Une République née des idéaux de la Résistance

Rencontre prévu le 21/10/2008

COLLOQUE DU 21 OCTOBRE  2008 AU CONSEIL CONSTUTIONNEL

Organisé à l’occasion du cinquantenaire de la Constitution de 1958

et sur le

 

THÊME : Une République née des idéaux de la Résistance

 

A l’occasion du cinquantenaire de la Constitution de la 5ème  République, l’association Mémoire et Espoirs de la Résistance, sur l’invitation du  Président Jean-Louis Debré, a organisé un colloque sur le thème : Une République née des idéaux de la Résistance.

Modérateur du colloque : François-Xavier Mattéoli

Intervenants : Jean-Eric Callon, Jean-Pierre Levert et Jacques Vistel

Présentation du Colloque : François-Xavier Mattéoli Avocat, ancien Bâtonnier

Après les précédents colloques sur l’héritage social, spirituel, politique, médiatique et littéraire de la Résistance, tous tenus à l’Assemblée nationale à l’invitation du Président Jean Louis Debré, nous voici ici au Conseil Constitutionnel, toujours à l’invitation du Président Jean Louis Debré, mais dans ses nouvelles fonctions de Président du Conseil Constitutionnel,

Et cela tombe plutôt bien puisque nous allons parler aujourd’hui des idées constitutionnelles de la résistance.

Je ne serai que le modérateur avec mission que soient respectées les 12 minutes

Les orateurs ;

Mon confrère Jean- Eric Callon  docteur en droit, dont la thèse a porté sur les projets constitutionnels de la résistance et qui nous en parlera donc.

Jean-Pierre Levert Vice Président de M.E.R. et surtout pour ce soir Professeur d’Histoire en Khagne qui nous parlera du fameux discours de Bayeux

Jacques Vistel, ancien Président de M.E.R. , Conseiller d’Etat et fils d’Alban Vistel Compagnon de la libération, qui lui nous parlera de la pratique constitutionnelle.

Après ces trois orateurs, la parole sera donnée à la salle et par priorité aux plus jeunes d’entre nous, car notre mission est de transmettre.

Nous avons parmi nous des élèves de terminales, certains en « prépa sciences po », des élèves de sciences po paris, des élèves de la rue d’Ulm et des classes préparatoires à nos différents concours.

Mais nous avons aussi parmi nous des témoins directs et indirects.

Le premier d’entre eux M. Pierre Sudreau, président de la fondation de résistance, mais encore plus aujourd’hui, dernier survivant des ministres du général de Gaulle, signataires de la constitution de 1958 , la notre.

Raymond Aubrac, commissaire de la République à Marseille à la libération et dont le passé résistant n’est plus à rappeler.

Nous avons une pensée pleine de tendresse et de reconnaissance pour Lucie Aubrac,

Jean Mamert, ancien rédacteur en chef de la constitution au cabinet de Michel Debré, ministre de la Justice du Général

Le Président Jean-Louis Debré, dont la thèse de droit a porté sur « les idées constitutionnelle du général de Gaulle » et …..fils de Michel Debré.

Et bien d’autres Résistants engagés dans les combats pour libérer et démocratiser notre pays humilié, ainsi que des constitutionalistes et confrères juristes…

Je leur demanderai peut- être de répondre selon les questions qui seront posées.

 

Intervention de Jean-Eric Callon* Maître de conférences en droit public et Vice-doyen de la Faculté de droit Jean Monnet (Paris XI) :

 

Les projets constitutionnels de la Résistance

1 – Le courant de réforme de l’Etat existe en Europe dès la fin de la première guerre mondiale, c’est un courant réformiste qui traverse l’Allemagne de Weimar, la République Espagnole mais aussi la France de la Troisième République. Ce courant réformiste considère que les régimes parlementaires existants ont montré leur faiblesse et leur inefficacité et qu’il convient de maintenir le principe du régime parlementaire mais qu’il faut le rationaliser, par des mécanismes favorables au pouvoir exécutif et par l’instauration de mécanismes de contrôle de constitutionnalité des lois. La constitution de Weimar de 1919, et la constitution de la République espagnole de 1931 en sont de bons exemples. En France le courant de réforme de l’Etat ne parvient pas à s’affirmer avant la seconde guerre mondiale.

2 – Le choc du 10 juillet 1940 et de la faiblesse des institutions de la 3ème  république, cette idée de la faiblesse des institutions est présentes depuis les années 30 et notamment la fin du front populaire, Léon Blum devant démissionner sur un vote négatif du Sénat concernant un texte sans importance. De nombreux parlementaires et hommes politiques sont conscient des lacunes des lois de 1975, pour certains – dont la majorité rejoindront la collaboration – c’est le régime parlementaire qui porte en son sein ces travers, il faut donc l’abattre pour bâtir un régime dictatorial ; pour d’autres au contraire le régime parlementaire doit retrouver sa force pour permettre un renouveau de la République avec le gouvernement de législature et le parlementarisme rationalisé.

3 – Le 10 juillet 40, alors que les hommes de main de Pierre Laval menacent physiquement les parlementaires devant voter pour ou contre les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain dans une ambiance de coup d’état et de violence, 80 parlementaires osent dire non le jour même. Le même jour, huit d’entre eux se réunissent pour bâtir le premier projet constitutionnel de la résistance, considérant que  le coup d’état du 10 juillet a, avant tout, une explication institutionnelle et que la République ne pourra se reconstruire qu’à travers cette même question institutionnelle. Ils y indiquent notamment « Quand à la garantie des libertés publiques et des droits des citoyen, il pouvait y être pourvu par l’institution d’une Haute Cour ayant le pouvoir d’annuler les actes du pouvoir central et des assemblées qui les auraient violés ». Alors que la France est battue, qu’un coup d’état vient d’être organisé, que les nazis occupent une partie du territoire, des parlementaires se projettent dans l’avenir et pensent déjà à la refondation de la République.

