BOUCHARD Philippe Maurice

Auteur de la fiche : Dominique MORIN

Philippe Maurice BOUCHARD


Né le 7 mars 1916 à Nantes, de son vrai nom de baptême Philippe Maurice Marie Bouchard et décédé dans le « train de la mort » le 12 avril 1945 à Nürschan en République tchèque, assassiné par les SS.  Le 6 novembre 1936, il est engagé volontaire sous le prénom de Philippe dans le 27régiment d’infanterie en tant que sergent-chef. Il est fait prisonnier à Desvres (en Artois) le 23 mai 1940.

En Allemagne, il est emprisonné avec Raymond Louveau. Philippe Maurice Bouchard est secrétaire –trésorier de l’œuvre d’Assistance des prisonniers de guerre. En juillet 1943, il avait déjà expédié environ deux millions de francs en France.

Maurice Bouchard 2

Les activités interdites sont liées au scoutisme. Raymond Louveau met sur pied une organisation scout avec d’anciens scouts et en forme de nouveaux, avec J. Préhu, R. Boitier, R. Défossez… Philippe Maurice Bouchard entre dans le scoutisme en lien avec un groupe de scouts de Cologne.

En application du décret nazi du 3/12/43 contre l’action catholique française parmi les Travailleurs français en Allemagne nazie, ils sont arrêtés le 22 août 1944 au kommando de Hardthöle du Stalag VI G par la Staatspolizei de Cologne, alors qu’ils sont prisonniers de guerre. Les interrogatoires à la prison de Brauweiler montrent que la Gestapo est furieuse que le scoutisme ait été favorisé par l’autorité militaire. L’action catholique clandestine est jugée propagande anti-nazie. Le P. Eloi Leclerc, franciscain rescapé de Buchenwald et du « train de la mort » vers Dachau explique :  » Nos réunions et nos rencontres n’avaient d’autre objectif que d’aider nos frères du STO à rester chrétiens… Et c’est uniquement sur ces réunions et rencontres qu’ont porté, à ma connaissance, les interrogatoires de la Gestapo ».

Ils sont déportés le 17 septembre 1944 à Buchenwald, Philippe Maurice Bouchard, n°81902 ; R. Louveau, n° 81808 ; transférés au kommando de Langensalza le 12 novembre.

Tous deux décèdent le 12 avril 1945, fusillés lors d’un « convoi de la mort » vers Dachau, par suite d’une révolte dans le wagon.


Découvrez le témoignage de Jacques CHEVIGNARD de Nuits-St-Georges, déporté rescapé de ce convoi « C » (connu sous le nom « Le train de la mort » parti de BUCHENWALD le 7 avril 1945 pour arriver à DACHAU le 28 avril) et d’André LAVIALE, compagnon de captivité au stalag VI/G

Philippe Maurice BOUCHARD, engagé volontaire le 6 novembre 1936 au 27e régiment d’infanterie de Dijon en tant que sergent-chef est fait prisonnier à l’âge de 24 ans, le 29 mai 1940 à Desvres dans le Pas de Calais. Il fut envoyé au stalag VI/G (région de Cologne) en Rhénanie avec 23 compagnons de son régiment. En tant que prisonnier de guerre il s’occupait des convalescents et était l’intermédiaire avec les autorités allemandes, françaises et son groupe.

En dehors de son travail il s’occupait du centre d’accueil et d’assistance des nouveaux arrivants et avait créé des occupations pour les prisonniers, soient intellectuelles, soient théâtrales, soient charitables avec un groupe d’action catholique et des offices religieux célébrés de façon clandestine ainsi que l’organisation d’évasions. Secrétaire–trésorier de l’œuvre d’Assistance des prisonniers de guerre, en juillet 1943, il avait déjà expédié environ deux millions de francs en France.

Un de ses compagnons de captivité, Raymond Louveau met sur pied une organisation scoute avec d’anciens scouts routiers et en forme de nouveaux, Philippe Maurice Bouchard entre dans le scoutisme et se met en lien avec un groupe de scouts routiers de Cologne. Après quatre ans de captivité, c’est là que la Gestapo, en application du décret nazi du 3 décembre 1943 contre l’action catholique française parmi les Travailleurs français en Allemagne nazie, arrête le 14 juillet 1944 tout d’abord le groupe de scouts routiers de Cologne qui s’occupaient d’évasions et avec qui il était en liaison, trois noms ne tardèrent pas d’être connus des tortionnaires, (Bouchard, Louveau, Laviale).

