RACHLINE Lazare

B.C.R.A

Auteur de la fiche : Jacques BENILLOUCHE

Lazare Rachline

Rares sont les Français qui ont entendu parler de ce héros juif de la Résistance française. Et pour cause, il a fallu attendre le 17 juin 2014 pour que la Mairie de Paris décide d’honorer son souvenir en donnant son nom au jardin de l’hôtel de Donon qui abrite le musée Cognaq Jay, dans le 3e arrondissement. L’inauguration a eu lieu le 5 février 2016 en présence de Robert Badinter.

Lazare Rachline, né le 25 décembre 1905 à Gorki en Russie, est arrivé en France un an plus tard, son père ayant décidé de s’y installer pour échapper aux pogroms. Il travailla très jeune dans la fabrique de literie de son père tout en poursuivant des études au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) ce qui lui permettra d’obtenir le diplôme d’ingénieur.Il s’engagea politiquement très jeune et milita contre le racisme et l’antisémitisme. Son premier article contre l’antisémitisme date du 20 décembre 1927 sous le pseudonyme de Lazrach où, à 22 ans, il cherche à démontrer par la logique l’inexistence de Dieu. C’est d’ailleurs cette année-là qu’il présida aux côtés de Bernard Lecache à la création de la Ligue internationale contre l’antisémitisme qui deviendra en 1932 la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme puis la LICRA en 1979. En 1931, les frères Rachline rachètent à leur père l’atelier de fabrication de lits situé 259, boulevard Ornano. En 1938, il demanda et obtint la naturalisation française.

Ce petit industriel va s’affirmer comme un grand chef de guerre. Alors que, père de trois enfants, il bénéficiait d’une mobilisation en 1939 à proximité de sa famille, il exigea d’être envoyé au front. Il sera fait prisonnier par les Allemands le 21 juin 1940 à Bruyères, dans les Vosges, puis transféré au Stalag IV-B situé près de Mühlberg, à 600 kilomètres de la frontière française. Le 11 mars 1941, il s’évadera du camp avec Albert Jacquelin pour retrouver sa famille à Brive-la-Gaillarde.

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Il s’engagea alors dans la résistance, sous le nom de Lucien Rachet, au sein de Libération-Sud avec Daniel Mayer et Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Il fut recruté par Haïm Victor Gerson, agent secret britannique du SOE (Special Operations Executive), qui mit en place en France une ligne d’évasion, appelée ligne VIC. Il organisa ainsi, le 16 juillet 1942, l’évasion de onze prisonniers du camp de Mauzac qui comptaient parmi eux six agents secrets venus d’Angleterre et parachutés, un agent venu d’Angleterre par bateau, et quatre Français, dont son ami le député Jean Pierre-Bloch. Il prit ensuite la direction du réseau Alexandre-Vic grâce auquel de nombreuses personnalités, des dizaines d’aviateurs et agents, notamment britanniques purent rejoindre Londres en toute sécurité. Le régime de Vichy décida alors de le déchoir de sa nationalité française.

Suite à sa condamnation à mort par contumace par un tribunal allemand, les services britanniques décidèrent, en juillet 1943, de faire revenir Lazare Rachline qui était en mission en France. Avec Marcel Bleustein, alias Blanchet, ils gagnèrent Londres par l’Espagne, après avoir traversé les Pyrénées à pied. Il rejoint alors le général de Gaulle qui lui donne la charge de la section non militaire (NM) du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA).

En mars 1944, à Alger, le Général de Gaulle lui confia personnellement la «mission clé». Sous le pseudonyme de Socrate, il a été chargé de restructurer en France l’ensemble de la Résistance intérieure, et notamment de mettre en place les responsables civils pour s’assurer que les Communistes et les Alliés ne prendront pas le pouvoir dans la France libérée. Socrate désignera Jacques Chaban-Delmas, avec le grade de général, délégué militaire national chargé de la coordination militaire sur l’ensemble du territoire. Il est l’un des derniers à avoir vu Jacques Bingen. En effet le délégué du général de Gaulle auprès de la Résistance intérieure française, fut arrêté par la Gestapo le 12 mai 1944 mais il préféra se suicider pour ne pas parler. Rachline avait pourtant tout fait, en vain, pour le ramener à Londres mais Bingen s’obstina à rester en France.

