Simard Marthe

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Marthe Simard

 C’est en Algérie, en 1901, sur cette terre ensoleillée où s’étaient établis ses arrière-grands-parents, que s’ouvre le livre de vie de Marthe Simard. Née Caillaud, fille d’un éminent magistrat, mariée à dix-neuf ans à Socrate Bastenti, mère d’une petite Yahne et bientôt veuve. Elle vient s’installer à Québec en 1932 où elle a suivi son second époux, le docteur André Simard.

Ce dernier, petit-fils de l’ancien premier ministre du Québec Félix-Gabriel Marchand, a tôt fait de l’introduire dans la haute société québequoise dont Marthe devait connaître bientôt tous les rouages, ce qui lui permettra, le temps venu, huit ans plus tard d’y trouver quelques cheminements bienvenus lorsqu’elle appela aux soutiens pour les combattants de la Résistance.

Car le lien que Marthe et André nouent avec le monde ne se résume pas à une anecdote privée. Jamais ils n’ont vécu, dans une bulle étanche, soustraits aux ouragans de l’Histoire. Jamais, pour Marthe, la « réalité » de la France – malgré la distance – n’a perdu de son épaisseur sensible. Jamais l’obligation envers la patrie n’a cessé d’être une évidence. La France est une idée nécessaire au monde.

Aussi, suit-elle d’un œil inquiet le défi que partout en Europe le totalitarisme adresse à ses frontières. Des rodomontades d’un Mussolini à l’accession d’Hitler à la chancellerie, de la Guerre d’Espagne aux Accords de Munich, il n’est pas douteux que l’époque frémit du « ré-ensauvagement » du monde et vire à orage. La déclaration de guerre trouve une Marthe Simard d’emblée mobilisée, créant L’Entraide aux combattants de langue française afin d’apporter tout le soutien nécessaire aux soldats du front. Mais en guise de front, septembre 39 inaugure « la drôle de guerre » ; une montée de l’orage qui durera neuf mois, comme l’a si bien dit Julien Gracq : « un orage si intolérablement lent à crever, tellement pesant que les cervelles s’hébètent et qu’on pressent qu’une telle nuée ne pourra plus se résoudre qu’en pluie de sang. » Ce sera mai 40, et en quelques semaines, l’enfoncement des lignes par les Ardennes, Anglais et Français bientôt repoussés à la mer … Alors tout plie, tout recule, tout se débande, avec Paris livré le 14 juin.

 A Québec, c’est dans une atmosphère de mauvais rêves que Marthe Simard et son époux, suspendus à l’écoute de la radio, suivent l’avance foudroyante des armées allemandes. Avec stupeur qu’ils entendent l’appel du maréchal Pétain à cesser le combat. Ils jugent avec la dernière sévérité cette demande d’un armistice, lors même que quelques-unes de nos troupes se battent encore au contact avec l’ennemi. Ils regardent comme une faute que le vainqueur de Verdun – sachant l’empire de son prestige et le poids de sa parole – ait si tôt désespéré de la cause de la France, déclaré cette cause perdue et appelé alors à l’arrêt de toute résistance à l’envahisseur.

Car Marthe Simard ne saurait admettre que le destin de la France tînt désormais tout entier dans celui d’une nation subordonnée, résignée Et lorsque au milieu de ce désarroi sans bornes, un micro de la B.B.C. diffuse – à plusieurs reprises – un message stupéfiant, lancé par une voix inconnue, que cette voix dénonce comme nul et non avenu le pacte qui dispose de la France sans son consentement et appelle tous les Français, de France et hors de France à poursuivre la lutte, comment pourrait-elle rester indifférente ?

 Cette convocation à la résistance, cet appel du 18 juin 40 – dont nous célébrions l’an passé le 70e anniversaire – est de ceux qui orientent une vie. Il va bouleverser l’existence de Marthe Simard.

Elle partage avec son mari la conviction que « rien n’est fini » et répond à sa façon à l’appel du Général de Gaulle.

Intelligente, extrêmement dynamique, elle devance par sa réaction immédiate les recommandations au peuple du premier numéro clandestin de Résistance, comité national de salut public en France : « Résister c’est déjà garder son cœur et son cerveau, mais c’est surtout agir ».