Ils furent arrêtés le mardi 22 août 1944 à 6h ½ du matin. Regroupés dans la prison de Brauweiler à 10km de Cologne, ils furent interrogés et après huit semaines dans ce camp de discipline, condamnés pour « propagande anti-nazie, organisation de groupes clandestins, organisation d’évasions. « Vous agissez dans le sens de « Mit brennender Sorge », dirigée contre le nazisme avec l’Eglise catholique » ». Le 13 septembre, suite à l’avance des troupes américaines sur Aix-la-Chapelle, la prison est évacuée et tous les prisonniers envoyés dans le camp de passage de Dentz près de Cologne. Ils en repartirent le 15 au soir pour rejoindre le 17 septembre le camp de concentration de BUCHENWALD. Il y retrouve dans son équipe Raymond Louveau, ami intime du stalag avec qui il ne devait plus se séparer jusque dans la mort.

Dépouillés de tout, habillés de rayés, numérotés, jetés dans des tentes en quarantaine, empilés dans des baraques en bois, corvéables à merci. Après deux mois, le 12 novembre 1944, il est envoyé dans un Kommando de 4 à 600 détenus à l’usine souterraine fabricant des ailes d’avion à LANGENSALZA, près d’Halberstadt, à 60 km de Buchenwald. Seize à dix-huit heures debout dont douze heures de travail, une demi-heure d’arrêt pour se nourrir avec 250gr de pain par jour et un peu de margarine. D’après un compagnon rescapé, le Père Fourmentaux, « on lui vola un jour ses lunettes, il en fut bien malheureux, mais ce nouvel handicap lui valu un travail moins pénible à l’usine ».

Devant l’avancée américaine, les nazis décident le 25 mars l’évacuation et font replier à pieds le jour de Pâques, 1er avril, 1200 de ces détenus jusqu’à BUCHENWALD, puis le 7 avril 1945 ils décidèrent d’évacuer discrètement plus de 5.000 prisonniers du camp qui en compte plus de 40.000 pour le camp de FLOSSENBÜRG et leur firent parcourir 9 km de Buchenwald jusqu’à la gare, près de Weimar, certains prisonniers qui venaient déjà d’arriver la veille à pied de Ohrdruf distant de 90km de Buchenwald, étaient complètement épuisés, les éclopés qui s’affaissaient furent achevés sur place.

Philippe Maurice BOUCHARD se retrouve dans un wagon à bestiaux de 90 à 100 détenus avec une douzaine de ses camarades. Ce « train de la mort » de cinquante quatre wagons couverts et découverts, dont le premier était un wagon de passagers où se trouvait le commandant du convoi – l’Obersturmführer Hans Erich Mehrbach – avec dix gradés, était tracté par deux locomotives. Le train s’ébranle à 20h le samedi 7 avril 1945. Suite aux hésitations des S.S face à des ordres de Berlin inexécutables afin de ne pas encombrer les voies de repli des troupes pour échapper aux avancées des américains et aux bombardements, Mehrbach ayant été informé en cours de route que les américains approchaient du camp de Flossenbürg et que celui-ci allait aussi être évacué, déroute le train sur Dachau. Celui-ci erre à travers la Bavière et le territoire tchèque durant vingt-et-un jours en totalisant 1300km, la distance normale entre Buchenwald et Dachau étant de 480 km par voie ferrée !

Entassés dans les wagons ne disposant que 16m2, 5m2 étaient réservés aux deux gardiens, impossible de s’allonger la nuit avec un détenu accroupi entre les jambes. Au départ Mehrbach avait prévu que trois jours de rations par détenus avec : une poignée de pommes de terre bouillies, 300 grammes de pain, 25 grammes de saucisse, sans aucune eau. Le 9 avril, arrivé à Dresde il n’y avait plus de nourriture. Le 11 avril en gare de Pilsen, un groupe de femmes bouscule les SS pour apporter du pain, de l’eau et de la soupe à certains wagons, elles se font tirer dessus à coup de mitrailleuse. Un cheminot témoignera au procès pour dire qu’à un aiguillage il entendit des cris et coup de feu dans un wagon, puis un silence total et quand le train repartit une marre de sang se trouvait à la place du wagon. Tous les deux jours les morts étaient évacués des wagons et entassés dans les quatre derniers wagons de queue qui servaient de morgue, les wagons étant recomplétés à chaque fois de cent prisonniers. Les villageois par pitié arrosaient des ponts les wagons pour leur donner à boire.

