de Clarens Jeannine

Alliance

Auteur de la fiche : Biographie parue dans le dernier bulletin de l'association Alliance, il avait été publié en anglais en 1998 dans le Washington Post Company. Jeannine de Clarens a été médaillée de la Résistance et depuis 2009 elle est grand officier de la Légion d'honneur. Traduction Daniel Bouchet  28 Octobre 2013 

Jeannie de Clarens

Ceci est l’histoire de Jeannie Rousseau (de Clarens) qui fut membre du réseau de Résistance de Georges Lamarque[1] (avec le nom de code de “Amniarix”). Elle fut l’un des plus efficace espion de la Seconde Guerre Mondiale bien que méconnue. Ses rapports précis sur les plans militaires secrets allemands, particulièrement   au sujet des V1 et des V2, ont aidés à persuader le Premier Ministre Winston Churchill de bombarder le centre d’essai de Peenemünde.

Ses exploits l’on conduite plus tard dans trois camps de concentration (Ravensbrück, Torgau et Königsberg) d’où elle est revenue sans avoir dévoilé les grands secrets qu’elle avait dérobés aux Allemands. (Voir  R. James Woolsey, Doyle Larson, et Linda Zall, “En l’honneur des héros de la Seconde Guerre Mondiale : Récompenses prestigieuses pour Espionnage” Etudes sur l’espionnage 38, n°5 (1995), 27-36,  le 27 octobre 1993 cérémonie au quartier général de la CIA en l’honneur de Jones et Jeannie de Clarens.)

Une cérémonie au quartier général de la CIA le 27 octobre 1993 en l’honneur de deux héros de la Seconde Guerre Mondiale, le physicien britannique Réginald Victor Jones fut le premier à recevoir le prix RV Jones pour l’espionnage. Jones a reçu sa médaille gravée des mains de DCI Woolsey. Jones dirigeait les services de renseignements pour l’aviation pendant la seconde Guerre Mondiale et travaillait également pour les services de renseignements britanniques. Parmi ses nombreux exploits on peut citer la mise au point de systèmes de brouillage des ondes des radars allemands guidant les bombes vers leurs cibles en Grande Bretagne.

Au cours de cette cérémonie, Jeannie de Clarens, nom de code AMNARIX, fut également honorée. Elle était interprète, elle trompa les agents de la Gestapo et recueillit des informations très importantes sur le programme de développement de fusées offensives à arrière des lignes ennemies. (Voir les notes de Marie Madeleine Fourcade dans “l’Arche de Noé”).

Le courage de Madame de Clarens à collecter et transmettre ces renseignements dans des circonstances difficiles ont conduit R.V. Jones à ses analyses et à son action pour persuader Londres d’entreprendre le raid sur Peenemünde et ainsi aboutir à perturber et retarder le programme des V1 et V2, sauvant ainsi des milliers de vies à l’Ouest.

Madame de Clarens, fut arrêtée deux fois et fut emprisonnée dans trois camps de concentration, elle fut récompensée par le DCI de la médaille au sceau de l’agence. Ile DCI a déclaré que Jones et Madame de Clarens sont deux personnes remarquables symbolisant le mieux la profession du renseignement. Le Washington Post cinquante ans après, Un espion raconte son aventure ; Britain Gained Warning of Nazi (Rockets by David Ignatius December 28,1998, Page AO1)

Comme bien des choses importantes, cela a débuté par accident. La jeune femme était dans le train de nuit de Paris, en direction de Vichy, lorsqu’elle a rencontré un vieil ami. Il ne restait plus de places assises dans le train, alors ils sont restés debout dans le couloir, parlant sans risque sous la faible lumière bleue de l’éclairage d’ambiance. Leur conversation fut, discrète, prudente, dangereuse,

C’était en 1941, la France avait été vaincue par les nazis, la Grande Bretagne subissait le Blitz et le Troisième Reich semblait invulnérable. Jeannie Rousseau qui avait 21 ans, avait déjà été arrêtée une fois par les nazis et jetée en prison pour espionnage, elle fut ensuite relâchée par manque de preuves. Georges Lamarque l’avait rencontrée à l’université de Paris où elle avait fini première de sa formation en montrant des dispositions pour les langues, particulièrement pour l’allemand. Il était mathématicien de profession et maintenant, du fait des circonstances, il était espion.