Alors, engagée de la première heure dans la Résistance extérieure, Marthe Simard fonde ainsi le premier Comité de la France Libre du Québec et se propose d’y fédérer les soutiens au combat inspiré par le général de Gaulle. Mais, si la volonté a beau jeu dans les premiers moments qu’elle exerce, Marthe Simard n’ignore rien des difficultés qui l’attendent ; elle sait les profondes méfiances du Québec et du Canada envers la France Libre. « Nulle part la compétition franco-française n’aura été plus âpre que sur cette terre francophone. »2

 Très révélateur à cet égard est le tableau qu’Élisabeth de Miribel – envoyée du général de Gaulle – dresse de la situation au Canada où elle arrive le 29 juillet 1940. Celle qui a tapé le texte de l’appel du 18 juin y trouve une société française de quelque vingt mille personnes « qui estiment et vénèrent le maréchal Pétain » et qui – peu favorables à la position du général – regrettent que de Gaulle « soit entouré d’hommes de gauche et de juifs. »  comme elle le rapportera dans son ouvrage « La Liberté Souffre violence ». Vichy a une ambassade au Canada. Cette ambassade a accès aux administrations, tient l’agence Havas et les Alliances françaises, joue un rôle considérable dans la communauté francophone et maintient d’excellentes relations avec le clergé et la presse conservatrice du Québec. » (Crémieux-Brillac).

Des comités de soutien à de Gaulle se forment pourtant, au Canada et bientôt aux États-Unis. Car Marthe Simard sillonne le pays. Elle se déplace d’un océan à l’autre. Elle parle. Elle se fait écouter. Elle arrache des soutiens.

 Sa ferveur convainc. Aux côtés d’Élisabeth de Miribel qu’elle a accueillie à Québec dès octobre 40, elle s’emploie activement à reconquérir l’opinion publique. A favoriser, au printemps 1941, le séjour – fructueux – du capitaine de vaisseau Thierry d’Argenlieu, supérieur majeur de la province de Paris des Carmes. Venu – au nom du chef de la France Libre – rencontrer les autorités civiles et religieuses. A recevoir et aiguiller maintes personnalités de passage : Alain Savary, Georges Duhamel, Jacques de Lacretelle …

Difficile, inséparable du nom et de l’action d’Élisabeth de Miribel, la percée du mouvement français libre au Canada atteste la contribution cardinale de Marthe Simard à ce beau et long combat. « Il y a là un de ces triomphes de la foi et de l’énergie qui donnent une tonalité d’exception à l’histoire de la France Libre. »4

 Son combat lui vaut néanmoins de solides inimitiés et des menaces à proportion. On s’attache à faire pression sur elle, on souille les murs de sa maison d’inscriptions à l’effigie de croix gammées, mais le « soldat Marthe Simard » comme elle aimait à se définir ne renonce pas. Âme guerrière, elle se sait engagée dans une lutte décisive qui fait fi du souci de soi même et qui accapare – sans trêve – son courage et son audace.

« Nous avons connu sans doute des heures sombres, presque désespérées, – écrit en novembre 1943 un autre résistant extérieur, Georges Bernanos – mais il y a plus d’une sorte de désespoir, il est des désespoirs exaltants, qui sont comme un tonique de l’âme. »5 Cette sentence, Marthe Simard aurait pu la reprendre à son compte.

Du reste, cet engagement est bientôt reconnu et salué. Pour avoir partagé l’indignation et la révolte de l’Homme du 18 juin, pour avoir communié dans le même refus, pour avoir fait le même pari sur la force qu’ils allaient représenter, pour avoir traversé les mêmes épreuves, pour être devenus ses compagnons de résistance, des hommes et de trop rares femmes – deux très exactement – sont appelés à siéger au parlement de la Résistance, à rejoindre l’Assemblée consultative provisoire, réunie en session dès le 3 novembre 1943, à Alger. Marthe Simard est de ce petit nombre destiné à prendre part à « la résurrection des institutions représentatives françaises »6 ; et auquel il appartient ensemble d’incarner la légalité restaurée des principes démocratiques et d’affirmer la France de demain. Déjà à l’œuvre, dans les affres de la guerre.

