Yves Guéna : Son parcours dans la France-Libre

Rencontre prévu le 30/06/2008

Yves Guéna est un témoin privilégié, qui a côtoyé le Général de Gaulle de 1940 à 1969. Adolescent,  révolté par le discours du Maréchal Pétain, il avait rejoint Londres et sera de tous les combats livrés par la France Libre : des sables de Libye à Berchtesgaden, en mai 1945.

Les propos, que le Président Guéna a tenus, après notre Assemblée Générale et avant de dédicacer son livre, concerne essentiellement la période où le Général de Gaulle arrive à Alger en  mai 1943,  confronté à « l’imbroglio politico-militaire d’Alger » suite au débarquement Anglo-américain en Afrique du Nord et  au  rôle de l’Amiral Darlan et du  Général Giraud.

« Depuis novembre 1942 c’est l’Amiral Darlan qui est en place à Alger. Darlan, quelques mois plus tôt était à Berlin,  convoqué par Hitler pour se faire  « rappeler à l’ordre »  et donner des assurances  à Hitler ! Darlan, qui n’avait rien fait pour empêcher le sabordage de la flotte française à Toulon : La honte absolue !

Heureusement, il y avait déjà une Résistance intérieure en Algérie. Certes elle n’était pas très forte, mais elle était d’autant plus admirable, avec Albouker et notamment Bonnier de la Chapelle. Vous savez que ces jeunes Résistants ont tiré au sort pour savoir qui abattrait l’Amiral.  Lorsque l’on apprend, à Londres, au Général de Gaulle que l’Amiral a été assassiné le 24 décembre 1942, il répond : « Non il a été exécuté ». Ce qui me paraît le plus grave, c’est que Bonnier de la Chapelle fut  traduit devant un conseil de guerre,  condamné à mort et exécuté sans que le Général Giraud n’intervienne pour le gracier. C’est donc un jeune garçon de 21 ans,  qui est fusillé alors qu’il est un pur héros de la Résistance française.

Le Général de Gaulle ne pouvait naturellement pas accepter tout cela : d’abord parce que les Forces Françaises libres s’étaient illustrées sur de nombreux terrains d’opérations.

Il y avait eu juin 1942 la bataille de Bir Hakeim qui avait été une grande victoire, chaleureusement félicitée par les Anglais. Cette  victoire a connu un très grand retentissement dans la Résistance française, des maquis avaient pris le nom de Bir Hakeim,  un journal clandestin s’était baptisé de ce nom. Dans de  nombreux  de pays occupés le nom de cette bataille était devenu le symbole d’une victoire.  Victoire qui  plus est  reconnue par les Allemands. Après cette bataille,  quand Radio-Berlin annonce que des Français prisonniers allaient être exécutés comme franc-tireur, le Général de Gaulle fait immédiatement passer à la B.B.C le message suivant : si l’armée allemande se déshonore au point de fusiller des Français qui se battent pour leur pays alors, comme nous avons nous aussi des prisonniers Allemands, « je dis que pour un prisonnier français fusillé nous fusillerons deux prisonniers allemands ». Immédiatement  Radio-Berlin a  redressé, dans la journée, son annonce en affirmant que les soldats français prisonniers seront traités comme des combattants. Le Maréchal Rommel lui même, rendit aux Français cet émouvant hommage en écrivant : Voilà se que l’on peut attendre d’une troupe qui est résolue à ne pas jeter le fusil après la mire !

A cette date le Général de Gaulle est à la tête  de nombreux  territoires  d’Outremer : les quatre colonies d’Afrique équatoriale, plus le Cameroun, la Polynésie, la Nouvelle Calédonie, le Liban et la Syrie  – territoires repris  certes dans des conditions tragiques –  et Saint Pierre et Miquelon

Le Général de  Gaulle avait toujours considéré qu’il n’était pas le chef d’un certain nombre de rebelles,  mais qu’il était plus que cela.  Il n’en parle pas dans l’appel du 18 juin où  il affirme que le France à subit une « simple » défaite militaire –  pas mal de la part d’un militaire – alors que les tenants de Vichy parlaient eux de la décadence du pays. C’est plus de sortir un peuple d’une défaite militaire que de le redresser d’une décadence. C’est pas facile certes, il suffit alors de remporter une victoire militaire….. Dans la deuxième  partie de cet appel de Gaulle  demande à tous ceux militaires et civils de se joindre à lui. Puis avec cette dernière phrase « la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas »  montre qu’il n’était pas seulement un rebelle militaire. Quelques jours plus tard il s’entretenant  avec René Cassin, qui l’avait  rejoint à Londres,  il l’informe que les Anglais sont d’accord pour que l’on créée des Forces Françaises Libres et lui demande de négocier avec eux. René Cassin lui demande «  Mon général est-ce que se sera une Légion française au sein de l’armée britannique ou bien est-ce que je négocie au nom de l’armée française ? ». La réponse tombe  «  Monsieur le professeur : vous négociez au nom de la France.

Le 27 octobre 1940,  de Gaulle avait déclaré à la Radio de Brazzaville – déclaration malheureusement entendu par personne – : « le gouvernement qui est à la tête de la France maintenant est indigne, contraire à la loi donc il ne compte pas,  donc j’assume la responsabilité des intérêts de la France et lorsque la France aura été libérée,  après la victoire, alors les Français choisirons ceux qui devront  les gouverner ».

