Bartholomew Colette
Auteur de la fiche : Jean Novosseloff
Colette Bartholomew
Colette Bartholomew est née Rauner, âgée de 20 ans en 1940 elle témoigne par écrit depuis son domicile de Medford dans le New-Jersey aux Etats-Unis, où ses parents et elle avait émigré en octobre 1946. :
« La plupart des juifs qui vivaient à Saint-Orse (à l’est de Périgueux en Dordogne) pendant la guerre avaient été évacués d’Alsace en septembre 1939. Nous étions, quant à nous, venus après l’armistice de 40. Réfugiés d’Allemagne en avril 1933, nous habitions Tours au début du conflit. Mon père fut interné en mars 1940 par les autorités françaises et ma mère envoyée à Gurs en mai. Ayant seulement 15 ans, je restai donc seule à la maison. Après l’armistice, Tours étant occupée, je ne savais pas où retrouver mes parents, mais je me souvins que mon oncle était à Saint-Orse. Avec l’aide d’un ami, j’ai pu franchir la ligne de démarcation et, lorsque je suis arrivée dans ce village, j’ai eu l’heureuse surprise d’y trouver mes parents qui avaient pu quitter leurs camps. Ne sachant pas où aller, ils avaient décidé de rester en cet endroit et le maire, M. Grézel, nous a traités comme les autres réfugiés et aidés autant qu’il le pouvait. Nous avons eu un logement, ou plutôt une chambre, dans la ferme de M.Mespoulède. Son fermier polonais et sa famille habitaient à côté de nous. Avant la guerre, mes parents tenaient un commerce de remaillage à Tours. A cette époque, les teintureries recevaient des bas de soie à réparer. Ils allaient les récupérer et, la réparation effectuée, les ramenaient à celles-ci. Dès notre arrivée à Saint-Orse, mon père, avec l’aide d’un ami, a trouvé plusieurs teintureries à Limoges qui nous adressaient par la poste, deux fois par semaine, les bas de leurs clients. C’est ainsi que nous avions du travail et un revenu, même si nous ne pouvions pas quitter les lieux où nous étions. Parfois, des fermiers nous demandaient de les aider pour leurs travaux. Ils nous donnaient des légumes et parfois même un poulet. En mars 1942, les gendarmes sont venus pour arrêter mon père qui devait être envoyé au camp de Drancy d’où partaient les convois de déportés. Mais des amis de Périgueux l’avaient prévenu et il s’était, ce jour-là, réfugié chez une voisine, une très vieille femme. Ma mère a dit aux gendarmes qu’elle ne savait pas où il se trouvait et ils sont repartis. Après la nuit passée par mon père chez cette voisine, j’ai parlé à mon ami Jean Lagorce, de Pelle. Il a accepté de venir le chercher le soir même et il l’a conduit dans une grange, située dans les prés assez loin de sa maison. Jean lui apporta à manger tous les jours pendant six semaines. A la fin de ce temps il est revenu avec nous mais il ne sortit jamais pendant les deux années qui suivirent. Il voyait seulement ma mère et moi. Un ami, M. Mittel, le visitait parfois. C’était un réfugié d’Alsace et je crois que sa famille était également allemande. Si quelqu’un d’autre venait nous voir, mon père restait assis sur une chaise derrière le rideau de la penderie à vêtements. Tout alla bien jusqu’aux jours où il eut un rhume. Ces jours-là il fallait évincer les visiteurs car il toussait. Un gendarme s’est même présenté durant cette période pour je ne sais quelle raison et nous avons pu nous en débarrasser sans qu’il se doute de rien. Nous n’avions pas de carte d’alimentation pour lui mais dans le village nous pouvions toujours trouver quelque chose à manger. Le pire, pendant ces années, c’était l’incertitude quant au lendemain. En cas de danger nous avions trois sacs à dos prêts, avec des choses essentielles dedans. Nous nous livrions souvent à une sorte de jeu qui consistait à imaginer ce que nous pourrions faire pour nous échapper et nous cacher. M.Mittel y participait souvent. Nous avons cependant continué à travailler au remaillage et mon père se levait à cinq heures du matin. Ma mère l’aidait et moi aussi quand je ne faisais pas les courses. Je prenais des cours par correspondance, je lisais quand je pouvais emprunter des livres et j’avais quelques amis au village. Parfois, quand je trouvais une bicyclette, j’allais au marché de Thenon avec eux. Le dimanche nous allions nous balader. Le temps passait. A la fin de mars 44 on a su, je ne sais trop comment, qu’il y avait des Juifs arrêtés à Limoges, Périgueux et en d’autres endroits. Le matin du 1er avril, j’étais sur la véranda où je préparais le petit déjeuner. C’était un matin