Prévost Jean "Capitaine Goderville"

Auteur de la fiche : Cet entretien est tiré de la plaquette présentant le projet de Site National Historique de la Résistance en Vercors, réalisé par le Parc Naturel Régional du Vercors en 1993. - Bibliographie de Jean Prévost.

Jean Prévost

« Il y a plusieurs sortes d’écrivains ; il y a ceux qui, tout jeunes, donnent toute leur oeuvre, c’est Rimbaud ; Il y a ceux au contraire qui ont besoin de longues années de préparation et qui, vers la quarantaine, sont mûrs pour faire alors véritablement leur oeuvre. Je sais bien que je suis un écrivain d’après la quarantième année et que ce que je ferai, ce que je dois faire je le ferai après mes quarante ans. « propos de Jean Prévost à son ami André Chamson en 1939

Jean Prévost est tombé le 1er août 1944 sous la mitraille nazie à l’âge de 43 ans. Ainsi est mort un des écrivains les plus doués de sa génération à moins de 24 heures d’intervalle de son ami Saint-Exupéry qui ne devait jamais revenir d’une mission de reconnaissance au dessus de la région de Grenoble-Annecy.

Goderville, Combattant du maquis du Vercors. Le 3 septembre 1939, Jean Prévost est mobilisé au service du contrôle téléphonique du Havre. Durant cette période il travaille sur sa thèse sur Stendhal. Au printemps 1940, il épouse en deuxième noces, Claude Van Biema, médecin. Mai 1940 la France est envahie, le Havre est en flammes. Prévost part avec son unité pour Cherbourg. Il est évacué par mer vers Casablanca et revient en France au mois d’août. Il séjourne à Lyon, où Jean Prouvost l’engage pour Paris-Soir (celui de Paris est sous complète tutelle allemande). Il écrit un article par jour. Ce journal avait une relative liberté de manoeuvre. Prévost va y exercer une résistance toute en nuance. C’est l’époque où il fait de fréquents séjours aux Côtes de Sassenage, dans la maison de famille de ses amis Dalloz, et travaille sur les manuscrits de Stendhal, à la bibliothèque municipale de Grenoble. Il passe sa thèse en novembre 1942 à la faculté des lettres de Lyon, parmi ses multiples activités d’écrivain, Prévost collabore à « Confluences « , revue littéraire fondée à Lyon en 1941, par René Tavernier. Il adhère au Comité National des écrivains, créé par Aragon et sa femme, et participe à la création du journal clandestin « Les étoiles  » à la fin de 1942. A partir de là, Prévost qui n’avait jamais supporté la défaite de 1940 se prépare au combat armé. Il sera avec Pierre Dalloz, grand montagnard, à l’origine du projet d’utiliser militairement ce formidable lieu qui est le plateau du Vercors : le Plan Montagnard. Prévost et sa femme quittent Lyon pour habiter Coublevie au dessus de Voiron, aux portes du Vercors. Odile Yelnik écrit : « Ainsi naît un personnage nouveau, l’écrivain-maquisard, l’écrivain-soldat, le colt sur la cuisse, le Montaigne en poche, travaillant à son « Baudelaire  » dans les instants de repos et jusqu’au dernier jour avant les combats. » Prévost prend le nom du village normand où était né son père et devient le capitaine Goderville. Son endurance lui permet un travail considérable, il visite, s’informe, surveille, conseille, parle avec chacun. « Nous changions très souvent de place, raconte un ancien maquisard, il craignait que l’on nous repère. C’était un homme très humain, redoutant pour nous le pire, et cherchant toujours à protéger les habitants des villages voisins … » En avril 1944, Prévost loue une maison dans le Vercors même, aux Vallets, commune de Saint-Agnan et s’y installe avec sa femme. Ces deux fils viendront les rejoindre pour les vacances. Il s’engagera à fond dans la bataille, commandant une compagnie de maquisards après avoir accompli de nombreuses missions, s’illustrant à de multiples reprises notamment lors de l’attaque de Saint-Nizier-du-Moucherotte les 13 et 15 juin 1944 et lors de l’assaut du Vercors par les troupes du général Pflaum à partir de juillet 1944. L’ennemi est nettement supérieur en nombre et en armement. Jean Prévost et quelques rescapés se cachent dans la grotte aux Fées au dessus du hameau de la Rivière à Saint Agnan en Vercors, durant huit jours. Le 29 juillet au soir cinq hommes vont tenter de rejoindre Grenoble : Prévost, Veyrat, Charles Loisel, Julien du Breuil et Fred Leizer. Ils marchent la nuit et s’arrêtent le jour. Le 1er Août au matin, ils sortent des gorges d’Engins et arrivent au pont Charvet. Les Allemands y sont en embuscade. Jean Prévost dans un sursaut de résistance tente d’éviter les coups de feu en sautant par dessus de parapet. Les cinq Français sont tués sur le coup. Les habitants de Sassenage retrouveront les corps des résistants criblés de balles

