Parcours de Résistants

Rencontre prévu le 12/10/2006

Mémoire et Espoirs de la Résistance réunissait au Mémorial Leclerc – Musée Jean Moulin, le 12 octobre 2005 cinq grands témoins  et acteurs de la Résistance pour évoquer, leur engagement, leur action et leur parcours dans le combat qu’ils livrèrent durant « ces années sombres », devant des jeunes filles et  des jeunes gens du collège Daniel Mayer du 19 ° arrondissement de Paris, accompagnés de leurs professeurs et un très large et fidèle public.

Ces cinq résistants,  représentaient bien la  diversité des femmes et des hommes, venus de tous les horizons politiques et confessionnels  qui avaient peuplé la Résistance et  s’ils ne furent  au commencement qu’une minorité, il avait très tôt  su  dire « non » à l’occupant et au régime du maréchal Pétain.

Pour  Marie Zamanski*,  la Résistance fut  non seulement naturel, mais aussi  une affaire de famille puisque son père, sa mère, son  frère et son fiancé Marc, tous ensemble, avaient  résisté :

« Oui, c’est toute ma famille qui fut résistante, et je me souviens que chez nous on n’aimait pas la guerre.

Mon père Henri , était plutôt  pacifiste, ancien du Sillon le  mouvement de Marc Sangnier, et farouche partisan du rapprochement franco-allemand, chez nous, on ne prononçait  jamais prononcé le mot « Boche ». Après l’arrivée d’ Hitler au pouvoir, mon père déplora la faiblesse de la France et condamna le nazisme. Toute la famille a été révoltée par les accords de Munich.

C’est le 17 juin 1940, sur les routes de Corrèze que nous avons entendu le discours de Pétain «… Je fais à la France le don de ma personne…. » mon père, se retournant vers nous a dit: « ça nous fait une belle jambe qu’il donne sa vie à la France! ».

En septembre 40, je suis reçue à l’école Normale supérieure de Sèvres et en décembre, je rencontre Marc Zamansky, élève à l’école Normale de la rue d’Ulm. Plus âgé que ses condisciples, Marc (25 ans) avait été mobilisé et s’était vraiment battu, mais frappé par les lois contre les juifs, il avait  interrompu ses études pour « faire de la résistance ». En 1941 il avait  à rencontré le général Delestraint, futur chef de l’armée secrète, qui l’avait   fait rentrer dans le  réseau Mithridate et c’est ainsi que grâce à  Marc toute ma famille a travaillé pour ce réseau.

« Mithridate » était un réseau de renseignements, nous n’avions donc pas d’armes et au demeurant nous ne voulions pas, nous n’aimions pas les actions violentes, lorsque l’on donnait un renseignement, par exemple pour un bombardement,  on s’assurait qu’autour de la cible il n’y avait pas de risque pour les populations. Malheureusement les aviateurs ne nous ont pas toujours écouté !. En fait nous étions toujours restés « pacifistes » et notre Résistance devait se traduire par des actions militaires précises et efficaces qui et touchent le moins possible de civils.

Marc devenu  responsable du réseau pour la zone occupé fut arrêté  le 22 juillet 1944, alors que nous devions nous marier le 5 août. Début août, à Beaulieu-sur-Dordogne sans nouvelle de Marc, avec ma grand-mère et mon jeune frère, je préparais le mariage, c’était à l’époque un très gros travail que de trouver du ravitaillement pour les nombreux invités qui devaient participer à la noce.

Le  4 août au soir, des passants  m’ont dit que des messieurs, en civil avec une fleur blanche à la boutonnière nous cherchaient, puis ils se sont présentés à la maison en nous faisant croire qu’ils étaient  invités au mariage. A leur accent,  à leur apparence, à leur drôle d’air ! mon père a tout de suite compris qu’il s’agissait d’hommes de la police allemande.

Le réseau auquel appartenait mon frère avait été trahi et les allemands prévenus de la noce, attendaient les amis de mon frère que nous avions invité.

Toute la nuit j’ai  entendu mes parents déchirer les papiers les plus compromettants et au  matin, la Gestapo, ne voyant venir personne,  nous a arrêté : mon père, ma mère et moi, seul mon petit frère âgé de 12 ans et protégé par des voisins a échappé à l’arrestation.

Nous sommes alors conduit à Limoges où nous avons été séparés des uns des autres et  bizarrement nous n’avons pas été mal traités.  Avec ma mère le lendemain, nous avons été installées à l’infirmerie et la Croix Rouge où on nous a servi des repas, trois fois par jour. Un gradé m’a même emmenée faire du sport dans la cour et m’a poussée sur la balançoire, ça aurait très drôle sans l’affreuse inquiétude que j’éprouvait pour papa et  Marc. Un jour, un jeune soldat nous a ouvert la porte sur la rue en disant « vous libres, moi 8 jours police, moi égal ! ! ! ». Maman n’a pas voulu partir sans mon père de peur des représailles.

