Huillier Victor

Isère , Rhône-Alpes

Auteur de la fiche : Par Daniel HUILLIER Fils de Victor.

Victor Huillier

LA RÉSISTANCE DANS LE VERCORS.

 » SOUVENIRS D’UN ADOLESCENT « 

Fin 1940, après le désastre de juin et l’armistice que le Maréchal Pétain a signé avec Hitler, des hommes et des femmes, refusant la défaite, se sont révoltés.

Ernest Samuel médecin à Pontoise, son épouse, Yvonne Ravalec-Samuel, Pharmacienne, sont installés à Villard-de-Lans depuis 1938, pour la santé de leurs enfants. Ernest Samuel, étant d’origine juive, ne peut reprendre ses activités de médecin. Aussi, dès fin 40, entre-t-il en contact avec mon père et Théo Racouchot, Hôtelier, Grand Chef de Cuisine.

Cet embryon de résistants se renforce de M. Charlier, Percepteur, Edouard Masson, Banquier, Marcel Dumas, responsable de  » Force et Lumière  » sur le plateau du Vercors, Baptiste Converso, entrepreneur de travaux publics à Lans-en-Vercors.

Ainsi, naît fin 1941 début 1942, l’équipe qui démarra la résistance à Villard-de-Lans.

Mon père, Victor Huillier et Samuel prennent alors contact à Lans-en Vercors, avec le Docteur Léon Martin qui y possède une résidence. De cette rencontre naîtra le groupe  » F.T  » (Francs 6  Tireur s). A Grenoble, ils rencontreront également Mathieu Pupin. Début 41, mon père, associé à trois amis, crée une Société d’Exploitation forestière, et achète, au titre de cette activité, le tiers de la ferme d’Ambel, appartenant à Jean Erlich, Juif, Député S F I O du XIIIème arrondissement de Paris. Ils lui louent, en vue de l’exploitation du bois de Gazo et du charbon de bois pour les gazogènes, les deux autres tiers restés en indivision entre sa soeur Sazia, qui réside aux USA et son frère Julien, domicilié en France. En septembre 42, au moment où débute le S T O (Service du travail obligatoire), mon père met à la disposition de tous ces réfractaires au S T O, la ferme d’Ambel dans laquelle y est installé en novembre 1942, le premier maquis de France. La responsabilité du camp est confiée à Simon Samuel, frère d’Ernest, Jacques dans la résistance, qui en est l’organisateur avec, à ses côtés, le directeur de l’Exploitation forestière, Monsieur Bourdeaux dont le nom dans la résistance est « Fayard » Dès les premiers jours de mai 43, l’équipe de Villard-de-Lans, sous les ordres de Mathieu Pupin, organise un coup de main pour récupérer une citerne dessence, propriété de l’armée, qui est camouflée à Mens dans des locaux appartenant aux autocars  » Grindler « . L’opération, probablement mal organisée, échoue. Aussi sont-ils obligés de faire demi-tour sans la citerne, pour être ensuite arrêtés par les Italiens à Pont-de-Claix. Cette équipe était composée d’une dizaine d’hommes, parmi lesquels se trouvaient trois employés des Autocars Huillier qui travaillaient comme mécaniciens et électriciens. Elle était placée sous les ordres de Simon Samuel. Deux jours après cette expédition ratée, cinq camions de soldats italiens débarquent à Villard-de-Lans pour arrêter Pupin, Charlier, André et Jean Glaudas ainsi que son épouse et mon Père. Ils seront incarcérés à la Caserne de Bonnes, en attendant leur transfert en Italie, à l’exception de mon père, interné à Embrun. Mon oncle André Glandas et sa belle-sœur Denise seront, quant à eux, remis en liberté quelques jours après. Le lendemain, un nouveau convoi italien, composé de cinq véhicules, arrive à Villard-de-Lans et stationne devant