Rachline ne rechercha jamais les fonctions d’État. Ainsi en juillet 1944, il refusa le poste de directeur de la Sûreté nationale et celui de Préfet de police de Paris. En août 1944, il devient délégué du gouvernement provisoire pour la zone nord. Il arriva à Paris le 25 août 1944 et participa aux combats pour la libération de la capitale.

Nommé commissaire de la République, il démissionna de toutes ses fonctions quand il apprit la mort de son frère Vila (Renaudin, Victor), qui avait pris sa suite à la tête du réseau d’évasion VIC. La Gestapo le tortura pendant quatre jours sans obtenir d’informations. Il avait été fusillé à la mitrailleuse près de Lyon.

Rachline reprendra alors la direction de son affaire industrielle, les Usines métallurgiques de literie. Mais comble de l’oubli du général de Gaulle, son nom ne figure pas sur la liste des Compagnons de la Libération. D’ailleurs il n’appréciait pas trop les honneurs. Quand on voulait l’honorer ou juste l’inciter à parler il répondait toujours : «Les vrais héros sont morts».

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Il retourna à ses premières amours du journalisme. Il fonda le journal Point de Vue avec Marcel Bleustein-Blanchet et épaula Jean-Jacques Servan-Schreiber pour lancer l’Express. Parallèlement à ses actions et fonctions, il n’a jamais cessé de soutenir la création de l’État d’Israël, puis de défendre le jeune État, en toute circonstance. D’ailleurs il prononça dans ce sens son dernier discours, le 31 mai 1967, avant son décès le 25 janvier 1968 à 62 ans. À cette occasion sa femme reçut une lettre de condoléances du Général de Gaulle : «Lucien Rachet avait servi de façon exemplaire à l’époque où c’était le plus difficile et le plus méritoire, manifestant au combat, dans la Résistance et dans ses fonctions de Délégué du Gouvernement provisoire, les plus éminentes qualités de courage et de dévouement. Je garderai fidèlement son souvenir».

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Il a fallu attendre 2016 pour que Paris, qu’il avait aidé à libérer, se souvienne de lui, 48 ans après sa mort.

Inauguration du square Lucien Rachline

5 février 2016

Discours de M. Pierre AIDENBAUM, Maire du 3èmearrondissement

 Madame la Maire de Paris, chère Anne Hidalgo,

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,

Cher Robert Badinter,

Madame la Ministre, Nathalie Kosciusko-Morizet

Monsieur le Ministre, Jean-Paul Delevoye

Madame l’adjointe à la Maire de Paris chargée de la Mémoire, Chère Catherine Vieu- Charrier,

Madame Anne Brossolette, fille du Héros de la Résistance française, Pierre Brossolette, une pensée pour Gilberte-Pierre, fidèle de la LICRA

Madame Martine Benayoun, Monsieur Mario-Pierre Stasi, Vice-présidents de la LICRA, Claude PIERRE-BLOCH

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames, Messieurs,

Chère Famille Rachline,

C’est un grand honneur pour moi de vous accueillir dans ce jardin qui désormais portera le nom de Lazare Rachline.

Un grand honneur comme Maire de cet arrondissement.

Un grand honneur comme militant de la LICRA, que j’ai eu le privilège de présider, succédant aux deux grandes figures de notre association Bernard Lecache, son président fondateur et Jean Pierre-Bloch. Un grand honneur et une grande émotion, car j’ai eu le privilège de connaître Lazare Rachline. En effet, la famille Aidenbaum, Joseph, mon père et Maurice, mon oncle, faisait partie de ces militants et de ces responsables de la LICA dès sa création.