La résistance est ainsi née le 10 juillet 1940, le lendemain de l’instauration de la dictature, elle est née sur l’idée du renouveau de la République à travers des Institutions renouvelées reposant sur les droits de l’Homme et la protection des libertés publiques.

Il n’est ainsi pas étonnant de constater que de 1940 à 1944, la résistance combat certes les nazis, épaule les alliés, mais mène aussi une profonde et constante réflexion sur les fondements constitutionnels de la République. De très nombreux projets sont rédigés, par des personnalités politiques d’avant guerre, par des juristes, par des mouvements de résistance – y compris d’étudiants – par des groupes de résistants issu de l’armée, ou par des proches du général de Gaulle à Londres ou à Alger. Ces projets sont, pour la majorité d’entre eux, clandestins, connaissant une diffusion restreinte ou inexistante, ils sont néanmoins les témoignages de la vitalité de cette question lancinante du renouveau indispensable de la République et de ses institutions.

4 – Parmi les thèmes abordés dans les textes rédigés dans la clandestinité, une idée centrale – retenue en hommage au conseil constitutionnel et à son président qui nous accueille – celle du contrôle de constitutionnalité des lois. Sous la Troisième République, ce contrôle n’existe pas. La loi est souveraine, ce que le Parlement a décidé, personne ne peut le contester même si la loi est liberticide. Le courant de réforme qui agite l’Europe dès 1925, promeut ce contrôle qui doit permettre de réduire le pouvoir du parlement, de stabiliser et renforcer l’exécutif et d’assurer la défense effective des droits de l’homme. La loi ne deviendrait souveraine que dans le respect de la constitution et des libertés fondamentales, comme le Conseil Constitutionnel l’indiquera dans une décision célèbre des années 1980.

Face à la barbarie nazie, le contrôle de constitutionnalité des lois apparaît comme le remède permettant à la future République d’imposer le respect des droits de l’homme et du citoyen et des libertés publiques, qui ne portent pas encore le nom de libertés fondamentales, et d’éviter les traumatismes liés au 10 juillet 1940 et à la mise en place progressives des lois liberticides, concernant les réfugiés étrangers, puis les lois antisémites de Vichy.

5 – Tous les projets – ou presque – proposent un mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois, certains par voie d’action d’autre par voie d’exception. Le projet le plus complet, le plus connu aussi, celui du comité général d’études – parmi lequel siège Michel Debré – date de 1943. Mais dès 1941, en France, des groupes de résistants se réunissent pour bâtir un projet de constitution avec des Professeurs et des étudiants à Grenoble, Montpellier, Avignon, Valence, Grasse, Marseille, et Lyon, ce sera aussi le cas à Londres sous l’impulsion notamment de René Cassin, puis à Alger en 1943 sous l’impulsion d’André Philip avec la création de la commission d’étude de la réforme de la constitution. Parallèlement, des groupes de résistants mettent aussi par écrit leur pensée constitutionnelle. C’est le cas du mouvement de résistance étudiant « Défense de la France » qui après avoir pris position en se refusant d’avoir – je cite –  « sur toutes les questions possible, depuis la Constitution jusqu’à l’esthétisme, une série de théorie arrêtée aussi remarquable par leurs ingénieuses constructions qu’inefficace », rédige pourtant une Constitution de 201 articles…

6 – A la libération en 1944-1945, plus d’une vingtaine de projets constitutionnels seront publiés, tous élaborés pendant la guerre, la majorité dans la clandestinité, en France occupée. La difficulté est que le retour du débat politique en 1945 réduira à néant les ambitions de la majorité de ces projets, et la constitution de la 4ème  République ne traduira en rien les projets de la Résistance. Les auteurs des projets constitutionnels de la Résistance ne se retrouveront ainsi pas ou peu dans les débats des Assemblées constituantes de 1946, et seront progressivement écartés des responsabilités aussi bien au MRP qu’à la SFIO jusqu’en 1958.

7 – A la question vitale de savoir si nos institutions actuelles sont issues des travaux des résistants la réponse est assurément positive. Mais quelle est alors la part du général de Gaulle qui en charge de la lutte contre l’occupant ne propose aucun texte constitutionnel pendant la guerre, mais comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement. Son apport est essentiellement – comme d’ailleurs cela le sera après 1958 – lié à sa pratique des institutions. Dès son arrivée à Alger – sur le territoire français – il installe une assemblée consultative provisoire – une assemblée aux petits pieds – mais une assemblée quand même, il rétablit une juridiction administrative et un contrôle de cassation en récréant un conseil d’Etat – qui sera le pendant de celui resté à Paris – et participe à de nombreux débats parlementaires en se prêtant au jeu des questions et des mises en cause, acceptant ainsi le retour dès 1943 du régime parlementaire. Il attendra la libération de la France pour s’exprimer sur les institutions, considérant que son unique rôle est la victoire militaire et que la libération doit précéder le retour de la République sur le sol qu’elle a quitté en 1940.

8 – In finé, permettez moi de rendre hommage à mon Oncle Alain de Labarre qui est présent dans la salle, comme bien d’autre il su faire le choix de l’engagement à 19 ans pour combattre les Nazis. Depuis il n’a jamais cherché les honneurs considérant que le choix fait était évident et normal. Je souhaite simplement lui rendre hommage à un double titre, sans des hommes comme lui nous ne serions pas dans un institution en charge du contrôle de la constitutionalité des lois et ainsi dans un état de droit, et sans son choix, d’un point de vu plus personnel, je n’aurais pas mené les recherches que j’ai fait sur les projets constitutionnel de la résistance. Il me semblait évident d’attendre l’occasion pour moi d’être ici pour lui témoigner ma reconnaissance.

Merci

* Jean-Eric Callon est l’auteur d’une thèse sur : Les projets constitutionnels de la Résistance Thèse parue en 1998 aux Ed. de la Documentation Française avec  les  préfaces des Professeurs Louis Favoreu et Didier Maus, – 244 pages.