notre bureau. Me trouvant là, je vis dans un des camions Raymond Piqueret ainsi que Simon Samuel. Ce dernier m’apercevant, me demanda de leur apporter à manger, ce que je fis en allant solliciter de ma tante Germaine du ravitaillement que je remis alors à Simon. Il en profita pour m’inviter à monter dans le véhicule et me proposa de m’asseoir à côté de lui, pour me dire à voix basse que parmi ceux qui avaient été arrêtés, certains avaient fait passer l’information selon laquelle les chaussures de Montagne  » modèle 1940 « , prises lors d’un coup de mains aux Chantiers de Jeunesse à Saint-Laurent-Pont, se trouvaient à Méandre. Simon m’a également ordonné d’aller voir Léon Vincent Martin, le boulanger, pour qu’il enlève les armes déposées avec les chaussures. Avec un camion de mon oncle André Glaudas, conduit par Alphonse Perriard, (qui, plus tard, sera fusillé), nous sommes allés à Méaudre chez le boulanger Léon Vincent Martin. Nous sous sommes ensuite rendus en sa compagnie et celle de son mitron, Gaston Sublet, sur les lieux où étaient cachées les armes, qu’ils enlevèrent immédiatement. De retour à Villard, deux heures plus tard, Simon m’ordonna de repartir à Méaudre, conduire le convoi italien sur le lieu de la cache, dans laquelle il ne restait plus que les 400 paires de chaussures. Le capitaine italien me gratifia d’une paire que je restituais, dès mon retour, à Mme Yvonne Ravalec-Samuel qui m’enguirlanda sévèrement ; je lui répondis que je n’avais fait qu’obéir à l’ordre de Simon et que pour les reproches, elle devait s’adresser à lui. J’avais à l’époque 15 ans, aussi, après cette affaire, suis-je parti me mettre au vert, à Ambel, jusqu’au mois de juillet. Mon père fut libéré par les Italiens en septembre 43, après que le Maréchal Pietro Badoglio a demandé  » dans le dos de Mussolini « , l’armistice aux Américains qui avaient débarqué dans le sud de l’Italie. Il rentre alors à Villard, un jeudi ou un vendredi, pour, dès le dimanche, déjeuner à l’Hôtel de Paris en compagnie de ses amis Magdelen et Gravier. Ce même dimanche soir, il me dit :  » demain tu viens à Grenoble avec moi ». Nous descendrons par Saint-Nizier pour, au passage, y voir des amis. Notre voyage s’accomplit d’abord en car, ensuite par le tram, qui nous dépose à Grenoble, cours Lafontaine, devant le lycée Champollion. Nous empruntons alors le Boulevard Agutte Sambat, la rue de Bonne, nous traversons la place Grenette et remontons la rue Montorge. Au bout de la rue, devant notre bureau Place Philippeville, j’aperçois une traction. Je dis alors à mon père :  » reste là, ce sont les Boches « . Dans unpremier temps, Il ne veut rien savoir, mais finit par se laisser convaincre de m’attendre. En poussant la porte du bureau, côté voyageurs, je vois deux hommes, coiffés de chapeaux mous noirs, et vêtus de manteaux longs, en cuir brun presque noir. Je fais alors un clin d’oeil à Monsieur Bressac et lui demande l’heure du prochain car pour Villard. II me répond aimablement : 18 heures. Je le remercie sans sourciller, puis, très calmement fais demi-tour et retourne rapidement rue Montorge où mon père patiente, pour lui dire de ne pas traîner dans le coin. Je reverrai ensuite mon père à plusieurs reprises, d’abord en octobre 43, quelques jours avant la rentrée des classes, au hameau du Rousset, puis à Noël de la même année, à Saint Vallier-sur-Rhône et enfin, le 6 juin 44, dès son retour à Villard.