Jean Prévost avait songé écrire une histoire du courage, « immense sujet » disait-il. Le destin ne lui a pas donné le temps de l’écrire mais de le vivre.

Témoignages

André CHANSOM : de l’Académie Français : « Retrouver le souvenir de Jean Prévost c’est, pour moi, reprendre contact avec le talent et avec l’honneur… Il faudrait que les jeunes générations sachent mieux qu’elles ne le savent ce que fut cet athlète de l’intelligence, qu’elles le lisent et qu’elles pensent un peu à ce que fut sa vie. »

Simon NORA : Inspecteur des finances, auteur, avec Alain Minc d' »Informatisation de la société  » (Seuil : « C’était un homme rayonnant, jupitérien, d’une robustesse étonnante. Il y avait en lui le défi lancé par l’intellectuel aux jeunes paysans : dans le Vercors, il d’une grande résistance. Contrairement à ce que dit Odile Yelnik, Prévost, dans le Vercors, ne cachait pas tout le temps son passé. Je me souviens des discussions interminables que nous avions sur Stendhal, Baudelaire, ou je ne sais quel sujet littéraire. Quand nous avons quitté ensemble la grotte, le jour où il est mort, il m’a dit : « c’est triste mais je crois que je n’aurai plus le temps de finir mon « Baudelaire »… »

Louise WEISS : écrivain, auteur des « Mémoires d’une Européenne  » (Albin Michel) : « J’ai connu Jean Prévost quand il travaillait pour moi, à l’Europe nouvelle. C’était quelqu’un d’une vitalité extrême et d’une culture indéniable, les deux se répondant constamment et trouvant leur apogée dans le maquis du Vercors. A l’époque de l’Europe nouvelle, je le sentais concentré sur un avenir qu’il attendait mais ne voyait pas vraiment. Son humanisme, parce qu’il était profondément un humaniste, manquait de finalité : c’est le Vercors qui la lui donnera, avec tout son désordre, son romantisme, sa noblesse. »

Jérôme GARCIN: auteur du livre « Pour Jean Prévost  » Gallimard 1993 :  « Car tel est Jean Prévost : un esprit étonnamment curieux, qui sait aussi bien traduire Lorca que déboulonner un rail, parler de l’architecture du Tibet ou de la composition de la Chartreuse, citer la théorie des quanta et les oeuvres de Matisse, disserter sur « le menu des ménagères anglaises sans frigidaire, ni gaz » et des Épicuriens français ou de Viollet-le-Duc ! Toujours à l’avant-garde des idées, il annonce la victoire du cinéma sur le théâtre, professe sa foi en l’architecture du béton armé et du métal, rédige des articles écologiques, découvre en Amérique l’avenir de l’Europe, et inaugure une critique légère et perçante qui fait peu cas des habituelles références universitaires… Que nous reste-t-il, alors ? D’abord la certitude -pour certain le souvenir- d’un homme droit. Quand beaucoup d’intellectuels flirtaient successivement à droite et à gauche, lui fut fidèle à l’engagement démocratique qu’il avait toujours mis en actes. De même qu’il sut donner sa vie et son esprit à la défense de la liberté nationale .En suite, l’éventail surprenant d’une oeuvre non pas « géniale » mais passionnément ouverte et totalement vécue… Ne cultivons cependant pas un « mythe Prévost » : il ne l’eût ni souhaité, ni encouragé. Mais invitons des lecteurs à le découvrir, et des éditeurs à le republier. Parce que cette oeuvre a quelque chose de profondément honnête et salubre. Elle témoigne d’une vie conduite à l’instar d’une oeuvre d’art. Et inversement. Ce qu’on ne peut certes pas dire de tout le monde… »

