CHAILLET Pierre

Auteur de la fiche : Renée Bédarida Historienne, membre du mouvement de résistance du Témoignage chrétien.

Pierre CHAILLET

Une grande figure de la Résistance Pierre CHAILLET jésuite atypique

 Etonnante histoire que celle de ce jésuite, l’une des figures de proue de la Résistance, à la fois professeur, théologien, agent du 5e bureau, fondateur d’un réseau de résistance spirituelle et d’une organisation œcuménique d’aide aux victimes du nazisme, président du Comité des œuvres sociales de la Résistance, patron de presse, «Juste parmi les Nations » Pierre Chaillet a été tout cela.

C’est à Budapest que Pierre Chaillet apprend la signa­ture de l’armistice. En novembre 1939, le 5° bureau de l’État-major de l’ar­mée l’avait envoyé en Hongrie sous couvert de conférences de propagande française. Mais l’appel du général de Gaulle lui donne espoir: « Le cauchemar était dissipé… Dans les plis du drapeau en berne, passait le chant d’un nouveau départ ». Une bataille perdue n’enlevait rien à la justice d’une cause et, aux yeux du jésui­te, sa mission devait continuer. Bien décidé à regagner la France, il arrive à Marseille le 28 décembre 1940 après un périple qui l’a conduit d’Istanbul à la Syrie et à Beyrouth, où il embarque sur un bateau envoyé de France. À peine débarqué, il part rendre compte de sa mission à Vichy. Très vite, il quitte la ville muni de nouveaux documents. « Étant recherché par la Gestapo en raison de ses activités en Europe cen­trale, le sergent Chaillet a reçu l’identité auxi­liaire de «Charlier Prosper », sous la­quelle il a été dé­mobilisé à Lyon ». Né dans une famille de fermiers, Pierre Chaillet a été très marqué par ses origines franc-comtoises. Chaque matin, le jeune garçon accompagnait sa mère à la messe avant de se rendre à l’école commu­nale où l’instituteur inculquait à ses élèves un patriotisme ardent, renfor­cé par l’annexion de l’Alsace-Lorraine toute proche.

Quand il entre au noviciat de la Compa­gnie de Jésus en 1923, Chaillet a déjà fait plusieurs années d’études aux séminaires de son diocèse. II est or­donné prêtre en août 1931. Au cours des années 1930, il poursuit sa formation ignacienne, à Alger comme professeur, à Lyon où il enseigne la théologie fondamentale, à l’étran­ger: Allemagne, Autriche, Europe Centrale, Rome, où il fait sa profes­sion religieuse de jésuite en 1937. II quitte Rome avec soulagement car, écrit-il, « l’atmosphère fasciste de­vient de plus en plus irrespirable » (s). Excellent germaniste, il oriente ses recherches vers l’étude de l’école de Tübingen, courant théologique nova­teur du XIX, siècle, et de son chef Jean-Adam Möehler. Jusqu’à l’en­trée en guerre, il se consacre à des travaux sur ce grand ecclésiologie allemand – articles, ouvrage, confé­rences – . Ses voyages à travers l’Eu­rope centrale et balkanique lui font prendre conscience de la séparation des Églises chrétiennes. De retour à Lyon, il rejoint les pionniers du mou­vement œcuménique. Ses nom­breux séjours en Allemagne et en Autriche le confirment dans sa prise de conscience des dangers de l’idéo­logie nazie. En 1946, il écrit: « Je connaissais dès ses débuts le nazisme, et son monstrueux défi… J’avais tenté avant la guerre par des articles et des conférences de troubler la quiétude des aveugles et des ignorants… »  De la colline de Fourvière où il a repris son enseignement, « M. Charlier » descend à Lyon en clergyman, en quête de complicités résistan­tes. La ville semble assoupie dans le pétainisme ambiant ; mais déjà se cherchent les pionniers de la dissidence. Une tâche s’impose au religieux: arracher le pays à sa torpeur, rompre les silences complices et alerter les Français sur le mortel péril qui les menace. Sa rencontre avec le capitaine Frenay l’oriente vers la presse souterraine. II donne des chroniques religieuses pour les feuilles clandestines : « Petites Ailes », puis « Vérités », sous le pseudo­nyme de Testis. Ces articles s’adres­sent «aux consciences chrétiennes pour leur montrer le vrai visage du national-socialisme ». Lorsqu’Henri Frenay et François de Menthon s’associent pour fonder le journal Combat, le jésuite se retire et, avec l’aide de Frenay, lance un premier numéro des « Cahiers du Témoignage chrétien ». Désormais cette aventure sera indépendante. Ce qui n’empê­chera par l’ex-agent du 5° bureau d’avoir des contacts discrets avec de nombreux dirigeants d’autres mouvements et des agents para­chutés d’Angleterre. Toujours secret, «M. Charlier» n’en dira mot.

C’est l’extraordinaire aventure du mouvement Témoignage chrétien qui fait du Père Chaillet ce Résistant pour lequel Michel Debré déclarait que « l’histoire de France mérite de conserver le nom, tant il a compté dans la résistance spirituelle au poison nazi ».