Donc il ne pouvait pas accepter l’opération politique américaine en Afrique du Nord. Il ne pouvait pas pour la France, pour la Résistance voir l’ombre de Vichy s’étendre sur la Libération.

A cette date la Résistance intérieure en France est multiple, disparate, et avec une forte proportion de combattants du Parti communiste.  Il lui faut donc mettre en place  une unité d’action, une unité politique et une unité de commandement pour conduire la Libération de la France. C’est cette unité qui a permis d’éviter à la France, au moment de la Libération, une guerre civile comme en  Grèce.

Unifier la Résistance telle fut la mission que le Général a confiée à Jean Moulin qui l’avait déjà rejoint à Londres. Parachuté en France, il va assurer  l’unification des  réseaux et mouvements de Résistance toutes tendances politiques confondues. En six mois il va faire un travail admirable et considérable, puisque le 15 mai 1943 est créé le Conseil National de Résistance c’est à dire l’unité sous la direction du Général de Gaulle et de ceux qui l’entouraient. 15 jours plus tard, rue du Four, le C.N.R. tenait sa première réunion. Malheureusement, le 21 juin c’est  le drame de Caluire où Jean Moulin et plusieurs dirigeants importants de la Résistance sont arrêtés.

Jean Moulin sera affreusement torturé et meurt….et suivant le mot d’André Malraux : « …sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avait pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France… »

En Afrique du Nord la création du CNR a tout changé.

Giraud n’a pas pu s’opposer l’arrivée du général de Gaulle à Alger le 30 mai à Alger et le 3 juin 1943 est créé à Alger le Comité Français de la Libération Nationale (C.F.L.N.) dont la présidence est assurée conjointement par le Général de Gaulle et le Général Giraud . Les deux hommes se connaissaient depuis leur rencontre à Metz avant guerre, Giraud commandait alors  la région militaire et de Gaulle le 507° régiment de chars. Tous les deux avaient des conceptions militaires opposées et ne s’appréciaient guère.

En octobre, de Gaulle  en prendra la présidence du C.F.L.N. évinçant, Giraud qui est  nommé commandant en chef des forces françaises. Entrent alors des Résistants et des hommes politiques qui avaient fait la preuve de leur attachement à la France Libre. Le 3 novembre 1943 est créée à Alger l’Assemblée consultative provisoire, cette création sera la conséquence logique du rétablissement de la légalité républicaine.

Le 3 juin 1944, à Alger le Comité français de libération nationale se transforme en Gouvernement provisoire de la République française (G.R.P.F.) et le Général de Gaulle en devient le chef. L’unité et la légitimité sont enfin retrouvées.

Sur le débarquement en Normandie,  le Général de Gaulle ignorait, comme beaucoup, la date exacte à laquelle il allait avoir lieu. Le 4 juin 1944, le gouvernement Anglais demande au général de Gaulle de rejoindre la Grande-Bretagne et le 5 il rencontre en Grande Bretagne le général Eisenhower, commandant en chef des armées Alliés, qu’il l’informe du débarquement du 6 juin. Au cours de cette réunion le général en chef  annonce qu’il se propose, une fois les premières unités débarquées et assurées de tenir solidement le terrain, d’annoncer aux Français, comme à tous les peuples asservis d’Europe « …que les Armées Alliés arrivent en libératrices….qu’il convient de les y aider….et que les autorités administratives en place doivent continuer à assurer leurs tâches…. ». Très vite lui Général de Gaulle fait comprendre à Eisenhower que les autorités administratives ne peuvent dépendre que du gouvernement provisoire de la République, et au soir du 6 juin le Général de Gaulle, dans son allocution radiophonique aura ces mots : « …La bataille suprême est engagée et cette bataille de France : est la bataille de la France… ».

Cette bataille fut effectivement la bataille de la France, celle de tous les Français où la Résistance unie a accompli lors des combats pour la Libération un remarquable travail.

Je peux en témoigner : En effet j’ai été pendant 35 ans élu du Département de la Dordogne et j’ai pu me rendre compte, a travers tous les témoignages que je recevais, combien les maquis de Dordogne ont retardé la montée vers la Normandie de la division blindée allemande « Das Reich ».

Le général Eisenhower devait reconnaître après la guerre que l’action de la Résistance  équivalait  à l’action de 14 divisions.

De ces combats pour le Libération je garde dans mes souvenirs, cette image – mille fois vus et revus – du Général de Gaulle entouré à la gare Montparnasse, le 25 août 1944 d’un côté par le Général Leclerc Chef de la 2ème DB et de l’autre du Colonel Rol Tanguy chef de l’insurrection parisienne et chef des FTP . Cette image qui me touche est le signe de la réussite du redressement opéré par le Général de Gaulle, du passage de la France libre à la France combattante et enfin le signe que  l’unité de combat pour la Libération de la France a été réalisée »

*Le Président Guéna,  a été Ministre du Général de Gaulle et de Georges Pompidou, Président du Conseil Constitutionnel, Sénateur, Député, Maire de Périgueux entre 1962 et 1997,  Président de la Fondation Charles de Gaulle, Il est aujourd’hui Président de la France Libre

(Transcription des propos du Président Guéna par Jean Novosseloff).