Cette rencontre de hasard dans le train de nuit allait conduire Jeannie (prononcez Johnny) Rousseau à rejoindre le Réseau Lamarque et à devenir un des plus efficace espionnes de la seconde Guerre Mondiale, bien que peu connue. Ses rapports précis sur les plans militaires secrets allemands, particulièrement le développement des bombes volantes V1 et des fusées V2, ont aidé à persuader le Premier Ministre Winston Churchill de bombarder le centre d’essais de Peenemünde, et ont diminué l’impact des armes de terreurs dont les nazis espéraient qu’elles changeraient le cours de la guerre. Ses exploits l’ont plus tard conduite dans trois camps de concentration, elle a survécu sans jamais dévoiler le grand secret qu’elle avait dérobé aux Allemands.

La jeune femme qui a osé devenir une espionne est assise dans le jardin de sa résidence d’été près de la Rochelle, sur la Côte Atlantique. Elle a 79 ans, est veuve, habillée d’un corsage bleu foncé et d’un pantalon, avec des cheveux couleur d’argent qui entourent son visage bronzé.

Elle est encore belle, C’est le type de femme, qui selon un ami plus jeune, vous fait désirer avoir 25 ans de plus. Ses yeux pétillent encore de l’intelligence qui a rendu ses sources allemandes si impatientes de révéler leurs preuves scientifiques, aujourd’hui encore, elle raconte à contrecœur.

Elle n’a jamais partagé les détails de son histoire avec un journaliste jusqu’à aujourd’hui. Elle dit : “qu’après la Guerre un rideau a été tiré sur ses souvenirs”. Comme de nombreux “vrais héros”, elle regarde ses exploits avec un certain embarras. “J’ai fait si peu”. “D’autres on fait bien plus”. J’étais une petite pierre dans l’édifice”. Au début elle esquive le récit de ces évènements si lointains. Elle se tenait presque au garde à vous devant la cheminée de sa maison vieille de 250 ans, écoutant les questions d’un reporter à qui elle aurait souhaité ne jamais avoir donné son accord pour le rencontrer.

Tant de gens réclamaient la reconnaissance pour ce qu’ils avaient fait pendant la guerre, ou pour ce qu’ils auraient aimé avoir fait. Laissons-leur les applaudissements. Elle hésite encore, elle se souvenait. Pendant la Guerre, elle a été aidée par sa mémoire photographique. C’est ce qui a en grande partie contribué à faire d’elle une bonne espionne. Mais à présent toutes ces images s’estompent, et bientôt il n’en restera plus rien. Elle doit en parler avant d’oublier complètement. Papa volontaire, elle savait juste par quoi commencer.

“J’ai commencé avec mon père,” disait-elle, Jean Rousseau était un civil français serviteur distingué, qui avait combattu durant la première Guerre Mondiale (pas un héros, mais un soldat solide), plus tard il voyagea au Proche Orient pour le ministère des Affaires Etrangères. Jeannie était sa fille unique, et dans ses souvenirs, il ne lui parla pas avant qu’elle ait 12 ou 13 ans, lorsqu’il s’aperçu qu’elle avait quelque chose d’intéressant à dire. Après la fin de son service dans le civil, il fut élu maire du XVII° arrondissement un quartier chic près de l’Arc de Triomphe où la famille avait un appartement rue Geoffroy.

Lors de l’invasion allemande de juin 1940, Monsieur Rousseau décida (d’une façon très naïve et très française) de transporter sa famille et les archives de l’arrondissement vers le village côtier de Dinard près de St Malo – où il croyait que les Germains n’arriveraient jamais. Mais les troupes nazies arrivèrent bientôt par milliers, préparant une invasion probable de la Grande Bretagne. Le maire de Dinard qui était le voisin de la famille Rousseau, cherchait désespérément quelqu’un parlant allemand qui serait susceptible d’assurer la liaison avec le commandement allemand. Rousseau désigna sa fille. (Elle ne souhaitait rien d’autre que servir, c’est ce que son père déclara au maire.) Le lendemain matin, revêtue de son vêtement bleu le plus austère et d’un corsage blanc, elle alla rencontrer les officiers allemands. Ils furent charmés par sa compagnie, ils lui offrirent des cadeaux et des promenades sur la plage. Elle refusa tout.

