d’Astier de la Vigerie Emmanuel

Auteur de la fiche : Jean Novosseloff

d’Astier de la Vigerie Emmanuel

Emmanuel d’Astier de la Vigerie est né en 1900 à Paris, après des études à l’école navale il entre dans la marine dont il va démissionner en 1931 pour embraser une carrière journalistique. C’est en septembre 40 qu’il fonde à Cannes le mouvement la Dernière Colonne qui se lance dans « l’art du graffitis » et le « lacérage » des affiches de Vichy. En décembre 1940 à Clermont-Ferrand, il rencontre Jean Cavaillès, Lucie Aubrac et crée en juin 1941 le mouvement Libération, et Bernard va devenir patron de l’un des trois grands mouvements de la zone-sud. C’est depuis Lyon avec Pascal Copeau qu’il administre le mouvement Libération et le journal qui porte le nom du mouvement. Il refusera dans un premier temps de fusionner avec les mouvements de Frenay et de François de Menthon. En janvier 1942 il sera l’un des premiers responsables, avec Christian Pineau qui le précédera d’un mois, à rencontrer à Londres le général de Gaulle. Après une mission aux USA il revient en France où en janvier 1943 il accepte la fusion de Libération au sein des Mouvements Unis de la Résistance (M.U.R.) où il sera en charge de mission politique importante. Il entre fin 1943 au C.N.F.L. Il plaidera avec passion et succès auprès des anglais pour l’armement de la résistance intérieure. Ses deux frères aînés Henri et François eux aussi Compagnons de la Libération joueront un rôle important dans la Libération de la France