Le 12 avril 1945, à Nürschan, en territoire tchèque après Pilsen, complètement déshydratés, atteints pour la plupart de dysenterie et certain du typhus, au bord de la folie, dans le wagon où se trouvait Philippe Maurice BOUCHARD, un déporté polonais affamé se jette sur une sentinelle S.S. pour lui prendre son casse-croûte, en représailles les gardiens abattent à bout portant la plupart des occupants dont Philippe et son ami intime de stalag Raymond Louveau. À la halte suivante de Stod du 13 au 15 avril les corps sont évacués pour rejoindre dans les wagons de queue les autres cadavres qui seront brûlés sur un bûcher ou jetés dans un charnier à Nammering. Le 19 avril, le convoi qui comportait encore ses 54 wagons stationna 5 jours à Nammering, sans eau ni nourriture, 794 prisonniers périrent sur place soit de faim, soit battus à mort soit assassinés par les SS. Le chef de la gare de Nammering, Heinrich Klössinger, témoigna pour le procès ; Ce même jour d’arrivée, « 45 prisonniers dans un wagon ont été abattus la nuit.

Le lendemain matin, le sang coulait encore à travers le fond de la voiture. Les corps ont été jetés le jour suivant à 6h du matin hors de la voiture; le seul blessé qui restait fut tué avec une crosse de fusil. Jour et nuit, le massacre a continué, Merbach regardait ces meurtres sans rien dire »…. « Merbach donna l’ordre dans une carrière voisine de brûler 270 cadavres en utilisant des prisonniers battus et poussés à coup de crosse pour alimenter en bois le bûcher, deux prisonniers qui étaient chargés de sortir les corps des wagons mais qui n’allaient pas assez vite ont été immédiatement abattus et deux autres sont venus à leur place. Tous les prisonniers utilisés pour cette besogne furent exécuter et leurs corps brûlés par la suite sur ce même bûcher. »… « le nombre de morts était si important que l’Obersturmführer Merbach a ordonné de creuser une tombe dans un champ voisin avec 25 hommes. De là, on pouvait toujours entendre des coups et il est à supposer que chaque coup était pour abattre un homme qui creusait. Deux wagons remplis de cadavres ont été poussés par des prisonniers au niveau de la fosse et les corps (524 -ndrl) jetés ensuite sur 20 mètres en haut du remblai. »

Lors de l’escale à Munich le 27 avril à 22h, les cadavres restant entassés dans les wagons de queue furent brulés sur un nouveau bûcher. Le train arriva à 1 heure du matin le 28 avril au camp de concentration à DACHAU avec trente neuf wagons emplis de cadavres que les nazis laissèrent sur les voies et qui furent découverts par les soldats américains le lendemain matin 29 avril lors de la libération du camp. Sur 5009 prisonniers de toutes nationalités, 2310 arrivèrent à Dachau, seuls 816 arrivèrent vivants dont la moitié mourut encore les jours suivants de typhus. Les soldats qui passèrent par Dachau ne manquèrent pas de venir constater par eux-mêmes ce que certains ne voulaient croire. Le spectacle choquant les combattants les plus aguerris. Après l’arrivée des Américains à Nammering, le charnier fut découvert seulement après 3 semaines. Chaque corps a été aligné sur une prairie et fouillés pour retrouver leurs identités, ensuite toute la population de Nammering a été obligée de passer devant les morts. Ceux-ci ont été inhumés dans des cercueils qui ont ensuite été enterrés dans cinq cimetières créés sur le lieu.

En 1958, les cercueils de trois cimetières ont été exhumés pour être de nouveau enterrés à Flossenbürg. Il ne subsiste sur le lieu aujourd’hui que 171 corps qui n’ont pu être identifiés, et 39 sont enterrés dans le cimetière. Une croix porte le nom de BOUCHARD PHILIPPE, Déporté politique, Mort pour la France, 12-4-1945, Camp de Flossenbürg qui devait être la destination initiale de ce convoi. Le frère de Philippe Maurice BOUCHARD, le général Xavier BOUCHARD, officier en Afrique en 1945, a fait le nécessaire pour qu’une croix porte aussi son nom sur le territoire français au camp du Natzweiler-Struthof en Alsace, tombe individuelle carré H Rang 3 N°50. Le « train de la mort » de Dachau devient l’un des symboles de la barbarie nazie qui est immortalisée à jamais par des photographes américains qui prirent des clichés pour témoigner de l’horreur de la découverte. Des civils des environs de Dachau dont des jeunes allemands furent obligés de venir voir le train avant que les cadavres ne soient enlevés et inhumés.

philippe-bouchard

Le commandant du train, Hans Erich Mehrbach, fut jugé par le tribunal militaire américain à Dachau, condamné le 14 août 1947 à la mort par pendaison et exécuté le 14 janvier 1949 à l’âge de 39 ans.