Bromberger Jacqueline

Auteur de la fiche : Témoignage de Jacqueline Bromberger© 2000 transmis par Roger Lefort

Jacqueline Bromberger

La Résistance de l’Université de Strasbourg

La nation connaît-elle la résistance et l’héroïsme de l’Université Française de Strasbourg, avec ses 139 morts, fusillés, abattus où décédés en déportation ?

Née Jacqueline Levi, le 2 juin 1921, à Strasbourg, Jacqueline Bromberger quitte l’Alsace en septembre 1939, lors de l’évacuation d’office de Strasbourg . En 1941, elle franchit clandestinement la ligne de démarcation en septembre 1941 pour rejoindre l’Université de Strasbourg désormais repliée à Clermont-Ferrand. Elle entre dans la Résistance en octobre 1941 et devient l’agent de liaison de J.P. Cauchi

Elle témoigne :

« Lorsque Strasbourg fut évacuée, j’ai d’abord habité avec ma famille à Rennes, où j’ai passé mes 2 premières années de Droit. En 1941, j’ai franchi clandestinement la ligne de démarcation pour rejoindre l’Université française de Strasbourg.

J’ai été admise en troisième année de droit à titre de « numerus clausus ». Cette situation particulière eut pour conséquence, que le jour même de la rentrée, des camarades de Droit me firent connaître à la cantine de la place Gaillard un étudiant en lettres, Jean Paul Cauchi. Il avait 20 ans et était originaire de Mulhouse. C’était un garçon très grand, un peu voûté, les cheveux noirs plaqués, le nez corbin chaussé de grosses lunettes derrière lesquelles ses yeux pétillaient de malice.

Il animait un petit groupe d’étudiants dans lequel je fus immédiatement intégrée. Nous étions tous très motivés par l’annexion de l’Alsace-Lorraine et on cherchait à montrer toute la résistance possible contre les Allemands. A vrai dire dans les premiers temps, les moyens étaient plus que faibles et relevaient du folklore étudiant : chants dans les rues, graffitis et petits papiers collés aux murs sur le thème « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » et bombes puantes, jetées dans les réunions d’associations de Jacques Doriot. Cauchi avait conçu l’ossature de son groupement universitaire en le calquant un peu sur le schéma de l’organisation mère Combat, c’est-à-dire à la fois structuré et cloisonné. Il avait crée une section destinée à l’ « Action » par ses groupes francs, pour laquelle il se faisait assister par Sturdzé, un étudiant en lettres et une autre dite de « Propagande » qu’il avait confié à Feuerstein dit Faillot un étudiant de droit. Cauchi m’avait également demandé d’être son agent de liaison. A la section « Propagande », notre rôle consistait surtout à entretenir le moral, en faisant diffuser les différents journaux de la Résistance, plus quelques libelles imprimés de-ci delà. Pour les collecter et les distribuer, nous étions quatre permanents, tous étudiants en droit (Jacques Feuerstein, Léon Greisammer, Joseph Fertig et moi-même), auxquels étaient adjoints des occasionnels, que nous recrutions facilement parmi nos Camarades de cours Alsaciens Lorrains et Clermontois. Novembre 1942 fut un tournant crucial pour Combat Universitaire. Les Allemands avaient franchi la ligne de démarcation et étaient entrés en zone sud. Sturdzé voulut se rendre en Angleterre en passant par l’Espagne. Il fut arrêté en cours de route et mourut en déportation. Cauchi le remplaça par un étudiant en lettres Georges Mathieu. Il était âgé de 23ans et avait préparé et réussi en mai 1940 le concours d’entrée à Saint Cyr . Il expliqua à Cauchi, qu’il n’avait pas rejoint la 127° promotion et donné sa démission pour pouvoir rejoindre Londres. Il ajoutait que s’il n’y était pas encore arrivé, il espérait réussir dans un proche avenir, grâce à sa fiancée Christiane, qui travaillait comme secrétaire au 4° bureau de l’Etat Major de l’armée d’Armistice à Vichy. Mathieu apparaissait donc comme un élément de valeur venant rejoindre les rangs de la résistance universitaire. Dans les mois qui suivirent tout alla en s’accélérant. Les Allemands avaient décrété le STO (service de travail obligatoire). Les directives, que donna Cauchi n’eurent plus rien de commun avec les précédentes. A la section « Propagande », sous le contrôle de Feuerstein, l’essentiel du travail consista en la fabrication de faux papiers en tous genres : Il fallait fournir aux étudiants alsaciens lorrains, qui étaient considérés comme des traîtres et déserteurs par les Allemands, et à tous ceux qui voulaient échapper au STO des cartes d’identité, des cartes de ravitaillement, et aussi des cartes d’exemption au STO. Nous avons fabriqué plusieurs centaines de fausses cartes au printemps 1943. J’en ai apporté un lot (identité et ravitaillement) pour des enfants juifs, que j’ai remis à l’un de leur responsable à Saint Etienne. Je rencontrais parfois Mathieu, lorsqu’il venait me demander de lui fournir des fausses cartes d’identité pour des camarades ; mais il était très peu loquace et ne me parlait pratiquement pas. Cauchi circulait beaucoup pour les réseaux Mithridate et Navarre . Je le voyais de temps en temps lorsqu’il venait pour quelques jours déposer un paquet chez moi ou me demander de transporter une serviette en me faisant jurer de ne pas l’ouvrir. Je l’ai également accompagnée « comme couverture » 2 fois à Lyon   Le 24 juin 2 Agents de la Gestapo furent abattus rue Haute Saint André au domicile du Professeur Flandrin. Dans la nuit une centaine de membres de la Gestapo et de la Feldgendarmerie envahirent l’immeuble de la Gallia, qui était le foyer des étudiants alsaciens lorrains, arrêtèrent les 37 étudiants présents et les transférèrent à peine vêtus à la prison du 92   Cet été 1943 Cauchi, qui voyageait beaucoup était de moins en moins présent à Clermont (…) Il était pessimiste sur le sort de nos camarades et il croyait que loin d’être libérés, ils seraient déportés en Allemagne. Cauchi quitta Clermont vers la mi octobre 1943, en me disant qu’il serait de retour pour la fin de l’année. Je ne l’ai jamais revu. (…) Le jeudi 25 novembre 1943, le jour de la Grande Rafle, Cauchi était à Paris, Feuerstein à Lyon et moi-même en première année de Doctorat, j’avais quitté la Faculté vers 10 heures où je travaillais en bibliothèque. Aux environs de 11h30, je me trouvais Place de Jaude et des étudiants sont arrivés en criant : « il y a des Allemands, qui encerclent les Facultés et arrêtent tout le monde » Nous sommes partis aux renseignements. J’ai vu des troupes de la Wehrmacht Boulevard de Gergovie et Avenue Carnot, mais de loin ; on ne pouvait pas passer, car, il y avait des barrages.

