MOREL Raymond "Gaspard"

Auteur de la fiche : Renée Wathier

MOREL Raymond

Né à COULOMMIERS, 1 rue Valentin le 10 juillet 1908, il devient « Pupille de la Nation », son père ayant été tué au front en 1918.

Élevé par sa mère, employée des P.T.T, il obtient le Certificat d’Etudes Primaires (mention Bien) en juillet 1920, puis le brevet d’Enseignement Primaire Supérieur (section commerciale) en juillet 1924 (1). Dans les années qui suivent, il compléta ses connaissances par un diplôme de sténographie et une capacité en droit.

A partir de cette date et jusqu’en 1928, où il part au service militaire, il travaille comme employé de commerce chez son oncle, garagiste 4bis rue d’Orcel à PARIS. Affecté le 10 novembre 1928, il est incorporé au 152ème Régiment d’infanterie à COLMAR, et devient en 1929 « caporal-musicien ». Devenu caporal-chef, il est « renvoyé dans ses foyers » le 28 mars 1930, et reprend son travail chez son oncle, dont les ateliers entre-temps ont été déplacés à FRANCONVILLE, 10 rue du docteur Roux ; c’est là qu’il habite d’abord rue Marinette, puis après son mariage, le 13 septembre 1930 avec Andrée GORSMANGE, fille d’un artisan et conseiller municipal de cette ville de Seine et Oise, 88 rue de Paris, chez ses beaux-parents.

Du mariage sont nés deux enfants, le 27 mai 1932 et le 14 mars 1940…

En mars 1937, il demande à subir les épreuves de l’examen d’inspecteur stagiaire de la Sureté Nationale.

Dans l’enquête préliminaire habituelle, le Commissaire Divisionnaire DEMARTINI signale qu’il parle l’anglais couramment, qu’il est républicain (« …ne s’occupe pas de politique… » (sic), a une bonne éducation, qu’il est discipliné, et qu’en matière d’initiative il est « …susceptible d’en faire preuve le cas échéant… ». A la rubrique « Est-ce un sujet d’avenir ? », il a répondu « susceptible de devenir un bon élément… » (2)

Cet « avenir » sera interrompu le 2 février 1944 « …à BUCHENWALD où il est décédé à la suite de mauvais traitements… » (3) : il avait 36 ans.

Déroulement de sa carrière

  • Inspecteur de police :

Reçu à l’examen d’inspecteur, il est recruté le 11 août 1937, et affecté au Commissariat central de LAON (Aisne) qu’il quitte dés le 11 octobre pour le contrôle général des services de police criminelle à PARIS.

C’est dans ce service dirigé par Antoine MONDANEL (4) qu’il est titularisé un an plus tard, ayant d’après celui-ci « …fait preuve d’intelligence et d’activité dans cette branche… » ; il reste en fonction jusqu’en février 1941, mais non plus à Paris évidemment, à Vichy à partir de septembre 1940.

En juin 1941, il sollicite l’autorisation de se présenter au concours d’admission à l’Ecole Supérieur de Police de SAINT-CYR au MONT- d’OR. Il est reçu et obtient la note de 12/20 à la dissertation proposée « L’expansion coloniale française » dont le correcteur juge qu’il y a « …quelques bonnes idées…notamment en ce qui concerne l’œuvre colonisatrice de la France… » (5) et 14/20 au thème anglais.

  • Commissaire de police

Affecté provisoirement à LYON comme commissaire de 3ème classe, 3ème échelon, il est mis à la disposition du Préfet de Seine-et-Marne, à compter du 16 février 1942 et nommé à MELUN. Il semble avoir exercé ses fonctions à BRIE-COMTE-ROBERT ainsi qu’il est indiqué dans un arrêté de promotion à la 2ème classe « Fait à Vichy le 24 juin 1944 »

  • Résistant

Or, il a été déjà arrêté le 28 août 1943 par la Gestapo de Paris, transféré à son siège du 84 avenue Foch et déporté en Allemagne (6).

Déjà lorsqu’il était inspecteur en zone non occupée, il avait fait l’objet d’un certain nombre de reproches apparaissant dans ses bulletins de notation (et ceci en contradiction avec les rapports élogieux de ceux qui les avaient précédés avant-guerre).

En outre, un rapport copieux établi lors d’un contrôle à la ligne de démarcation le 1er mars 1941, où l’inspecteur Morel porta assistance à deux femmes employées des P.T.T à Vichy, mutées en zone occupée, montre que s’il n’est peut-être pas engagé officiellement dans la résistance, il n’hésite pas à « contourner » les « lois » du gouvernement français aux ordres des Allemands. L’inspecteur Général des services de Police criminelle, chargé de l’affaire adresse de sévères observations à l’intéressé, mais juge qu’elle « n’est susceptible d’aucun autre suite… » Le signataire de la note est M. Mondanel, ancien chef de l’inspecteur Morel. (7)

Lorsqu’il est arrêté le 28 août 1943 par la police allemande, l’Intendant de police de Seine-et-Marne s’étant enquis des raisons de l’arrestation, reçoit une réponse du commandant de la Police de Sûreté KNOCHEN accusant Morel et le gendarme Louis BOCQUET arrêté en même temps que lui et qui seraient « …affiliés en qualité de membres au Groupe « La Libération » à BRIE-COMTE-ROBERT d’avoir organisé un parachutage d’armes dans la région de FLEROLLE. De plus, le commissaire Morel est coupable d’avoir aidé et laissé échapper un travailleur réfractaire (8).