Les 12 et 13 juin, après la bataille de Saint-Nizier, nous déménageons tout notre matériel (ateliers, cars et camions) à Saint-Martin-en-Vercors, ce qui représente une quinzaine de véhicules, accompagnés bien sûr de nos chauffeurs qui tous furent des Résistants et dont 4 périrent au combat ou furent fusillés. Jusquau 23 juillet, je pus disposer dune petite moto de 125 cm3 de cylindrée, elle me permit de faire la liaison entre l’Etat6Major, où demeuraient mon père, et les chauffeurs chargés d’exécuter les ordres de missions que je leur transmettais. Le 15 ou 16 juin, mon oncle Georges, resté chez un cousin à bois Barbu avec ses chevaux, fut arrêté à son tour. Déporté, il mourut dans  » le convoi de la mort « , qui, au départ de Compiègne, comprenait 1600 hommes, entassés à cent par wagon, sans boire, sous la pleine chaleur de la mi-juillet. Il n’en resta plus que 600 à l’arrivée. Lui avait 37 ans, il était marié et père de 3 enfants. Le 22 juillet, nous avons préparé un car pour transporter des blessés, en enlevant les sièges pour les remplacer par des matelas. Le 23 juillet, à 3 heures du matin, mon père me réveilla et me dit :  » C’est foutu les lignes de défense sont enfoncées de partout, on va essayer d’évacuer les blessés sur Die « .  » Va chercher avec Berruyer dit Bébé, (chauffeur des cars Adrien Brun qui, par la suite, sera employé à la ville de Fontaine), ta mère, ton frère Victor, tes tantes et leurs enfants Michèle et Paul, (logés à la ferme Bertrand à 3kms du lieu où nous nous trouvions) et tu suivras avec la camionnette (Citroën 1523) ton oncle Paul qui part sur Die en car avec les blessés « . Je m’exécute. En arrivant à Chamaloc, je vois le car, transportant les blessés, arrêté. Mon Oncle Paul se dirige vers nous, nous dit de faire demi-tour à Saint-Martin, embrasse ses enfants et sa femme. C’est son dernier adieu, sa famille ne le reverra plus ;

En montant le Col du Rousset, mitraillés par un avion allemand, nous sommes contraints de nous arrêter et d’aller nous allonger dans le caniveau, côté montagne.

Le calme revenu, nous reprenons la route pour atteindre Saint-Martin une heure après. Chavant, Tanant, Boissière (le spéléogue), mon oncle Emile et enfin mon père, après avoir décidé d’évacuer les blessés à la grotte de la Luire, s’interrogent sur le lieu d’évacuation des membres de la famille. La décision est alors prise de nous diriger également sur la grotte de la Luire Mon père me dit alors :  » Tu y vas avec la famille « , je lui réponds qu’il n’en est pas question, et lui oppose un refus catégorique en lui signifiant que  » je ne voulais pas crever dans ce trou « . Après un vif échange, ils se consultent entre eux, et me demandent mon avis sur la destination de Pont-en-Royans. J’accepte immédiatement, d’autant que je connais bien le coin et que j’y dispose d’amis sûrs et fidèles. Nous arrivons en famille à Pont-en-Royans qui, deux jours avant notre arrivée, a été bombardé. On s’installe, ironie du sort, dans un coin dénommé  » Paradis  » à 1 km 500 du village, au sommet d’une colline qui le domine. On accède, par un chemin à forte pente, à la ferme de Madame et Monsieur Michal, des gens d’une gentillesse extraordinaire.

La famille huilier est, à l’exception des hommes, à peu près au complet. Je nai que 16 ans, ma jeunesse minterdit d’être ailleurs. Le 6 ou 7 août, seul, je quitte Pont-en-Royans pour rejoindre Grenoble et porter de l’argent aux parents de ma mère. A pied, je rejoins Saint-Marcellin en passant à travers champs, afin d’éviter de possibles et fréquents barrages allemands. Je reste deux jours à Saint-Marcellin, hébergé par mes amis Bresson, transporteurs, chez qui je rencontre un garagiste de Villard M. Marquet, Chauffeur du Colonel Joseph (Zeller). Mes hôtes nous prêtent un vélo, seul moyen de transport pour atteindre Grenoble, sur lequel nous voyagerons à deux.

