KerGourlay Marie-Louise "Yvette, Yvonne Le Fort"

Côtes d'Armor , Bretagne

Auteur de la fiche : Patricia Arzel_Mazet et Pierre Yves Mazet

Marie-Louise Kergourlay

Ce témoignage a été recueilli le 11 juillet 2005 à Vannes au domicile de Mme Kergourla  par Mme Arzel-Mazet Patricia et M. Mazet Pierre-Yves.

Présentation du témoin :J’avais 18 ans en 1939. Je suis née le 7 novembre 1921 à Moustéru, une petite commune des Côtes du Nord (Côtes d’Armor aujourd’hui).Mon nom de jeune fille est Kergourlay. J’étais célibataire quand je suis entrée dans la Résistance et mon nom d’emprunt dans la Résistance a été : Yvette, Yvonne Le Fort

De combien de personnes se composait votre famille ?

Nous étions une famille nombreuse. J’avais huit frères et soeurs (4 frères et 4 soeurs). J’étais la 4ème de la fratrie.

Certains de vos frères et sœurs ont-ils résisté ? Comment ?

Oui, l’un de mes frères Théophile Kergourlay, ouvrier à l’arsenal de Brest. Avec d’autres il s’occupait de récupérer des armes parachutées. Il fallait ensuite les cacher puis préparer les armes (les monter) pour les maquis.

De quel milieu social êtes-vous issue ?

J’appartiens au milieu ouvrier. Mon père était cheminot (S.N.C.F), cantonnier sur la ligne Guingamp-Carhaix. Ma mère était sans profession.

Quelles études faisiez-vous en 1939 ?

J’étais élève boursière, en pension à l’Ecole Primaire Supérieure de Guingamp. J’ai été formée à la comptabilité. Mon premier emploi a été dans un garage de Guingamp.

Avant 1939 étiez-vous engagée politiquement ou sur le plan associatif ?

Je ne militais pas au sein d’un parti politique. Mais, par mon professeur d’Histoire, je connaissais le parcours d’Hitler depuis 1933. Il avait commencé à faire construire les camps de concentration par les opposants, pour y mettre tous ceux qui n’étaient pas de « race supérieure » et qui ne partageaient pas ses idées sur le national-socialisme. Hélas, la division du monde ouvrier lui avait permis de s’installer. Beaucoup d’opposants avaient réussi à s’enfuir pour venir en France et en Amérique.

J’ai également suivi la montée de l’extrême-droite en France le 06 février 1934 et la réplique du peuple de Paris le 12 février 1934. Je lisais la presse à mon père qui l’achetait mais ne savait pas lire. Il m’expliquait certaines choses voyant que j’étais intéressée.

J’avais suivi de près les évènements qui ont précédé la guerre en particulier, j’ai collecté du lait pour soutenir l’Espagne républicaine contre le général Franco. La défaite de la République espagnole a été un crève-cœur pour nous deux.

J’aidais un voisin, un instituteur de Guingamp qui s’occupait de l’Union locale des syndicats. Je l’aidais pour la frappe de textes. Les syndicats avaient le sens de l’organisation.

Comment avez-vous vécu le début de la guerre ? Pourquoi vous êtes-vous engagée dans la Résistance ?Lorsque l’armistice a été signé le 22 juin 1940 à Rethondes et lorsque nous avons vu les Allemands déferler dans notre région, nous étions consternés, surtout quand ils ont dit aux soldats d’aller se faire démobiliser à la caserne du 48ème régiment à Guingamp, mon premier geste de résistante a été de dire à ceux de ma connaissance de ne pas y aller, peine perdue, le résultat a été d’en faire des prisonniers de guerre (2 millions en France) ; ils sont partis pour l’Allemagne.

Ensuite les Allemands ont tout acheté – les victuailles, les bijoux, les vêtements – les Français se sont trouvés « sur la paille », appauvris. J’ai été révoltée et nous en parlions entre jeunes dans la zone occupée, la France était coupée en deux. La propagande du gouvernement de Vichy et celle des Allemands étaient le contraire de la réalité quotidienne. Mon entrée dans la résistance a donc été un engagement logique, un acte évident sans état d’âme, sans trop mesurer les conséquences. La jeunesse a une certaine inconscience du danger.