Début septembre, très curieusement, un militaire avec une croix de fer et une femme plutôt élégante sont venus nous chercher, nous ont conduit à la gare puis dans le train de Paris. Papa était là, dans un compartiment de première: nous nous sommes embrassés et avons voyagé tous ensemble. L’homme et la femme étaient aimables. Lui, venait du front russe; blessé, il était fort content d’être en France. A Paris, ils nous ont dit que nous devions attendre deux heures; papa a proposé de passer, avec eux, chez nous, rue des Archives, ils ont accepté. A la maison, ils se sont installés devant le poste de radio pendant que papa prenait un bain, tout en racontant à maman son séjour à la prison de Limoges. Notre immeuble avait une double sortie et nous pouvions donc en sortir sans être vus des Allemands. Après en avoir discuté, mes parents se trouvant trop âgés ont décidé de ne pas s’enfuir,  de plus ils craignaient de nuire à Marc.

C’est la  mort dans l’âme que  nous avons repris un taxi pour la gare Montparnasse et le train pour Rennes où une voiture nous attendait pour  nous  conduire à la prison où  on a pris nos identités puis toutes nos affaires et où nous avons été séparé de papa après l’avoir embrassé une  dernière fois.

L’intérieur de la Prison était protégé par une verrière, il  y avait deux étages de balcons à barreaux de fer sous une lumière pisseuse, maman s’accrocha alors à mon bras et me dit : « Mimie, c’est l’enfer ! » Je lui répondis: « non, maman c’est le purgatoire, mais nous en sortirons ». Puis une gardienne française, un trousseau de clés à la main, suivie d’une – souris grise- a ouvert une porte du premier étage et maman a disparu. Moi, je suis montée au second et je me suis retrouvée dans un immense grenier avec au centre, une longue table en bois fixée au plancher, un banc et dans un coin à droite un petit lit de fer. Il faisait froid et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit sous une bien mince couverture.

Le lendemain matin, en me tendant un gobelet de café, une prisonnière m’a dit: « Badoglio a cessé la guerre »  Que fallait-il penser ?

J’étais au secret. J’ai eu tout le temps de lire « Maria Jan 17 ans » gravé au moins 10 fois sur la table, le banc, les murs. Je fis ma gymnastique: j’avais plein de place et je me réchauffais. Après la distribution de la soupe, je mis le banc sur la table, et ainsi j’ai pu atteindre le vasistas, apercevoir quelques toits et les plus beaux couchers de soleil de ma vie…J’étais coupée du monde. Quelques jours plus tard, une gardienne française m’apporta mon livre de messe et un gâteau de la part de ma tante. Quelle joie! Nous n’étions plus seuls! « Tata  Marcelle » nous avait retrouvés. Je pensais surtout à maman qui était très proche de sa sœur

Les jours suivants, je sortis pour les interrogatoires. L’Allemand était extrêmement poli, il affectait de parler un excellent français et me demandais de le reprendre s’il faisait une erreur. Je lui demandai une couverture de plus et je l’ai eue le soir même… mais je compris assez vite qu’il était extrêmement rusé et en savait beaucoup plus que moi sur les faits et gestes de toute la famille.….. Je n’ai pas parlé bien sûr, mais je savais que maman aussi avait fait beaucoup pour la Résistance et avait confectionné de nombreux faux papiers pour ses élèves sont dont plus du tiers étaient juifs.

C’est au cours de mon interrogatoire que j’ai que appris l’arrestation de mon frère qui s’appelait aussi Marc, isolé et sans nouvelle de personne il fut très malheureux en prison.

Je suis restée neuf mois dans la prison de Rennes, d’abord  dans une petite cellule avec Madame Dornadic, une charmante bretonne qui me parut très vieille et qui pleurait à gros sanglots « Je suis en prison ! je suis déshonorée, je n’oserai plus jamais sortir ». Je passais des heures à la consoler. Elle trouvait la nourriture fort mauvaise et se demandait comment on pouvait manger du poulet sans beurre ! – Je l’ai retrouvée à Ravensbrück avec sa fille Yvette dont elles sont revenues toutes les deux – . En décembre, on m’a changé de cellule à la demande de Madame Ronnel , une femme sans doute influente à Rennes et l’on m’a mise dans la cellule de sa fille Eliane qui avait mon âge. La cellule était du côté des hommes et j’entendis enfin les multiples conversations et pus prendre part à la vie de la prison. Marc, mon fiancé,  se signalait en chantant…. do.. la.. si.. do.. la.. fa…. Malheureusement, je n’ai jamais entendu mon père, il devait être du mauvais côté. Les gardiennes françaises du rez-de-chaussée s’ingéniaient à nous faciliter la vie: elles passaient des colis, des livres de cellule à cellule et  une abondante correspondance clandestine. Entre les femmes et les hommes, Joseph, un Autrichien, faisait de même: il a fait passer plusieurs paquets entre papa et maman.

