Brossolette Pierre
Auteur de la fiche : Eric Roussel
Pierre Brossolette
Pierre Brossolette restera, à jamais, comme l’un des martyrs de la Résistance. Le 22 mars 1944, après six semaines d’interrogatoire et de torture, il saute par la fenêtre du quatrième étage du siège parisien de la Gestapo, 84, avenue Foch, et se tue. Son sacrifice assure sa légende.
Eric Roussel retrace le portrait de Pierre Brossolette, martyr et légende de la résistance
Eric Roussel, à qui l’on doit de nombreuses biographies à succès (Pompidou, Mendès France, Monnet, de Gaulle…) retrace avec minutie le portrait d’un intellectuel hors pair, devenu journaliste pour peser sur le cours de l’Histoire, pacifiste convaincu (jusqu’aux désastreux accords de Munich), orateur emphatique mais capable de formules géniales (les fameux « soutiers de la gloire », c’est lui). Mobilisé, soldat égaré pendant la drôle de guerre, il retrouve Paris aux derniers jours de l’été 1940, le moral en berne. Que faire ? Agir. Brossolette a beau être un intellectuel, doté d’une culture solide et d’une plume agile, il lui faut passer à l’acte. Il devient libraire. Couverture idéale pour une activité de résistance… Il adhère d’abord au réseau du musée de l’Homme. Lorsqu’il arrive en Angleterre et qu’il rencontre le général de Gaulle, il a déjà fait la connaissance, en France, des principaux chefs de la Résistance. Il sait, donc, ce que pensent et ce que veulent ceux qui se battent sur le terrain. Il tente de l’expliquer à de Gaulle. Et, plus tard, à celui que le Général choisira pour fédérer les mouvements et qui deviendra son grand rival au sein de la France libre puis son frère jumeau dans l’ordre de la Nuit : Jean Moulin. Les pages que Roussel consacre à l' »affrontement » entre Brossolette et Moulin (« Brumaire » et « Rex »), éclairent d’une lumière passionnante les rapports entre la Résistance intérieure et la France libre. Enfin, le témoignage inédit d’un des agents de Brossolette, Roger Lebon, permet de mieux comprendre ce que furent les dernières heures du grand résistant. Brossolette, affirme Roussel, savait qu’il parlerait sous la torture – qui peut prétendre le contraire ? Il s’est défenestré pour ne pas avouer. Sur cet acte d’un héroïsme fou s’est bâtie la légende. Il se pourrait aussi, comme le suggère Stéphane Hessel, qui fut sous les ordres de Brossolette à Londres, que le héros n’ait pas cherché à se tuer mais, plus simplement, à s’enfuir. Il nous apparaîtrait alors plus humain mais non moins grand.
Les héros sont toujours incommodes. Ils ont deux qualités en apparence opposées, en fait complémentaires ; Pierre Brossolette les réunissait au plus haut point, hérissé toute sa vie, héroïque dans la mort.
Editorialiste au Populaire avec Blum, socialiste pacifiste mais antimunichois, résistant de 1940, maître de l’action clandestine, gaulliste fiévreux, théoricien inattendu, il est mort après des journées de torture avenue Foch, sans rien avouer à la Gestapo. On avait laissé une fenêtre ouverte ; tout de volonté solidaire – il avait peur de craquer alors qu’il en savait trop sur la Résistance -, il a laissé choir son corps martyrisé qui s’est fracassé sur le pavé salvateur. Son âme et sa vaillance dominent encore l’histoire de l’armée des ombres, comme un frère flamboyant et rebelle de Jean Moulin, négligé parce que ses vues politiques dérangeaient. Eric Roussel, historien accompli, biographe du Général et de Pompidou, raconte l’histoire de cet étincelant personnage de tragédie, mort comme il a vécu, en homme qui n’a jamais rien cédé.
A l’agrégation d’histoire, Pierre Brossolette, le plus brillant de sa promotion, juge que le sujet donné ne vaut rien. Convoqué pour un long exposé, il déclare avec fracas que l’affaire – une question étroite et moyenâgeuse – ne justifie pas plus de sept minutes, quand on attend une heure de discours charpenté. Il s’arrête à la seconde dite, en insolent plus érudit que ses maîtres. Le jury reconnaît son erreur, reçoit l’élève et bannit le prof auteur du sujet.
L’éclat de l’étudiant Brossolette annonce toute sa vie. Voué à la recherche ou à la politique, il choisit le journalisme. Prolixe, iconoclaste, passionné des affaires du monde, révulsé par l’injustice et la dictature, il aboutit au journal de la SFIO triomphante, celle de Blum et du Front populaire. La défaite de la France le jette dans la rébellion ; il est du réseau du musée de l’Homme, l’un des premiers, pour se tailler rapidement dans la Résistance la réputation d’un cadre efficace et d’un penseur en action. Il rejoint Londres, se lie avec le colonel Passy et les services secrets de la France libre, rencontre le Général, qui le respecte et s’en méfie. C’est que sa réflexion sur l’effondrement de la France l’a transformé ; l’admirateur de Blum croit à l’inanité des anciens partis, à l’économie dirigée et à une République que l’homme de la France libre guiderait d’une main de fer. On l’accuse de vouloir un régime autoritaire. Il est en fait plus gaulliste que le Général, finissant par embarrasser son chef par ses théories suspectes à la classe politique. Concurrent de Jean Moulin dans la course au pouvoir sur la Résistance, il veut s’imposer après la mort de l’envoyé de De Gaulle en France mais il tombe à son tour. Plein d’abnégation et de panache, il se tue pour sauver les siens. Il mériterait le Panthéon. Il est consacré par un bon livre. C’est une médaille qui en vaut bien d’autres.