Le 12 novembre 1945, le Secrétaire Général pour la Police de VERSAILLES produit une notice de renseignements sur Raymond Morel. Il y est dit qu’il appartenait au réseau « COHORS-ASTURIES » sous le pseudonyme « GASPARD ». Arrêté par la Gestapo et accusé d’« aide à puissance étrangère » il est déporté à BUCHENWALD et y meurt le 2 février 1944 (9).


Notes :

(1) A noter qu’il est mentionné sur son diplôme toutes les matières qui étaient enseignées et soumises à des examens ; outre celles qui sont dites « enseignement général », l’instruction civique, le chant, le dessin, la gymnastique, celles-ci étaient accompagnées de « morale » et « calligraphie »

(2) Rapport de la Direction de Sûreté Générale (1er bureau) en date du 6 avril 1937

(3) Notice de renseignements en date du 12 novembre 1945 (Direction de l’Administration et des Affaires Générales du Ministère de l’Intérieur)

(4) Antoine MONDANEL est une personnalité de premier plan dans la police de la IIIème République. Jeune policier dans le Pas de Calais (il est né en 1890) il a connu l’occupation allemande dans ce département d’où il a été expulsé en 1915. En 1934, chargé de l’enquête sur l’assassinat par les « oustachis » CROATES, du ROI ALEXANDRE Ier de YOUGOSLAVIE à MARSEILLE, il fit preuve d’une habileté et d’une efficacité remarqués. Contrôleur général en 1934, Inspecteur général en 1937, il est menacé de révocation après la défaite de 1940, mais ses capacités sont si reconnues que le gouvernement de Vichy hésite, et en 1942 le nomme comme Directeur des services actifs de police. Or, il est entré dans la Résistance (services homologués dès le 1er janvier 1941) il est arrêté par la Gestapo le 24 décembre 1943, et déporté à BUCHENWALD puis à PLANSEE (Autriche). Plusieurs policiers ont témoigné que leur décision d’entrer dans la Résistance avait été prise lorsqu’ils avaient appris l’engagement personnel de M. Mondanel.

(5) L’introduction de cette dissertation mérite qu’on la cite, en raison de son caractère prémonitoire pour l’époque (1941) :

« Au lendemain d’une défaite d’où la France sort meurtrie, chaque Français peut puiser la certitude du relèvement de notre pays dans l’attachement profond témoigné à la Patrie blessée par les ressortissants de son Empire. Cet attachement, la France en a eu déjà de touchants témoignages au cours d’autres heures douloureuses. Loyalisme de l’Algérie au lendemain de la guerre de 1870, sacrifices consentis par l’Empire, au cours de la guerre 1914-1918. Cette solidarité des colonies avec la métropole c’est au génie colonisateur de ses bâtisseurs d’Empire que la France le doit ; les conquérants ont du se faire administrateurs, ingénieurs, éducateurs…elle/ la France / a créé des routes, des ports, des voies ferrées… Tout cela explique la douleur ressentie au Maroc par la mort d’un Lyautey, par exemple ; cela explique le souvenir qu’il y a laissé, cela explique que les nations rivales rendent hommage aux méthodes colonisatrices françaises… »

On voudrait croire que, « du fond de l’abîme » où il a vécu ses derniers mois, il aura pu savoir que l’Armée d’Afrique reconstituée a remporté des victoires éclatantes en Tunisie et en Italie.

(6) Dans la même période, deux autres commissaires de polices de Seine-et-Marne sont arrêtés, les commissaires GILLOT, le 3 septembre à PROVINS et CALAS, le 16 septembre à FONTAINEBLEAU. Seul le commissaire GILLOT survivra ; le commissaire Calas, déporté aux camps de BUCHENWALD et FLOSSENBURG est mort au cours d’une « marche de la mort ».

(7) Lorsqu’il s’agit de rapports établis au cours de la période de la Résistance, il faut savoir « lire entre les lignes » ; dans le cas présent, il est hautement vraisemblable que ce n’est pas seulement par bienveillance ou «sympathie» masculine que l’inspecteur Morel aide ces postières qui ne possédaient pas toutes les pièces nécessaires à leur passage en zone occupée.

(8) Traduction de la lettre en allemand n°III Pol.I125/2 du 28 octobre 1943

(9) L’acte de transcription de décès (note sur l’extrait de naissance délivré par la mairie de COULOMMIERS) porte la date du 3 février.

(10) Image : Plaque funéraire posée sur la sépulture de Raymond Morel au cimetière de FRanconville (Val d’Oise). Source : © Geneanet Droits réservés