GARRIGOUX Henri

Auteur de la fiche :

Henri GARRIGOUX

Torturé puis déporté Henri Garrigoux témoigne

 

Le docteur Henri Garrigoux a été à Aurillac un des premiers résistants du Cantal. À un journaliste de La Montagne, il se souvient et raconte :

« Après la défaite de l’armée française, j’écrivis à tous les parlementaires cantaliens de ne pas voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. J’ai été immédiatement fiché par « Vichy. Je faisais surtout de la propagande contre le régime en place. Vers 1 h du matin je sortais et j’écrivais sur les murs « A mort Laval, Pétain à la poubelle ». J’avais un alibi en cas de contrôle, vu le couvre-feu : je portais ma trousse de médecin me rendant à une urgence imaginaire. Tous les préfets successifs ont eu envie de m’arrêter mais hésitaient… ils m’enjoignirent de me taire et de cesser mes activités en faveur de la Résistance. Le 2 juin 1944 à 8 h du matin, la porte s’ouvrit, un soldat allemand me fit signe de le suivre. En bas l’immeuble était cerné. Je fus conduit au siège de la feldgendarmerie, avenue de la République. Ainsi qu’un instituteur retraité. Nous passâmes la nuit menottés sur une chaise. Le lendemain nous fûmes conduits sous bonne escorte à la gare. Ma femme, avertie du transfert par nos amis Esbrat, boulangers qui avaient leur boutique en face de la feldgendarmerie, arriva à la hâte. Je pus l’embrasser. Elle me confia que Jean, notre fils était à la campagne. Je fus transféré à Clermont-Ferrand à la prison de l’ancien régiment d’infanterie français. J’y appris le débarquement. Le 9 juin, un civil, revolver à la ceinture vint me chercher, me fit monter dans une traction avant noire et m’amena devant le portail d’une villa. Je fus conduit dans une cave, une cellule de 2 m sur 1 m 50, sans soupirail ni aération. Un homme terrifié y était déjà.

Le soir, l’homme de la gestapo qui s’appelait Roth, m’amena au premier étage et commença l’interrogatoire. Il voulait le nom de mes camarades. Devant mon silence, il m’ordonna de quitter ma veste et m’asséna des coups de nerf de boeuf sur le haut du corps et des bras. Mon mutisme persistant, sa violence redoubla, me projetant contre le mur où j’avais l’impression de m’écraser. Sueurs froides, vide dans la tête puis plus rien. Je ne sais combien de temps je restai sans connaissance dans mon cachot. Ils y amenèrent plus tard un homme au visage tuméfié, aux incisives fracturées. Avec peine il me dit : « Je suis le docteur Fric de Clermont : c’est la troisième séance. Permettez-moi de prier ». Il m’apprit qu’il avait été entre les mains des miliciens et qu’il y avait un « mouton » dans une cellule à côté de nous.

Quelques jours plus tard je fus ramené dans la pièce du ter étage. Roth braqua un revolver sur ma poitrine en hurlant : « Tu parleras, salaud ! » Je répondis : « Tirez, mais tirez donc ». Puis suivit une nouvelle séance de torture. Agenouillé devant une chaise, menotté, deux hommes me frappaient de toutes leurs forces le dos, la région lombaire et les épaules. Un troisième faisait couler au goutte à goutte de l’eau glacée pour que je ne perde pas trop vite connaissance. Le lendemain, nouvelle épreuve. Dans la salle se trouvait le « mouton » qui me frappa avec une énorme barre de bois.

J’ai pu résister à la souffrance et je n’ai livré ni un seul nom ni un seul renseignement. Mais je ne condamnerai jamais un homme ou une femme qui a parlé sous la torture.

Quelques semaines plus tard, je fus déporté dans le camp de concentration de Neuengamme puis dans le camp de travail de Sandbostel où nous fûmes libérés le 29 ou 30 avril 1945 par l’armée anglaise du général Montgomery. Séquelles dues à ces épreuves : oreille interne détruite, ce qui me cause toujours des vertiges. Perte de l’odorat, fracture de la colonne vertébrale. De plus je revins dans le Cantal avec le typhus. Je ne pus jamais reprendre mes activités de médecin libéral et terminai ma carrière comme médecin conseil de la Sécurité Sociale ».