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Publié aux éditions France-Empire, fondées en 1945 et spécialisées notamment dans les récits de guerre, cet ouvrage consacré à Emmanuel d’Astier de la Vigerie appartient à une catégorie éditoriale qui tend à se développer à mesure que disparaissent les acteurs de la Deuxième Guerre mondiale: celle des récits ou biographies rédigés par des descendants de ces acteurs, que ceux-ci se déclarent insatisfaits de l’historiographie existante – Geoffroy d’Astier mentionne par exemple qu’il avait « à cœur de rectifier nombre d’erreurs relevées ça et là dans les écrits consacrés à [sa] famille » – ou qu’ils s’estiment en mesure d’enrichir la connaissance historique d’éléments nouveaux ou méconnus des historiens. Fils de Jean-Annet et petit-fils de François d’Astier de la Vigerie, tous deux résistants, Geoffroy d’Astier a choisi de consacrer cet ouvrage à son grand-oncle Emmanuel, figure phare de la Résistance intérieure française dont il ne cache pas la fascination que celui-ci exerce sur lui depuis son enfance, évoquant ainsi dans son avant-propos « le Résistant » qu’il fut avec une majuscule très éloquente. Se situant entre le récit biographique et la chronique du mouvement Libération-Sud puis de la Résistance unifiée, ce livre s’inscrit à la suite de ceux de Laurent Douzou, historien de Libération-Sud, et de Jean-Pierre Tuquoi, biographe d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie L’auteur s’intéresse au parcours d’Emmanuel d’Astier à compter du 13 juin 1940. Chef du centre de renseignement maritime de Saint-Nazaire pendant la drôle de guerre, ce dernier vient d’arriver à Paris déclarée « ville ouverte », à la veille de l’entrée des Allemands, et prend acte, dans sa chambre, de « l’étendue du désastre ». L’idée de « faire quelque chose » commence alors à germer. C’est sur cette histoire désormais bien connue, celle des prémices du mouvement Libération-Sud et des étapes de sa création et de sa structuration, que revient toutefois Geoffroy d’Astier dans les premiers chapitres de son livre. Démobilisé à Marseille le 11 juillet 1940, d’Astier y retrouve une ancienne connaissance, Edouard Corniglion-Molinier, commandant d’aviation héros de la Première Guerre mondiale et intellectuel ami de Jacques Prévert et d’André Malraux. Ils bricolent une petite organisation dénommée « la Dernière Colonne », autour de laquelle s’agrègent dans les mois suivants quelques dizaines de personnalités qui ont en commun le refus de la résignation devant la défaite française, la présence allemande et l’instauration du régime de Vichy. Parmi elles figurent de futurs résistants de premier plan, tels les époux Aubrac et Jean Cavaillès. Les activités de la « Dernière Colonne » se résument pour l’essentiel à des actions de propagande et de contre-propagande, notamment en direction de l’ultra collaboration, de ses militants et de sa presse, tel le journal Gringoire. Néanmoins victimes du caractère improvisé de cette première aventure et très vite inquiétés par les autorités de Vichy – Corniglion-Molinier est arrêté en décembre 1940 et d’Astier forcé d’entrer en clandestinité à la suite de l’arrestation de sa nièce Bertrande en février 1941 –, ces pionniers de la Résistance se voient poussés à faire mûrir et évoluer leur organisation. D’Astier, journaliste dans l’entre-deux-guerres, décide alors de créer une publication clandestine qu’il nomme Libération et dont le premier numéro paraît en juillet 1941, sous-titré en forme d’esbroufe Organe du directoire des forces de libération françaises. C’est sur ces fondations que prend naissance le mouvement du même nom, qui gonfle peu à peu ses rangs grâce, principalement, au ralliement de militants issus de la gauche et du syndicalisme. L’auteur consacre la suite de son livre à dépeindre l’unification, progressive et semée d’embûches, de la Résistance intérieure, les liens délicats de celle-ci avec le général de Gaulle et ses services, et les rapports également très complexes avec les Alliés britanniques et américains, le tout à travers le rôle et la personnalité de d’Astier. Il met l’accent sur un certain nombre d’acteurs clés et leurs rapports avec ce personnage atypique et charismatique, défenseur acharné de la Résistance intérieure qui jouera un rôle majeur pour la reconnaissance et l’armement de celle-ci, notamment auprès de Churchill – épisode que Geoffroy d’Astier raconte en détails. La vivacité politique et les fulgurances de celui qui devint « Bernard » en entrant en clandestinité y sont mises en avant, mais aussi les conséquences de celles-ci sur ses relations avec les autres résistants, tantôt quasi passionnelles, tantôt conflictuelles. Joseph Kessel renonce par exemple à rejoindre la « Dernière Colonne » en raison du dilettantisme que d’Astier lui semble dégager, mais écrira plus tard que celui-ci fut « parmi les meilleurs » dans ses rôles tant de « camarade » que de « chef ». Lors de leurs premiers contacts, Christian Pineau, à la tête de Libération-Nord, juge sa vision politique trop « romantique » et lui reproche de ne pas comprendre la Résistance en zone occupée. Yvon Morandat, en revanche, comme la plupart des membres de Libération-Sud, tombe immédiatement sous le charme de d’Astier au point de rejoindre son organisation au lieu de s’en tenir à la mission qui lui avait été confiée par le général de Gaulle. Les rapports plus que tendus avec Henri Frenay – et leur alliance stratégique lorsqu’il s’agit de faire front commun face à Jean Moulin – occupent également une place importante dans l’ouvrage, de même que la détestation que se vouent mutuellement le colonel Passy et d’Astier, tant lorsque ce dernier était le chef de Libération que lorsqu’il devint commissaire à l’Intérieur du Comité français de libération nationale puis ministre de l’Intérieur du Gouvernement provisoire de la République française. En suivant le parcours de d’Astier, cet ouvrage permet donc au lecteur de revenir sur nombre des principales figures de la Résistance intérieure et extérieure, mais il est aussi une intéressante chronique des lieux qui ont marqué ce combat pour la Libération de la France. Les tâtonnements et les ébauches d’organisation dans le sud de la France et à Clermont-Ferrand, la maturation et l’unification dans la région lyonnaise, le repli sur Paris lorsque l’étau répressif se resserre sur les principaux cadres dirigeants en zone sud, les allers-retours à Londres puis le départ définitif du territoire français, l’installation à Alger et le retour par le sud de la France progressivement libéré à l’été 1944. Le lecteur aguerri n’apprendra probablement rien de neuf dans cet ouvrage : les archives directement consultées par l’auteur sont peu nombreuses, et on regrettera leur mention parfois très approximative. Geoffroy d’Astier s’appuie en effet sur une historiographie déjà riche et variée, ainsi que sur un corpus important de témoignages publiés, parmi lesquels ceux de d’Astier lui-même, de Lucie et Raymond Aubrac, de Henri Frenay, du colonel Passy ou encore de personnages comme Charles d’Aragon. Mais, assurément, la personnalité attachante de d’Astier justifie à elle seule la démarche éditoriale de son petit-neveu, et ce livre préfacé par Raymond Aubrac n’en reste pas moins une bonne synthèse sur l’une des plus intéressantes

Virginie Sansico

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Emmanuel d’Astier de La Vigerie

« L’aristocrate dandy de la liberté »

Par Michel Boissard, Historien.

