de Schotten Igor
Auteur de la fiche : Alain Vincenot
Igor de Schotten
Élève de math 5 au lycée Janson-de-Sailly, rue de la Pompe dans le XVI° arrondissement, Igor de Schotten décide, avec quelques camarades, de « faire quelque chose » et de braver l’interdiction. Mais comment s’y prendre ? Le 8 novembre, un vendredi, une idée s’impose : déposer une gerbe sous l’Arc de triomphe. Les lycéens lancent une collecte dans l’établissement et, le lendemain, nantis d’un modeste pécule, ils se précipitent chez le fleuriste le plus proche, Charles Landrat, au rond-point des Belles-Feuilles, aujourd’hui appelé place de Mexico. Ils lui commandent un bouquet orné d’un ruban tricolore.
Le 11 novembre tombe un lundi. Par crainte des manifestations, le rectorat a transmis aux proviseurs la consigne de retarder l’heure de sortie des classes. À Janson-de-Sailly, la tension est montée d’un cran. Lors de la récréation du matin, quelques élèves sensibles aux prémisses de la collaboration provoquent des échauffourées. Sans gravité. Dès la fin des cours, à onze heures trente, un cordon de policiers oblige les lycéens qui rentrent déjeuner chez eux à s’engouffrer dans la bouche du métro Pompe, empêchant tout attroupement sur le trottoir. À la reprise, en début d’après-midi, Igor de Schotten fait circuler un message dans les classes : « On sèche la dernière heure et on défile jusqu’à la place de l’Étoile. » À quinze heures, accompagné de son copain Claude Dubost, il court récupérer le bouquet chez le fleuriste. Tout sourire, Charles Landrat les entraîne au fond de sa boutique, où il leur montre « la petite gerbe » qu’il a composée à leur intention : une croix de Lorraine bleu ciel de deux mètres de haut ! En un temps record, il a réussi, assisté de son épouse et de deux employés, à se procurer aux Halles cinq cents œillets blancs, à les assembler et à les teindre par vaporisation. Les trois couches nécessaires pour fixer la couleur leur ont fait passer une nuit blanche.
Portant leur gerbe, les deux lycéens descendent jusqu’à l’avenue Victor Hugo où ils retrouvent une centaine de leurs camarades. Le cortège entame sa marche au milieu de la chaussée, vers la place de l’Étoile. Au fur et à mesure de sa progression, les magasins baissent leurs rideaux, non par solidarité mais par crainte des incidents. Sur son passage, des piétons pressent le pas, yeux baissés. « Méfiants, ils avaient la trouille », note Igor de Schotten qui ne se souvient pas avoir reçu des passants la moindre parole d’encouragement.
« Lorsque nous nous sommes engagés sur la place de l’Étoile, celle-ci était déserte. Subitement, sur notre droite, ont accouru des soldats allemands. Dubost et moi avons stoppé net. Un rapide coup d’oeil vers l’arrière nous a appris que nous étions seuls. Tous nos copains s’étaient dispersés. La peur au ventre, nous avons continué. Les Allemands, eux, se sont arrêtés. Ils semblaient attendre un ordre. À ce moment-là, des agents de police français nous ont entourés. Leur chef nous a demandé « Que venez-vous faire ici ? » Nous lui avons répondu que nous voulions déposer nos fleurs. « Suivez-nous ! » a-t-il dit. Encadrés par les gardiens de la paix, nous sommes passés devant les Allemands restés en retrait, avons fait le tour de l’Arc de triomphe et déposé ‘a la sauvette notre croix de Lorraine sur la Dalle sacrée. Ensuite, alors que nous descendions les Champs-Élysées, des policiers français en civil nous ont glissé : « Faites pas les cons. Rentrez chez vous. » Quelques mètres plus loin, des flics ont embarqué Dubost dans un panier à salade qui était garé rue de Tilsit. Il passera un mois à la prison de la Santé. Moi, j’ai continué sur le trottoir de gauche, tandis que les Champs-Élysées se remplissaient de lycéens et d’étudiants. En bas de l’avenue, à hauteur du bar du Colisée, une fanfare allemande a commencé à défiler. Des bouteilles et des verres ont volé vers les musiciens, accompagnés de « vive de Gaulle ! » et des premiers accents de La Marseillaise. Quelques membres du Jeune Front, parti national socialiste français, ont voulu jouer au plus fort. Ils ont vite été neutralisés. La vitrine de leur organisation prônant « la grande France » censée englober la Wallonie, le Luxembourg, la Suisse romande et que sais-je encore… a volé en éclats. Des side-cars et fantassins allemands ont chargé les manifestants. On a entendu des coups de feu. À l’intersection de la rue de Berry, deux policiers m’ont jeté dans un fourgon déjà bondé. On a pris la direction du commissariat du Grand Palais qui résonnait de clameurs et de chants patriotiques. On nous a parqués à l’extérieur. Cela m’a permis, prétextant un besoin naturel, de me glisser dans les massifs et de m’enfuir. »
La manifestation attira deux mille lycéens et étudiants « sur l’artère la plus célèbre du monde ». Elle se solda par « mille quarante et une arrestations, cent vingt-trois incarcérations dans les prisons de la Santé, de Fresnes et du Cherche-Midi, une quinzaine de blessés et de nombreuses disparitions ». Plus tard, Maurice Schumann, porte-parole de la France libre ‘à la radio de Londres, affirmera : « L’importance politique de l’événement a aussitôt égalé son importance morale. Pour rétablir le rang de la France dans le camp des futurs vainqueurs, le général de Gaulle entendait prendre appui sur un peuple qui n’était ni complice ni résigné. Il comprit sur-le-champ que l’élite de notre jeunesse lui apportait un renfort inestimable. Quand je lui lus le passage d’un récit qui décrivait les « deux Gaules » brandies par des manifestants, il écrasa furtivement une larme. Pour la première fois depuis le 18 juin, la gratitude et la fierté l’emportaient sur le chagrin. » Au lendemain de cet élan patriotique, la presse collaborationniste se déchaîne. La « France au travail » « grand quotidien d’information au service du peuple français », éructe, sous le titre « Les pourris ont gagné »
« Les agents de la judéo-maçonnerie peuvent se réjouir, car ces manifestations ont rendu nécessaire l’intervention des services d’ordre des autorités d’occupation.
« La jeunesse s’est laissé prendre au piège. Le traquenard a réussi : la fermeture de toutes les institutions universitaires de Paris est ordonnée.
« Le jeu est net. C’est au moment où l’œuvre entreprise par le maréchal Pétain entre dans une phase de réalisation que les agents de la décomposition sociale à la solde de l’Angleterre poussent leurs éléments provocateurs parmi les jeunes de nos facultés. »