ROCHARD JANSEN André

Auteur de la fiche : Michael FOOT: SOE in France (Londres, 2004), Hugh VERITY: We landed by moonlight, Londres, 1978), Jean LARTEGUY: Déricourt (Paris, 1992), Ernest-Fred FLOEGE: Un bateau tout blanc (Le Mans, 1962), Richard SEILER: La fin tragique du réseau "Prosper" (Paris 2002) et Recherches personnelles de l'auteur

André ROCHARD JANSEN

LES OPERATIONS CLANDESTINES DE LA ROYAL AIR FORCE EN TOURAINE ET EN ANJOU PENDANT L’OCCUPATION

Au cours de la seconde guerre mondiale, de vastes espaces de prairies et de champs s’étendaient entre les villages de St Martin-le-Beau, Azay-sur-Cher et Dierre, là où passe maintenant la route départementale 140 de Tours à Bléré. En 1943, cet endroit fut choisi pour servir de zone d’atterrissage aux avions légers anglais « Lysander », qui amenaient en France ou emportaient en Angleterre des membres anglais et français de la Résistance, opérations que les aviateurs anglais appelaient des « pick-ups »

Pendant les deux premières années de l’Occupation, les liaisons avec Londres avaient été difficiles. Ceux qui voulaient rejoindre De Gaulle devaient franchir les Pyrénées et risquer d’être internés en Espagne. Ceux qui venaient d’Angleterre étaient parachutés ou amenés en felouques de Gibraltar à la côte languedocienne. A partir de 1943, les « pick-ups », quoique dangereux, simplifièrent beaucoup le trafic.

Ils furent d’abord organisés par un aviateur français, Déricourt, qui avait été recruté par le SOE (Special Operations Executive), section particulière de l’armée britannique, pour établir des points de résistance dans les territoires européens occupés par l’Allemagne. Parachuté en janvier 1943, Déricourt se fixa à Paris et, avec Clément, un ancien copain qu’il initia, il parcourut le val de Loire entre Amboise et Angers et repéra un certain nombre de terrains pouvant servir de zones d’atterrissage auxquels il donna, pour repères, les noms de maladies, bronchite, céphalée, pneumonie, etc. Le premier terrain choisi, à Azay-sur-Cher, à 15 km à l’est de Tours, s’appela « Grippe »

Les vols s’effectuaient de nuit, à la pleine lune. Les « voyageurs pour la France » étaient rassemblés à l’aérodrome de Tempsford, sur la côte sud de l’Angleterre et embarquaient sur un « Lysander », petit avion léger n’ayant que trois places, conçu pour se poser sur moins de trois cents mètres. Il fallait franchir la Manche et la côte française entre Caen et Cherbourg, puis passer entre les aérodromes allemands de Chartres et du Mans et leurs batteries antiaériennes pour atteindre la Touraine ou l’Anjou. Sur le terrain, l’équipe de réception, à l’aide d’un triangle lumineux (parfois de simples lampes de poche) indiquait la direction d’atterrissage en fonction du vent Le Lysander se posait, les passagers sautaient à terre avec leurs bagages et d’autres « ballots » montaient immédiatement dans l’étroite carlingue (C’est ainsi que les pilotes nommaient ironiquement leurs passagers). L’opération ne devait pas durer plus de cinq minutes et le Lysander décollait.

Pendant l’année 43 et le printemps 44, le terrain d’Azay-sur-Cher fut le plus utilisé pour les « pick-­ups », de même qu’un terrain en Anjou, à Soucelles (« Indigestion »), au bord du Loir à quelques kilomètres d’Angers. D’autres terrains furent essayés, tel une grande prairie au nord de Pocé-sur-Cisse (« Bronchite ») et près de Couture-sur-le-Loir (« Torticolis »); il furent abandonnés après différents incidents: à Pocé, le Lysander avait endommagé son cock-pit sur de jeunes arbres trop près de la zone d’atterrissage et était reparti tant bien que mal; à Couture, un fermier avait mis ses vaches à paître sur le terrain, le Lysander dut repartir sans se poser. A Azay, les crues du Cher empêchèrent deux fois l’utilisation du terrain, les vols furent déroutés sur Luzillé (« Céphalée »), au sud de Chenonceau ou sur Rivarennes (« Pneumonie »), au sud-ouest de Langeais. En juillet 43, Déricourt hésita à organiser deux « pick-ups » à Azay en raison de l’arrivée dans le village d’un habitant suspect ; mais celui-ci fut rapidement « neutralisé » par le maquis de St Aignan et Déricourt put faire atterrir deux « Hudson », avions plus grands que les Lysander quand le nombre de voyageurs était plus important, parfois plus d’une dizaine.