Début mars 1944 avec les prisonniers de la centrale de Rennes nous sommes partis pour Paris au Fort de Romainville, d’où nous avons pris la direction du  camp de Ravensbrück en Allemagne. Vous savez mais pendant cette terrible période je n’ai jamais eu de haine pour les Allemands. Dans ce camp j’y ai rencontré des allemandes dont l’une avait été prise et envoyée ici pour avoir donné une paquet de cigarettes à des déportés. Vous savez pour les Allemands résister étaient très difficile, ils étaient isolés tandis que nous étions plus nombreux et une grande solidarité nous aidaient et nous soutenaient ……….voilà mon témoignage ».

*NOTA : Marie Zamansky sera libérée avec sa mère de Ravensbrück par la Croix-Rouge suédoise le 22 juin 1945. Son père et son frère sont morts en déportation. Son fiancé est revenu de Mauthausen.

Puis c’est au tour de Jacques Vico*,  qui écrivait  il y a quelques années, «…. Notre premier acte de Résistance fut notre refus de nous laisser séduire par la puissance allemande…. », d’apporter son témoignage.

« Oui en juin 1940 j’ai 17 ans et nous assistons à l’effondrement de la société civile française, à l’effondrement de notre armée avec beaucoup de rage au cœur de voir tant de sacrifices, tant d’échecs.  Nous voyons arriver derrière la puissance de l’armée allemande avec ses chars, son  matériel, des troupes allemandes qui défilent dans Caen, en colonnes par cinq, ils sont des centaines, des milliers vêtus comme il convient pour faire la guerre en cet été 1940, tous sont  grands,  blonds, bronzés  comme de vrais sportifs, le sourire aux lèvres puisqu’ils sont vainqueurs. Donc notre premier acte de résistance a été de refuser de nous laisser séduire par cet ordre, par cette force, cette discipline et  cette rigueur que porte un système politique et idéologique destructeur,  qui à déjà détruit une partie de l’Europe et qui nous le pensons va notre pays. Ainsi notre première réaction a été de refuser  l’inacceptable qui nous est imposé par présence de cet ennemi et la mise en place d’un gouvernement qui va collaborer avec lui au travers d’un système politique que nous les jeunes n’acceptons  pas.

C’est ce refus qui va nous conduire à la Résistance.

Je souligne tout de suite qu’en  Normandie, mais aussi quelques autres régions de France, La Résistance a été extrêmement précoce et le premier groupe de résistance auquel je vais adhérer est créé le 17 juin 1940 à Granville par un officier d’active, blessé dans les combats  de mai 1940 en Belgique : Il s’agit c’est de Robert Guedon, officier d’état-major et ami Henri Frenay – créateur du mouvement Combat – . Ce groupe va rapidement s’étendre dans toute la Normandie au travers des structures  du mouvement catholique.

Dans le même moment, à Caen,  des jeunes filles et jeunes gens qui appartiennent aux divers organisations religieuses ou laïques de scouts se  trouvent toute de suite engagés dans des actions de solidarité au profit de milliers de réfugiés jetés sur les routes de l’exode.

Je fais parti de ces scouts qui vont s’essayer de soulager la misère de ces malheureux réfugiés en les ravitaillant et en les soignant ; cette solidarité nous la jouons aussi au profit les milliers de soldats français prisonniers de guerre,  que les Allemands retiennent  à Caen dans les casernes du 43ème régiment d’artillerie à qui nous apportons des vivres, du courrier et  aussi en cachette des habits civil qui faciliteront leur évasion.

Ensuite vont se constituer des petits groupes de résistance qui dans un premier temps vont collationner des informations, sur les troupes nombreuses d’occupation dont l’objectif est d’envahir un jour l’Angleterre, informations que les « agents dormants »  des services secrets    britanniques  transmettront très vite à Londres.