 

Intervention du Professeur Jean-Pierre Levert C.P.G.E. – Janson de Sailly

 

Le Discours de Bayeux 16 juin 1946

Le 16 juin 1946 après avoir quitté le pouvoir en désaccord avec les partis politiques de l’après- guerre  et au milieu des débats sur les projets de la nouvelle constitution le  général De Gaulle se rend à Bayeux à l’invitation du maire pour l’anniversaire de la libération de la ville où il s’est adressé à la population le 14 juin 1944 après avoir pris pied sur le sol de France sur la côte normande à Courseulles. Il adresse un discours d’une grande portée politique dans un contexte très différent de celui de 1944.

Pourquoi Bayeux ?

Il faut revenir aux premières heures de la Libération…

En juin 1944, Bayeux, première ville libérée lors du débarquement allié en Normandie devient aussi capitale politique avec l’installation d’un Commissaire de la république [François Coulet ]

La première partie du discours de 1946  rappelle cette situation : le retour de l’Etat au milieu des combats de la Libération :  « …c’est ici que réapparut l’Etat; l’Etat légitime parce qu’il reposait sur l’intérêt et le sentiment de la nation…. »      

Cette restauration de l’ordre républicain résulte du combat de la résistance : elle a été préparée dans la lutte avec les français libres et les résistances intérieures. La constitution du Conseil National de la Résistance à Paris en 1943 présidé par Jean Moulin, envoyé du Général De Gaulle, fédère les organisations de résistance, les centrales syndicales, les tendances politiques; ils forment en quelque sorte, dans la clandestinité, la première représentation nationale. Le CNR propose un programme d’action, une charte démocratique et sociale qui envisage les grandes réformes de l’après-guerre.  Ce manifeste de la résistance a un impact déterminant évoqué par le général De Gaulle dans ses Mémoires :

 » Ainsi sur tous les terrains et, d’abord, sur le sol douloureux de la France germait au moment voulu une moisson bien préparée. Le télégramme de Paris, transmis à Alger et publié par les postes -radio américains, britanniques et français libres, produisit un effet décisif, non seulement en raison de ce qu’il affirmait, mais aussi et surtout qu’il donnait la preuve que la résistance française avait fait son unité. La voix de cette France écrasée, mais grondante et assurée, couvrait, soudain, le chuchotement des intrigues et les palabres des combinaisons. J’en fus, à l’instant même, plus fort, tandis que Washington et Londres mesuraient sans plaisir, mais non sans lucidité, la portée de l’événement. « 

Le 15  mars 1944, le général De Gaulle est reconnu comme Président du GPRF par l’Assemblée plénière du CNR.

 

Cette restauration de l’Etat évoquée dans le discours de 1946 est l’aboutissement d’un processus mis en œuvre en 1941 à Londres (CFLN) puis à Alger avec le Gouvernement Provisoire de la République Française permettant ainsi la promulgation des 1ères ordonnances pour la mise en place de pouvoirs militaires et civils de la France nouvelle. En 1944, les armées alliées rencontrent au fur et à mesure de leur progression en France des administrations civiles légales, nouvelles.

 Cette présence de l’Etat permet d’éviter le vide politique créé par la faillite du gouvernement de Vichy   » …s’écroulait l’échafaudage d’une autorité qui n’était que fictive .. »

et surtout l’établissement d’un protectorat prévu par les alliés américains dans les régions libérées. [AMGOT] le discours précise le contexte :

              » l’Etat capable de traiter d’égal à égal avec les autres grandes nations du monde, de préserver l’ordre public, de faire rendre la justice et de commencer notre reconstruction… »

1944 / 1945 : la sortie de la guerre

 

Dés les premiers jours de la Libération, le pays a donc un cadre politique légal : le GPRF et l’Assemblée Consultative Provisoire d’Alger représentant les grands courants politiques.

Cette légitimité  reconnue par l’URSS en 1943,  est en voie de reconnaissance par les britanniques (30 juin 1944) mais ce n’est qu’en septembre 1944 que le gouvernement américain reconnaît officiellement De Gaulle et le GPRF.

La guerre a fait éclater les partis de la 3ème  République et c’est dans la résistance que les différentes sensibilités reconstruisent les forces politiques : restructuration du mouvement communiste dans la clandestinité, Comité d’Action socialiste (Daniel Mayer) qui permet la reconstitution de la SFIO et une nouvelle formation née dans la résistance des démocrates-chrétiens, le MRP animé par Georges Bidault.

1945 est une année importante dans la recomposition de la scène politique :

le G.P provisoire prend trois mesures importantes = débat sur les institutions nouvelles qui doit se tenir avec l’ensemble de la communauté nationale retrouvée, après le retour des déportés, prisonniers  personnes déplacées (STO) – un référendum est proposé aux français et aux françaises (élargissement du suffrage universel qui existe depuis 1848) – organisation des pouvoirs provisoires, limités dans le temps (7 mois), le gouvernement et son chef ne participent pas aux travaux sur le projet constitutionnel.

Les élections (les 1ères depuis 1936) accordent 3/4 des suffrages aux 3 partis de la Résistance: PC, SFIO, MRP qui deviennent les arbitres de vie politique.

Une commission de la constitution chargée d’élaborer les nouvelles institutions travaille dans le perspective d’un régime avec un pouvoir législatif omnipotent dans la tradition du parlementarisme.

Cette orientation engendre une dégradation inévitable des rapports entre la commission et le chef du gouvernement écarté des discussions et à qui on applique une rétention d’informations.

Deux mois après les élections, le chef de l’exécutif provisoire démissionne espérant provoquer un choc tant dans la classe politique que dans l’opinion publique.

1946 : le tournant décisif

            Le départ du général De Gaulle laisse le champ libre aux partis dans les débats constitutionnels : les communistes sont partisans d’une seule assemblée avec un exécutif réduit à une fonction honorifique, les socialistes soutiennent la thèse de la prééminence de l’assemblée tandis que le MRP tente de faire admettre une seconde chambre et un exécutif indépendant doté d’une réelle autorité. Le projet est rejeté le 5 mai 1946 par les français et une seconde assemblée constituante est élue  en vue d’une nouvelle architecture constitutionnelle.

