Lafforgue François - Roger

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Auteur de la fiche : Patrice Castel

François Lafforgue

François Lafforgue « François », « Roger »(1924-1944)

François Lafforgue « Roger », est un jeune résistant membre de la 35èmeBrigade F.T.P.- M.O.I., dite « Marcel Langer », une unité atypique car des étrangers y côtoient alors des Français, ce qui en fait l’expression d’une belle fraternité d’armes.

Pour le gouvernement de Vichy, en traquant les résistants d’origine étrangère, il s’agit de s’attaquer à plusieurs symboles honnis par les tenants de la Révolution nationale : l’internationalisme et le danger « judéo-bolchévique ». Une répression policière et judiciaire systématique est alors mise en oeuvre. A la fin de 1941 et au début de 1942, les arrestations débutent un peu partout dans la zone Sud. Dès le 24 septembre 1942, le Tribunal de la 17èmeRégion militaire de Toulouse condamne à des peines de prison des militants issus du mouvement libertaire. Quant à l’anarchiste espagnol Francisco Ponzan « Vidal », il est livré à l’occupant en 1944 et sera exécuté et brûlé à Buzet-sur-Tarn, le 17 août 1944. D’autres connaîtront les geôles vichystes, à l’instar des membres de la direction politique du P.C.E. dans la zone Sud (Jaime Nieto « Bolados », Manuel Sanchez Esteban et Angel Celadas « Paco »), arrêtés le 6 septembre 1942. Ces exemples montrent clairement que les étrangers constituent la cible privilégiée de la politique de répression de Vichy. L’arrivée de l’occupant en zone Sud, le 11 novembre 1942, accentue cette tendance, les services français et allemands travaillant de concert.

Pour ce qui est de la 35èmeBrigade F.T.P.- M.O.I., les dénonciations comme les imprudences, voire la malchance, vont jouer en faveur des autorités de Vichy, qui mettent en oeuvre une répression féroce, avec une méthode implacable, à tel point que le commissaire de police Charles Gillard, chef de la section anti-terroriste de Vichy, est spécialement détaché à Toulouse, avec son équipe. Le 6 février 1943, c’est le fondateur et commandant de la Brigade, Marcel Langer (dit Mendel Langer), un ancien des Brigades internationales, qui est arrêté à la Gare Saint-Agne, à Toulouse, porteur d’une valise d’explosifs. Interné dans le quartier français de la prison Saint-Michel, il subit la torture à maintes reprises, sans parler. Le 11 mars 1943, il est condamné à mort, pour « avoir détenu et transporté irrégulièrement des explosifs ». Le substitut-général Lespinasse, s’adressant au prévenu, se serait exclamé en des termes qui ne laissent aucun doute quant au caractère symbolique de l’affaire : « Mendel Langer, je n’ai pas de mépris pour vous et, dans un certain sens, je vous estime. Vous êtes un homme de conviction et vous n’en êtes que plus dangereux car vous êtes juif, étranger, communiste. Trois raisons pour moi de réclamer votre condamnation à mort. » Langer est guillotiné le 23 juillet 1944, au petit matin, à la prison Saint-Michel.

Les arrestations se poursuivent, inéluctablement. Le 7 décembre 1943, c’est Claude Lévy qui est arrêté à Toulouse. Puis le 10, c’est au tour de son frère Raymond et de Jacob Insel, un des dirigeants de la Brigade. Le 8 févier 1944, ce sont deux jeunes de la Brigade qui tombent à leur tour dans les filets des forces répressives de Vichy : François Lafforgue « François » « Roger »et Jacques Grignoux (« André Broussin »)sont arrêtés à Grenade-sur-Garonne, à l’occasion d’un contrôle de gendarmerie. Ils convoyaient des armes. Un troisième individu, surnommé Emile, réussit à prendre la fuite.

Dans le procès-verbal de gendarmerie, en date du 8 février 1944, Bernard Lafforgue évoque les faits suivants : « Depuis le 1erfévrier 1944, je suis réfractaire. Tout au moins, j’ai suivi le ligne de conduite qui succède à cette voie (…). J’ai été racolé à Toulouse, au Café rouge, en montant les Allées Jean Jaurès, sans pouvoir donner de plus amples précisions, par l’individu qui nous accompagnait, moi et mon camarade André. Cet individu, je ne le connais pas et je ne connais pas davantage son adresse. Il dit se nommer Emile, mais je suppose que ce prénom et faux. Il m’a donné plusieurs rendez-vous au cours du mois de janvier dans diverses artères de Toulouse. Ces rendez-vous avaient pour but l’organisation de mon départ en direction du maquis. Il me parlait beaucoup des opérations militaires en Russie (…). Je suis donc parti de Toulouse le 1erfévrier 1944, abandonnant ma femme et mon atelier (…). J’ai pris le train, avec Emile et André, à destination d’Agen. Préalablement, Emile m’avait pourvu d’une somme de mille francs pour mes besoins personnels et des titres d’alimentation supplémentaires que vous avez trouvés sur moi (…). Dans les derniers jours qui viennent de s’écouler, Emile, à Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne), que nous avions rallié, nous a mis en présence d’autres jeunes gens comme nous, que nous ne connaissions pas. Il nous a rassemblés puis nous a fait part qu’il avait projeter de cambrioler un commerçant du lieu qui faisait du marché noir. Le butin devait servir à ravitailler les hommes du maquis (…). Hier, 7 février, nous avions décidé de revenir vers Toulouse et ses environs. Nous avons pris le train ce matin à Lafox, près d’Agen, et nous sommes descendus à Grisolles (Tarn-et-Garonne), à 8h45. Nous avons pris la direction de Grenade et, après un court stationnement à Ondes, dans un café, nous avons rejoint cette ville. Dans le café précité, nous avons été rejoints par un quatrième individu que je ne connais pas, mais connu d’Emile (…). A Grenade, où nous sommes arrivés ensuite, nous avons cherché un restaurant. C’est à ce moment que vous nous avez interpellés (…). Les armes et les munitions que vous avez trouvées sur moi m’ont été remises par Emile au départ de Toulouse (…). Ces armes et engins n’étaient pas destinés à être mis en usage contre mes compatriotes. »