Et c’est à ce titre, très jeune, que mon père m’emmenait dans les meetings de la LICA que ce soit à la Mutualité, la Mutu comme on disait à l’époque,

à l’hôtel Moderne, Place de la République ou encore au Cirque d’Hiver.

Je me souviens que c’est au Cirque d’Hiver que j’ai entendu pour la 1ère fois Lazare Rachline.

Je n’oublierai jamais cette voix chaude, vibrante, ces intonations incomparables, cet orateur hors pair qui soulevait les salles et les foules.

Et pour moi, il fait incontestablement partie de ces hommes qui m’ont donné envie de m’engager, de militer, d’agir.

Dans ce 20ème siècle tourmenté, Lazare Rachline aura été un acteur de tous les combats : Il fut le cofondateur avec Bernard Lecache et Georges Zérapha, en 1927 de la Ligue contre les pogromes, qui devint la LICA en 1928, puis la LICRA en 1979.

Dès la création de la LICA, Bernard Lecache, Lazare Rachline, Georges Zérapha lancèrent un journal « Le Cri du Peuple », au nom révolutionnaire, dans lequel on pouvait lire de grandes signatures : Séverine, Bernard Shaw, Henri Barbusse, Heinrich Mann, Stefan Zweig ou encore Henri Torrès, le grand avocat.

En 1932, ce journal fut remplacé par le journal « Le Droit de Vivre », le plus ancien journal antiraciste du monde, et qui existe toujours.

Lazare Rachline était avant tout un militant et pour parler de lui, le mieux est de le citer, et je le cite : « Militer, ce n’est pas seulement payer sa cotisation, ou assister passif à nos réunions. C’est être l’orateur sur la tribune, le distributeur de tracts dans la rue. Militer, c’est donner son temps, c’est donner son cœur, c’est être un véritable soldat contre l’antisémitisme. Vous deviendrez tous des militants contre les ennemis de la vérité, de la raison et de la justice ».

Je le cite encore : « Qu’on le sache bien, qu’on le comprenne bien, à la LICRA nous ne sommes pas une secte, un parti, une religion, nous sommes une véritable synthèse ou si l’on préfère le plus beau parti, celui de la Conscience. Notre organisation est internationale et interraciale, elle ne connait pas de frontière à la solidarité humaine.

Elle ne voit au monde qu’un seul peuple, une seule nation, une seule race : Les Hommes. »

Je veux encore le citer dans un texte sous sa signature dans le « Droit de Vivre » daté du 25 février 1939, ce texte qui est tant d’actualité aujourd’hui en 2016 :

 «  Pour l’Honneur de notre pays, pour rendre hommage à ce qu’il a été dans le passé, à ce qu’il doit être dans le présent, pour le souvenir que nous laisseront, il faut changer la manière d’agir à l’égard de ceux qui sont venus chercher asile et protection en Terre de France ».

A tous ses combats d’avant guerre : contre le racisme, l’antisémitisme, les réfugiés, à ce Grand résistant de la première heure, venait s’ajouter après-guerre son combat en faveur d’Israël.

Quelques jours après que David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948, Lazare Rachline le 25 mai, 11 jours plus tard prononça un grand discours en faveur de ce nouvel-Etat qu’était Israël ; dans l’enceinte du Cirque d’Hiver, et concluait par ces mots : « Nous apporterons notre aide la plus précieuse, parce que nous nous engageons à vous aider de toutes nos forces ».

Je n’étais pas à ce meeting, j’avais 6 ans, mais habitant à quelques pas d’ici, rue des Rosiers, dans le Pletz, je me souviens de la ferveur de tout un quartier décimé par la Shoa et qui apprenait à revivre, et dont la création de l’Etat d’Israël était la plus belle des réponses au nazisme.

Lazare Rachline continue à œuvrer pour les relations entre la France et Israël ; il fut à l’initiative de nombreuses rencontres entre les dirigeants de ces deux pays.