« Les Allemands voulaient être appréciés », se souvient-elle. “Ils étaient heureux de parler à quelqu’un qui pouvait leur répondre“. Et pour parler, ils ont parlé – des noms, des chiffres, des plans, toutes choses que ces hommes d’un certain âge ont évoquées imprudemment en présence de cette jolie jeune femme qui parlait si bien l’allemand. (Elle s’arrête pour réfléchir : “A cette époque, je parlais si bien que je pouvais passer pour une Allemande. Mais ça n’est plus le cas aujourd’hui. Je ne sais plus un mot maintenant. N’est-ce pas étrange ?”)

Un jour de septembre 1940 un homme de la ville voisine de St-Brieuc vint me rendre visite. Il m’a demandé si je voulais bien transmettre des informations sur ce que j’entendais lors de mes rencontres avec les officiers allemands. Sa réponse, alors fut la même que plus tard, automatique. “J’ai dit“ Quel intérêt de savoir tout ça, si ce n’est pour le transmettre ?”

Bientôt les Britanniques reçurent tant de renseignements sur les opérations allemandes dans la région de Dinard que les espions allemands à Londres soupçonnèrent la présence d’un agent bien placé sur place. Jeannie fut arrêtée par la Gestapo en janvier 1941 et mise en prison à Rennes. Un tribunal militaire allemand examina son cas, mais les officiers de Dinard insistèrent pour la faire libérer, car leur charmante traductrice ne pouvait pas être une espionne. Ainsi elle fut libérée.

Sa seule peine fut une obligation de quitter la côte. Son père voulut savoir ce qu’elle avait fait. “Rien Papa “ répondit-elle. “Je n’allais pas lui en dire plus que ce que j’avais dit à la Gestapo, et bien entendu, il m’a crue “ Elle dit cela avec les sourcils relevés et un léger sourire aux lèvres, et on peut voir qu’à 79 ans, Jeannie conserve les qualités de 1940, lorsqu’elle était la fille intelligente de son père, capable de tromper tout le monde et que personne ne pouvait soupçonner. Alors Jeannie partit immédiatement pour Paris. Elle avait appris une leçon essentielle à propos de l’espionnage cela paie d’écouter.

Maintenant, elle était à la recherche d’un nouveau travail qui lui donnerait accès à des informations sensibles, “un travail qui m’introduirait dans la gueule du loup, c’est là que je voulais aller”. Assez vite, dit-elle, “j’ai trouvé un travail intéressant” Le syndicat français des industriels, une sorte de chambre nationale de commerce, avait besoin d’un traducteur dans ses bureaux de la rue St-Augustin. Jeannie obtint le poste et devint bientôt un membre important du personnel de l’organisation. Ce qui signifie qu’elle rencontrait régulièrement des membres de l’état-major allemand basé à l’hôtel Majestic. Elle rencontrait les Allemands presque chaque jour pour traiter de dossiers commerciaux. Des plaintes à propos des inventaires commandés par les Allemands, des offres pour vendre des marchandises stratégiques comme l’acier, le caoutchouc aux Allemands. Elle accumulait une grande quantité de renseignements de base, mais en pure perte. (“J’accumulais des noisettes comme l’écureuil, mais je n’avais pas de moyens pour transmettre mes renseignements.”)