Fils de baron, Emmanuel d’Astier de La Vigerie rompt avec son milieu d’origine et fonde le mouvement de résistance Libération-Sud en 1941, avant de devenir commissaire à l’Intérieur de la France libre en 1943.

À considérer seulement son élégante silhouette digne du personnage d’un roman de Roger Vailland, on imagine mal Emmanuel d’Astier de La Vigerie en parolier d’une chanson de Leonard Cohen ! Pourtant, est-ce l’auteur-compositeur-interprète canadien qui, l’année même de la disparition de cette figure de proue de la Résistance, donne avec The Partisan une renommée internationale à la Complainte du partisan écrite par celui-ci à Londres, en 1943: « Les Allemands étaient chez moi / On m’a dit résigne-toi / Mais je n’ai pas pu / Et j’ai repris mon arme / J’ai changé cent fois de nom / J’ai perdu femme et enfants / Mais j’ai tant d’amis / Et j’ai la France entière. » Se révolter ce fut simplement en 1940 « une question de dignité » pour le plus jeune des fils du baron Raoul d’Astier de La Vigerie, issu d’une famille vivaraise où l’on compte dés le XVIIe siècle chirurgiens, magistrats et officiers, et, du côté maternel, deux ministres de l’Intérieur, l’un sous Napoléon, l’autre sous Louis-Philippe… Peut-être, aussi, au regard de ses frères François et Henri, l’un saint-cyrien, l’autre artilleur colonial, tous cités et décorés en 1914-18, le moyen de ne pas s’éprouver comme un « raté de héros ». Car cet ancien élève du lycée Condorcet, qui a fait Navale et découvert dans ses pérégrinations maritimes les séductions de l’opium, quitte tôt la Royale pour la plume du journaliste et de l’écrivain. Assurant le matériel par un emploi dans l’immobilier d’entreprise, le voici, rompant avec son milieu d’origine, qui côtoie Drieu La Rochelle, Kessel et Cocteau, fréquente les surréalistes, publie dans Marianne – le journal de gauche lancé en 1932 par Gallimard, entre à Vu – l’hebdomadaire antifasciste de Lucien Vogel, le père de la future résistante et déportée Marie-Claude Vaillant-Couturier. « Dilettante, paresseux, indifférent à la façon des roués du XVIIIe siècle: c’est ainsi que le voyaient ses amis d’avant 1939 », écrira Lucie Aubrac. Mobilisé dans le renseignement à Lorient cette même année, démobilisé à Marseille après la capitulation de juin 1940, Astier s’indigne: « Reste l’espoir que l’histoire nous venge et replace dans l’ombre les vieillards militaires assis au sommet des ruines et qui ont eu le coeur de douter d’une cause qui n’était pas perdue. » Et se fixe une ligne de conduite offensive: « Faire quelque chose, c’est immédiatement non pas résister (…) mais attaquer. » Avec l’as d’aviation Corniglion-Molinier, producteur du film Sierra de Teruel, d’André Malraux, il organise la « Dernière Colonne », petit groupe de résistants où se retrouveront le mathématicien et philosophe Jean Cavaillès, Lucie et Raymond Aubrac, Charles d’Aragon… Les habitants de Nîmes, de Clermont-Ferrand, de Nice, de Marseille, de Toulouse et même de Vichy, plus tard ceux de Montluçon et de Limoges en connaîtront l’existence et le dynamisme lors de campagnes d’affichages massives contre les collabos ! En février 1941, des arrestations déciment le réseau et d’Astier, sous le pseudonyme de Bernard, entre en clandestinité. L’homme de l’écrit qu’il n’a cessé d’être fonde alors Libération, un périodique qui sera l’organe du mouvement Libération-Sud, l’un des trois plus importants groupements résistants de la zone non occupée, recrutant ses forces parmi les syndicalistes CGT et les milieux socialistes. Une liaison est établie avec Londres dès 1942, et en mars de cette année-là, Jean Moulin, envoyé du général de Gaulle jouant son rôle de « Carnot de la Résistance » (Malraux) peut réunir en Avignon les responsables de Libération (Astier), Combat (Henri Frenay) et Franc-tireur (Jean-Pierre Lévy). Emmanuel d’Astier, ayant rencontré de Gaulle, sera chargé par celui-ci de négocier avec le président Roosevelt la légitimité de la France libre. En même temps, il participe à l’unification des forces dispersées de la Résistance métropolitaine et devient le commissaire aux affaires politiques des Mouvements unis de la Résistance (MUR). Membre de l’Assemblée consultative provisoire d’Alger, il est nommé en novembre 1943 – rejoignant ainsi des fonctions exercées naguère par ses ancêtres maternel – commissaire à l’Intérieur du Comité français de libération nationale (CFLN). À ce titre, il discute avec Winston Churchill de l’aide armée des Alliés à la Résistance. Ministre – toujours de l’Intérieur – du gouvernement provisoire, il le demeure jusqu’à l’automne 1944. Ce compagnon de la Libération (tout comme ses deux frères), refusant alors au général une ambassade à Washington, transforme en quotidien son journal Libération qu’il dirigera pendant vingt ans, au cours d’une troisième vie de parlementaire et de militant progressiste, compagnon de route des communistes. Esprit libre, il combattra avec eux contre le réarmement de l’Allemagne via la CED (Communauté européenne de défense) en 1954, et s’opposera au traité de Rome en 1957, mais, neutraliste affirmé, il condamnera l’intervention soviétique à Budapest en 1956. Se rapprochant du gaullisme, bien qu’ayant refusés la confiance à de Gaulle en 1958, l’aristocrate qui obtint le prix Lénine de la paix, le dandy résistant qui épousa en secondes noces la fille d’un révolutionnaire bolchevique, le commentateur de l’actualité d’un célèbre Quart d’heure télévisé, directeur du mensuel l’Événement, achève son temps en 1969 par une saillie de presse mémorable: « Je vote pour Pompidou-la-scarlatine ! » Lors de sa disparition prématurée, son collègue du Monde, Pierre Viansson-Ponté, salua justement « un homme qui ne ressemblait à personne ».