Il fut à l’initiative en juin 1952 de la première rencontre entre le Général De Gaulle et Menahem Begin ; et vous rapportez de cet entretien, cher François, cette anecdote croustillante, et je vous cite : « De Gaulle demande à Begin si les israéliens considèrent Jérusalem comme leur capitale. Ce dernier répond par une autre question, ce qui est typiquement juif : les Français accepteraient-ils que Paris ne fut pas la leur ? ».

Je terminerai mon propos par un dernier souvenir personnel, à ce grand meeting du 31 mai 1967 au Cirque d’Hiver, de soutien à l’Etat d’Israël, au moment où l’Egypte décide de fermer le détroit de Tiran et où une lourde menace pèse sur Israël, sur l’existence même d’Israël.

Or son existence même était menacée par tous ses voisins.

Je souhaite vous lire un passage de ce discours parce qu’il est encore aujourd’hui d’une parfaite et parfois cruelle actualité et je cite Lazare Rachline :

«  Il se trouve que, par hasard, ce soir je sois le seul juif inscrit comme orateur. Mon pays c’est la France. Cependant, j’ai quelque droit de parler d’Israël, non seulement parce que je suis juif mais parce que ce pays représente la Morale et la Justice.

Aujourd’hui, le 3ème arrondissement s’honore d’inaugurer le Jardin « Lazare Rachline ».

 Je vous remercie.

 Discours de Robert Badinter

Madame la Maire de Paris,

Monsieur le Maire du 3ème arrondissement de Paris,

Mesdames, Messieurs les Conseillers,

 Au nom de tous ceux qui sont ici réunis, permettez-moi de vous remercier de votre décision de donner à ce jardin, situé au cœur du vieux Paris, le nom d’un héros exemplaire de la Résistance, d’un Républicain épris de liberté et de justice, d’un juif patriote français qui, né le 25 décembre 1905 à Nijni Novgorod (Russie), dans le Yiddishland, a tant aimé et servi la France.

A l’âge de trois mois et demi, bébé emmailloté dans les bras de sa mère, il fit le long voyage en diligence puis en chemin de fer à travers l’Europe orientale et centrale qui les menait enfin Gare de l’Est. Là les attendait Zadoc Rachline, venu en France dès 1904, fuyant les pogroms organisés par la police tsariste.

Ainsi sa terre quasi-natale, en vérité sa patrie, ce fut pour ce bébé dès qu’il ouvrit les yeux, la France et Lucien Rachline n’en connut jamais d’autre.

En 1934, au moment où Hitler prenait le pouvoir et que le plus sinistre antisémitisme devenait doctrine d’Etat en Allemagne nazie, Lucien Rachline demanda sa naturalisation. Elle lui fut enfin accordée en 1938. Ce qu’il voulait, lui Lazare Rachline, c’était servir la France à l’heure du péril.

Fait prisonnier en juin 1940, comme plus d’un million de soldats français, il n’eut de cesse de reprendre le combat. Il réussit à s’évader du camp situé près de Dresde avec un compagnon.

Arrivé en France, démobilisé, ayant rejoint Suzanne, sa femme, et ses enfants à Brive, luttant comme il pouvait pour sauver des bribes de son patrimoine confisqué par les autorités de Vichy, Lucien n’avait en tête qu’une pensée, une obsession : rejoindre la Résistance.

Il rallia en 1941 le réseau Vic, créé en zone libre par un haut responsable des services secrets anglais chargé de faire évader et d’exfiltrer en Angleterre les aviateurs alliés prisonniers et les résistants. Mission difficile, tant elle requérait d’imagination, d’audace et disons le mot, de courage.

Ainsi Lucien Rachline, paisible industriel de son état, fut-il amené à faire évader en 1942 de la prison de Mauzac onze détenus dont le député socialiste Jean-Pierre Bloch se trouvait être l’un de ses amis avant-guerre, vice-président comme lui de la Lica.

