Les sensibilités politiques de la Résistance

Rencontre prévu le 16/12/2004

A l’Assemblée nationale, sur l’invitation du Président Jean-Louis Debré, et pour la 3 ème année consécutive, François Archambault Président de M.E.R., accueillait dans la salle Colbert, en présence de Jean Mattéoli, Président de la Fondation de la Résistance, les élèves des lycées Blomet, Jean-Baptiste Say et Janson de Sailly de Paris et ceux du lycée Gérard de Nerval de Noisiel, venus écouter des acteurs-témoins de la Résistance et des historiens leur expliquer les choix et les engagements des différentes sensibilités politiques dans la Résistance et à la Libération. Jean-Pierre Levert, historien, rappelle d’abord quelques jalons de l’histoire politique des années 40-44. Le 10 juillet 1940, le vote des deux chambres donne les pleins pouvoirs à Pétain, 80 députés et sénateurs votent non. Le lendemain, c’est la fin de la République, de la démocratie, le début de « l’Etat français » et de l’occupation : les partis politiques entrent en clandestinité. Dans la Résistance, certains partis se recomposeront, d’autres se formeront et à la Libération trois grandes formations peuplent le champ politique français. Le M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire), dont les fondateurs viennent de la Résistance, la S.F.I.O. (Section Française de l’Internationale Ouvrière), sorti de la clandestinité et qui se restructure en novembre 1944, et enfin le Parti Communiste Français. Ces trois partis majoritaires participent entre 1944 et 1947 à la restauration de la vie politique et à la reconstruction économique et morale du pays.

Pierre Sudreau, grand acteur et témoin du siècle précédent, celui que le général de Gaulle avait exhorté à « servir l’Etat comme Jean Moulin », fut un jeune résistant, chef de réseau à 23 ans, déporté à Buchenwald. Il est aujourd’hui le seul survivant du gouvernement de 1958 du général de Gaulle. Après avoir évoqué les progrès technologiques du siècle passé, il appelle la jeunesse présente à la vigilance, « ce siècle merveilleux s’est distingué par la barbarie », affirme-t-il, et de la dénoncer : la guerre 14/18 qui changea le destin de l’Europe en la décimant, l’Europe des mauvais traités qui donna naissance au nazisme et à Hitler, « fou sanguinaire », qui entacha à jamais ce continent par des camps d’extermination comme celui d’Auschwitz : « Alors Européens du XXI° siècle, ce passé doit nous amener à réfléchir pour que ces abominations ne reviennent jamais ». S’interrogeant sur l’homme, capable du meilleur et du pire, il conclut en forme de message : «  les leçons de la Résistance évitent que les horreurs qui ont meurtri l’Europe ne puissent revenir, la Résistance est une leçon permanente face à l’avenir et ce sont les grandes idées de la Résistance qui permettent de réfléchir à cet l’avenir ».

Louis Mexandeau, Agrégé d’histoire, ancien ministre, parle de l’engagement des socialistes et de leur rôle pendant la résistance et à la Libération. Il se souvient d’abord de l’enfant qu’il était, au milieu d’une famille résistante du Nord Pas-de-Calais qui hébergeait soldats, aviateurs anglais et résistants. Dans cette région, où la Résistance fut précoce, dès mai 41 les mineurs font grève, l’occupation est sévère. Trois hommes y furent des héros emblématiques, deux communistes Eusebio Ferrari, du Valenciennois, Charles Debarge, mineur, et le « capitaine Michel » du S.O.E. Special Operation Executive qui sema la terreur chez l’occupant. Tous les trois trouveront une mort héroïque. Elargissant son propos au parti socialiste, il confirme qu’il sort affaibli et divisé par défaite de 40. Daniel Mayer, qui avait coutume de dire, : « Nous n’avons pas battu le tambour clandestin sur les cercueils de nos martyrs », sut dans la clandestinité lui donner l’impulsion nécessaire pour se restructurer. Avec Henri Ribière, ils privilégieront le combat politique, tandis que de nombreux de militants appartiendront, les armes à la main, aux divers réseaux et mouvements de Résistance. Léon Blum de sa prison recommandera aux socialistes de rallier de Gaulle ; et à la Libération le parti et les militants sauront participer à la refondation de la vie politique française.

Charles Pot, ancien résistant et actuel président de Libération-nord, retrace en quelques mots son engagement et son parcours dans la Résistance. Issu d’une famille socialiste et pacifiste, il a 13 ans en février 34 et accompagne ses parents dans toutes les manifestations antifascistes. Après avoir milité en 39 dans les jeunesses socialistes, en 1941 il fait partie des groupes d’étudiants qui manifestent contre l’occupant et Vichy. Début 1943, c’est le S.T.O., (Service du Travail Obligatoire). Partant pour l’Allemagne, arrêté par la Gestapo, il s’évade, rejoint la France et participe à la Libération de Paris avant d’entreprendre alors fidèle à ses engagements, une vie militante au sein de la S.F.I.O, puis du parti Socialiste par la suite.