Lucie Aubrac, désignée au titre de la Résistance interne n’ayant pu gagner l’Afrique du nord, Marthe Simard, première femme parlementaire sera la seule femme à siéger à Alger.

Le chemin pour Alger ne fut pas simple non plus pour Marthe Simard. C’est au terme d’une traversée difficile, longue et périlleuse entamée début janvier 44 – elle est contrainte de faire halte aux Antilles où elle donne des conférences sur la Résistance, son convoi est la cible des attaques des U-Boats allemands – qu’elle parvient, début avril, à rejoindre le port.

Ce n’est pas sans émotion qu’elle retrouve la ville de sa jeunesse, devenue capitale de la France Libre. Avec émotion encore qu’elle rencontre pour la première fois le général de Gaulle, dans l’enceinte du Palais Carnot, où la Consultative a pris ses quartiers. Car, une nouvelle une fois, Marthe Simard a rendez-vous avec l’Histoire.

Représentant le Comité français du Canada au titre de la Résistance extra-métropolitaine, membre de la Commission des Affaires économiques et sociales ainsi que de la Commission de l’Information et de la Propagande, elle prend d’autant plus son rôle à cœur qu’elle a clairement conscience des devoirs échus à l’Assemblée d’Alger : témoigner devant le monde libre pour la France opprimée, préparer demain, incarner le formidable espoir de renouveau, commun à tous les siégeants, lequel exige des voies nouvelles propres à instituer une République nouvelle. « Il s’agit de ne pas laisser perdre de temps à la France. Un pays n’a souvent que quelques mois pour agir. Après il vivra cinquante ans d’habitudes. » dira d’ailleurs le député Jean-Jacques Mayoux, résumant l’ambition et la volonté communes.

Aussi, est-ce avec éloquence que devant un aréopage – essentiellement masculin, où siègent routiers de la politique et combattants de l’ombre – Marthe Simard témoigne du rôle joué par le Canada dans la Résistance et appelle, au lendemain de l’âpre débat qui a mobilisé l’Assemblée autour de la pleine accession des femmes à la citoyenneté, que leur soit faite – à tous les degrés de la vie politique – la place qui leur revient de droit. Le 21 avril, le général de Gaulle signait l’ordonnance donnant le droit de vote et l’éligibilité aux femmes.

Le 15 mai 1944 enfin, Marthe Simard défend et fait adopter une résolution visant à rendre hommage aux fondateurs de l’École Libre des Hautes Études de New York. Lesquels – à l’instigation d’Henri Focillon, Jacques Maritain et Claude Lévi-Strauss – avaient voulu – au plus sombre de l’Histoire – assurer la pérennité de la pensée et de la culture françaises aux États-Unis.

Rentrée au Canada le 22 août 1944, c’est à Québec, le 24 au soir, devant une immense foule réunie sur la terrasse Dufferin pour célébrer la Libération de Paris, que Marthe Simard prend de nouveau la parole pour exprimer sa joie et appeler à redoubler d’effort. Car la guerre continue et, dans l’inventaire quotidien de la mort, n’épargne personne. Ainsi, Marthe Simard a-t-elle appris que son père a trouvé la mort à Douai, lors du bombardement allié sur la ville le 11 août 1944.

 L’Assemblée consultative provisoire regagne Paris après la Libération. Le 7 novembre, Marthe Simard y rejoint onze autres femmes, dont Lucie Aubrac, Gilberte Brossolette et Mathilde Péri. A Paris, elle est membre de la Commission de la France d’outre-mer et Vice-Présidente de la Commission du Travail et des Affaires sociales.

Juillet 45 – quelque deux mois après la fin de la guerre en Europe – scelle la dissolution définitive de l’Assemblée consultative et marque pour Marthe Simard la croisée des chemins. Le général de Gaulle – qui a salué en elle « une Française d’élite » l’invite à demeurer en France pour y embrasser une carrière politique. Elle décline l’invitation et préfère retourner à Québec auprès des siens.

Marthe Simard est décédée à Québec le 28 mars 1993

2 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre, Tome I.

4 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Ibidem.

5 Georges Bernanos, Le Chemin de la Croix-des-Âmes, IVe partie, Novembre 1943

6 Général de Gaulle, discours inaugural de l’Assemblée consultative provisoire, Alger, 3 novembre 1943.