Françoise PREVOST : L’actrice de cinéma et femme de théâtre Françoise Prévost est la fille de celui qui se fit appeler Goderville au maquis, en souvenir du village familial de Normandie. Françoise évoque le père qu’était Jean Prévost. Elle avait 14 ans lorsqu’elle le vit pour la dernière fois : « C’était peu de temps avant sa mort. Il était revenu à Paris pour y rencontrer des responsables de la Résistance. Je vivais avec ma mère, Marcelle Auclair, dont papa était divorcé et j’allais dans une école privée, le cours Fradin. Je l’ai vu là, presque en douce, à la sortie de la classe. Il s’est adossé au mur, et moi je me suis mise à côté, comme si de rien n’était. Il m’a dit : « Ecoute, n’aie pas l’air de me parler, j’ai peur que l’on me suive. » Alors nous avons discuté brièvement, sans nous regarder, il m’a demandé si ça allait, les études, le moral, il avait l’air inquiet. Et puis on s’est quitté, comme ça, à la sauvette. J’ai appris sa mort un peu plus tard, au moment de la Libération de Paris. En raison des nombreux bombardements nous étions alors réfugiés dans une petite maison de Chamrosay près de Corbeil, achetée à Marie Laurencin. Dans la cave nous écoutions la BBC et c’est là que j’ai entendu l’annonce de sa mort dans le Vercors, ce fut un choc épouvantable pour maman et pour moi. »

Il était dans le Vercors avec votre frère Michel ?  Oui, Michel est plus âgé que moi, et il avait alors seize ans. Il était resté avec mon père dans le Vercors et voulait agir à ses côtés. Je crois qu’il était à la fois agent de liaison, ravitailleur, infirmier… Michel s’en est tiré, il a appris la mort de notre père dans le maquis, Aujourd’hui il conserve un terrain dans le Vercors, mais nous n’y allons pratiquement plus.

Pourquoi ? Le Vercors vous semble trop triste désormais ?  Il n’y a pas que cela, vous savez, j’en ai assez d’entendre toujours parler de mon père comme du héros assassiné, du Résistant mort au Vercors, ce que je veux aujourd’hui, et je me bats pour cela, c’est que l’on découvre enfin son oeuvre, et à travers elle l’homme extraordinaire qu’il était. Nous travaillons avec des amis à la réédition de ses livres car avant-guerre il était l’un des grands écrivains de son temps. Après-guerre il était oublié comme tel, et l’on ne retenait que sa bataille exemplaire de Saint-Nizier, ainsi que sa mort héroïque. L’écrivain n’est pourtant pas mort ce jour là. Il reste son oeuvre, Il est vrai que Jean Prévost était un auteur de la NRF, et que pendant cette guerre la NRF s’est un peu fourvoyée et compromise. D’où l’oubli injuste dans lequel est tombé mon père, lui qui fut pourtant un résistant exemplaire.

A-t-il écrit sur la mort ?  Oui, dans Les Caractères. Il disait : « La peur de la mort est une faute d’imagination « .Et un peu plus loin : « Il faut faire confiance à la paix du dernier visage.  » En revanche, il ne faisait pas confiance aux idéologies. Il était fidèle à des valeurs d’amour, de tolérance, de dialogue, de simplicité. Il n’aimait pas les parades des militaires par exemple mais il n’écartait pas la bagarre et disait, ce qui est très beau : « Il faut parfois défendre violemment des idées modérées « .