Pierre Brossolette nous touche de trop près pour qu’il nous appartienne de le juger. Nous voudrions seulement souligner l’unité de sa trop courte vie. Au lendemain de la guerre de 1914-1918, après de brillantes études, sa générosité le porte vers le pacifisme qui doit permettre aux nations de restaurer leurs ruines et d’évoluer dans la liberté politique et le progrès social ; il participe avec ardeur à la propagande pour la Société des Nations qu’il voudrait viable et efficace. Puis il projette ses regards sur le vaste monde, étudie le jeu des diplomates et les réactions des peuples, les tendances politiques qui se manifestent au sein des grands Mats et les doctrines économiques qui s’affrontent. Son entrée dans le parti socialiste lui vaut de prendre une part active à la vie politique française et d’en observer de près les principaux acteurs, – lui vaut aussi de combattre pour les idées généreuses qui n’ont jamais cessé d’être les siennes et qui le portent vers le peuple, pour les réformes de structure qu’il estime indispensables à l’évolution de l’état moderne dans la paix et dans la justice, pour la suppression des groupements d’intérêts et des privilèges qui ont dégradé la moralité civique en même temps qu’ils s’opposaient au progrès social « . Enfin, dans l’attitude de l’Allemagne hitlérienne qui s’est faite dans le monde le champion du totalitarisme et du racisme, il voit tout de suite une menace pour la paix. Il dénonce les abdications successives qui conduisent la France et l’Europe au conflit de 1939. Combattant, il témoigne, parce qu’il se donne tout entier à sa tâche, des qualités du véritable chef. Résistant, il manifeste dès les jours critiques de la débâcle et de l’esclavage, sa foi inébranlable dans la victoire, sa volonté d’en être un des artisans, dût-il aller jusqu’au sacrifice suprême. La victoire, en effet, n’est-elle pas nécessaire, non seulement pour libérer le sol national, mais pour instaurer un régime de paix stable et aussi une véritable démocratie qui réaliserait enfin, dans une atmosphère de probité et de clarté, les justes aspirations populaires, celles-là même qui ont permis l’accord et fait l’unité de tous les groupements de Résistance, avant même la libération de la patrie ?
Dans ses actes comme dans ses paroles, toujours la même netteté, la même droiture, le même souffle d’énergie, –la même passion aussi : cette passion qu’il se flatte de retrouver dans les sociétés, en opposition au besoin avec leurs intérêts matériels, aux époques critiques de leur histoire – une passion qui chez lui tantôt se dissimule sous la froideur ou l’ironie, tantôt éclate au grand jour en paroles parfois cinglantes, parfois émouvantes, toujours énergiques et en actes toujours raisonnés et, s’il le faut, héroïques : la passion de la liberté, de la justice, de la vérité, – la passion aussi de la France.
C’est sur cette unité de la vie de Pierre Brossolette que M. Pleven alors Ministre des Finances, qui fut son ami durant 22 ans, a insisté dans l’allocution émouvante qu’il a prononcée à la Sorbonne lors de la manifestation commémorative du 22 Mars 1945. » Sa vie, s’écria-t-il, fut celle d’un homme qui avait toujours voulu vivre comme il pensait… Je n’ai jamais connu Brossolette acceptant un compromis avec ce qu’il croyait juste ou vrai. C’était un caractère sans petits côtés, sans mesquinerie ; aucune préoccupation de carrière, d’intérêt n’a jamais obscurci son jugement, ne l’a jamais fait dévier de ce qu’il croyait la bonne voie… Jamais je n’ai connu Brossolette découragé ; en revanche, je l’ai toujours vu prêt à se dresser, à lutter contre les hypocrisies, contre les illusions, contre les mensonges. Pendant cette grande et longue épreuve de la France, beaucoup d’hommes auront, comme lui, combattu, souffert et délibérément donné leur vie. Mais il y en a fort peu, je pense, dont on pourra dire avec autant de vérité, qu’il fut uniformément, continûment, depuis l’âge d’homme jusqu’à sa fin, intransigeant avec lui-même, un modèle de rectitude et de loyauté. J’ai dit que Brossolette avait vécu comme il croyait ; c’est le deuil de la France que, pour sa délivrance, il ait fallu qu’il meure comme il avait vécu et comme il avait cru « .
Le nom de Pierre Brossolette donné à de nombreuses rues de Paris, de banlieue et de villes de province ainsi qu’à la cour d’honneur du Lycée Janson de Sailly dont il fut l’élève et au Centre National de la Radiodiffusion française à laquelle il appartint, – rappellera aux générations à venir l’exemple d’un intellectuel qui honora la pensée française, d’un journaliste laborieux et ardent, d’un historien qui préféra faire l’histoire plutôt que de l’écrire, d’un homme politique avide de liberté et de justice, d’un de ces » soutiers de la Gloire » à qui la France éternelle doit d’être redevenue indépendante, d’avoir retrouvé son âme et de pouvoir marcher vers de nouveaux destins…
C’est grâce à de tels hommes et à leur sacrifice que, selon les paroles du général de Gaulle, la Résistance française est et doit rester non seulement une force de guerre » mais un élément essentiel du Renouvellement de la Patrie dans la Paix « .