 Par chance, après Vinay, un car Ricou, transportant voyageurs et colis, s’arrête et nous prend à son bord. Nous franchissons le barrage de Veurey, cachés sous les colis. J’arrive le soir à Fontaine chez des amis qui, inquiets pour leur sécurité, me disent :  » tu vas nous faire fusiller si tu restes ici « . Après tant de souffrances endurées, lorsqu’on est

si jeune, à l’écoute de tels propos, on sent fondre rapidement ses illusions sur la nature humaine. Il me faudra, en plus, coucher pendant deux nuits, dans la grange avant que l’on ne consente à m’offrir un lit. Parvenu enfin à Grenoble, je rends, comme prévu, visite à mes grands-parents, 23, Grand-Rue au 4ème étage au-dessus de la librairie  » Arthaud « .Le 14 août, en début d’après-midi, aux alentours de 14 heures alors que je retourne les voir, j’aperçois devant l’usine Bouchayer, des hommes allongés : ils viennent d’être fusillés, je déguerpis rapidement. Ce n’est que plus tard que japprends que, parmi ces fusillés, se trouvent un de mes cousins et tous mes amis de Villard. En attendant de rejoindre mon père avec lequel j’ai rendez-vous le 22 août, à midi, à l’usine électrique d’Engins, je loge chez mes grands-parents à Grenoble.

Dans la nuit du 20 au 21 août, vers 1 heure du matin, je suis réveillé par la détonation d’une arme, je me lève précipitamment, j’entrouvre le store vénitien et vois des hommes poursuivre un fugitif qui se tient la tête. Sa course éperdue ne lui permet malheureusement pas d’échapper à trois ou peut être quatre rafales de mitraillettes, tirées par des waffens SS français. Cet homme git maintenant sur le sol, allongé sur le dos, son visage éclairé par un lumignon de la défense passive. Je crois reconnaître mon père, mais il s’agit de mon oncle Paul, arrêté dans un appartement au-dessus de nos bureaux, Place Philippeville et qui a été abattu alors qu’il essayait d’échapper à ses tortionnaires. Mon grand-père m’empêche de descendre, il est trop tard, son sort est scellé, je pleure.

Le surlendemain matin, je prends le dernier tram pour Saint-Nizier, qui fera son dernier Aller-Retour, le pont du Drac ayant été dynamité par les Allemands.

Je descends comme prévu à l’arrêt des Gaillets, puis me dirige sur Rochetière par les rangs qui dominent l’Usine d’Engins.

Je retrouve alors mon père et lui annonce que son frère Paul, âgé de 35 ans, père de 2 enfants a été tué la veille, Grand-Rue et que son corps doit se trouver à la morgue.

Après un repas frugal chez Charlevol, le Directeur de l’Usine, nous montons sur le plateau de Sornins, en direction d’Autrans où nous arrivons vers 18 heures. Là, une voiture du maquis attend mon père pour l’emmener à la Préfecture, rejoindre Eugène Chavant : C’est la Libération.

De retour à Villard, en compagnie de mon futur beau-frère, venu me chercher, je constate que notre bureau et notre garage ont été détruits ou incendiés, notre appartement vidé de ses meubles, de sa vaisselle et de nos vêtements, les Allemands les ont distribués. Nous mettrons plus d’un an pour en récupérer une partie. Mais ce nest pas le plus dramatique !

Le plus terrible, c’est de voir certains Villardiens nous rendre responsables de l’hécatombe subie par notre village : 83 morts. Peut-être pensaient-ils qu’il était possible de libérer la France sans combats ni sacrifices humains ?

En souvenir de ses oncles Georges et Paul HUILLIER,ses cousins Henri et Gérard MAGNAT, des chauffeurs Marcel CARTIER, Louis CLOT, Lucien JARREAUD, Paul PRIMAT morts pour la France.

De ses tantes Germaine GLAUDAS, Thérèse, Andrée, Marcelle et Fernande HUILLIER, à sa mère qui ont toutes participé avec leurs époux ou frères à la reconquête des libertés perdues