Quand êtes-vous entrée dans la Résistance ?

J’ai fait quelques petites actions fin 1941 (distributions de tracts).

Mon engagement dans la résistance a été plus déterminé au tout début de 1942 et j’ai agi jusqu’à mon arrestation à Paris. Sollicitée par mon frère Théophile et mon beau-frère, M. Tanneau (le mari de ma soeur Joséphine) qui travaillaient à l’arsenal de Brest où la Résistance était déjà bien organisée. Il s’agissait de cacher des armes (dans des cabanons appartenant aux ouvriers de l’arsenal) provenant des premiers parachutages alliés.

Je circulais entre Guingamp et Brest. Etant fille de cheminot, je bénéficiais d’avantages pour utiliser le train. Sinon, j’utilisais un vélo.

Au sein de quels mouvements avez-vous agi ?

Les mouvements avec lesquels j’ai fait de la résistance sont : les Forces unies de la jeunesse patriotique, les Francs-tireurs et partisans – F. T. P. – , groupe Simone Bastien, et les Forces françaises de l’Intérieur. J’ai fait partie du groupe du Commandant Henry (Côtes du Nord) – mouvement FTPF – du 1er mai 1943 au 1er juillet de la même année. Ensuite j’ai agi dans le secteur Seine et Marne – mouvement FTPF – du 15 septembre 1943 au 22 février 1944 et enfin dans le secteur de Paris département de la Seine – mouvement FTPF – du 18 août 1944 au 25 août 1944. J’ai été démobilisée le 1er octobre 1944.

Quel rôle teniez-vous dans la Résistance ? Quelles étaient vos fonctions, vos missions ?

J’ai commencé par former des groupes de trois (les groupes s’ignoraient entre eux sur le département) pour faire des actions précises : rédiger des tracts très courts pour dénoncer des collaborateurs et pour toucher le moral des Allemands. Nous recevions des textes à reproduire également par une liaison venant de l’interrégionale Bretagne F. U. J. P (Forces Unies de la Jeunesse Patriotique), groupe Simone Bastien.

J’ai distribué des tracts dans les boîtes aux lettres, en volée sur le marché ni vu ni connu, j’ai coupé des câbles téléphoniques et électriques en 1942 toujours par groupe de trois ou de deux

si un manquait à l’appel. En Août 1943, dénoncée par une personne lors d’arrestations à Guingamp, j’ai dû quitter le département des Côtes-du-Nord et la Bretagne où j’avais commencé à avoir des responsabilités dans le Finistère et l’Ille-et-Vilaine. Je n’ai pas été arrêtée grâce au sous-chef de gare de Guingamp, M. Durand, qui m’a prévenue en revenant de Brest que j’étais recherchée. Je me rendais à Guingamp pour une réunion de résistants dans un jardin public. Les policiers et les Allemands étaient à la gare. Le sous-chef de gare est venu vérifier les billets (ce qui n’était pas son rôle), à l’époque on devait les présenter à la sortie du train. Il m’a dit de me cacher dans les toilettes de la gare ce que j’ai fait. Il est venu ensuite me voir et m’a fait un billet de train pour l’endroit de ma planque. Il a ainsi permis que je parte sans que l’on connaisse ma destination. J’ai pris le train discrètement ; il était convenu que j’y monte à la patte d’oie qui se trouvait après la gare.

Il fallait prévoir un lieu où l’on pouvait se cacher en cas d’arrestation. Ma planque était située dans le bourg de Plusquellec dans la maison des parents de mon beau-frère. Ils étaient agriculteurs. J’y suis arrivée de nuit et m’y suis cachée trois semaines dans le grenier. Je n’ai pas manqué de reconnaissance envers ces personnes après la guerre.

Ensuite j’ai pris la direction de Paris dans l’illégalité avec de faux papiers et j’ai continué à faire de la résistance dans les départements de la Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne.