L’occasion est venue avec ma rencontre fortuite avec Lamarque dans le train de nuit. Sur une photo de l’époque, Jeannie paraît bien plus jeune que son âge. Petite et souple, plutôt une fille dégourdie qu’une femme sophistiquée. Mais il y a de la force dans son regard, le goût du risque. Lamarque était plus âgé qu’elle, 28 ou 29 ans, robuste et trapu, pas beau, mais avec un regard ardent et un esprit brillant. Il l’a reconnue immédiatement comme étant une ancienne camarade de la faculté des sciences politiques, où elle avait fini major de sa promotion en 1939. Que faisait elle maintenant, il voulait savoir ? Elle lui parla de son travail et de ses contacts réguliers avec les Allemands. Lamarque avoua qu’il était en train de constituer un petit réseau qui récoltait des renseignements. “Accepteriez-vous de travailler pour moi ?” demanda Lamarque. Elle répondit immédiatement oui. Rapidement, elle lui dit qu’il y avait certains bureaux et départements à l’hôtel Majestic qui étaient hors cadre car les Allemands travaillaient sur des armes et sur des projets spéciaux. Elle pensait pouvoir avoir accès à ces domaines secrets. Et il en fut ainsi. Lamarque l’introduisit dans son petit réseau, connu sous le nom de “Druides”, il lui donna le nom de code de “Amniarix”. Il n’y avait plus qu’à récolter les informations. “Ce fut très simple dit-elle. ”J’ai utilisé ma mémoire. J’ai connu tous les détails en ce qui concernait les plans et les installations en Allemagne. Nous développions nos connaissances sur ce qu’ils avaient et sur ce qu’ils faisaient, nous avions un œil sur leurs actions. Et n’était-ce pas dangereux ? La chance lui a souri, elle rencontra rapidement des officiers allemands qui avaient été ses amis à Dinard. Des gens qui ne pouvaient pas imaginer qu’elle pouvait un jour faire quelque chose de mal. Ils travaillaient à présent sur des projets secrets, et ils la présentèrent à leurs amis.

En 1943 Jeannie entendit les informations les plus sensibles – les histoires d’armes spéciales qui étaient en construction en Allemagne orientale. Elle crut bien être tombée sur un des plus grands secrets de la guerre. “J’ai compris que c’était très sérieux. Ce fut aussi l’opinion de Georges. Il m’a dit, continue, ne laisse pas le fil se couper. Comment les a t’elle fait parler ? Pourquoi ces officiers aguerris, responsables de la mise au point d’armes susceptibles de changer le cours de la guerre ont-ils trahis le secret auprès d’une jeune fille de 23 ans.

Elle insiste pour dire qu’elle n’a jamais joué les “Mata Hari”. Elle n’a jamais échangé du sexe contre des informations. Au contraire, ce fut une question de finesse de sa part et de crédulité de leur part. Les officiers allemands constituaient un petit groupe, ils se rencontraient souvent le soir dans une maison de l’avenue Hoche. (“J’y passais de temps à autre, je ne me souviens plus précisément quelle maison.”) Ils buvaient et parlaient, souvent en compagnie de leur belle amie française qui parlait si bien l’allemand. Tous auraient aimé coucher avec, et probablement qu’ils l’aimaient d’autant plus qu’elle a toujours refusé. Ils parlaient librement de leur travail entre eux, et bien qu’ils ne s’adressassent pas directement à Jeannie, ils ne prenaient pas garde à sa présence. “ Je faisais partie des meubles, se souvient elle.” J’étais une si petite personne, assise parmi eux, et je ne pouvais qu’entendre ce qui se disait. Ce qu’ils ne disaient pas, je le leur soufflais. “Comment peut-on souffler aux forces d’occupation de révéler des secrets militaires ? ” Elle expliqua : “ e les taquinais, je me moquais, j’ouvrais de grands yeux étonnés, je leur disais qu’ils devaient être fous pour évoquer ces étonnantes armes nouvelles susceptibles de voler sur de longues distances plus vite que n’importe quel avion. Je continuais ainsi :  “Ce que vous me dites ne peut pas être vrai. ”Je l’ai bien répété 100 fois. “Je vais vous montrer m’a dit un des Allemands. Comment ai-je demandé ?  Il m’a répondu : “C’est ici sur cette feuille de papier !” Alors l’officier allemand montra un document expliquant comment entrer sur le centre d’essai de Peenemünde, les laisser-passer requis et la couleur de chacun. Jeannie avec sa mémoire photographique, enregistra chaque mot dans sa mémoire. Ses amis avaient tellement confiance et étaient si avides de l’impressionner qu’ils lui montrent même des dessins des fusées.