Après le coup d’éclat, d’autres évasions spectaculaires furent réalisées par le réseau Vic. Mais le filet se resserrait sur Lucien et ses compagnons. Il lui fallait, d’ordre supérieur, quitter la France. La voie de l’Espagne par les Pyrénées parut la plus aisée.

Avec quelques compagnons, dont son ami fraternel, Marcel Bleustein, devenu Blanchet dans la Résistance, ils franchirent les cols des Pyrénées. Arrêtés par la « Guardia civil » de Franco, jetés en prison au régime le plus sévère, ils croupirent-là plusieurs mois avant de pouvoir gagner Gibraltar et de là l’Angleterre, foyer de la liberté et de la lutte contre les nazis.

Le 23 mars 1944, le Général de Gaulle reçut Lucien Rachet à Londres. La Résistance intérieure en France traversait une période tragique. Après l’arrestation et la mort sous la torture de Jean Moulin, Pierre Brossolette, son successeur, avait été arrêté et s’était suicidé.

Le débarquement se préparait. Il fallait pour le Général de Gaulle s’assurer que la Résistance intérieure ne déclencherait d’insurrection armée que sur son ordre pour éviter des représailles terribles et des actions inutiles.

Pour faire passer ce message à toutes les composantes de la Résistance intérieure, il fallait un homme sûr, aux convictions les plus fermes et d’une fidélité absolue : ce fut Lucien Rachet qui fut choisi par le Général de Gaulle pour être son Délégué auprès des chefs de la Résistance intérieure. Mission d’une importance considérable avec des risques immenses puisqu’elle impliquait des voyages, des rencontres dans tout le territoire avec les hommes les plus engagés dans la Résistance.

Sous le pseudonyme de Socrate, montrant sa préférence pour les philosophes plutôt que les guerriers, Lucien rencontre tous les principaux chefs de la Résistance entre avril et mai 1944. Il retourna à Londres fin mai en repassant par l’Espagne.

Le 5 juin 1944, à la veille du débarquement, Lucien Rachet rencontre à nouveau le Général de Gaulle à Londres. Il lui rendit compte de sa mission. Que le Général de Gaulle ait voulu s’entretenir avec Lucien Rachline ce jour-là témoigne de l’importance de sa mission et de la confiance absolue du Général dans la clairvoyance, le courage et le patriotisme de Rachet.

On comprend alors pourquoi Lucien Rachet sera nommé le 28 juillet 1944 Délégué du Gouvernement provisoire de la République pour la zone nord. Il quittera Londres pour la France où les opérations militaires pour la Libération font rage. Le 24 août 1944, le jour même de la reddition des Allemands, Lucien Rachline arrive à Paris et gagne directement la Préfecture de police.

Le lendemain, Lucien est présent dans le cortège de généraux et de chefs de la Résistance qui escortèrent le Général de Gaulle dans sa triomphale descente des Champs Elysées. De telles heures justifient une vie.

Mais le destin est aussi tragédie. Tandis que Lucien sillonnait la France comme Délégué du Général de Gaulle, son frère cadet Vila, membre lui aussi du réseau Vic, fut arrêté à Lyon.

Conduit au siège de la Gestapo, il ne livra aucun nom, même pas le sien, déclarant s’appeler Victor Renaudin. Ongles arrachés, œil crevé, dents brisées, il ne dira rien de ce qu’il sait. Le 10 juin 1944, Vila, extrait de sa cellule au Fort de Montluc, monte dans un camion allemand avec 18 autres détenus. Ils sont abattus à la mitrailleuse dans un champ. Les nazis espéraient avoir arrêté le Délégué du Général de Gaulle, Lucien Rachline dit Rachet. Ils ont tué son frère Vila.

Que chacun de nous, à cet instant solennel où nous honorons la mémoire de Lucien Rachline, pense à son frère cadet qui fut torturé et fusillé parce qu’on l’avait pris pour lui.