Mon contact à Paris était un médecin originaire de Bretagne travaillant dans une clinique parisienne, rue des Quatre Phages. Dans cette clinique, une chambre servait de planque. J’y suis restée une nuit. Ensuite je suis allée chez une amie dont les parents étaient originaires de Guingamp.

A Paris j’étais appointée (modestement) par la Résistance. J’étais sensée travailler dans une entreprise : l’entreprise Chausson de Gennevilliers.

Je suis restée un mois à l’essai au contact de la M.O.I (Main d’œuvre immigrée). Je connaissais une institutrice qui vivait avec un homme appartenant à la M.O.I. J’étais l’accompagnatrice de messieurs très chics qui n’étaient autres que des résistants.

Une fois la bombe déposée, dans un endroit discret, l’homme me disait : « tu es libérée maintenant ». Je continuais mon chemin seule alors qu’une autre fille faisait l’accompagnatrice à son tour. Il fallait rendre difficile l’identification des personnes.

J’ai fait des prises de paroles très courtes sous protection dans les bals, les bains-douches, puis

toujours taper et diffuser des tracts et des petits journaux tels « France d’abord ». J’ai fait des faux papiers pour ceux qui allaient dans les maquis de Seine-et-Marne en compagnie de Pierre Katz devenu ensuite cinéaste de courts métrages après la guerre. Nous avions un endroit que nous étions seuls à connaître, une « planque ». Une fois les papiers faits, une personne, un responsable régional, venait les prendre dans notre planque. De très nombreuses personnes avaient besoin de faux papiers, j’en ai donc fait beaucoup.

J’avais trois planques, une dans chaque département. Il fallait être très prudent et pouvoir en changer souvent .

J’ai appris le plan du métro par coeur et je connaissais le temps qu’il mettait pour aller de tel endroit à tel autre. Je gardais tout en mémoire, je n’avais aucun carnet. Je n’ai jamais noté les rendez-vous par exemple.

Quand avez-vous été arrêtée ? Par qui ?

J’ai été arrêtée (j’en avais eu, peu de temps auparavant, le pressentiment) dans la soirée du 21 février 1944 lors d’une rafle dans le métro parisien.

Nous étions souvent soumis à Paris à la présentation des papiers. Mais là, pour une raison que je ne connais pas tous les passagers du métro ont été envoyés pour être fouillés au Château de Vincennes. Les policiers français recherchaient une jeune femme qui avait commis un attentat avec deux hommes (le viaduc de Maintenon avait sauté). Je correspondais à son signalement 4

et j’avais sur moi les faux papiers des 3 départements. J’étais pour eux une « belle prise », expression que j’ai entendue de la bouche d’un policier lors d’un appel téléphonique.

La porte étant ouverte, un policier (résistant ?) m’a dit de partir. Mais, méfiante, je ne l’ai pas fait. Les policiers auraient pu me suivre et arrêter des camarades ou les gens qui me logeaient.

Par qui avez-vous été interrogée ? A quel endroit ?

J’ai été interrogée par les Brigades spéciales à la Préfecture de police de Paris. Il y avait là 2000 inspecteurs français, des tortionnaires. Je n’ai jamais eu affaire aux Allemands.

En arrivant dans la cour de la Préfecture, j’ai vu les corps des hommes du groupe Manouchian gisant dans un camion. J’ai remarqué ensuite l’escalier maculé de sang où l’on avait traîné les corps des malheureux. Ils avaient été affreusement torturés. Ils étaient défigurés. Les policiers m’ont dit que je finirai comme eux si je ne parlais pas.

Du 21 au 29 février 1944, j’ai été torturée pendant une semaine, jour et nuit, dans une immense salle au 2ème étage de la Préfecture. Je n’étais pas la seule.

Je n’ai rien mangé durant cette période. Je pouvais boire en allant aux toilettes. Elles étaient gardées et l’on devait laisser la porte ouverte mais on me donnait à boire.

On me tutoyait : « Si tu parles, je te laisserai dormir ». Je savais que si je parlais les coups ne s’arrêteraient pas pour autant.