Axel Porin, Professeur d’histoire et petit fils de résistant F.T.P., retrace l’évolution du Parti communiste français de 1940 à 1944. La signature le 23 août 39 du pacte de non-agression germano-russe est une surprise et ce changement dans la ligne politique du Parti entraîne un traumatisme chez les militants. L’interdiction du P.C. par le gouvernement français va le contraindre à la clandestinité et entraîner la perte d’une grande partie de ses adhérents. Le défaite de juin 1940 accentue encore la déstructuration du Parti dont la direction est éclatée et du fait de cette dispersion l’engagement des militants après la défaite de 1940 sera très varié. Mais très vite des leaders régionaux, comme Charles Tillon, lanceront des appels à la lutte contre les Allemands et Vichy. La réorganisation de l’appareil du Parti dans la clandestinité (40-41) sera difficile, entravée par une très forte répression. Fin juin 1941, à l’invasion de l’U.R.S.S. par les Allemands, le Parti proclame et organise la lutte armée, fédère les comités populaires et crée les F.T.P. (Francs Tireurs Partisans), dont quelques figures charismatiques comme Rol-Tanguy seront de tous les combats de la Libération. A partir de 1942, afin de légitimer leurs combats, les communistes multiplient contacts et coopérations militaires en particulier avec la France Libre. En ayant assis sa résistance sur « des mouvements de masses », le Parti à la Libération apparaît puissant, rencontre des succès électoraux et pour la première fois participe à un gouvernement en France : celui du général de Gaulle.

René Rémond, de l’Académie française, évoque ensuite la démocratie « d’inspiration chrétienne » d’avant guerre. Cette famille d’esprit regroupait : des catholiques qui avaient rejeté le catholicisme intransigeant du 19° siècle, accepté les principes de 89, accepté la société moderne, rallié la République et travaillé à la réconciliation de l’église et du peuple. S’y ajoutaient les militants des diverses associations catholiques, les syndicats chrétiens et les disciples de Marc Sangnier du Sillon, avocat éloquent du rapprochement de la démocratie et du christianisme. Cette nébuleuse assez large, qui se situe « à la frontière entre la gauche et la droite », est soutenue par une certaine presse, dont l’un des journalistes, le talentueux Georges Bidault, remplacera dans la Résistance Jean Moulin à la tête du C.N.R. (Conseil National de la Résistance) Cet ensemble politique divers, assis sur des principes communs, peu représenté au Parlement d’avant-guerre, sera l’une des composantes très importantes de la Résistance. Son attachement aux valeurs de la République, aux vertus de la démocratie parlementaire et au triomphe de la foi chrétienne sur la brutalité aveugle de la dictature explique l’engagement dans la Résistance de cette famille « démocrate et sociale ». A la Libération, elle crée le M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire), qui deviendra aux élections de juin 46, le premier parti de France et l’une des composantes incontournables de la vie parlementaire.

Maurice Druon, secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française et Français Libre, rappelle que le gaullisme est « la Résistance ». Ce mot fut prononcé pour la première fois, par le général de Gaulle, depuis Londres, dans son appel du 18 juin, qui se termine par ces mots : « …la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ». Au même moment des femmes et des hommes en France «  tous des isolés », ont par une attitude identique rejoint, au moins par l’esprit ce mouvement, celui du refus de l’ordre imposé. Jusqu’à la victoire et la libération de la France, le gaullisme n’a pas été un parti, car il n’avait pas de doctrine politique : « sa seule doctrine, était le combat pour la Liberté de la Patrie  ». Tous, femmes et hommes, Français libres et résistants venaient de tous les horizons politiques et suivant la très belle phrase de l’auteur du chant des partisans : « Ils partirent une poignée, devinrent une armée et firent une nation ». Tous ont rejoint de Gaulle parce que « le gaullisme a été une morale, celle des épreuves », celle qui fut l’honneur de la France et qui lui redonna son tôle et sa place dans le monde. Maurice Druon conclut : « Cette morale des épreuves, qui dans l’état du monde d’aujourd’hui et les incertitudes du destin, pourra servir, car elle existera toujours ».

Merci à tous les participants qui ont montré une fois encore que l’œcuménisme de la Résistance ne fut pas un vain mot. L’accueil que lycéennes et lycéens ont réservé aux acteurs-témoins de ces années de malheur, a montré une fois encore que « la mémoire de la Résistance » est bien vivante et porteuse de nombreux « espoirs ».

  1. Novosseloff