En effet, les « pick-ups » devinrent de plus en plus fréquents entre mai 43 et juin 44 et de nouveaux terrains furent installés en Sologne, en Champagne et en Bourgogne. De nombreux agents secrets, opérateurs-radio, instructeurs des maquis, saboteurs, transitèrent par Azay ou par Soucelles et certains, comme les membres du réseau « Prosper » connurent un sort tragique. Grâce aux « pick-ups », les principaux chefs de la Résistance, Passy, Jean Moulin, Henri Frenay (« Combat »), Brossolette, Mendès-France, D’Astier (« Libération »), Bingen (« Franc-Tireur »), Rémy, purent se rendre à Londres pour se concerter avec De Gaulle. Et de nombreuses personnalités rejoignirent le chef de la France Libre, des généraux (De Lattre, Ely, Delestraint, Billotte) ainsi que des hommes politiques quand le sort de la guerre devint favorable aux Alliés: Félix Gouin, André Philip, Auriol, Queuille, Le Troquer, Mitterrand). Le dépt de ce dernier fut assez mouvementé. A la pleine lune du 15 novembre 43, un Hudson devait se poser à Azay pour emporter sept « ballots », dont le général Ely, futur commandant des armées françaises, et François Mitterrand. L’appareil survola le terrain, mais n’atterrit pas, le pilote n’ayant pas distingué les signaux sur la piste. Le vol fut reporté au lendemain, sur la zone de Soucelles, Mitterrand et les six autres durent s’y rendre à bicyclette pendant la nuit et furent hébergés jusqu’au lendemain dans une auberge de Tiercé. D’autres départs furent aussi aléatoires. Mme Gouin, femme du député socialiste, qui rejoignait son mari à Londres, se cassa les deux bras en allant à vélo d’Amboise à Azay, il fallut plus de dix minutes pour la hisser dans l’étroite carlingue du Lysander, bien plus que les cinq minutes maximum pour éviter d’être surpris par les gendarmes de Vichy ou les sbires de la Gestapo. Quant à Lucie Aubrac, la résistante lyonnaise, qui était enceinte, elle supporta mal les variations d’altitude et accoucha en arrivant sur l’aérodrome.

Les pick-ups » de la RAF en Touraine et Anjou, organisés par Déricourt et Clément, furent pendant seize mois, une grande réussite. Cette escadrille spéciale ne perdit que deux appareils, un Lysander qui s’embourba si profondément qu’il ne put repartir et son pilote dut l’incendier, et un Hudson fut abattu par un chasseur de nuit allemand et sombra dans la Manche. Avec les opérations poursuivies ensuite en Sologne, en Champagne et en Bourgogne, 329 « pick-ups » furent effectués, ils amenèrent 445 passagers en France et emmenèrent 655 personnes en Angleterre.

Un autre agent des SOE utilisa aussi le terrain de Soucelles ainsi que deux autres terrains à Montreuil et à Neuvy. C’était Ernest-Fred Floege un Américain qui s’était installé à Angers pendant les années 30 où il avait fondé une entreprise de transport routier intitulée « les Cars Siroux ». En 1943, il était à la tête d’un réseau de résistance, « Sacristan », spécialisé dans le stockage d’armes et le sabotage. C’est à Montreuil qu’il reçut ses premiers parachutages et son premier opérateur-radio, André Bouchardon (« Michel ») un jeune fonctionnaire de préfecture. Pendant toute l’année 43 eurent lieu onze parachutages d’armes et de munitions; celles-ci furent stockées dans différentes cachettes. Mais, dans la nuit de Noël 43, le réseau « Sacristan » fut démantelé par la Gestapo qui s’empara de presque tous les membres à Angers, à Laval, à Conlie et à Mée, au nord de Segré, dans une maison qui servait de relais-radio pour les émissions avec Londres. Floege échappa à l’arrestation dans sa maison d’Angers, au bord de la Maine, en Reculée. Et Bouchardon (« Michel »), son opérateur-radio, fut arrêté dans la maison de Mée après avoir reçu une balle en plein sternum; il réussit cependant à échapper à l’ennemi en feignant d’être mourant ; dans la voiture qui le ramenait à Angers, n’ayant pas été menotté, il réussit à prendre son revolver et abattit de six balles dans le crâne les trois Allemands de la voiture. Floege et Bouchardon (toujours avec la balle dans son sternum) furent convoyés par la filière d’évasion « Vic » et parvinrent à Londres via Barcelone et Gibraltar.

Le dernier départ du terrain d’Azay-sur-Cher fut celui de Déricourt lui-même quand les dirigeants du SOE et lui-même pensèrent qu’il risquait d’être arrêté sous peu par la Gestapo et le rappelèrent à » Londres.

Son parcours dans la Résistance

Originaire d’Angers, fils d’industriel, élève de Normale Sup à Henri IV, il est germaniste et parfaitement bilingue. Lorsque la guerre éclate, il travaille depuis deux ans dans l’administration de l’enseignement en Allemagne. Il y retournera de 1945 à 1957. Avant que la guerre n’éclate il était logé dans une famille juive, les Jansen, dont il prendra le nom, comme pseudo quand il entrera au mouvement de Résistance Combat. Rapatrié sur Angers, il est engagé comme interprète aux renseignements généraux, ce qui lui permettait de tenir les Résistants des descentes prévues de la Gestapo. Le 10 août 1944, il est chargé par Michel DEBRE de la recherche des criminels de guerre en traduisant les documents trouvés. ll a réussi à faire stopper à Toul un des derniers trains de Déportés.

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Livres d’André ROCHARD-JANSEN :  » Mon cher frère ennemi » paru aux éditions Hirlé et « Nous étions six amis » paru aux éditions Cheminement. Disponibles à la maison de la presse Lepelleux à Ambois