C’est dans cette situation nouvelle et conflictuelle (fin de l’unanimité de la Libération, reclassement des partis) que de Gaulle intervient à Bayeux ville symbole de la Libération.

Il s’agit  cette fois d’une rentrée politique après six mois de silence. Le général De Gaulle sort de sa réserve expose les grands axes du  » gaullisme politique « , et propose une rupture avec les traditions antérieures.

La mission historique des années de combat est accomplie, l’Etat est restauré. Désormais le grand dessein c’est de transformer, de moderniser l’Etat et non de s’entendre sur un mode d’emploi du parlementarisme ou la mise en place d’un modus vivendi à l’usage des partis. Tel est l’esprit du discours au moment où s’engagent les travaux de la seconde constituante.

Le général De Gaulle, dans le discours fait une analyse détaillée et précise des institutions pour recomposer le cadre politique et institutionnel du pays. Le propos prend en compte les réalités de l’époque   mais interroge aussi l’histoire nationale dans une réflexion plus ample.

* L’évocation des ferments de division pointe la menace pour la démocratie, le danger pour la cohésion de la Nation et l’indépendance nationale; d’où la nécessité d’un rassemblement.

* Le changement s’exprime surtout par le refus de l’instabilité politique  qui se traduit par la re-fondation des institutions avec une constitution reposant sur la séparation des pouvoirs, le bicamérisme dans la tradition du régime parlementaire, une Assemblée émanant du suffrage universel direct et une deuxième Assemblée émanant d’élus locaux et de représentants de la société civile. L’innovation majeure réside dans la conception d’un gouvernement non pas mandaté par la représentation nationale mais nommé par un chef de l’exécutif, lui-même arbitre au-dessus des partis. Cette dernière proposition représente une rupture fondamentale avec les traditions politiques et institutionnelles héritées depuis le 19ème  siècle.

Désigné par un collège électoral élargi, le chef de l’exécutif a la responsabilité du destin national avec le droit de recourir à des élections anticipées  « pour inviter le pays à faire connaître sa décision souveraine… ».

Cette nouvelle lecture des institutions dans le sens de l’exécutif, telle qu’elle est délivrée dans le discours de Bayeux, est, pour reprendre l’expression d’un historien : » une révision copernicienne de la culture politique française »; elle implique de nouvelles pratiques politiques que les partis en 1946 n’entendent pas puisqu’il s’agit de dépasser l’affrontement des formations politiques et de prendre en compte les intérêts de l’ensemble des français.

Une incise sur le lien avec la période précédente.

Le spécialiste américain du gaullisme attentif à l’évolution des institutions françaises, Nicholas Wahl, remarque dans un article de la Revue française de science politique, mars 1959, « ..le discours du général de Gaulle à Bayeux définissait un schéma très proche des idées de M. René Capitant et de M.  Michel Debré et, avant eux, de la Résistance ». [il ajoute en note: cela ne veut pas dire que le général De Gaulle n’ait pas influencé personnellement les problèmes constitutionnels français]

 La réception

La classe politique préoccupée par la question institutionnelle et la formation d’un gouvernement adopte globalement une attitude hostile sans toutefois déclencher un grand débat national. Occupé à négocier avec la SFIO, le MRP prend le parti ne pas polémiquer considérant les propositions de De Gaulle irréalistes; à gauche on dénonce la tentation de la dictature et le danger d’une réédition du 2 décembre 1851. Léon Blum dans le journal le Populaire ne se livre pas, comme beaucoup, à un procès d’intention mais démontre le risque d’une dérive vers un système présidentiel selon le modèle américain et s’inquiète du danger de la pratique du pouvoir personnel. L’opinion publique qui supporte le poids des difficultés quotidiennes dans une période de reconstruction économique difficile avec les affres du rationnement hésite à prendre parti et à s’engager dans de nouveaux affrontements.

A plus long terme, le discours apparaît bien comme un des textes fondateurs du mouvement gaulliste et Philippe Séguin évoque en 1984 lors de l’alternance cette philosophie politique ébauchée en 1946 :

deux principes essentiels :

La volonté de faire de l’unité nationale une réalité vivante, ce qui implique la recherche des moyens de l’indépendance, et le traitement équitable de l’ensemble des éléments composants de la Nation.

Le souci permanent et prioritaire de l’efficacité, étant entendu que toute politique réaliste, aspirant à donner au pays les meilleures chances de progrès, doit nécessairement prendre en compte les intérêts et les aspirations de l’ensemble de ses éléments.

La combinaison de ces deux principes débouche sur un seul et même axiome : le rassemblement comme moyen et comme fin de la politique nationale.

C’est une détermination qui remonte en fait aux origines même du gaullisme ».

Le discours de Bayeux marque donc l’entrée en scène du gaullisme politique. Le général De Gaulle y expose les grands traits de la réforme des institutions en quelque sorte l’architectonique de la 5ème  République. Considéré depuis comme la pierre angulaire de la Constitution [ par de Gaulle lui-même dans les Mémoires d’espoir ] il n’en reste pas moins qu’en 1946 le texte n’aborde pas deux traits essentiels du schéma actuel : la procédure référendaire et l’élection du président de la République au suffrage universel qui caractérisent le régime depuis 1962. Ces nouvelles dispositions résultent de l’évolution ultérieure.

             » On doit, pour bien servir sa patrie, se soumettre aux révolutions que les siècles amènent; et, pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son temps. Eh ! qu’est-ce qu’un homme de son temps ? C’est un homme qui, mettant à l’écart ses propres opinions, préfère à tout le bonheur de sa patrie; un homme qui n’adopte aucun système, n’écoute aucun préjugé, ne cherche point l’impossible, et tâche de tirer le meilleur parti des éléments qu’il trouve sous sa main; un homme qui, sans s’irriter contre l’espèce humaine, pense qu’il faut donner beaucoup aux circonstances, et que, dans la société, il y a encore plus de faiblesses que de crimes »… Chateaubriand, (Réflexions politiques sur quelques écrits du jour et sur les intérêts de tous les français).