Je n’ai jamais donné, ni mon adresse, ni ma véritable identité. Je suis donc restée seule dans mon affaire. Je me suis comportée conformément à ce qui était normal mais sous les tortures, il faut avoir un idéal pour tenir ou encore pratiquer une religion et savoir pourquoi nous étions là. (1)

J’ai connu ensuite le Dépôt au sous-sol de la Préfecture. C’était un endroit très sale. Le sol n’était jamais balayé. Les détenus y faisaient leurs excréments, certains avaient rendu. J’y suis restée seule une journée ou deux. Un juge d’instruction aurait dû venir me voir (procédure normale avant une incarcération), il ne l’a pas fait. Je l’ai vu par la suite à la prison et cela s’est mal passé à tel point qu’il m’a menacée du « cabanon », une cellule très étroite où l’on ne pouvait se tenir debout.

Après l’interrogatoire à la Préfecture, on m’a proposée à la prison de Fresnes : « on n’en veut pas de votre cadavre » a t-on répondu aux policiers français. La prison de Fresnes, dirigée par les Allemands, ne voulait pas de moi car je n’avais pas été prise les armes à la main.

Avez-vous eu un avocat ?

Oui, une avocate, commise d’office. Je ne me rappelle plus de son nom. Elle ne venait pas souvent me voir à la prison. Je ne pouvais rien lui confier. Je lui ai cependant donné l’adresse de mes parents.

 

Où avez-vous été détenue ? Pendant combien de temps ? Comment vivait-on dans une prison en France sous l’occupation ?

J’ai été emprisonnée à la prison de la Roquette à Paris du 1er mars (21 heures) jusqu’au 17 août 1944 avec d’autres « politiques ». Nous étions environ 150 séparées des « droit commun ». Mais après le 10 août 1944, nous n’étions plus que 50 otages. Les autres détenues ont été déportées.

Cette prison avait l’allure d’un château-fort. Son plan était hexagonal ; il délimitait six quartiers de bâtiments encadrant des cours et convergeant vers une tour centrale couronnée par la chapelle. La prison a été démolie en 1974. On peut voir aujourd’hui une plaque sur un mur qui en rappelle l’existence. 5

Nous étions sous la garde de religieuses. Elles étaient assez humaines envers les détenues.

Des doctoresses juives assez âgées, Mme Irène Iwardowska-Domanska et Mme Jeanne Oguse-Arager, « oubliées » alors qu’elles « auraient dû » être déportées, m’ont soignée avec peu de moyens. (2)

Elles avaient été arrêtées pour actes de Résistance comme la femme de l’Italien Luigi Longo. Mais elle était à la prison sous un autre nom, celui de Estella. (3)

Elle m’a aidée à rédiger une lettre au Procureur de la République pour porter plainte contre les tortures que j’avais subies.

Pour m’occuper l’esprit, les détenues me firent préparer une conférence sur le mouvement ouvrier espagnol. Des cours étant dispensés par les détenues, j’ai appris l’espagnol en prison !

Nous nous efforcions, avec bien peu de moyens (souvent sans savon) de maintenir une hygiène correcte.

Comment s’est déroulée votre libération ? Qu’avez-vous fait par la suite ?

J’ai relaté ma libération dans le livre de France Hamelin « Femmes dans la nuit, 1939-1944 » :

« Nous sommes début août (…) la nervosité s’installe parmi nous, les suspicions aussi ; en particulier les mères de famille sont angoissées, notre avenir immédiat est incertain…

Qui va partir ? Les rumeurs vont bon train. En général les condamnées à plus de deux ans partent pour une destination inconnue, en fait les camps de la mort, via Romainville…

Un dernier convoi est en préparation juste avant que ne débute la grève des cheminots, le 10 août 1944. Cette fois le tri n’est pas le même. Quel critère a-t-il été retenu pour faire partir une majorité de prévenues à la place des condamnées ?

Celles qui restent sont incontestablement des otages­, comme dans les autres prisons de Paris. On murmure qu’« ils » ont gardé celles et ceux qu’ils jugent les plus dangereux. C’est du moins la version officielle, nul ne saura sans doute la vérité.

