Agnès HUMBERT

Elle est la fille de Charles Humbert, Sénateur de la Meuse, et Directeur du quotidien Le journal. Elle épouse, en 1918, le peintre G. Sabbagh. Elle-même aquarelliste de talent, elle reçoit les peintres de la jeune École de Paris, notamment Gromaire, Friesz et Favory, et elle s’intéresse à Foujita et Modigliani.

Ayant achevé l’éducation de ses deux fils, Jean et Pierre Sabbagh, elle passe en Sorbonne des certificats de licence d’histoire de l’art. Elle obtient le diplôme de l’École du Louvre et celui des Études supérieures de philosophie. Attachée au Musée des arts et traditions populaires, elle se manifeste comme conférencière et critique d’art.

En 1939, en collaboration avec Henri Barbusse, elle publie un ouvrage sur Marx Lingner.

En 1940, révoquée, par Vichy, de son poste aux Musées nationaux, elle consacre toute son activité à la Résistance. Membre du réseau du Musée de l’Homme, elle diffuse le journal Résistance et organise des filières d’évasion sous la direction de Jean Cassou, Boris Vilde et Jean Duval. Arrêtée par la Gestapo le 15 avril 1941, elle est emprisonnée à Fresnes puis jugée au Cherche-Midi.

Le 16 février 1942, elle est déportée en Allemagne, à Anrath, le même camp qu’Osithe Docquier, puis Krefeld, Oberems, Gutersloch, et Schwelm. Dans un émouvant récit de l’activité du Musée de l’homme, Notre Guerre, Agnès Humbert évoque l’état d’esprit qui règne dans cette prison du Cherche-Midi.

 « Permettez-moi, pour conclure, de vous en lire un passage : « Nous sommes le 11 mai 1941 : Déxia (Comtesse de la Bourdonnaye) reçoit des nouvelles du dehors. Je comprends que ses amis les lui glissent dans son linge. Aujourd’hui, elle nous annonce que le Général de Gaulle demande de faire silence entre 15 et 16 heures. Je suis la seule du couloir à avoir une montre. Je ne comprends pas pourquoi on me l’a laissée. Je me propose donc d’annoncer l’heure aux camarades et demande à Jean-Pierre (1) de prier Sylvie de nous chanter à 15 heures Le Chant du Départ, puis après avoir fait silence une heure tous ensemble dans la prison, nous entonnerons une Marseillaise comme on n’en a jamais entendu… Jean-Pierre (1) approuve mon idée, la fait passer à l’étage au-dessous (je le soupçonne d’avoir untrou de communication). René qui est « téléphoniste » pour la cour y crie notre mot d’ordre à pleins poumons. Les gens des cellules communes, ceux du rez-de-chaussée, ceux du troisième ont entendu.À 15 heures, je frappe trois coups à l’aide de ma cuillère sur ma cuvette d’émail, et de sa belle voix chaude, Sylvie entonne : « La Victoire, en chantant, nous ouvre la barrière »…Jamais les paroles du vieil hymne révolutionnaire ne m’ont plus émue. Les derniers mots, Pour Elle un Français doit mourir !, tombent dans un silence recueilli, total ; un silence qui dure une heure : je frappe quatre coups. Toutes les fenêtres sont ouvertes afin que « ceux du dehors » puissent nous entendre. À la demande de Jean-Pierre, nous entonnons le dernier couplet, celui que les gens de 92 chantaient à genoux :

« Amour sacré de la patrie »…

Je ne savais pas que nous étions si nombreux. Cette Marseillaise semble enfler, elle devient quelque chose de sensible de palpable. Bientôt elle sera trop haute, trop large pour les murs de la prison ; sûrement, ils vont éclater, le toit va sauter, je sais que les sentiments qui m’étouffent sont partagés de tous. Oh beauté ! oh force des émotions collectives ! Nos gardiens, surpris de notre silence suivi de cette explosion musicale, essaient vainement de nous faire taire…

Mais à qui s’en prendre : le bruit est partout !

Des coups de bottes dans les portes, des cris, des jurons. Le chant s’éteint, et tout devient silencieux. »

(1) Pseudonyme d’Honoré d’Estienne d’Orves.