Lucien, toujours discret, a tu sa douleur, mais rempli son devoir vis-à-vis des siens. Mais il était un mutilé, amputé de ce jeune frère tant aimé à qui il devait de continuer à vivre. Je pense que c’est là, dans cette douleur jamais apaisée, dans cette culpabilité secrète, que se trouvent le foyer de sa bonté, de son attention pour les autres et de son engagement pour les justes causes qui a marqué le reste de sa vie.

C’est à ce héros discret, à ce patriote fervent, à ce républicain ardent que Paris, rend aujourd’hui hommage. Insensible aux honneurs, Lucien Rachline n’avait jamais sollicité les décorations qu’il portait, ni la Croix des Compagnons de la Libération qu’il méritait. Mais pour vous, ses enfants, ses proches, ses amis, à cet instant solennel où la Ville de Paris honore ici un de ses enfants adoptifs qui l’a tant aimée, je rappellerai simplement les mots que le Général de Gaulle a écrits à Suzanne Rachline à la mort de celui-ci en 1968 : « Lucien Rachet avait servi de façon exemplaire à l’époque où c’était le plus difficile et le plus méritoire, manifestant au combat, dans la Résistance et dans ses fonctions de délégué du Gouvernement provisoire, les plus éminentes qualités de courage et de dévouement. Je garderai fidèlement son souvenir ».

 Merci, Lazare Rachline.

 Discours de Madame Anne Hidalgo Maire de Paris

 C’est avec une grande émotion que je suis aujourd’hui parmi vous pour l’inauguration du jardin « Lazare Rachline », à la mémoire d’un homme qui a souffert, espéré et combattu pour notre liberté, un héros de la France qui continuera longtemps d’éclairer notre démocratie.

Je voudrais saluer ses trois fils, leurs épouses, enfants et petits-enfants, ainsi que l’ensemble des membres de sa famille qui sont parmi nous aujourd’hui et qui pour certains sont venus de loin, des Etats Unis et d’Israël. Je veux aussi remercier Elizabeth et Robert Badinter, ainsi que les époux Delevoye qui nous font l’honneur d’être présents.

Je veux également remercier ceux qui ont porté cette belle initiative au sein de la collectivité parisienne.

Je veux ainsi rendre l’hommage le plus solennel qui soit au destin extraordinaire de Lazare Rachline qui, toute sa vie durant, a œuvré à faire triompher contre l’oppression, la barbarie, l’injustice, les valeurs humanistes qui étaient les siennes, comme le raconte avec tant de force son fils François dans le magnifique ouvrage qu’il a consacré à la vie de son père « Le paradoxe du héros invisible ».

Car si Lazare Rachline incarne la grandeur, c’est la grandeur modeste d’un homme discret et pudique, une grandeur d’autant plus belle qu’il ne l’a jamais exhibée ou utilisée contre les autres.

Et c’est peut-être ce qui explique qu’on ne lui ait pas toujours accordé dans notre histoire toute la place qui lui revient – et en cela l’inauguration de ce jardin lui fait justice.

C’est le chemin de paix et de liberté où Lazare Rachline nous a précédés que nous nous efforcerons de suivre avec le courage, la constance, l’humilité même qu’il a toujours montrés.

C’est notre honneur de servir les valeurs qu’il a infatigablement défendues contre le nazisme, la collaboration ou l’indifférence.

C’est notre devoir de prolonger son engagement pour que jamais notre démocratie ne se voit piétinée par l’empreinte totalitaire, pour que jamais non plus la barbarie ne vienne en exterminant des hommes éteindre l’humanité.

Né dans une famille  juive qui a fui la Russie des pogroms, c’est très jeune que Lazare Rachline s’est engagé, d’abord contre le racisme et l’antisémitisme, créant la ligue internationale contre l’antisémitisme, qui deviendra la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme.