Après ces séances avec ses amis allemands, “Jeannie se rendait chez Lamarque, dans un endroit sûr au 26 rue Faber, sur la Rive gauche près des Invalides. Elle s’asseyait à la table de la cuisine et transcrivait ce qu’elle avait entendu, mot à mot. “J’absorbais comme une éponge”. On ne me demandait pas de faire des commentaires où de comprendre. “Par exemple, lorsque les Allemands faisaient référence à des fusées, elle n’avait aucune idée de ce dont ils parlaient. De telles fusées à long rayon d’action n’avaient encore jamais été construites.

En septembre 1943, Jeannie avait accumulé suffisamment d’informations sur les fusées V2 pour envoyer un rapport détaillé en Angleterre.  Lamarque y joignit une présentation qui disait : “ Ces informations peuvent sembler incroyables, mais j’ai une confiance totale dans ma source. “Le texte de son rapport figure dans le livre “ (La guerre magique, par Reginald V. Jones, chef du renseignement scientifique britannique durant la guerre).

C’est mieux d’en donner un extrait, car c’est l’un des principaux documents de renseignement de la seconde Guerre Mondiale : “ Il apparaît que l’étape finale a été atteinte dans le développement d’une bombe stratosphérique d’un type entièrement nouveau. Cette bombe semble être d’un volume de 10 mètres cube et remplie d’explosifs. Elle serait lancée presque verticalement pour atteindre la stratosphère aussi vite que possible. La vitesse initiale étant maintenue par des explosions successives. Les essais semblent avoir donné d’excellents résultats, et c’est à ces succès qu’Hitler se référait lorsqu’il parlait d’armes nouvelles qui changeraient le cours de la guerre lorsque les Allemands les utiliseraient. “ (Un officier allemand) estime que 50 à 100 de ces bombes suffiraient à détruire Londres. Les aires de lancements seraient distribuées afin de détruire méthodiquement la plupart des grandes villes britanniques durant l’hiver.”

Jeannie se demandait si des officiels anglais importants recevraient jamais ses informations, ou s’ils comprendraient leur importance. Comme elle l’a écrit dans l’introduction du livre de Jones : “ Ceux qui ont travaillé en secret dans la peur constante – peur de l’indicible – étaient mus par l’obligation intérieure de participer à la lutte, Presque sans pouvoir, ils sentaient qu’ils pouvaient écouter et observer. Il n’est pas facile de décrire la solitude, la peur, les attentes sans fin. La frustration de ne pas savoir si les informations obtenues dans le danger seront transmises – à temps – reconnues comme vitales dans une masse de courriers.”  Mais ses inquiétudes étaient vaines.  Jones imagina immédiatement les conséquences des découvertes de cet agent anonyme, les informations de Jeannie étaient sur le bureau de Churchill seulement quelques jours après leur arrivée en Angleterre. Elles ont aidé à persuader les Britanniques de bombarder Peenemünde et d’autre part elles ont aidé à se préparer contre la menace des missiles allemands.

Les rapports de Jeannie, enregistreur humain de renseignement, ont continué en 1944, ajoutant de nouveaux détails à propos du travail à Peenemünde. Elle voyageait au cœur de l’Allemagne avec ses amis industriels français, rapportant précisément ce qu’elle avait vu et entendu. Parfois, elle ne comprenait pas les concepts scientifiques utilisés par Werner von Braun et les autres scientifiques allemands, mais elle se comportait en fidèle enregistreur humain.

Les Britanniques étaient si frappés par les rapports de Jeannie qu’ils décidèrent de la faire venir en Angleterre pour un “débriefing”. Une mission aérienne fut impossible car il n’y avait pas de pleine lune pour aider à la navigation du pilote, alors on planifia une mission maritime, peu avant le “D Day,” depuis Tréguier sur la côte bretonne. Mais l’agent français qui devait les conduire au travers des champs de mines fut capturé et l’opération fut découverte. Jeannie arriva la première au rendez-vous et trouva la maison encerclée par des soldats allemands. Elle essaya bravement de prévenir les autres agents français qu’ils marchaient vers un piège, mais quatre furent capturés dont Jeannie.