En fin d’après midi, on a commencé à avoir pêle-mêle des renseignements par ceux qui avaient été relâchés. On a appris la mort du Professeur Collomp, celle du collégien Blanchet, les arrestations de tous les présents, le rassemblement dans la cour, suivi des interrogatoires par la Gestapo. Quand j’appris que dans le trio qui y procédait, à coté de 2 membres de la Gestapo, figurait Georges MATHIEU, j’ai tout d’abord refusé d’y croire. Mais les témoignages s’accumulaient : Mathieu dénonçait tous ceux qui avaient échappé à un premier contrôle de la Gestapo en précisant : « je sais bien que ta carte d’identité est fausse , puisque c’est moi-même qui te l’ai donné »

Je ne suis pas rentrée chez moi et le soir même je quittais Clermont-Ferrand Je suis revenue le 15 décembre 1943, les cours avaient repris. J’ai vu le Doyen Delpech, qui vu les circonstances m’a accordé une dispense de suivre les cours, que je possède toujours.

J’ai passé les derniers mois de guerre en contact avec un petit maquis du Montet aux confins du Cher et de la Creuse. Je suis retournée à Clermont- Ferrand en septembre 1944. Je n’ai retrouvé personne. J’ai appris que Cauchi avait été arrêté à Paris en avril 1944 et déporté à Buchenwald et que Feuerstein avait été arrêté à Lyon et déporté à Auschwitz.

Le vendredi 17 novembre 1944, à quelques jours près un an après la grande Rafle, commença devant la Cour de Justice le procès de Georges Mathieu , auquel j’assistais. Ceux de nos camarades, qu’il avait fait arrêter le jour de la Grande Rafle étaient toujours dans les camps de concentration, les survivants ne devaient revenir, qu’en mai 1945

Il y eut contre Mathieu, qui après la Grande Rafle était devenu officiellement le chef d’un Sonderkommando français de la Gestapo ,99 chefs d’accusation pour dénonciations, pillages, tortures. Mathieu fut condamné à mort et fusillé le 12 décembre 1944.

Au mois de mai 1945, les déportés survivants revinrent. Cauchi avait été abattu par les Allemands lors du tranfert du camp de Buchenwald à l’arrivée des troupes américaines, Feuerstein avait disparu « Nacht und Nebel »

L’Université Française de Strasbourg à Clermont-Ferrand compta dans ses rangs Professeurs, Etudiants, Administratifs 139 morts, fusillés, abattus ou décédés en déportation.