MARIN Jean

Auteur de la fiche : Jean-Michel Gaillard.

Jean MARIN

« Le messager de l’espoir« 

Jean Marin de son vrai nom Yves Morvan est mort le 3 juin 1995 à Paris. Il fut l’une des voix de la BBC dans l’émission : « Les Français parlent aux Français ». On peut dire que grâce à lui et à son équipe tous les soirs pendant les quatre années que dura l’occupation allemande trois auditeurs français sur quatre devinrent des « BBCistes » convaincus. Voici ci-dessous le « billet » que lui consacra Jean-Michel Gaillard dans le journal le Monde du 6 juin 1995.

« Il était de ces hommes qui, dès l’abord, vous donnent une certaine idée de la grandeur. Je l’ai connu en 1989, date symbolique, par l’intermédiaire d’une amie commune, Georgette Elgey, l’historienne de la IVè République. Après un quart d’heure, j’étais sous le charme, fasciné par sa haute stature, sa voix, ses gestes, le calme imposant de son visage qu’éclairaient des yeux vifs exprimant par avance la gourmandise qu’il éprouvait des propos qu’il allait tenir. Il racontait des histoires où se mêlaient les grandes et petites choses de sa vie, et, ce faisant, il racontait l’Histoire, tant depuis les années 30 il avait été mêlé de près aux fureurs de ce siècle.

Il a été tour à tour le journaliste basé à Londres aux heures sombres de 1939-1940 ; le soldat mobilisé dans la capitale britannique, affecté au programme français de la BBC, accueillant le général de Gaulle lors de l’appel du 18 juin et épousant dès l’origine son combat pour la France libre ; le pilier de Radio-Londres, de ce programme resté dans toutes les mémoires, « Les Français parlent aux Français » ; le combattant des Forces navales françaises libres débarquant à Utah-Beach à la mi-juin 1944 et reprenant jusqu’à la Libération de Paris son rôle d’homme de média sur le sol de la patrie enfin rendue à elle-même ; le président de l’Agence France-Presse de 1954 à 1975.

Pourtant, dans sa diversité, la vie de Jean Marin a été guidée par quelques principes simples. La fidélité d’abord, et en premier lieu au général de Gaulle. Il disait avec son humour coutumier que deux choses seulement le séparaient du fondateur de la France libre : il était arrivé à Londres avant lui et mesurait dix centimètres de plus que lui. Gaulliste, Jean Marin le fut pour toujours à compter du 18 juin. Il a toujours révéré celui qu’il appelait « le presbyte de l’Histoire ». Mais cela ne l’a pas empêché d’accompagner François Mitterrand lors de la création de l’UDSR et d’éprouver pour le président qu’il fut de 1981 à 1995 une profonde et fidèle amitié. Rien ne lui avait fait davantage plaisir que cette phrase de M. Mitterrand, qu’il rappela au président élu lorsque celui-ci lui téléphona le soir de son élection : « Rompant avec les siens, le général a rencontré le peuple. Depuis, le peuple et lui ne se sont jamais tout à fait quittés. »

L’espérance ensuite. Jean Marin était de ceux que rien, jamais, ne décourage. C’est cette espérance qu’il avait conçue dès le 18 juin 1940, à laquelle il donna vie, des années durant, à Radio-Londres, tandis qu’il nouait par sa voix ce lien indélébile avec tant de Françaises et de Français pour lesquels il fut, aux heures sombres de Vichy et du nazisme, un messager inlassable d’un avenir de paix et de liberté. Ce qui l’avait uni à ses frères de combat, ces Français libres, volontaires et anonymes, qui se battaient pour ces deux causes sacrées qui n’en faisaient qu’une, la France et la liberté de tous les hommes, était plus fort que tout. En 1990, pour le cinquantième anniversaire de l’Appel, il avait souhaité organiser à Notre-Dame de Paris une cérémonie réunissant toutes les confessions et les familles de pensée. Nous ne pensions pas que cela fût possible. Et, pourtant, il a réussi. Le 18 juin 1990, Jean Marin était comblé, car se trouvait réunie là, par-delà les âges, les classes, les confessions, la diversité qui avait aussi été celle de la France libre.

La rigueur enfin. Lorsque, ces derniers mois, nous avons passé tant d’heures ensemble pour mettre en images l’épopée de Radio-Londres, j’ai mesuré son souci constant de la précision, souci du journaliste et du témoin. Depuis qu’il avait écrit ses Mémoires, publiés en 1994 sous le titre Petit bois pour un grand feu, il pouvait tout raconter, à la minute près, avec une acuité exceptionnelle. Scrupuleux, il vérifiait pourtant souvent ses dires, puis levait vers moi son regard satisfait : c’était bien cela. Cette rigueur, qui avait marqué les professionnels quand il dirigeait l’AFP comme elle avait frappé ceux qui écoutaient Radio-Londres, il en faisait, plus encore qu’une déontologie de journaliste, une règle de vie, conscient qu’il était de la force de la vérité. J’entends encore cette phrase qu’il prononça en avril 1994 au terme du visionnage du documentaire que nous avons fait ensemble pour France 3 : « J’ai rarement été aussi peu trahi. » C’était sa façon à lui, homme de rigueur, de nous dire son émotion. Il nous avait confié récemment combien il avait été heureux des cérémonies du 8 mai 1995, et de la façon dont s’étaient mêlées l’Histoire d’hier et celle d’aujourd’hui. Il voyait dans ce mélange de deuils et de gloires, célébré avec toute la pompe républicaine, comme un signe de plus de la force de la patrie et de la nation. Il nous rappela alors, se référant à Veleda la druidesse, cette phrase qu’il affectionnait particulièrement et qui sans doute le résume mieux que toute autre : « Pourquoi perdrions-nous l’espérance ? ».