Les Allemands l’emprisonnèrent d’abord dans la même prison où elle avait été détenue brièvement en 1940. Cette fois ci ses papiers étaient au nom de “Madeleine Chauffeur”. Curieusement, personne ne réalisa que c’était la même femme qui avait été arrêtée quatre ans plus tôt et relâchée. Jeannie cria son innocence à tous ceux qui purent l’entendre, disant qu’elle avait simplement accompagné les autres hommes. Elle portrait deux douzaines de paires de bas nylon, qu’elle avait prévu de donner en cadeaux à ses amis Britanniques lorsqu’elle serait à Londres.

Maintenant elle inventait rapidement une histoire de marché noir en Bretagne. (“Fort heureusement ce fut un mauvais interrogatoire. S’il avait été meilleur, cela aurait été pire pour moi.”). Elle fut transférée brièvement dans une plus grande prison en banlieue parisienne, puis envoyée dans le principal camp de concentration nazi pour femmes à Ravensbrück. Le récit de sa survie, c’est la partie de l’histoire que Jeannie ne veut pas évoquer.

Il est maintenant 23 H 30, et elle a parlé et bu du vin et de la vodka depuis des heures. Dans la cuisine, il y a une grande photo de son mari, Henri de Clarens titubant sous le poids d’un gros requin marteau qu’il avait pris sur la côte. On peut voir sur son avant-bras robuste son numéro matricule tatoué à Auschwitz. Jeannie a dit qu’ils se sont rencontrés après la guerre dans un sanatorium. Deux survivants des camps essayant d’oublier ce qui s’était passé.

A t’elle jamais parlé à ses enfants de ses expériences pendant la guerre ? Juste une seule fois, dit-elle. Ils ont pris rendez-vous comme pour une consultation chez le médecin, ont réunis les deux enfants. Je me sentais mal, était-ce trop dur pour être entendu par les enfants ? Non dit-elle, pas du tout. “C’était trop difficile pour nous de parler.” Les Français sont différents des Américains, dit-elle. Ils ne célèbrent pas leurs souffrances et leur victimisation. Ceci fut particulièrement vrai après la guerre, quand il y avait tant de Français qui avaient de bonnes raisons d’avoir honte. “ Les gens voulaient oublier.” Dit-elle. “ Les gens ne voulaient pas savoir”. Même les héros, semble-t-il, voulaient oublier. Mais elle a commencé à raconter l’histoire et il est impossible d’arrêter maintenant. Son histoire sur les camps est différente de ce qui a précédé. Elle raconte lentement, haletante, s’arrêtant parfois pour 10 à 15 secondes, comme si certains souvenirs précis faisaient trop mal, obstacles sur la route qu’elle ne peut franchir, blessures qu’elle seule peut ressentir.

Ceci n’est pas une histoire d’espionnage, mais une histoire de survie. “Dès que vous êtes prise,” dit-elle, “vous ne pensez plus à la cause pour laquelle vous luttez. Vous ne pensez qu’à survivre. Vous étiez battue, désespérée. Vous deveniez incapable d’envisager le futur. Vous ne pensiez qu’à une seule chose, Vous et votre survie. “ Même ici, elle est trop modeste.

Une prisonnière fougueuse, Jeannie, arriva à Ravensbrück le 15 août 1944. Ses papiers au nom de Madeleine Chauffeur, le dossier d’appartenance à un réseau d’espionnage a été envoyé séparément. Jeannie joua un tour à sa façon. Quand les officiers de la Gestapo lui demandèrent son nom, elle leur répondit Jeannie Rousseau. A l’évidence les nazis n’éclaircirent jamais la question. Jamais ils ne confrontèrent leur prisonnière avec son alias et jamais ils ne réalisèrent que cette femme était une espionne.