 

 

Intervention de Jacques Vistel Conseiller l’Etat honoraire :

 

De la pratique constitutionnelle … :

Comment  les Présidents de la République qui se sont succédés à la tête de l’Etat, depuis 1946 et surtout depuis 1958 ont ils « pratiqué », cette Constitution de 1958, dont nous fêtons en ce moment le cinquantenaire et ses sources sont-elles dans la résistance ?

Si l’on considère l’architecture et l’équilibre des pouvoirs des  textes constitutionnels que trouve-t-on qui prend  sa source dans les réflexions de 1940 à 1944 ?

Réflexions elles-mêmes souvent inspirées par les tentatives de réformes de l’entre deux- guerres et par très nature variées parce qu’entre André Philip et Défense de la France il n’y avait pas la même inspiration.

On a souvent opposé les constitutions de 1958 et 1946, et pourtant la constitution de

1946 pourrait aussi revendiquer l’héritage de la résistance ne serait ce que parce que les résistants ont joué un rôle essentiel dans les deux Assemblées dominées par les partis issus de la Résistance.

Que l’on songe qu’à côté de François de Menthon qui était déjà membre du Comité Général d’Etudes créé en juillet 1942 et André Philip qui a présidé en février 1944 le comité d’études  de la réforme de la constitution  et  présidera  de 1945 à 1946 la commission constitutionnelle des deux Assemblées constituantes successives.

La constitution de 1958 par rapport à ces réflexions du passé conserve l’idée du bicamérisme.

Le général de Gaule aura des hésitations jusqu’en 1969, en effet elle tourne le dos au régime présidentiel.

Ce régime présidentiel un temps évoqué est tout de suite rejeté. Pourquoi ?

C’est, un régime « importé » des Etats-Unis, c’est un régime plutôt d’essence  fédéral et par ailleurs est encore présent  le souvenir de Napoléon III et aussi celui de la 2ème république.

Donc très tôt les rédacteurs de la Constitution se dirigent vers  le principe de la responsabilité  du gouvernement devant le parlement qui est au cœur du système parlementaire et c’est  l’engagement que prend le général de Gaulle lors de son discours d’investiture du 1er juin 1958, ainsi naît  l’article 20 (qui certes doit  beaucoup aux interventions des  Ministres d’Etat de la 4ème République comme entre autres Guy Mollet et  Pierre Pflimin) et qui stipule :

 « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.

Il dispose de l’administration  et de la force armée.

Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ».

Je ne résiste pas au plaisir de vous citer le général de Gaulle  qui, sans doute dans ces lieux à une question de Paul Reynaud qui lui demande si le gouvernement pourra être révoqué par le Chef de l’Etat,  de Gaule lui répond :

« … Evidemment non, il ne pourrait gouverner. Les gouvernement ne sont responsables que devant l’Assemblée Nationale….»

Donc on est loin du discours de Bayeux !

L’apport essentiel du général de Gaulle est dans son discours de la Place de la République du 4 septembre 1958 où il dit :

« …Ce qui est déterminant et primordial pour les pouvoirs publics  c’est efficacité et leur continuité

On voit bien là l’héritage de la Résistance, l’héritage aussi des déboires de 1940 et ceux aussi comme aimait à le souligner  le Général de Gaulle, celui  du Régime des partis de la 4ème République.

Le Général de Gaulle insiste tout particulièrement sur la séparation de l’exécutif et du législatif, séparation qui se traduira dans la Constitution de 58 par les articles 34 et 37 qui traite des rapports entre le Parlement et le gouvernement.

C’est aussi l’idée d’un Président arbitre : cette idée vient de loin, dans le discours de Bayeux on trouve cette expression :

« Le Président au-dessus des contingences établit un arbitrage national ».

Le 4 septembre 1958 de Gaulle redit « Au-dessus des luttes politiques, un arbitrage national », c’est exactement la traduction de l’article 5 de la Constitution où est écrit :

« Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi la continuité de l’Etat.

Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des accords de Communauté et des traités. »

On est donc bien là avec un Président au-dessus de la mêlée, dans un système que Michel Debré à souvent caractérisé comme un régime parlementaire rationalisé.

Alors qu’en est-il de l’évolution de notre constitution de 1958 depuis 50 ans ?

Je crois que dans le temps, avec les changements successifs et j‘ose le dire avec «  des violations de cette Constitution  nous nous en  sommes quelque peu  éloignés.

Je cite pour mémoire quelques unes de « ces violations »

L’utilisation de l’article 11 utilisé pour réformer la Constitution alors qu’il n’était pas fait pour cela

Article 11 qui stipule :

« Le Président de la République, sur proposition du gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées…..

Peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord de Communauté  en tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions….. »

Pratique condamnée par la Conseil l’Etat à deux reprises en 1962 et en 1969 lorsque la même procédure référendaire va être utilisée pour réformer la constitution, Le Président Sudreau se souvient sans doute parfaitement de cet épisode…

Je cite également, peut-être un peu de manière anecdotique, quand le général de Gaulle contredit l’article 29 de la Constitution qui stipule :

« Le Parlement est réuni en session extraordinaire à la demande du premier ministre ou de la majorité des membres composant l’Assemblée nationale, sur u n ordre du jour déterminé…….

Le premier ministre peut seul demander une nouvelle session avant l’expiration du mois qui suit le décret de clôture ».

Hors en 1962, 287 députés constituants largement la majorité ont demandé la réunion d’une session à l’Assemblée nationale sur un ordre du jour agricole, il est vrai téléguidé par la F.N.S.E.A, le général de Gaulle à estimé que cette majorité de députés ne lui donnait « compétence liée » pour convoquer cette session.