Notre organisation cependant structurée a été bouleversée par le départ inopiné et imprévu du dernier convoi. Mais d’autres se sont levées pour prendre une place dans ce que nous appelions le triangle de direction qui était chargé de défendre les détenues politiques. J’ai fait partie de cette direction après le départ de ce dernier convoi. J’étais la plus jeune de celles qui restaient et sans charge de famille.

Combien était grande notre responsabilité en ces derniers jours. Nous étouffions dans cette prison dans l’attente d’être fusillées ou libérées. Mais l’idéal qui nous animait pour la plupart prenait le dessus et nous étions encore capables de remonter le moral des plus affaiblies. Même après avoir rédigé notre « dernière lettre », l’espoir continuait à nous guider. Nous harcelions sans cesse la direction. Nous en avons fait des propositions ! des dizaines… pour sortir sans donner l’éveil, ni aux « Droit Commun », ni aux gardes mobiles qui entouraient la prison.

Finalement notre salut (c’est-à-dire notre libération), nous le devons à notre combat à l’intérieur de la prison (car les multiples entretiens avaient un certain impact), à notre moral,

mais aussi à l’appui de l’État-Major de l’insurrection qui a négocié la libération des prisons de la Capitale. Le 17 août au soir, nous avons franchi, en silence et en ordre dispersé, les murs de cette prison. Avec scepticisme… Nous pensions à un guet-apens. Cette idée ne nous a quittées qu’à la libération de la dernière prisonnière.

Des points de chute étaient prévus dehors, en particulier pour les provinciales dont je faisais partie.  Gisèle Robert m’a accompagnée rue Walt. J’ai repris contact avec l’État-Major de l’insurrection et malgré la fatigue due aux mois de détention et aux tortures infligées par les 6

Brigades Spéciales lors de mon arrestation, j’ai pris une part active à la libération de Paris. » (4)

J’ai été gardée comme otage avec 49 autres camarades emprisonnées. Nous devions être fusillées, nous avions écrit notre dernière lettre à nos familles. Dans les autres prisons, c’était la même chose : 50 à Fresnes, à la Santé, aux Tourelles. Les 25 du Cherche-Midi ont été fusillés.

J’ai participé à l’insurrection parisienne en qualité d’agent de liaison à l’état-major l’insurrection parisienne sous les ordres de Rol-Tanguy nous étions nombreux à faire ce travail entre les états-majors de l’insurrection car il y avait beaucoup de blessés et de morts. J’ai eu de la chance de m’en tirer.

Il fallait transmettre des plis dans les différents arrondissements.

Puis je me suis occupée du ravitaillement de Paris avec le colonel Raynal ensuite j’ai été démobilisée le 1er octobre 1944 pour accomplir d’autres tâches dans la jeunesse. Je n’ai pas voulu être intégrée dans la 1ère armée française qui continuait vers l’est à libérer le pays.

J’ai fait partie des 200 F.F.I (Forces françaises de l’Intérieur) désignés et invités par le roi d’Angleterre après la libération de Paris, au début du mois de septembre 1944.

J’ai été décorée entre autres décorations de la Médaille de la résistance instituée par le général de Gaulle, grand patron de la Résistance, en 1943.

Votre famille connaissait-elle votre vie dans la clandestinité ?

Ma famille n’était pas au courant, on ne rentait pas dans la Résistance comme dans un moulin, c’était la discrétion. Elle a été au courant quand la police qui me recherchait est allée fouiller la maison de mes parents. Ne sachant rien, ils ne pouvaient rien dire.

J’ai pu leur écrire depuis la prison de la Roquette mais ils n’ont pas su pourquoi j’y étais.

Vos tortionnaires ont-ils été jugés ?

J’ai refusé à la libération de faire subir à mes tortionnaires de la Brigade spéciale de Paris le même sort qui m’avait été réservé. J’ai laissé à la Justice le soin de faire son travail.

Aujourd’hui, 61 ans après la Libération, comment considérez-vous votre action de résistante ?

Nous ne voulons pas être considérées comme des héros.

De cette période le message que je veux transmettre à votre génération est celui du courage pour vaincre les difficultés. L’idéal pour moi était de construire un monde meilleur, ou la foi pour d’autres était de bon augure, nous ont permis de survivre et de témoigner.