Le camp de concentration était un lieu sans espoir. Certaines femmes étaient là depuis un an ou plus, et certaines étaient à peine encore vivantes. Jeannie décida que c’était le devoir d’une nouvelle arrivante que de leur redonner espoir. “ Nous savions que le débarquement en Normandie avait eu lieu. Avant ce jour, l’espoir était quelque chose d’irréel. Maintenant, c’était vrai. Les Alliés avaient débarqué. Ils étaient derrière nous. Ils arrivaient. ”Jeannie eut deux proches amies françaises de la Résistance qui étaient arrivées avec elle. – Une comtesse nommée Germaine de Renty et une communiste nommée Marinette Curateau. Les trois jurèrent de ne rien faire pour aider la machine de guerre nazie. Si elles étaient envoyées dans un camp de travail elles organiseraient une protestation.  Jeannie et 500 autres prisonnières françaises furent bientôt envoyées dans le camp de travail de Torgau afin de fabriquer des munitions. En accord avec son serment, Jeannie refusa. Elle alla trouver le chef de camp, un Allemand rondouillard, et lui parla en utilisant son meilleur allemand. Les femmes étaient prisonnières de guerre et la Gestapo n’avait pas le droit suivant les conventions de Genève à les forcer à fabriquer des munitions. Les autres femmes suivirent son exemple et déclarèrent qu’elles refusaient de fabriquer des munitions. C’était un geste de défiance fou, mais peut-être à cause de cela même, il réussit en élevant l’esprit des autres prisonnières. (“Nous étions si puériles, mais nous étions là-bas.”)

Après sa protestation, Jeannie a été renvoyée à Ravensbrück afin d’y être interrogée. “J’aurais dû mourir à ce moment -là, mais les Allemands ne trouvèrent pas de dossier concernant Jeannie Rousseau. Parce qu’il n’en n’existait pas. (« Ils m’ont demandé pourquoi j’avais été envoyée à Ravensbrück, et j’ai répondu, que je n’en savais rien !”) La Gestapo conclut que qui qu’elle put être, elle était une fauteuse de troubles. Alors, papiers ou pas papiers, ils envoyèrent Jeannie et ses deux consœurs au camp disciplinaire de Königsberg à l’Est. Ce qui était un endroit très désagréable, ajouta t’elle le visage hanté par les souvenirs. Très dures conditions de travail, les femmes travaillaient dehors dans la neige glaciale, transportant des pierres et du gravier pour construire un aérodrome. Ils rentraient au camp à la nuit, frigorifiés, pour un repas chaud composé d’une soupe. La soupe était contenue dans de grands récipients gardés par la gardienne chef, une grosse bête que les françaises appelaient la “Vachère”, ou “the cowgirl”. Elle accablait les prisonnières affamées en renversant d’un coup de pied le récipient de soupe dans la neige et en se délectant ensuite du spectacle des prisonnières cherchant à récupérer des résidus de nourriture dans la boue.

Même dans ce camp disciplinaire, Jeannie continua à se battre. Elle décida que les chances des prisonnières de rester en vie seraient plus grandes si on savait à l’extérieur qu’elles étaient toujours en vie. Elle organisa un recensement à l’intérieur du camp, relevant le nom de plus de 400 femmes, elles les inscrivirent sur des petits bouts de papier qui furent passés au travers des barbelés à des prisonniers français dans un camp voisin. D’une manière ou d’une autre, les Français firent parvenir la liste à la Croix-Rouge en Suisse. La santé de Jeannie se détériorait. Au cours de ce terrible hiver 1944 1945, les gardes allemands arrosaient Jeannie et d’autres prisonnières chaque matin, puis les forçaient à rester debout nues dehors jusqu’à ce que l’eau devienne de la glace, alors elles pouvaient rentrer à l’intérieur.

