a demandé à un ami de les envoyer. Il y parle, de façon anodine, de ses journées d’entrainement. La réponse de sa mère, dont il ne prendra connaissance que trois mois plus tard, est un chef d’œuvre. Il faut dire que ma grand-mère était une femme très éduquée. Je vous lis cette lettre surprenante :

Mon grand chéri, ta prose du 11 août nous a plutôt surpris. D’après les nouvelles reçues de tes camarades, nous te croyions en plein combat et notre pensée s’essayait à te suivre. Nous nous imaginions ton émotion en foulant à nouveau le sol de notre douce France […]. Depuis cet airgraph du 11 Août, je me sens tracassée et n’arrive pas à calmer mon angoisse. Il me semble lire entre les lignes certaines choses qui ne sont guère dans le cadre des évènements présents.

Tu vis, mon chéri, une épopée unique, magnifique ; sois pour l’instant tout à ce but sacré, la libération totale du Pays. Rien ne compte en dehors de cela !
Baisers tendres infiniment et toute notre pensée.
Maman

On comprend qu’avec une telle mère, notre père ait eu une riche personnalité qui va le servir aussi lors de son retour à la vie civile. Ce retour, il ne le vit pas comme une rupture. Il choisit le groupe Rothschild parce que Guy de Rothschild est Français Libre et que sa nièce Monique était à l’École des Cadets. Il est engagé dans la division minière et métallurgique du groupe qui est alors dominée par le brillant corps des ingénieurs

des mines. Guy de Rothschild est cependant un visionnaire. Il comprend qu’une fois les trésors retirés des entrailles de la Terre, ils ont, comme des enfants, leur propre vie, ils sont transformés, recyclés, deviennent des produits financiers. Il reconnaît en René Marbot l’homme qui personnifie le nécessaire renouveau des mentalités. Car notre père est un homme du soleil. Il parle aussi bien aux Ashkénazes, aux Séfarades, aux Grecs, aux Turcs, aux Américains, aux Russes, aux Polonais ou aux Japonais. Il les comprend et apprécie. Il a vécu en France, au Liban, en Grande-Bretagne, en Italie, au Brésil. Chaque fois, au contact de l’étranger, il s’est enrichi d’une personnalité de plus. Nous ne sommes pas 20% ceci 30% cela, dit-il, mais bien 100%, plus 100% plus 100%, 300% nous-mêmes. Pour lui, en avançant, l’homme ne se divise pas, il se démultiplie. C’est la grande leçon qu’il nous a laissée.

Sa vie familiale, celle qui nous concerne de façon intime, ne déroge pas à cela. Sa famille, ce sont aussi les Cadets. Avec ma mère, Anne-Marie Lelièvre, il va connaître un grand amour, vite frappé par la naissance d’une enfant handicapée, notre sœur ainée Hélène. Nos parents réussiront à ce qu’elle soit pour nous une richesse et non un poids. Puis, après la mort de notre mère, avec sa seconde épouse Marie-Hélène, notre père vivra une retraite heureuse, toujours en Été, entre la France et le Brésil. 20 petits-enfants et 20 arrière- petits-enfants seront, comme le disait Marie-Hélène, le dessert de sa vie.

Vos messages d’amitié, dont nous vous remercions, concordent pour souligner les qualités de notre père : dynamisme, service des autres, intelligence, gentillesse. Je peux ajouter que pour nous aussi, ses enfants, il fut un conseiller et un ami car il connaissait les hommes, les prenait tels quels avec leurs qualités ou leurs faiblesses et il aimait la vie, ce que reflétait son humour.

Sa longévité, il la devait à une grande discipline personnelle. Levé quotidiennement à 5 heures, qu’il vente ou qu’il neige, il marchait six kilomètres, allait à la messe et rentrait à 8 heures pour le petit-déjeuner. Notre père a eu une vie bien remplie et c’est pourquoi nous ne lui en voulons pas trop de nous avoir quittés. Au contraire, nous rendons grâce à Dieu de nous l’avoir laissé si longtemps. Il va reposer à Gonesse auprès de sa mère et de notre mère, auprès aussi de son frère Henry qu’il aimait tant. Un repos bien mérité.

Notre père a été lucide jusqu’au bout, mais au moment où les forces physiques vous lâchent, la mort est le détonateur d’une vie plus intense encore. C’est notre Foi qui nous le dit. C’est aussi une évidence. Évidence qu’expriment ces lieux, ces personnages de légende qui les hantent et cette flamme, la Flamme de la Résistance française, celle de notre père, qui ne s’éteindra pas tant que nous vivrons.