C’est un peu plus tard que notre groupe se développant va commencer à distribuer des petits journaux clandestins dont une version des Petites Ailes de Normandie.  Malheureusement il  va être démantelé en novembre 1941à cause d’ une succession de maladresses et d’imprudences. Dix-sept de nos aînés vont être arrêtés, trois seront fusillés et les autres vont être déportés en Allemagne. Malgré ces arrestations, nous gardons la certitude que notre victoire demeure   d’autant qu’en Europe la situation militaire évolue,  quelque mois plus tôt l’U.R.S.S. attaquée est entrée dans le combat contre Hitler.

Bien que sans formation militaire, avec un camarade nous partons en zone sud  et nous nous engageons, à 18 ans et demi dans un régiment de l’armée d’armistice justement pour acquérir cette formation.

Ce 8 novembre 1942 nous sommes prêt, nos chevaux surchargés de munitions et d’armement, nous attendons comme tout le régiment (le 3° hussard de Montauban) de monter vers la ligne de démarcation afin d’empêcher les troupes allemandes de la franchir et d’entrer en zone sud, mais Pétain va nous l’interdire.

Je décide alors de retourner, le plus vite possible,  en  zone occupée dans la région de Caen où se trouvent  toute ma famille et mes amis. Là je vais être contacté par le mouvement « Ceux de la Résistance » où l’on me demande prendre la responsabilité d’un important dépôt clandestin d’armes et de munitions qui seront ensuite réparties entre les différents groupes de résistants de la région.

En juillet 1943, j’ai la chance de rentrer à l’école nationale d’équitation de Fontainebleau  et le 16 décembre 1943 en rentrant à Caen j’apprends que mon père vient d’être arrêté par la Gestapo : nous ignorions, nous ses sept enfants,  qu’il faisait de la Résistance. Pour ne pas accroître la suspicion qui allait peser sur mon père je décide avec quelques amis, la nuit venue de déménager toutes les armes cachées dans la ferme familiale. Nous cacherons ces armes dans des carrières et le 5 juin 1944 elles ressortiront pour armer tous les groupes de résistants de la région

A Caen la Gestapo qui poursuit la Résistance c’est seulement 12 hommes, aidés malheureusement par 40 Français, des jeunes pour la plupart, qui à notre différence, ont accepté de se soumettre, et c’est eux qui perquisitionneront la ferme familiale après l’arrestation de mon père et arrêterons ma mère.

Moi je continue la résistance dans l’Eure-et-Loir et dans la Sarthe accueillis par des gens que je connaissait pas, mais qui furent extraordinaire de dévouement. C’est le lendemain du débarquement du 6 juin 1944, que je suis revenu en Normandie pour participer aux côtés des anglais, des américains et des canadiens aux actions qui contribuerons à la libération de la Région. Le 10 août 1944 notre groupe de résistant qui s’appelait : la compagnie Scamaroni est incorporée en renfort à la 2ème division blindée du général Leclerc.

Puis c’est la chevauchée de la Libération et c’est  au sein de cette division que j’ai participé à celle d’Alençon,  de Paris et suivi tous les combats de la 2ème Division blindée jusqu’en Allemagne ».

* Monsieur Jacques Vico est aujourd’hui Président départementale des combattants Volontaires de la Résistance et Président de Mémoire et Résistance

C’est maintenant au général Roidot* de raconter son parcours dans la Résistance au sein de l’O.R.A. (l’Organisation de Résistance de l’Armée).

« Je suis sorti de Saint-Cyr le ler octobre 1942, qui est alors replié à Aix en Provence où je suis affecté comme sous-lieutenant au ler Régiment d’Infanterie stationné à Saint-Amand- Montrond, dans le Cher, juste au-dessous de la ligne de démarcation. Tout de suite je suis désigné comme chef d’une section d’engagés  stationnée à Levet au Sud de Bourges.

Tout va changer le 8 Novembre, car les Alliés débarquent en Afrique du Nord, et le 9 je suis envoyé comme chef de poste à la ligne de démarcation avec pour mission d’alerter mes chefs en cas de franchissement par la Wehrmacht.

Le 11 à l’aube, les Allemands franchissent la Ligne de démarcation et foncent en direction de Vichy sans s’occuper de ma section  consignée dans son casernement, le plan d’engagement  prévu ayant été annulé au dernier moment par Vichy.

L’ordre de démobilisation du régiment est donné le 28 Novembre, mais heureusement le  colonel commandant le régiment, a pris toutes les dispositions nécessaires pour camoufler le matériel et surtout l’armement. Il donne alors des ordres pour que le maximum de ses personnels se reclassent sur place et  dans ce but installe à la mairie de Saint-Amand -Montrond un « détachement liquidateur ». Il recevra, individuellement, chacun de ses officiers pour leur donner des missions précises dans le cadre des différents lieux où sont stationnées les compagnies du Régiment.  Reçu par le Colonel et sachant  que j’avais été scout, il m’envoie  dans la région de Lyon, suivre un stage destiné aux officiers susceptibles de prendre des responsabilités dans les Scouts de France.