Elle savait que si elle restait à Königsberg, elle ne survivrait pas. Elle mit au point un plan d’évasion bizarre. Des femmes du camp de Königsberg avaient contracté la typhoïde, un camion devait partir bientôt pour les conduire à la chambre à gaz à Ravensbrück. Jeannie et ses deux amies françaises montèrent dans le camion. Elles voyagèrent presque deux jours sans manger. Lorsque le camion atteignit la grille de Ravensbrück, il s’arrêta quelques minutes avant d’aller vers la chambre à gaz. Jeannie et ses amies attendirent que les gardes ne les voient pas et elles quittèrent le camion. Leur problème maintenant était de pénétrer en fraude dans le camp de Ravensbrück (elle rit – est ce imaginable ?) et d’essayer de disparaître à l’intérieur du camp. Une fois à l’intérieur du camp, elles se précipitèrent vers la baraque N° 22 où étaient détenues les prisonnières françaises. Elles avaient besoin d’aide désespérément. Sans un matricule de prisonnière, elle n’aurait accès ni à la nourriture ni à un toit. Leurs compatriotes acceptèrent de les loger, mais seulement pour une nuit.  Après cela, Jeannie et ses amies allèrent à la baraque des Polonaises, où elles furent nourries et abritées pour quelques jours, jusqu’à ce qu’un informateur les dénonce à la Gestapo. Alors, il semblait bien que leur chance les avait quittées. Elles furent toutes les trois mises dans la prison du camp de Ravensbrück où elles subirent des interrogatoires sévères. (“Toutes trois, nous racontâmes dix histoires différentes. J’en ai bien raconté deux ou trois.”)  Nous fûmes détenues avec demi-ration, et astreinte au nettoyage des latrines si nauséabondes et à d’autres travaux terribles. “ A ce moment, Jeannie fut très malade, atteinte de tuberculose, elle ne du sa survie qu’à l’aide d’un courageux médecin tchèque. Alors qu’elle était en train de mourir, la Croix-Rouge internationale arriva un jour à Ravensbrück. Un officiel suisse à lu une liste de prisonnières libérables. Cela ressemblait à l’instant de la délivrance, car la liste contenait certains des noms qu’elle avait plus tôt transmis à l’extérieur. Elle entendit son nom depuis sa cellule et courut à la porte pour répondre présente. Mais les gardes la bloquèrent. Pas de libération humanitaire pour elle.

Jeannie essaya de reprendre sa vie après la guerre. Elle employa son don pour les langues en tant qu’interprète aux Nations-Unis et dans d’autres organisations internationales. Elle évita la plupart des reporters et des historiens, mais elle accepta une médaille spéciale du directeur de la CIA James Woolsey en 1993. Woolsey avait entendu parler de ses exploits par Réginald Jones qui croyait qu’elle incarnait ce qu’était l’espionnage réel, de l’intelligence humaine. La citation de la CIA la louait pour son espionnage brillant et réel et pour son courage qui inspire le respect. « Le réflexe du héros : il est presque 2 heures du matin lorsqu’elle termine son récit et elle est épuisée par les efforts fournis pour se souvenir. Mais le lendemain matin, elle paraissait radieuse. Son visage était empreint d’une sérénité qu’il n’avait pas la veille. Plus de cinquante ans se sont écoulés. La guerre est finie, et les années d’oubli qu’elle s’est imposée sont passées aussi.

Pourquoi a-t-elle fait ce qu’elle a fait ? C’est la question qui persiste à la fin du récit remarquable de Jeannie. D’où lui est venu son courage ? Qu’est ce qui a fait d’elle un héros quand tant d’autres ont été lâches ? Quand Lamarque lui a posé cette question dans le train, pourquoi a-t-elle immédiatement dit oui ? Pourquoi a-t-elle risqué sa vie alors qu’elle aurait pu vivre confortablement à Paris ? Jeannie se moque. Quelle question me posez-vous là ?  « Je l’ai fait, c’est tout», dit-elle. « Ça n’était pas un choix, c’est ce qu’on a fait. A cette époque, nous étions tous persuadés de mourir. Je ne comprends pas la question. Comment aurais-je pu ne pas le faire ? Et c’est sa réponse. L’héroïsme, n’est pas une question de choix, c’est une question de réflexe. C’est une propriété du système nerveux, pas de la conscience. Si Jeannie Rousseau avait dû réfléchir à ce qu’elle devait faire, elle aurait sans doute rejoint les millions de ceux qui n’ont rien fait.

[1] Chef du réseau des Druides créé par le réseau Alliance. Jeannie était donc membre du réseau Alliance.