Le texte de la Constitution a été modifié très souvent,  par  d’abord,  la fin de la Communauté française.  En 1958 le passage de l’Union française à la Communauté a été une très grande affaire et la Constitution a dû  bien évidemment s’adapter aux indépendances  acquises par les Pays d’Afrique Noire, puis d Algérie.

Puis ce fut en 1962 la modification essentielle et la plus décisive que fut  l’élection du Président de la République au suffrage universel

On peut citer l’élargissement de la saisine au Conseil constitutionnel : réalisée sous le mandat du Président Valéry Giscard d’Estaing

Et l’exception d’inconsitutionnalité qui a déjà été évoqué, c’est à dire que l’article 61 – 1 nouveau de la Constitution qui est issu de la réforme du 23 juillet 2008. Et là on est assez loin

de l’inspiration de la Résistance  et de l’après-guerre immédiat. Car comme il été dit, la Cour suprême n’était pas dans l’idée des constituants issus de la Résistance, d’autant qu’elle n’était pas dans la tradition des troisièmes et quatrièmes République. Cette idée avait été en 1946, considérée comme   très « américaine ».

Pourquoi ?  A l’époque on avait encore en mémoire, que la  Cour suprême des Etats Unis avait été  très conservatrice en abrogeant toutes les grandes lois de Franklin Delano Roosevelt s’essayant après la grande crise de 1929 de bâtir le « New Deal ».,

Donc c’est une nouveauté que cette croissance considérable du Conseil Constitutionnel

Quelles évolutions  dans  la pratique constitutionnelle observe-t-on depuis 1958 ?

La première et la plus immédiate a été celle dite  du domaine réservé,  qui est pour le moins une pratique  extrêmement originale, et dont  Jacques Chaban Delmas  Président de l’Assemblée nationale qui le premier a évoqué cette affaire du « domaine observé » disait :

« Dans trois domaines celui des Affaires étrangères, de la Défense nationale et de l’Algérie, le Président de la République, certes aidé par le gouvernement et des collaborateurs proches,  assume la décision finale ».

L’originalité de cette affaire du « domaine réservé », qui perdure aujourd’hui encore et qui est très entrée dans notre pratique constitutionnelle, ne figure dans aucun des articles de la Constitution. En effet la Constitution de 1958 dans :

L’article 14 stipule :

« Le Président de la République accrédite les Ambassadeur les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères : Les Ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui ».

L’article 15 stipule :

« Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale ».

Et fort curieusement on retrouve mot pour mot ces mêmes termes dans les articles de la Constitution de 1946 (article 31) qui traitent de ces domaines

La pratique des Présidents de la 5ème République, du moins dans ces domaines, n’a pas été et n’est pas celle des deux Présidents successifs de la 4ème République : Vincent Auriol et René Coty,

Deuxième évolution dans la pratique est celle dû à  «cinq ans de  cohabitation », qui n’était certainement pas dans l’esprit du général de Gaulle lorsque les institutions ont été créées

Evolution aussi du droit de dissolution de l’Assemblée nationale :  l’exemple de la dissolution « pour convenance » comme celle de 1997, de l’Assemblée, n’était pas dans l’idée constitutionnelle de 1958

Mais évidemment et surtout par la « présidencialisation » du régime suite à la réforme de 1962  a amené à une pratique différente que celle voulue par la pensée de la Résistance qui allait davantage dans le sens d’un « Président – arbitre ».

Par ailleurs le régime du quinquennat depuis 2001 tourne le dos à l’idée de ce rôle d’arbitre pour le Président.

L’évolution de notre Constitution  se mesure aussi semble t- il à  l’effacement dans les débats d’aujourd’hui, de thèmes qui furent en 1958 et dans les premières années de la 5ème République  durement et longuement  discutés comme :.

Le  passage de l’Union française à la Communauté, que nous avons plus haut évoqué, puis par sa disparition.

Le contenu et la rédaction de l’article 16 qui stipulait :

(Rappel) : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement  régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le président de la République prend les mesures exigées par les circonstances…..Il en informe la nation par un  message…. Le Parlement se réunit de plein droit.

L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels. ».

Cet article qui fut inspirer aux rédacteurs de la Constitution par le souvenir de la défaite de juin 1940, le Général souhaitait que les pouvoirs publics soient armés pour faire fassent à de tels événements. Il ne fut utilisé qu’un seul fois en mai 1968 et aujourd’hui plus personne ne conteste et ne souhaite sa disparition.

Autre débat qui à passionné, pendant très longtemps,  la classe politique, les juristes, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat se sont les articles 34 et 37 , qui concernent la séparation entre le domaine de la Loi et le domaine du règlement.

L’article 34 stipule  :

« La loi est votée par le Parlement.

La loi fixe les règles concernant :

 

  • Les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens…….
  • La nationalité, l’état et la capacité des personnes, des régimes matrimoniaux ….
  • La détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables…..
  • L’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures…..

    • La loi fixe les règles concernant :
  • Le régime électoral des assemblées parlementaires…..
  • La création de catégories d’établissement publics….
  • Les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires….
  • Les nationalisations d’entreprises……

    • La loi détermine les principes fondamentaux ;
  • L’organisation de la Défense nationale….
  • De la libre administration des collectivités…..
  • De l’enseignement.
  • Du régime de la propriété….