magnifique, avec un ciel bleu et un soleil brillant. Tout était très calme. Il n’y avait ni autos ni camions à Saint-Orse. Or, tout à coup, j’ai entendu un bruit étrange et j’ai vu, sur la portion de route que j’apercevais depuis notre maison, plusieurs véhicules militaires pleins d’hommes qui descendaient vers le bourg. J’ai couru pour avertir mes parents. Mon père a alors ouvert la fenêtre et sauté à l’extérieur. M’approchant, je l’ai vu s’éloigner d’un pas naturel en contournant l’immeuble par la droite. Et, lorsque j’ai tourné ma tête à gauche, un soldat était en train de s’approcher en tenant un fusil muni d’une baïonnette. J’ai fermé vivement la fenêtre et, avec ma mère, nous sommes sorties après avoir fermé la porte à clé. Traversant la cour, nous sommes entrées dans la grange où notre voisine était en train de traire les vaches. Sans nous arrêter, nous avons continué vers une autre porte, pénétré dans une autre cour et atteint une autre grange que nous savions vide d’animaux. Mon père y était déjà arrivé car elle avait été repérée au préalable comme une possible cachette. Grâce à l’échelle qui s’y trouvait nous sommes montés dans le grenier. Chose faite, j’ai eu l’idée, je ne sais pourquoi, de tirer l’échelle. Nous nous sommes ensuite couchés dans le petit peu de foin entassé dans un coin. Silencieux, nous écoutions… On ne percevait presque aucun bruit, le centre du bourg étant assez éloigné. Mais, tout à coup, la porte a été ouverte. Nous avons entendu des voix et ces paroles, dites en allemand : « Il n’y a personne ici ! « . La porte s’est refermée et les voix se sont éloignées. Nos cœurs avaient battu très fort. Silencieux, nous écoutions toujours.. Plus rien ! Après pas mal de temps, nous avons entendu un bruit, comme celui d’un incendie. Cela semblait tout près. Est-ce que la grange brûlait ? Mon père touchait le mur, de temps en temps, mais il n’était pas chaud. Puis, après une longue attente, des coups de fusil ont retenti tout à coup. Ils semblaient assez près. Nous restions sans bouger, sans dire un mot. Un peu plus tard nous avons entendu les camions démarrer et partir. Personne ne passait dans la rue et nous n’avions aucune idée de la situation. Assez longtemps après, M. Deveaux, le propriétaire de la grange, est venu et nous a dit que nous ne pouvions pas rester là. C’était bien trop dangereux pour lui et sa famille tout comme pour nous. Il nous a alors expliqué qu’un détachement de soldats allemands était venu et que les Juifs avaient été arrêtés, les hommes fusillés, les femmes et les enfants chargés dans les camions et emmenés. Il nous a dit que les Allemands n’avaient pas trouvé la famille Mittel à leur maison mais qu’ils avaient également fusillé le propriétaire de la ferme chez qui ils habitaient et brûlé celle-ci. Elle n’était pas très loin de la grange où nous étions réfugiés et c’est son incendie que nous avions entendu. Notre voisin polonais, le fermier de M. Mespoulède, qui parlait l’allemand car il avait habité l’Allemagne avant de venir en France, était heureusement intervenu quand les soldats étaient arrivés à notre demeure, leur disant qu’il ne nous avait pas vus depuis plusieurs jours. M. Deveaux pensait qu’ils reviendraient pour nous rechercher ce qui mettrait tout le monde en danger. Cependant, comme il était assez tard, nous avons pu le convaincre de nous laisser passer la nuit dans la grange que nous quitterions le matin du lendemain, un dimanche. Dès l’obscurité venue, ma mère et moi sommes retournées à notre maison pour prendre les sacs à dos déjà préparés, de la nourriture ainsi que des vêtements et des couvertures, en passant par la fenêtre par laquelle mon père s’était échappé, espérant ne pas être vues. Il n’y avait pas de voisins de ce côté-ci et, après avoir ramassé tout ce que nous pouvions emporter, nous sommes retournées à la grange où nous avons passé la nuit Le jour venu, nous avons attendu jusqu’à onze heures pour sortir et nous déplacer, profitant de ce que la plupart des gens étaient à l’église, très fréquentée en ce jour des « Rameaux ». Nous avons descendu par les prés jusqu’à la route et, après avoir traversé le ruisseau, nous sommes remontés de l’autre côté par les bois où nous savions ne rencontrer personne. Puis nous sommes arrivés à la cabane repérée il y avait pas mal de temps. Elle avait été construite par des mineurs de fer au début du siècle. Mon oncle et ma tante, qui habitaient à la Germenie s’y trouvaient déjà. Les