Dès mon retour, en février 1943, il me définit les missions  suivantes :

*Celle d’un officier de renseignements, dont le  travail concerne le Cher sud et dans une moindre mesure dans l’agglomération de Bourges où je  travaille  en liaison étroite avec le groupement de Gendarmerie et j’ai des contacts suivis  avec  les différentes administrations du  service de la main d’œuvre et des chantiers de jeunesse ; mes ennemis sont : la police allemande, l’Abwehr et la Milice.

*Celle aussi d’un chef de section clandestin, avec comme couverture celle d’un chef Scout, couverture qui me permet  de  contacter les jeunes sous-lieutenants qui servent  dans les Chantiers de Jeunesse, afin de les faire participer à la Résistance.

Je dois aussi prendre contact avec d’anciens sous-officiers et engagés, leur demander d’encadrer les soldats fraîchement  démobilisés afin qu’ils s’organisent avec les fermes de la région, qui manquent de personnel, l’hébergement de ces jeunes soldats et éventuellement les nourrissent.

J’ai pris ensuite  la direction de l’exploitation forestière créée par le régiment, exploitation  destinée à  reclasser des cadres et y camoufler des réfractaires.  Parallèlement jusqu’en octobre 1943 je fais  parti des petites équipes chargées non seulement de recevoir les parachutages annoncés par messages codés, mais aussi de disperser immédiatement les armes reçues, dans des lieux sûrs d’où elles seront, le moment venu mises à la disposition des maquis.

En 10 décembre 1943, la Gestapo de Bourges, bien renseignée, arrête à Saint Amand, le Commandant Rauscher ( qui mourra en Déportation) ainsi qu’à St Florent (Cher), deux officiers. Ensuite guidée par la Milice, elle encercle le chantier forestier où je me trouve  en mission  avec le sous-préfet (dont le nom est fort connu puisqu’il s’agit de Monsieur Erignac – Père de préfet assassiné en Corse).  J’ai heureusement le bon réflexe de ne pas fuir et de me présenter aux allemands en leur montrant ma carte officielle d’employé au Service de la main-d’œuvre. Prétendant être en mission, je demande à être conduit pour enquête à la sous-préfecture où l’on confirmera mes dires, aux Allemands qui me libéreront.

En mars 1944  je quitte Saint Amand où je suis trop repéré pour  la région de Levet où mes petits maquis de section se mettent sur pied et s’entraînent, venant de recevoir des armes et  nous préparons  des sabotages sur la voie ferrée Bourges – Saint-Amand.

Le 4 juin 1944 je reçois l’ordre de commencer à harceler les Allemands et la Milice sur toutes les voies de communication de la Région.

Le 6 juin tous les résistants du mouvement Combats et les F.T.P. libèrent Saint Amand, tandis que nous nous employons à inciter les « Sédentaires » du 1er R.I. , à rejoindre les  maquis implantés dans la région et continuons à harceler les occupants et leurs séides.

A partir de la fin juillet 1944, on peut dire qu’à ce moment, il n’est plus question de Résistance clandestine mais bien ouvertement de la préparation des unités F.F.I. à « la lutte ouverte » qui est déclenchée dans le Cher, sur ordre du Général Koenig, en appui indirect du débarquement de Provence. Ma compagnie est placée en embuscade aux lisières sud de Bourges, elle  interceptera des français de la Gestapo de Poitiers qui effectuaient toutes sortes d’exactions  à  Bourges et tentaient de  récupérer pour  armes dans la caserne centrale et de s’emparer d’un  stock important de chaussures au centre de Libération des prisonniers de guerre. A la tête de ma compagnie je vais prendre part  à la libération de Bourges, le 6 septembre  participer ensuite à la manœuvre d’ensemble des F.F.I. qui contraindra la  « Colonne Elster », composée de 17 000 soldats allemands en retraite et venant du Sud-Ouest, à la reddition aux américains, au pont sur la Loire de Beaugency. Le Général Elster qui la commandait, avait  au préalable, négocier  avec le Colonel Bertrand à Arçay, les conditions de passage de ses troupes au travers du dispositif F.F.I.

Ainsi avec les jeunes volontaires du Berry, les Saint-Cyriens d’Aix en Provence, et les anciens du le Régiment d’Infanterie nous prenons enfin notre revanche. Nous avons fêté la Libération de Bourges mais notre joie fut limitée par le sacrifice de tant de nos camarades »

Aujourd’hui le général Roidot*  est  Commandeur de la Légion d’Honneur, médaillée de la Résistance et grand officier de l’Ordre National du Mérite.