Michel Boissard

 

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Les libérations d’un Dandy Par LAURENT JOFFRIN

Emmanuel d’Astier de la Vigerie de Geoffroy d’Astier de la Vigerie France Empire, 356 pp., 18 €.

C’est l’autre Libé, l’ancien, l’historique, celui de la Résistance. A sa fondation, en 1973, notre journal a repris le titre de l’organe du mouvement Libération, créé dans la clandestinité, devenu quotidien après la guerre et disparu en 1964. A vrai dire, la filiation s’arrête là. Quoique classés tous deux à gauche, les journaux sont très différents par leur contenu et leur orientation. Le premier, celui qui nous intéresse ici, doit tout à son fondateur, dandy combattant, journaliste, puis ministre et député, l’un des premiers à s’être levés contre l’occupant nazi : Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Son neveu Geoffroy livre une biographie vivante et pleine de respect familial, qui vient compléter le travail du journaliste Jean-Pierre Tuquoi ou encore celui de Laurent Douzou, historien du mouvement Libération. Tout dans ses origines aurait pu conduire d’Astier à soutenir le régime réactionnaire du maréchal Pétain : son ascendance aristocratique, son père baron, son milieu très Jockey Club, sa qualité d’officier de «la Royale», comme on appelait la marine française : tout, sauf son caractère rebelle et quelque peu extravagant qui fait mentir le déterminisme sociologique.

Nul hasard dans ce choix. Après sa démission de la marine en 1931, d’Astier s’est changé en un journaliste de gauche mondain et opiomane, instruit, par ses reportages en Allemagne et en Espagne, de la nocivité fondamentale du fascisme, marié à une Américaine, puis à une Russe, fille d’un leader bolchevik. Si bien qu’en juin 1940, il refuse, parmi les premiers, la fatalité de la défaite. Sur la Côte d’Azur des villas luxueuses et des soirées chics, il crée «la Dernière Colonne», esquisse du mouvement Libération qui sera l’une des organisations les plus importantes de la Résistance et où l’on trouve, par exemple, Lucie et Raymond Aubrac, héros du combat clandestin à Lyon, ou encore Jean Callaivès, le philosophe combattant. Elégant, romanesque, charmeur, d’Astier est un résistant assez courageux et efficace pour que le général en fasse son ministre de l’Intérieur à la Libération. Peu après, il rompt avec de Gaulle, devient député et dirige son journal, Libération, dont il a fait un quotidien neutraliste, proche du Parti communiste. Son indépendance d’esprit n’a pourtant pas faibli. Après l’affaire de Budapest en 1956, il s’éloigne du parti et retourne au gaullisme. Au début des années 60, il gagne une célébrité nationale grâce à des causeries libres et télévisées appelées simplement le Quart d’heure d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Cette vie qu’on envie, celle d’un combattant intrépide et d’un journaliste écrivain jaloux de sa liberté, s’achève en 1969, peu avant celle de de Gaulle dont il resta jusqu’au bout le héraut distancié et intransigeant. Le dandysme, on le voit, mène à tout, à condition de ne pas en sortir.