JACUBERT-SKORKA Régine

Auteur de la fiche : Extrait du journal "Le Monde" du 7 décembre 2016

JACUBERT-SKORKA Régine


Née à Zagorow, en Pologne, le 24 janvier 1920, au sein d’une famille juive – son père, Jacob, est rabbin, et sa mère, Slatka, modiste –, Rivka Skorka grandit avec ses frères, Yerme (qui deviendra Jérémie, puis Jérôme, au hasard des migrations), Lajb (Léon) et Zalme, quand leur père tente de rejoindre sa sœur établie à Nancy en 1929. Il y travaille en usine ; la mère et ses trois enfants (Zalme a succombé à une broncho-pneumonie) émigrent à leur tour en 1930 et c’est en Lorraine qu’ils adoptent leurs nouveaux prénoms : Rivka devient ainsi Régine.

Déclarés apatrides par le gouvernement polonais en 1938, les nouveaux Lorrains demandent alors la naturalisation française. Mais la démarche n’a pas abouti quand la guerre éclate. Fuyant vers la Gironde la progression des troupes nazies, la famille s’essaie sans grand succès à une reconversion agricole et Régine revient en septembre 1940 à Nancy pour travailler sur les marchés, comme elle l’a fait à Bordeaux.

Si le premier statut des juifs promulgué par Vichy vaut aux siens un internement au camp de La Lande, à Monts (Indre-et-Loire), Régine y échappe. Mieux : avec l’aide d’un administrateur nancéen qui lui établit une « vraie-fausse carte d’identité » au nom de Régine Hiebel, née à Metz, la jeune femme peut rendre visite à sa famille à plusieurs reprises. Et quand son frère Jérôme s’évade du camp en octobre 1941, Régine vient le récupérer à Dijon, cachée dans la poubelle d’un wagon-restaurant grâce au concours de cheminots résistants.

Engagée dans l’Armée secrète

Condamnée fin 1941 pour exercice illégal de commerce par le tribunal de Nancy, elle a toutefois la chance, comme son frère, d’échapper à la rafle programmée à Nancy en juillet 1942 grâce à des policiers du bureau des étrangers qui, en divulguant le projet, sauvent près de 300 personnes. Passée en zone libre non sans péril, tandis que ses parents et son frère Léon sont déportés à l’été 1942, elle s’installe à Lyon, trouve un emploi de vendeuse de chaussures, protégée par une« patronne exceptionnelle », Mme Tabouret, établie place des Terreaux, qui l’autorise à s’absenter trois jours pour récupérer trois enfants de sa parentèle, placés à Châtellerault depuis l’arrestation de leurs parents. L’affaire est délicate : elle doit finalement les enlever à la sortie de l’école, les exfiltrer dans une charrette à foin et les mettre en sécurité à Limoges. Mais le périple a pris trois semaines et à Lyon la patronne la couvre auprès des autres employées en la déclarant« malade ».

Partageant avec son frère et deux familles juives une maison à la Croix-Rousse, Régine, qui s’est engagée dans l’Armée secrète, recrutée par un militaire à Lyon à la fin de l’été 1942, travaille dans la clandestinité dans une imprimerie qui produit de faux papiers, tirant des tracts qui appellent à l’insoumission qu’avec d’autres elle lance des toits dans la nuit.

Tandis que Jérôme, après un épisode aux Chantiers de Jeunesse et au STO, change une nouvelle fois de nom et disparaît pour résister, quittant l’appartement de la rue de l’Annonciade, une maison dans une traboule, une situation idéale pour échapper aux poursuites, Régine travaille à nettoyer et à graisser les armes que les partisans lui apportent.

Dès le débarquement de Normandie, elle donne tout son temps et son énergie à la Résistance. Mais le 22 juin 1944, son frère est arrêté par des miliciens. Piégée à son tour, Régine le retrouve au siège de la Gestapo, place Bellecour, où elle est mise en présence de Klaus Barbie, qui conduit en personne les interrogatoires.

Témoin à charge

Internés au fort Montluc, ils échappent au sort de leurs camarades, fusillés le 15 août, les nazis lors des séances de torture ayant découvert que Jérôme était circoncis, donc juif. Les voilà condamnés à la déportation. Drancy, puis Auschwitz au terme de trois jours et trois nuits dans des wagons où l’inhumanité s’affiche. A son arrivée, le 2 août 1944, un homme qu’elle reconnaît lui conseille en yiddish de se désolidariser des enfants et des vieillards. Ce qui du coup lui sauve la vie. Le même déporté, proche de ses parents, lui apprendra le lendemain que ceux-ci sont morts, désignant la fumée des cheminées du camp.

Le 28 octobre, Régine est affectée à l’usine d’armement de Kratzau, en Tchéquie, au nord du camp de Gross-Rosen, où, là encore, elle risque sa vie pour voler des pommes de terre qui permettent à ses compagnes de tenir quand la pénurie est totale. Se dénonçant, elle échappe à la sanction fatale en défendant crânement la solidarité des réprouvées. Libérée le 9 mai 1945, elle revient à Nancy un mois plus tard et y retrouve son frère. Et une vie anonyme.

Elle ne reparaît au grand jour qu’en 1987, témoin à charge au procès de Klaus Barbie, accompagnée de Jérôme. Comme lui, elle écrira le récit de son aventure de résistante, intervenant volontiers dans les classes pour que les plus jeunes sachent ce qui est arrivé et peut advenir encore. Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, elle se félicitait de la forte mobilisation éthique des Français, déplorant juste que soixante-dix ans plus tôt, lors de la rafle du Vel’ d’Hiv, il n’y ait pas eu un sursaut semblable.