Lui qui a obtenu la naturalisation française en 1938, patriote sans limite, est envoyé au front comme engagé volontaire, alors qu’il est déjà père de trois enfants. Prisonnier, il s’évade du stalag, traverse l’Allemagne à pied, devient « Lucien Rachet », guerrier de l’ombre, prenant bientôt en charge de nombreuses évasions – déterminantes dans l’histoire de la Résistance.

Devenu « Socrate », il est chargé par De Gaulles de la mission « Clé », jouant ainsi un rôle essentiel dans la réorganisation de la résistance intérieure, la préparation du gouvernement provisoire, puis enfin la Libération de Paris. À Londres, à Alger, dans ses missions clandestines au sein de la France occupée, il a agi avec les plus grands noms de la France Libre, Jacques Chaban-Delmas, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, le Colonel Passy, le Général Koenig, et tant d’autres.

Alors que les valeurs de la République étaient niées par l’oppresseur nazi et trahis par Vichy, il est de ceux qui ont pris les armes, au péril de leur vie, lui qui a failli héroïquement plusieurs fois la perdre. De ceux qui ont choisi en toute conscience une vie de clandestinité et de danger, toute entière bordée par la mort.

La mort, c’est surtout pour Lazare Rachline, celle de son frère, Vila tué à la mitrailleuse par les nazis, au bord d’une route en 1944. Éprouvé par cette mort, Lazare Rachline abandonne ses hautes fonctions pour reprendre l’entreprise familiale. Il ne cessera ensuite de rappeler, face à l’injonction de raconter ses exploits, que « les vrais héros sont morts ». Sans doute songeait-il à ce frère qui avait réussi à ne rien dire ces 4 jours et nuits durant où il avait été torturé, ce frère sans qui ni lui, ni ses camarades n’auraient peut-être survécu.

Lazare Rachline, a tout traversé avec une dignité et un héroïsme extraordinaires, pour finalement ne faire triompher qu’une seule chose :

La vie, le « métier de vivre » dans ce qu’il a de plus banal, de plus simple, de plus beau aussi. C’est ainsi qu’après tant de dangers encourus, tant de hauts faits accomplis, tant d’épreuve endurées, Lazare Rachline a retrouvé sa femme, ses enfants, ses affaires. Grand industriel, il transforma au fil des ans la petite fabrique de lits créée par son père en une entreprise prospère.

La lutte exemplaire de Lazare Rachline nous montre que l’esprit de résistance est le seul que l’on puisse faire sien si l’on veut voir triompher les valeurs les plus fondamentales et les plus belles. Ce combat n’autorise aucun repos. À ceux qui ont déposé l’esprit de Résistance au patrimoine de l’humanité, nous disons la détermination de Paris à vaincre les épreuves à venir dans la fidélité au souvenir des luttes passées.

Oui les valeurs de liberté, de respect, de fraternité que Lazare et la Résistance ont défendues pendant la guerre sont aujourd’hui menacées et doivent être réaffirmées et sanctuarisées avec intransigeance.

Oui, le combat contre l’antisémitisme qu’il a porté haut doit aujourd’hui redevenir une priorité absolue, quand ce fléau renaît sous d’autres formes dans notre pays.

Oui, il nous faut redoubler de confiance en notre capacité à lutter, à résister, à construire ensemble pour faire advenir un monde meilleur.

Oui, le progrès de tous prend racine dans l’engagement généreux et désintéressé d’hommes et de femmes capables de servir des causes qui les dépassent mais sans qui elles ne seraient rien.

En donnant à ce jardin le nom de Lazare Rachline, nous faisons davantage que de lui rendre hommage : nous voulons réintégrer à sa juste place dans l’Histoire celui dont le rôle essentiel a parfois été négligé, en le réinscrivant dans le quotidien des Parisiens. C’est avec la plus grande émotion que Paris lui offre aujourd’hui l’hospitalité de sa mémoire, le témoignage de son respect et la promesse de sa fidélité.

Je vous remercie.