Nous avons combattu volontairement personne ne nous a obligé à entrer dans la résistance mais grâce à ce que nous avons fait, la France, avec toutes ses imperfections, est un pays libre, mais j’ai un autre message à vous transmettre : ne pas oublier que les libertés, la démocratie, les droits de tous ne sont jamais gagnés une fois pour toutes ; il faut résister et se battre pour ce qui ne va pas et laisser de côté les choses sans importance.

En tant que femme était –il aisé d’avoir les responsabilités que vous avez-eues ?

Mes relations avec les hommes résistants étaient bonnes, j’ai fait le même travail qu’eux, sauf que je n’ai pas fait le coup de feu, ni tué personne. 7

Lorsque je m’adresse aux jeunes filles qui font le Concours de la Résistance et de la Déportation, il m’arrive de leur dire ceci :

« Encore un autre message, faites comme moi et mes camarades de la Résistance si vous voulez avoir une place dans la société, soyez les meilleures pour ne pas rester dans l’ombre. Nous avions obtenu à la libération le droit de vote, mais nous ne sommes pas partout à égalité avec les hommes, soyez les meilleures pour y être. Etes-vous membre d’une (ou plusieurs) association(s) ? Laquelle ? Quel rôle y tenez-vous ?

Je suis membre du Comité national de la F.N.D.I.R.P. Je la dirige au niveau départemental depuis 1985. J’ai aidé les déportés, les internés et les familles pour leur différentes démarches administratives.

Je suis membre du Comité départemental de l’A.N.A.C.R et vice-présidente de l’Office départemental des Anciens Combattants.

Je suis aussi membre de l’Association des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, de l’Association des Amis de la Fondation de la France Libre.

Je suis officier des Palmes académiques par le décret du 22 juin 2001.

Je m’occupe du Concours de la Résistance et de la Déportation dans le Morbihan.

Je continue à témoigner dans les lycées et les collèges publics et privés du département du Morbihan depuis ma retraite en 1982, pour faire connaître cette période afin qu’elle ne se renouvelle pas.

(1°) « Marie-Louise fut frappée à coups de poings, à coups de nerf de boeuf : « On va te faire pisser le sang ! » lui criaient-ils. Coups d’épingle aux seins, privations de sommeil pendant huit jours et huit nuits…Ils se relayaient toutes les deux heures. Elle subit aussi le supplice de la baignoire : eau froide, eau chaude alternativement. Son dos, ses jambes n’étaient que plaies. La mâchoire fracturée, elle subit des « soins » sans insensibilisation lorsqu’elle fut transférée à la Roquette. », « Femmes dans la nuit, 1939-1944 », Phénix Editions, Librissimo, Paris 2001, page 118

(2).« Marie-Louise Kergourlay fut ainsi sauvée d’une grave dépression consécutive aux tortures subies à la Préfecture ». Op.cit. p.197.

(3) « Tombe aussi Estella, arrêtée sous le faux nom de Jeanne Pinelli, née Fanucci, originaire de Corse, en réalité Térésa Noce, épouse de Luigi Longo avec lequel elle avait participé à la lutte antifasciste en Espagne. En France, elle avait eu des responsabilités importantes dans les premiers groupes de combattants de la M.O.I. Sa véritable identité fut scrupuleusement cachée et les policiers de la B.S. ne surent pas qu’elle bonne prise ils avaient opérée » (…)

Térésa Noce, internée à la Roquette puis déportée à Ravensbrück en août 1944 (à la veille de la libération de Paris) avec de nombreuses autres camarades, libérée en mai 45, fut élue députée au Parlement de la jeune République italienne. Elle prit en main la défense des droits de la femme et fut en 1950 la promotrice de deux propositions de loi relatives à la protection de la maternité et à l’égalité des salaires. Elle est morte à Turin en janvier 1980. Elle avait publié en Italie ses mémoires (qui n’ont pas encore été publiés en français) où elle évoque notamment son passage à la Roquette. Op.cit. p.105.

(4) Op.cit. p. 239 à 241.