Allemands ne les avaient pas pris car ils n’avaient guère opéré au-delà du bourg. Nous nous sommes installés tous les cinq dans cette hutte, chacun dans un coin, espérant que personne ne nous trouverait. Il ne faisait pas chaud et je me souviens que mon père, qui ne pouvait pas dormir sans oreiller, se rappelant de ce qu’il faisait pendant la première guerre, dormait avec une pierre sous la tête. Les provisions que nous avions apportées, ajoutées à celles de mes oncle et tante, furent suffisantes pour quelques jours. Je savais que la ferme de mon ami Léo Teyssandier n’était pas très loin. Un soir, à la tombée de la nuit, j’y suis allée avec ma mère. Nous avons trouvé Léo à la maison ainsi que les membres de sa famille qui me connaissaient tous. Ils s’inquiétaient pour nous, car ils n’avaient aucune idée où nous étions après ce qui s’était passé. Ils nous ont mis au courant des événements des derniers jours et ont dit que nous pourrions venir tous les lundis soir à la nuit tombée pour recevoir les provisions, pain, œufs, fruits, vin, toutes choses que nous pourrions manger sans cuisson. Lorsque nous sommes revenus la semaine suivante, la petite grand’mère était seule à la maison, comme à chaque fois par la suite. J’ai appris après la guerre que c’était une décision de la famille. Celle-ci avait pensé que, si les Allemands se présentaient à nouveau, ils ne lui feraient rien en raison de son âge. Heureusement que cela ne s’est pas produit, car je ne crois pas qu’ils en auraient tenu compte J’ai passé cinq semaines dans cette hutte et mes souvenirs de cette période où nous n’avions rien à faire qu’à attendre, ne se rapportent à rien de bien précis, si ce n’est de notre peur permanente d’être vus et pris. Au bout de ces semaines d’attente, ma cousine qui était réfugiée dans un couvent de Périgueux, a obtenu pour moi une carte d’identité et une carte d’alimentation sous le nom de Renaudin, qui était celui d’une amie de Tours. Cela m’a permis d’aller à la gare de Thenon prendre le train de Périgueux. Arrivée dans l’Institution, les sœurs de Saint-Vincent m’ont donné un lit. Pendant la nuit, une rafle a eu lieu et les Allemands sont venus à la porte du couvent. Les sœurs, qui avaient eu très peur, m’ont demandé de partir le lendemain matin Je suis donc allée en ville, n’ayant pas trop d’inquiétude grâce à ma fausse carte d’identité. J’ai vu plusieurs camions chargés de juifs arrêtés durant la nuit et j’ai même, au travers de la clôture, regardé dans la cour d’un bâtiment où ces prisonniers étaient détenus. Près de la gare j’ai trouvé une chambre dans un hôtel pas cher. Pendant la nuit, des Allemands sont venus parler au propriétaire. Cela m’a fait peur mais personne ne m’a inquiété. Le lendemain matin j’ai acheté un billet pour aller chez la mère d’une de mes amies, Yvette Thoraval, près de Bergerac. Elle m’a permis de rester plusieurs jours chez elle. Ensuite je suis partie pour Limoges où je savais que des amis pourraient m’aider Effectivement, j’ai obtenu du travail dans une famille de cette ville. Dans celle-ci il y avait cinq filles entre quatre et onze ans et je devais m’occuper d’elles. On ne m’a jamais demandé d’où je venais. J’ai toujours pensé que ces gens le savaient, mais ils préféraient ne pas en parler, tout comme moi. Tout s’est bien passé pendant deux ou trois semaines, jusqu’au débarquement en Normandie le 6 juin. Après ça, nous sommes allés vivre dans leur maison à la campagne, où j’avais la charge complète des enfants qui n’allaient plus à l’école. Deux semaines après, mes parents ont eu des cartes d’identité au nom de Renoir, avec une origine alsacienne. Puis, avec l’aide d’amis de Périgueux, ils ont trouvé du travail dans une ferme près de Limoges, à seulement six ou sept kilomètres d’où je me trouvais et je suis allée les voir deux ou trois fois à bicyclette. Après la Libération, nous sommes repartis pour Saint-Orse le 1er septembre. Il n’y avait aucun moyen de transport public mais, sur la route, un camion transportant des pommes de terre s’est arrêté et nous avons pu effectuer le trajet en haut du chargement. Mes parents sont restés là jusqu’à notre départ pour l’Amérique, en octobre 1946. Quant à moi, j’avais quitté le village à la fin du mois de novembre 1944 pour travailler au château de Ferrières près de Paris, comme monitrice à l’Oeuvre de Secours aux Enfants, destinée aux enfants juifs qui avaient survécu à la guerre, sans parents pour la plupart »