  • Du Droit du travail……L’article 37 stipule :Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d’Etat…….. »C’est un point central dans l’idée qu’avait Michel Debré du parlementarisme rationalisé et dans la séparation effective de l’exécutif et du législatif, termes qu’employait le général de Gaulle en 1958. – Autre domaine qui avait beaucoup défrayé la chronique c’est l’incompatibilité des fonctions entres les ministres et les parlementaires.Evolution des textes, des pratiques on est loin des projets de la Résistance semble-t-il, mais le général de Gaulle n’avait-il pas dit déjà dans son discours du 4 septembre 1958 :Au siècle c’est à dire nous étions à cette époque au 20ème siècle : nous sommes aujourd’hui au 21ème siècle !A savoir : ce préambule de la Constitution de 1958 stipule:En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux Territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer les institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité, et conçues en vue de leur évolution démocratique ».Ce contenu du préambule, est très intéressant à le rapprocher d’un texte qui figure dans le programme du Conseil National de la Résistance, élaboré pendant l’Occupation le 15 mars 1944.  Le droit d’accès des travailleurs aux fonctions d’administration et de direction et à la participation de l’économie qui deviendra l’article 8 dans le préambule la Constitution de 1946.Le droit de tout travailleur d’assurer la sécurité de sa famille c’est le futur article 10 toujours dans le préambule la Constitution de 1946.…………etc.Ce volet du programme du CNR, très social inspiré par des personnalités comme André Philip et François et Menthon, repris dans la Constitution de 1946, va acquérir petit à petit une valeur de droit positif. Ainsi très tôt le Conseil d’Etat avait reconnu que l’énoncé du préambule avait le caractère de ce qu’il appelle « les principes généraux du Droit ».Le Conseil Constitutionnel aussi va entrer dans le même type de raisonnement avec par exemple et par une décision du 27 décembre 1973, pour la première fois, il censure une loi, en se fondant sur un principe d’égalité inscrit dans ces textes du CNR et repris dans le préambule de la Constitution de 1946Donc on voit bien là filialisation entre notre droit positif – ( Le Conseil constitutionnel ayant fait entrer dans ce que les juristes appellent le bloc de Constitution : le préambule de la Constitution de 1946) –   Ainsi 70 ans après les projets de la Résistance, 50 ans après la promulgation de la Constitution de 1958, on s’aperçoit que les textes et la pratique constitutionnelle ont beaucoup évolué, On ne saurait s’en étonner.
  • Constatons seulement qu’aux cotés de la Déclaration des Droit de l’homme 1789 les valeurs et les espoirs de la Résistance inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946 et de 1958 sont toujours vivants et que nos juges sont armés pour en assurer le respect.
  • On peut dire que tous les alinéas du préambule de la Constitution ont en fait servi de fondement aux décisions du Conseil Constitutionnel en particulier quand il a eu à prendre position à la fois sur les lois de nationalisation et les lois de privatisation ultérieures. Son avis a été à chaque fois conforme au préambule de la Constitution de 1946.
  • En 1950 par exemple, dans un arrêt sur le droit de grève Le Conseil d’Etat fonde sa décision sur ce préambule.
  • Les libertés syndicales c’est l’article 6 du préambule la Constitution de 1946.
  • Sur le plan social le droit au travail, au repos…etc. deviendront les article 5 et 11 dans le préambule la Constitution de 1946.
  • Le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés….les sources d’énergie, les ressources du sol, les compagnies d’assurance….qui deviendra l’article 9.
  • De nombreux termes issus du programme du C.N.R. sont repris dans leur intégralité par le préambule de la Constitution de 1946 et donc de celle de 1958. Parmi ces termes figurent entre autres :
  • Ce préambule de la Constitution de 1946 qui est repris intégralement par la Constitution de 1958 résulte des travaux de la première Assemblée constituante du 21 octobre 1945 donc avec une prédominance de députés socialistes, communistes, du M.R.P, et aussi marquée par l’influence d’André Philip qui avait joué, pendant la résistance un rôle important dans l’élaboration des futurs principes constitutionnels.
  • « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté national tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmés et complétés par le préambule de la Constitution de 1946.
  • Néanmoins, il me semble qu’il y a un aspect important de la réflexion qui demeure : c’est le préambule de la Constitution.
  • « C’est au siècle et dans le monde où nous sommes qu’a été établi le projet de Constitution » ».
  • Dans la pratique le Conseil d’Etat tente d’assurer de manière efficace le non empiétement du pouvoir réglementaire dans le domaine de la loi et le Conseil Constitutionnel, de manière plus difficile dans les quinze premières années de l’entrée en vigueur, de la Constitution, essaie aussi de freiner les empiétements de la loi sur le domaine réglementaire. Empiétements qui résultent plus souvent des amendements parlementaires que des projets de loi du gouvernement qui sortent du Conseil des Ministres.
  • Le Conseil d’Etat a passé des années à bâtir une jurisprudence afin de préciser le domaine du législatif et celui du domaine réglementaire.
  • « Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.
  • ………. »

Synthèse et conclusion du colloque Jean-Louis Debré Président du Conseil Constitutionnel.

En ce moment est commémoré le cinquantenaire de la constitution de 1958, dont  un professeur de Droit,  sommité des facultés qui avait bercé de ses livres toute une génération,  prédisait  que  la Constitution de la 5ème République ne durerait  pas et s’écroulerait avec la disparition du Général de Gaulle. « Préparons la 6ème République !… », disait le professeur Duverger, à qui faisaient échos  bien  des responsables politiques qui, comme l’éminent professeur, ne cessaient de penser que cette Constitution n’avait été faite,  que sur mesures, par et pour le général de Gaulle.

Aujourd’hui le Général n’est plus là : La Constitution de 1958 a traversé des crises, en particulier celle de 1968, connu deux  alternances politiques, servi plusieurs cohabitations, comment alors expliquer la longévité de cette Constitution si décriée à sa naissance,  qui malgré 24 modifications successives est toujours au cœur de notre système politique cinquante ans après ?

En plus des idées et des travaux du Comité Général d’Etudes (C.G.E.), de François de Menthon et des Résistants qui s’étaient progressivement tournés  pendant l’Occupation vers la réflexion institutionnelle, Michel Debré,  et le Général de Gaulle furent les Pères de cette Constitution. Elle fut écrite avec ses ordonnances et ses lois organiques en trois mois, tandis qu’en parallèle une réforme de la Justice voyait le jour. Jamais  une réforme aussi importante et fondamentale ne fut réalisée en un laps de temps si court, l’action et la réflexion commune  du  Général de Gaulle et celles de Michel Debré y furent essentielles.