C’est maintenant au tour de  Fred Moore* de témoigner, qui en juin 1940 avec son frère a rejoint le général de Gaulle à Londres

« Pour ma part je vais surtout vous parler des combattants de l’extérieur c’est à dire les hommes qui ont combattu dans les Forces Française Libres.  J’avais 20 ans en 1940 quand  j’ai rejoint Brest que j’ai quitté le 19 juin 1940, sur un bateau à voile en compagnie de mon jeune frère pour atteindre le 1er juillet 1940.  Je me  suis engagé dans les Forces Françaises Libres au titre des Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL), depuis mon plus jeune âge je voulais être pilote de chasse.  Affecté dans un bureau de l’armée de l’ Air pendant une quinzaine de jours, à ne pas faire grand chose, comme tous mes jeunes camarades, nous étions impatients  de reprendre le combat. Finalement titulaire de son permis de conduire depuis 1938, (ce qui à l’époque était relativement rare pour un jeune homme) je suis  affecté à la 1ère Compagnie du Train, où je retrouve mon frère. Puis nous embarquons vers une destination « inconnue » qui était en fait Dakar. Dakar  que nous allons atteindre après quarante jours de navigation sur le Westernland, navire transport de troupes, sur lequel avait embarqué le général de Gaulle. Comme chacun le sait maintenant l’opération qui consistait à débarquer et prendre Dakar c’est mal passée, à la suite de quoi nous avons débarqué au Cameroun le 9 octobre 1940

Après l’échec de Dakar le général a estimé qu’un jour il y aurait besoin de personnel apte à encadrer les femmes et les hommes qui rejoignaient de plus en plus nombreux les Français Libres. Il a donc décidé de demander à toutes les unités de découvrir en leur des jeunes capables d’assurer des commandements.  Les jeunes milita ires ainsi désignés, dont je fis parti,  furent  envoyés suivre des cours d’élève officier, comme plusieurs camarades présents ici dans cette salle. Nommé Aspirant le 14 juillet 1944 je suis désigné parmi les troupes devant rejoindre le Levant et dirigé sur Damas en Syrie, que nous avons atteint après un très long voyage de plus d’un mois. Ainsi le 1er septembre 1941 je suis affecté  chez les Spahis Marocains, comme chef du 2ème Peloton du 1er Escadron du Groupe de Reconnaissance de Corps d’Armée (GRCA) à Damas, qui  s’entraîne en vue de participer à la campagne de Libye. Ce groupement avait fait à la campagne  d’Erythrée  et avait participé à la dernière charge de cavalerie de l’armée française, et aussi participé à cette campagne fratricide de Syrie qui avait duré une quinzaine de jours, à laquelle heureusement je n’ai pas participé.

J’étais dans une escadron monté, une nouveauté pour moi où j’ai donc fait mes classes à cheval, mais très vite des matériels motorisés ont remplacé ces braves chevaux..

En avril 1942, en Egypte, mon  unité  devient  le 1er régiment de Marche de Spahis marocains et doté d’automitrailleuses avec les lesquelles nous combattront en Tripolitaine puis en Cyrénaïque avec les troupes anglaises qui regroupaient outre des Anglais, des Néo-zélandais, des Australiens, …etc.  Enfin le 1er mars 1943 nous entrons en Tunisie où notamment le 6 mars je participe aux combats de l’Oued Gragour  face à des engins blindés ennemis en nombre supérieur que nous stoppons  à deux reprises.

Ici je voudrais ajouter un point très important, parmi les troupes allemandes qui nous faisaient face, il y avait je crois pourvoir le dire : très peu de nazis, c’est à dire que ces troupes allemandes se sont comportés relativement correctement. C’est véritablement à cette période là, mars 1943, que nous nous rendons compte que les Allemands étaient en train de perdre la guerre et vraisemblablement eux s’en rendaient compte aussi. N’oublions pas qu’à cette date ils vont perdre des deux batailles de la guerre celles de Stalingrad et d’El Alamein. Ces derniers combats en Tunisie furent très violents, très durs, pour la seule journée du 6 mars j’ai changé, sans avoir été blessé, trois fois de véhicule blindé qui chaque fois avait été détruit par un obus.

En juillet 1943, après avoir été affecté  pendant un mois et demi à la Garde d’honneur du général à Alger je vais rejoindre mon régiment au Maroc où nous allons maintenant troquer notre matériel anglais pour un matériel américain comme tous les unités qui vont constituer la 2ème division blindée commandée par le général Leclerc.

C’est la 2 août 1944, avec le grade de Lieutenant que je débarque à la tête de mon unité en Normandie, à Grandcamp.

