Stoll Martin

Auteur de la fiche : Le fils de Martin Stoll

Martin Stoll

Mon père, né le 7 septembre 1913, était en 39, comme tous les Français ayant à l’époque fait des études supérieures (il était prof de latin), a fait ses classes à St Cyr, et a été incorporé en 39 avant de faire la campagne en Lorraine comme officier 40.

Replié avec son régiment à Clermont-Ferrand (la fameuse « retraite élastique »), il y a été démobilisé et a refusé (ils étaient deux dans ce cas sur le front des troupes) la médaille de cette campagne en arguant qu’il n’en était pas fier…

Il a demandé à ses supérieurs s’il fallait qu’il reste en « France » ou s’il devait rentrer en Alsace « annexée de fait ». Il lui a été répondu qu’il devait rentrer en Alsace afin d’entretenir la flamme patriotique. Ce qu’il a fait.

Rentré en Alsace, il n’a pas désiré continuer à être prof sous les Allemands, et est allé s’occuper des vignes familiales avec son père, à Kaysersberg, village où mes ancêtres venus de Suisse alémanique se sont installés comme viticulteurs dans la première partie du 18 ème siècle.

Les Allemands sont allés le chercher un jour dans ces vignes, et l’on obligé à retourner dans l’enseignement, mais dans le cadre de l’Umschuhlung, un système consistant à envoyer les enseignants alsaciens en pays de Bade ou ailleurs en Allemagne, et à les remplacer sur place par des enseignants venus d’Allemagne. Il s’est donc retrouvé prof à Karlsruhe.

Fin 43, les Allemands, ayant besoin d’encadrement dans leurs armées, ont décidé de faire appel aux Alsaciens officiers de réserve de l’ex armée française, environ 900 personnes dans ce cas. Les Allemands voulaient jusque là donner l’impression qu’ils respectaient les Conventions de Genève, qui indiquent que le vainqueur d’un conflit ne peut obliger les officiers de l’armée vaincue à servir dans les rangs de son armée. ce qui n’est pas le cas pour les hommes du rang, les « Incorporés de force » Alsaciens.

Les Allemands ont alors procédé à un test en convoquant une cinquantaine d’officiers de réserve Alsaciens. Mon père en était.

Ils leur ont proposé de prendre l’uniforme allemand, avec égalité de grade.

Quelques-uns ont accepté, mais 42 d’entre eux ont refusé. Il y avait parmi eux des juriste et des intellectuels de toutes sortes, tous susceptibles de se défendre avec des arguments « technico-juridiques » fondés sur la Convention de Genève, au respect de laquelle  les Allemands étaient encore sensibles vis à vis de la communauté internationale.

Les Allemands leur ont alors proposé de s’engager volontairement dans les SS, formation qui avaient certes des régiments au combat, mais qui n’était pas à proprement parler l’armée allemande.

Ils ont également refusé, et ont alors été déclarés Nacht un Nebel sur ordre personnel de Hitler, et déportés au camp de  Neuengamme, près de Hambourg.

Seuls 20 d’entre eux en sont revenus en 45, et mon père, libéré par les Américains en mai 45, considérait que si la guerre avait encore duré un ou deux mois, aucun d’eux ne serait revenu. Lui-même était très affaibli à son retour. Son matricule étai 42198. Avec le triangle rouge frappé d’un « F ».

Du fait de cet acte de résistance, les Allemands ont renoncé à faire appel aux autres classes d’officiers de réserve Alsaciens afin de les incorporer dans l’armée allemande. Le sacrifice de ces 42 a ainsi sauvé la vie de près de 800 autres officiers de réserve.

Ma mère, née en 1920, alors mère de deux enfants (3 ans et 1 an), a été poursuivie par laGestapo afin de tenter de faire ainsi pression sur la décision de son mari de rejoindre l’armée allemande. Avertie par la résistance alsacienne, elle s’est cachée avec ses enfants chez un paysan aux Basses-Huttes, dans le Val d’Orbey, ses parents « payant » le prix de ce refuge avec des bouteilles de vin.

Revenue en décembre 44 à Kaysersberg, elle a dû fuir à nouveau très vite lors de « l’offensive des Ardennes », qui avait pris la forme en Alsace centrale d’une offensive des Allemands vers les Vosges, et notamment la vallée de Kaysersberg, à partir de la « poche de Colmar », avec de durs combats ayant entraînés de gros dégâts, en particulier la destruction de la maison de mes grands-parents maternels. Là-encore, la résistance alsacienne lui a conseillé de reprendre la fuite, cette fois en Lorraine, d’où elle est revenue en mars 45.

Après la guerre, mon père a repris ses fonctions de professeur à Colmar, puis est entré dans l’administration de Lycée, passant dans divers établissement avec ses 6 enfants (je suis le 4 ème de la bande). Il a ainsi été notamment censeur à Fustel de 1962 à 1969, et a terminé proviseur du Lycée Bartholdi à Colmar, établissement où il avait été prof dans l’immédiat après-guerre. A sa retraite, mes parents se sont retirés à Kaysersberg. Mon père est décédé en 1997.

De toute mon enfance, je ne suis jamais allé dans la proche Allemagne, mon père refusant d’y remettre les pieds.

Et, fait troublant pour un enfant dans les années 50 et 60, le rôle de ces 42 apparaissait dans notre environnement comme en quelque sorte « honteux », et en tous cas gênant, tant il n’y en avait que pour les « Malgré nous ». De ce fait, nous n’en parlions pas à l’extérieur de la famille. Notre « discours » sur ce point aurait en effet été mal perçu. Etonnant, non ? Les 20 rescapés se réunissaient régulièrement, avec les veuves et les orphelins des disparus. Et j’ai connu ces orphelins, avec qui nous jouions.

A la retraite, mon père a décidé d’écrire l’histoire de ces 42.

Il a récolté les souvenirs de ses compagnons encore vivants et a rédigé un ouvrage, « Nous étions 42 », tiré aux frais des survivants à 300 ex, 185 pages, sorti en 1987.

Nous, les enfants et les petits-enfants de certains de ces 42, allons certainement le rééditer dans les prochains temps, à nos propres frais très certainement car je ne pense pas que cela va plus intéresser aujourd’hui un éditeur qu’à l’époque, avec en plus une préface de mon fils Mathieu, historien et aujourd’hui parisien, ancien élève de l’Ecole des Chartes, docteur en histoire, conservateur en chef au service interministériel des Archives de France.

(à propos, mon fils vient de publier, avec son camarade Sarmant, chez Tallandier, un ouvrage historique intitulé « Le grand Colbert ». Cette période du règne de Louis XIV est sa spécialité. Si cela t’intéresse… Il s’agit de la mise en place de l’organisation de notre économie nationale, dont nous supportons toujours et encore le centralisme… Un autre ouvrage rédigé par les deux même auteurs paru en 2010 chez Perrin intitulé « Régner et gouverner, Louis XIV et ses ministres », est à présent ressorti en juin en « poche », chez Tempus. La thèse de mon fils portait sur Le Pelletier, ministre ayant pris la succession de Colbert, mais sans le génie de son prédécesseur, de sorte qu’il avait été jusqu’aux recherches de mon fils passablement ignoré par les historiens).

Mon père, décédé en 1997, Déporté résistant, était Officier de la légion d’honneur à titre militaire, Croix de guerre avec palme, et Commandeur dans l’ordre des Palmes académiques. Ma mère, décédée en 2005, qui a résisté à sa façon, n’a été honorée d’aucune façon.