Une cour martiale condamne Grignoux à mort, sans débats et sans avocat. Il est exécuté, à 19 ans, le 13 mars 1944 à la prison Saint-Michel, non sans crier « Vive la France, à bas les Boches ! Vengez-moi ! »Quant à François Lafforgue, qui avait été transféré à la prison Saint-Michel le 9 février 1944, il devait y rester jusqu’au 2 juillet, date à laquelle il fut remis aux autorités allemandes, puis déporté (convoi dit du « train fantôme » parti du Vernet d’Ariège à destination du camp de Dachau, via la Gare Raynal de Toulouse). Il est tué le 19 août 1944, en gare de Pierrelatte, près de Montélimar, sous un bombardement allié. Alors qu’il cherche, héroïquement, à faire identifier le convoi en déployant une étoffe tricolore, il s’effondre aux côtés de son camarade Jacob Insel « Jacques ».

Après-guerre, une biographie de François Lafforgue a été publiée, dans un numéro du bulletin Jeunesse héroïque, par l’Association Nationale des Amis des Francs-Tireurs et Partisans Français. En voici quelques extraits, qui relatent son arrestation :

« Des mois, des mois terribles et glorieux de la guerre partisane ont passé. Groupes de villes… Etre traqués, respirant au milieu de l’ennemi, obscure poursuite de la tâche cruelle et incomprise… Maintenant le traitre et l’Allemand comprennent dans leur chair le prix de l’oppression.

Mais les rangs des partisans se creusent. Après Marcel, après Boris et Guy, Claude est tombé et Pierre du fond de sa prison n’espère plus qu’une victoire qui semble impossible et miraculeuse, mais dont il n’a jamais cessé d’attendre le jour.

Et puis un jour, c’est le hasard contraire. Du côté de Grenade, des copains attendent des armes. La sortie de la ville s’opère sans encombre, à bicyclette. Sur les porte-bagages de lourdes valises chargées de mitraillettes et de plastic sont assurées. Un beau jour de soleil et de calme. François et André pédalent ferme.

Quatre gendarmes.

– Papiers !

François et André exhibent sereinement leurs cartes truquées.

– Ouvrez ces valises !

André bondit sur sa bicyclette. François met le révolver au poing. L’ahurissement des gendarmes permet à André de prendre le large. Mais ses valises l’alourdissent. Rejoint par deux gendarmes, il est aussitôt capturé. « Roger », qui n’a pas pu tirer, pour ne pas tuer son camarade, est fait prisonnier.

Et c’est le long acheminement vers la Gendarmerie. François sait qu’André possède une grenade. Les nerfs tendus, il guette l’instant de la fuite et du salut. Mais voici la cour de la Gendarmerie. Solidement encadrés, les deux camarades y pénètrent par un couloir. André soudain se dégage, arrache la goupille de la grenade, la projette. L’arme roule sur le pavé, s’immobilise. Les limbes de la goupille, trop écartées, ont fait que l’anneau s’est cassé et la cuiller ne s’est pas dégagée. André fonce, bondit, dégage son ami et tous deux foncent vers la sortie… Vaine lutte de deux contre trente. Ceinturés, maîtrisés, assommés à coups de crosse et de poings, ils perdent tout espoir de fuite immédiate. »

François Lafforgue a été homologué au grade de Capitaine F.F.I. Il est titulaire de la Légion d’Honneur (Chevalier), de la Croix de Guerre avec Palme et de la Médaille de la Résistance, à titre posthume.

Merci infiniment à Bernard Lafforgue, son neveu, de m’avoir donné l’accès aux archives familiales.

Pour aller plus loin :

  • Comité de quartier Saint-Michel, Toulouse, Hommage à la 35èmeBrigade F.T.P.-M.O.I. Marcel Langer, 80 p., 2007.
  • Michel Goubet, La Résistance et les années noires à Toulouse et en Haute-Garonne (1940-1944), Editions SCEREN, 261 p., 2004.
  • Greg Lamazères, Marcel Langer, une vie de combats, 1903-1943, juif, communiste, résistant et guillotiné, Toulouse, Editions Privat, 201 p., 2003.
  • Michel Goubet, Toulouse et la Haute-Garonne dans la guerre (1939-1945),Editions Horvath, 175 p., 1987.
  • Michel Goubet, Paul Debauges, Histoire de la Résistance – Haute-Garonne, 250 p., 1986.
  • AD 31

Patrice CASTEL

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