Le « travail » qui nous attends dans la bocage normand est bien différent de celui que nous faisions dans le désert où le danger venait des fameux canons allemands de 88mm dont les tirs précis à une distance de deux kilomètres firent de nombreuses victimes et des champs de mines.

A ma grande surprise en Normandie, il s’agissait de combats beaucoup plus rapprochés.

Je tiens tout de suite à souligner que la 2ème Division Blindée fut pour nous quelque chose d’extraordinaire, que sans aucun  doute la plus grande victoire du général Leclerc est d’avoir « fait » la 2ème DB ; d’avoir réunir au sein de cette division à la fois des Français libres et des jeunes venus de tous les horizons .

Puis se sont les combats de Normandie, le Libération de Paris où je  prend une part active à la prise de l’Ecole Militaire et participe le 27 août, à la bataille de Dugny – Le Bourget en Seine-Saint-Denis.

En avril 1945 après avoir fait la campagne d’Alsace et participé à la Libération de  Strasbourg,

Je vais avec mon unité prendre part aux opérations sur le front de La Rochelle avant de faire route sur l’Allemagne où je participe aux derniers combats.

Je suis démobilisé en avril 1946. …. Merci ».

Aujourd’hui Monsieur Fred Moore, industriel retraité est Grand Officier de la Légion d’Honneur et Compagnon de la Libératio

Enfin, c’est maintenant autour de  Florian Hollard * de témoigner du parcours de résistant de son père :

« Michel Hollard, mon père, ne connut que tardivement la reconnaissance officielle de la France pour sa contribution à la victoire de 1945. Bien avant les témoignages de gratitude de son pays, le roi d’Angleterre George VI lui avait décerné, en même temps qu’au Maréchal Leclerc, la croix du Distinguished Service Order. C’était la plus haute distinction que le Royaume-Uni, à titre exceptionnel, attribuait à des personnalités non britanniques.

La citation royale contient notamment les phrases suivantes :

« Officier ayant dirigé avec autant de compétence que d’abnégation un service de renseignement extrêmement efficace pour la cause alliée. Courant tous les risques, il a découvert et observé nombre de bases de V1 placées sous haute protection, et les a décrites avec une telle précision que des maquettes ont pu être construites en Grande-Bretagne pour assurer des bombardements ultérieurs. Dénoncé et arrêté, il a été déporté en Allemagne. De là, malgré les privations et la torture, il est revenu sans avoir failli »

Certaines revues à sensation ont alors dépeint Michel Hollard comme un superman invincible, une sorte de James Bond capable de triompher des plus périlleux obstacles. Mais ces récits spectaculaires oubliaient l’essentiel, à savoir l’idéal pour lequel il avait cent fois risqué sa vie.

Mon père n’accepte pas la défaite de 1940. Réussissant à se rendre clandestinement en Suisse, malgré la fermeture des frontières rigoureusement surveillées par l’armée allemande, il prend contact avec l’ambassade de Grande-Bretagne à Berne et avec les attachés militaires anglais, à qui il offre bénévolement son aide.

Rentré en France, il se met en devoir d’observer les manœuvres entreprises par l’ennemi dans le pays occupé. Constatant l’insuffisance de son action solitaire, il crée le réseau « Agir » qui finira par compter une centaine de membres. Il assure personnellement la liaison avec ses correspondants anglais en Suisse, empruntant des trains à vapeur bondés, poursuivant son chemin à bicyclette par tous les temps, puis gravissant à pied la montagne même couverte de neige.

En 1943, Michel Hollard apprend que l’ennemi procède à d’étranges préparatifs au nord-ouest de la France. Vêtu d’une combinaison d’ouvrier, il se rend en Normandie aux abords d’un chantier suspect. Une foule de travailleurs manient la pelle et la pioche à l’intérieur d’un vaste enclos. A l’écho de leurs cognements s’ajoutent des grondements de bétonnières, et des pétarades d’engins motorisés. Des sentinelles allemandes montent la garde. Sans laissez-passer, l’espoir d’accéder à un espace fortement protégé paraît chimérique.

La Providence met à la disposition de l’observateur une brouette abandonnée au bord de la route. Il s’en empare et la pousse, d’un pas tranquille, vers l’intérieur du chantier. Les sentinelles le voient entrer sans réagir.

Traversant un réseau compliqué de chemins et d’aires cimentés, il ne tarde pas à remarquer que les artères du labyrinthe convergent vers un dispositif aménagé avec un soin particulier. Entre deux rangées de balises parallèles, un cordeau bleu s’élève en pente douce sur une cinquantaine de mètres.