« Nous ne pouvons pas ne pas en parler »

De 1941 à 1944, le jésuite va mener un double combat, celui de la vérité et de la charité.

En novembre 1941, dans Lyon et la zone dite « libre », commencent à circuler à la barbe de la police, et par milliers, des brochures de 17 pages, sans nom d’auteur, au titre retentissant: « France, prends garde de perdre ton âme ». Cet opuscule, le premier des quatorze Cahiers du Témoignage chrétien que va diriger le Père Chaillet, est l’œuvre d’un jésuite parisien, le Père Gaston Fessard, rédacteur à la revue Les Études. Son confrère Pierre Chaillet, l’audacieux fondateur et chef de file du mouvement, prend le risque de publier dans l’illégalité des textes anonymes sans imprimatur. Certes, tous les journaux clandestins ont fait le même choix, mais il convient de réaliser l’audace de ces jésuites rom­pus à l’obéissance à leurs supérieurs et à l’Église, qui, dans une situation exceptionnelle où les autorités religieuses se taisaient, ont obéi à leur conscience de chrétiens et se sont appuyés sur l’Évangile et les direc­tives «doctrinales» de l’Église. Une nécessité s’imposait: « non possums non loque » (nous ne pouvons pas ne pas en parler). Dès ce premier opuscule, le nom original Cahiers du témoignage catholique est modifié en Cahiers du témoignage chrétien, car ce combat se veut œcuménique, manifeste conjoint des catholiques et des protestants. Ce premier cahier donne le ton de la lutte que va entreprendre une modeste poignée de théologiens auxquels s’associent quelques intellectuels chrétiens.

Dès le deuxième fascicule, paru en janvier 1941, Chaillet précise: « Comme Français et comme chré­tiens, nous opposons au combat de Hitler notre combat ». Face aux men­songes et aux camouflages quoti­diens de la presse, de la radio, du cinéma, face au danger des silences imposés par une censure de l’occupant, se taire serait un reniement tandis que la liberté de la plume reste entière. II importe, pour pré­server les âmes des séductions perverses de la propagande

Nazie ou pronazie, de faire œuvre indispensable de documentation et de dénoncer la Weltanschauung anti­sémite et néo païenne. De plus, refu­sant l’enfermement à l’intérieur de l’hexagone, le Témoignage chrétien révèle, hors de nos frontières, les cri­minelles exactions. Deux exemples, un cahier de 60 pages consacré à l’Alsace-Lorraine et le cahier Défi qui dévoile le martyr de la Pologne. Pour le Témoignage chrétien, il s’agit d’un duel à mort entre la croix gammée et la croix du Christ mené avec « les armes de l’esprit ». Quatorze Cahiers (de 20, 30, 60 pages) et douze Courriers français du Témoignage chrétien sortiront régulièrement jus­qu’au Courrier no 13 qui sera distribué dans les rues de la capitale la veille de la Libération. Maurice Schumann écrit alors: « Mon Père, vous avez

Été notre dix-huit juin spirituel ». Pierre Chaillet est aussi un témoin au service de la charité. Lui qui disait: « Nous sommes revenus à la loi de la jungle », a tout fait pour répondre par une charité active à l’inhumanité de la guerre en venant en aide à toutes les victimes du racisme et de la répres­sion. II s’associe à une œuvre de soli­darité initiée par l’abbé Glasberg, à caractère nettement interconfes­sionnel (catholiques, protestants, et dans les coulisses, des amis israélites) qui prend le nom d’Amitié chrétien­ne, organisme semi-officiel jusqu’à l’occupation complète de la France par les troupes allemandes. Le but: protéger et sauver tous ceux et celles, étrangers et juifs, que tra­quaient les polices de Vichy et des Allemands. Le 27 janvier 1943 au matin, le jésuite est arrêté à la permanence par des agents de la Gestapo, qui le conduisent, avec deux collaborateurs, à l’hôte Terminus, dans une salle, le dos au mur. Le Père en profite pour avaler tous les papiers compromettants et réussit à se faire passer pour un pauvre curé de campagne. II est relâché par les policiers! L’asso­ciation, devenue clandes­tine, poursuivra son œuvre d’entraide et de secours jusqu’à la Libération. Quant au jésui­te, nommé par le Comité français de Libération d’Alger à la tête du Comité des œuvres sociales de la Résistance (COSOR) en février 1944, il gérera les œuvres du comité jus­qu’à sa mort. À la Libération, il est, pour quelques semaines, secrétaire d’État auprès du ministre de la santé. À ce titre, le 1er octobre, il prononce dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, un hommage à la mé­moire des morts de la Résistance. Vite oublié, il revient sur le devant de la scène comme négociateur dans l’affaire Finally. Mais le silence se fait autour de lui. Jésuite, rebelle et fidèle, Pierre Chaillet demeure un témoin de la vérité et de la charité.