L’élaboration de cette nouvelle Constitution, par  Michel Debré, fut confortée  à la fois par les travaux antérieurs de René Capitant Résistant et  proche du général,  par ceux aussi de Carré de Malberg juriste de d’entre-deux  guerres pour qui, il y avait compatibilité entre un régime parlementaire et la pratique du référendum et enfin par l’étude des ouvrages de l’historien italien Ferrero sur la « Légitimité du pouvoir ».

Le général de Gaulle qui avait une parfaite connaissance de l’histoire de notre pays avec ses heures de gloire et de tristesse,  pensait que cette France qu’il aimait et dont il se faisait une  « une certaine idée » avait besoin que l’autorité l’Etat soit restaurée.

Michel Debré était un juriste proche du général de Gaulle qui avait  étudié minutieusement  tous les dysfonctionnements de la 3ème et 4ème République.  Il avait  rédigé 10 projets de réforme constitutionnelle et même écrit une pièce de théâtre sur les institutions ! ! !

C’est l’analyse de ces dysfonctionnements qui permis de créer  une constitution « forte  » qui ne fut  ni la copie  d’un régime parlementaire ni encore moins la copie  d’un régime présidentiel à « l’américaine ou à l’anglaise »,   mais simplement un régime adapté à la situation de la France lui permettant  d’être enfin  gouvernée.

Qu’elle avait été la situation des institutions en France avant 1958 ? :

La durée moyenne des gouvernements était de sept mois,

Entre 1947 – 1957 le décompte des périodes où le France n’a pas eu de  gouvernement représentait une  année entière.

Pendant ces années vont se succéder des crises comme celle de l’Indochine, celle de l’Algérie, tandis que le budget de la France n’est jamais voté à temps et où  l’on arrêtait la pendule du Parlement pour faire croire que l’année n’était pas terminée ! et que dire des interminables discussions parlementaires qui n’aboutissaient pas. En fait  pendant ces années on a assisté à un abaissement du rôle du Parlement et les députés. Il y eu certes pendant cette période des hommes d’Etat remarquables, comme Pierre Mendès-France dont l’action et les réformes qu’il avait entrepris pendant les neuf mois où il gouverna furent  entravées par les pratiques constitutionnelles de la  4ème République,  alors que partout ailleurs dans le monde occidental les régimes politiques étaient marqués par une stabilité gouvernementale.

Pour les rédacteurs de cette Constitution il s’agissait dans la pratique constitutionnelle, d’éviter les tares, des 3ème et 4ème République, en empêchant le retour aux jeux de partis dans les institutions,  dénoncé par le Général comme ayant été l’un des calvaires de la 4ème République. La pensée du général de Gaulle était dans le droit fil de se qu’il avait écrit, avant la guerre dans son livre « Le Fil de l’épée »: «  …Lorsqu’il y a un vent ou une  tempête qui s’élève, il y a deux conception du Chef, celui qui se cache qui se réfugie dans les textes et les codes et celui qui fait face et qui fait front en un mot qui assume… ». Pour le général qui avaient vécu le défaite de mai / juin 40 et vu l’incapacité de la classe politique et en particulier celle du  Président de la République Albert Lebrun a faire front, il fallait donc qu’il y ait à la tête de l’Etat « un Chef qui assume…. », le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. cet  « Arbitre » devait être indépendant des partis, avec des pouvoirs clairement définis, comme celui de nommer le Premier Ministre, le pouvoir de dissoudre le parlement, en un mot de faire « face et de faire front »…. Ce sera l’article 5 de la Constitution.

Mais pour que cet arbitre ait une légitimité suffisante son élection ne pouvait pas être le fruit de combinaisons politiques,  mais devait être le plus largement possible légitimé par le  peuple.

En 1958, quand a été adopté la Constitution il n’a pas été possible de procéder à une élection au suffrage direct par le peuple français. En effet à l’époque  notre présence en Algérie – département français à cette date – ne permettait pas une telle élection, mais le collège électoral qui allait désigner Charles de Gaulle premier Président de la 5ème République fut considérablement élargi

Les concepteurs de cette Constitution de 1958 ont su notamment par les articles 34 et 37 très clairement définir les rapports entre le Parlement et le gouvernement, c’est à dire ceux du domaine de la loi et ceux du domaine réglementaire. Ainsi le gouvernement n’est pas soumis quotidiennement à la tutelle du parlement qui doit légiférer et contrôler le gouvernement.

Si cette Constitution perdure, depuis cinquante ans,  malgré un certain nombre de modifications dont quelques unes fortes importantes,  c’est qu’elle a su s’adapter avec souplesse aux évolutions de la  vie politique de la 5° République.

Ainsi  quand il y a concordance entre le parlement et le Président, c’est à dire quand la majorité des députés est  issue du même courant politique que le Président, on peut en effet avoir une lecture présidentielle de cette Constitution.

Quand il n’y a pas concordance et que la majorité des députés n’appartient pas à la même sensibilité politique que le Président on peut faire alors une lecture  parlementaire de cette Constitution.

Parmi les importantes modifications il y a eu,  en 1962  l’élection du Président au suffrage universel qui a été un élément essentiel. Mais plus encore l’apparition du phénomène majoritaire a changé profondément les rapports entre le gouvernement et le parlement . Par la suite le quinquennat va encore changer naturellement la pratique institutionnelle, ainsi que l’élection concomitante du Président de la République et des députés de l’Assemblée nationale.

Ainsi les Pères de cette Constitution ont-ils  réussi leur œuvre par  une approche à la fois pragmatique et modeste dans leur rédaction.

Ils ont su  fondre cette Constitution dans le sillon de l’histoire de France,  en analysant les dysfonctionnements des Républiques antérieures.

Leur  plus grand succès est d’avoir oublié l’incapacité de l’Etat à diriger la France.