Profitant d’un moment d’inattention des gardiens, il se place dans l’axe du dispositif, face à l’origine du cordeau. Animé d’une subite intuition, il prend alors l’une de ses initiatives les plus follement audacieuses. S’accroupissant comme s’il avait à nouer une chaussure délacée, il relève sur sa petite boussole de scout l’orientation magnétique de l’agencement.

De retour à Paris, il pose la boussole sur une carte géographique déployée au sol, et constate que le prolongement du cordeau dont il a mesuré le cap magnétique passe par le centre de Londres.

Les jours suivants, la poursuite de son enquête lui apporte la preuve que le dispositif en cours de construction est bien destiné à catapulter vers la capitale de l’Angleterre une grêle de projectiles de gros calibre. Cependant l’essentiel du mystère persiste. De quel engin peut-il s’agir ?

Michel Hollard compte de nombreux membres de son réseau au sein du personnel de la SNCF. Ainsi apprend-il qu’un convoi ferroviaire spécial a transité par Rouen pour aboutir à Auffay. C’est justement la localité voisine du chantier qu’il a exploré. Entre les planches d’un conditionnement de transport, des cheminots ont aperçu de gros éléments métalliques, approximativement cylindriques ou fuselés.

En compagnie d’un astucieux adjoint, l’enquêteur retourne à Auffay. Sachant que le chef de gare de cette bourgade est un bon patriote, il l’aborde avec confiance.

« Récemment, une livraison militaire inhabituelle est passée par ici. Savez-vous ce qu’elle est devenue ? »

De la main, le chef de gare désigne un hangar situé le long du quai. Une sentinelle allemande fait invariablement la navette de part et d’autre d’une ouverture masquée par un épais rideau.

Le complice possède les talents de ruse et d’espièglerie qu’exige la situation. Il trouve le moyen de distraire le soldat, ce qui permet à Michel Hollard d’accéder au local interdit.

Dans la pénombre, l’explorateur distingue un wagon plat chargé de gros objets noirs. Tantôt cylindriques, tantôt partiellement tronconiques, ces éléments paraissent conçus pour former, après montage, un fuselage aéronautique. Il en trace des croquis sur son bloc-notes. Puis, à l’aide d’un mètre ruban emprunté à la trousse de couture de ma mère, il relève les principales cotes de chacun des composants.

Pendant ce temps, le compère réussit, par des boniments débités alternativement dans les deux langues, à prolonger la conversation sur un ton humoristique. Lorsque la glace est tout à fait rompue, les deux bavards abordent joyeusement certains sujets polissons dont raffole depuis toujours la soldatesque internationale. Leurs galéjades se prolongent une heure durant, délai convenu avec le visiteur. Le complice, en prenant soin de faire face au hangar, oblige le factionnaire à se tourner en sens opposé. Le captif, voyant par un interstice que l’ennemi regarde ailleurs, n’attend même pas l’arrivée des causeurs au bout de leur circuit pour écarter la portière de toile et s’enfuir.

La mission que Michel Hollard s’est lui-même imposée prend brutalement fin le 5 février 1944, date de son arrestation par la Police secrète hitlérienne. Il fait preuve d’assez de force, à la fois morale et physique, pour résister aux tortionnaires qui le martyrisent en vain dans l’espoir d’obtenir la dénonciation de ses amis.

Il est déporté au camp de concentration de Neuengamme, puis jeté au fond de la cale d’un navire qui sombrera en engloutissant des milliers de malheureux. Par miracle, il aura la vie sauve.

Le général André Bouchardon, qui commandera la Garde Républicaine, fut compagnon de déportation de Michel Hollard. Il lui rend hommage en ces termes : « Par sa conduite dans cet enfer, il se montra constamment d’un courage et d’une dignité exemplaires. »

Un autre grand chef militaire, le général Pierre Brunet, survit lui aussi au cauchemar de Neuengamme. Il déclare publiquement : « Michel Hollard est le modèle insigne de ce qu’il fallait faire pour le triomphe final de la liberté. »

En conclusion de cette petite causerie, voici encore deux témoignages très qualifiés. Celui du général Eisenhower d’abord : « Si les Allemands avaient réussi à perfectionner leurs armes nouvelles six mois plus tôt, notre débarquement se serait révélé excessivement difficile, voire impossible. » Enfin l’annonce à la télévision britannique du général de corps d’armée Sir Brian Horrocks, premier collaborateur du Maréchal Montgomery : « Michel Hollard est l’homme qui, littéralement, a sauvé Londres. »

Aujourd’hui Monsieur Florian Hollard  * a consacré à son père un livre : Michel Hollard, le Français qui a sauvé Londres paru aux Editions du Cherche-Midi en 2005