Les Etats-Unis et la Résistance française : juin 1940 – août 1945 par André Kaspi

Rencontre prévu le 15/06/2006

Conférence du  Professeur André Kaspi

Si les historiens ont beaucoup écrit sur les relations entre les Etats-Unis et le général de Gaulle et les réseaux gaullistes ou sur les rapports entre le président Franklin Roosevelt et le Général, en revanche les études et les écrits sont plus rares sur les rapports entre le gouvernement  américain et les mouvements de résistance français. Seul récemment, Robert Belot dans la biographie qu’il a consacrée à Henry Frenay (Editions du Seuil –  2003)  a étudié les liens qui ont existé entre les organismes américains présents en Suisse et les mouvements de résistance français en particulier celui de Combat.

La Résistance française avait une vision relativement simple des Etats-Unis quant à leur implication dans ce conflit : elle attendait, avec impatience, qu’ils entrent en guerre.  Ils le feront  le 8 décembre 1941  après le  raid japonais sur Pearl Harbor. A partir de ce moment et tout au long de son  combat, la Résistance,  avec la même impatience, va attendre que les Etats-Unis grâce à la puissance de leur engagement libèrent  la France, rétablissent ses institutions et les libertés, et qu’en  fin de compte ils abattent le régime nazi.

De leur côté,  les Américains avaient  une vision beaucoup plus complexe et divisée de la Résistance  française. :

  • divisée : les Etats-Unis sont un vaste et grand pays. De la côte atlantique à la côte pacifique en passant par le Middle West et le Sud profond, les populations sont différentes et les opinions divisées quant à la ligne politique suivie par le gouvernement fédéral.
  • complexe : car depuis 1940, ont trouvé refuge aux Etats-Unis un certain nombre de Français qui sont extrêmement divisés. On y trouve des vichystes plutôt légitimistes, des gaullistes, d’autres encore ni vichystes ni gaullistes mais partisans d’une certaine forme de résistance et qui ne soutenaient ni Pétain ni de Gaulle. L’ensemble de cette communauté formait ainsi un petit monde déchiré, qui donnait de la France une image désastreuse, et qui explique la vision complexe qu’en avaient les Américains.

Afin de comprendre clairement la nature des  rapports entre les Etats-Unis et la Résistance , il convient de les étudier suivant trois grandes périodes :

  • Première période : de la défaite de 1940 au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord en novembre 1942.
  • Deuxième période : du débarquement en Afrique du Nord au débarquement du
  • 6 juin 1944 en Normandie.
  • Troisième période : du débarquement du 6 juin 1944 à la libération de la France.

C’est l’analyse de ces trois périodes qui permet de comprendre comment les Américains ont perçu et envisagé la Résistance française.

Première période : Juin 1940 – Novembre 1942

Au cours de la première partie de cette période,  les Etats-Unis d’Amérique sont neutres, ne sont donc pas directement impliqués dans le conflit : ils le resteront jusqu’en décembre  1941. Après l’armistice de juin 40 entre la France et l’Allemagne et la formation par le maréchal Pétain d’un gouvernement qui siège à Vichy, les Etats-Unis et la France vichyste établissent des relations diplomatiques. Roosevelt considère le régime de Vichy comme légal et ne se préoccupe pas de sa légitimité.  A partir de décembre 1940,  un ambassadeur américain est nommé à Vichy : c’est l’amiral Leahy qui  restera en poste jusqu’en avril 1942. A cette  date  Pierre Laval   revient au pouvoir, et les relations diplomatiques entre les Etats-Unis et  Vichy ne seront définitivement rompues qu’au moment du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord en novembre 1942.

Durant cette première période, les Etats-Unis vis à vis de la France ont  trois préoccupations :

  • empêcher que la flotte française ne passe entre les mains des Allemands. Ils considèrent que cette flotte est un atout formidable pour la France tant qu’elle peut en garder la maîtrise. Mais si cette flotte était utilisée par l’Allemagne, ce serait pour l’Amérique une menace directe pour sa sécurité. C’est donc Roosevelt, en personne, qui dépêche l’amiral Leahy comme ambassadeur en France espérant qu’il nouera des rapports cordiaux avec l’amiral Darlan qui commande la flotte française : une manière en quelque sorte d’aider la France à sauvegarder sa flotte et à résister aux pressions allemandes.
  • conforter la France pour qu’elle conserve son empire, en particulier en Afrique en dépit des ingérences de l’Axe. Dakar contrôle la partie la plus étroite de l’océan Atlantique entre le Brésil et l’Afrique, et l’éventuelle occupation de cette ville par les Nazis ferait peser une grave menace sur les approvisionnements des Etats-Unis et sur leur sécurité. Donc tout au long de cette période, ils vont faire leur possible pour que le gouvernement de Vichy ne cède pas aux pressions allemandes. Ainsi quand l’Afrique du Nord se trouvera dans une situation délicate et confrontée à des problèmes de ravitaillement énergétique et alimentaire, ils accepteront de fournir directement les approvisionnements nécessaires. Ce sont les accords Weygand-Murphy de février 1941.
  • enfin l’ouverture d’une ambassade américaine à Vichy, ainsi que des postes consulaires dans quelques grandes villes de la zone libre et en Afrique du Nord, en particulier à Alger, va permettre aux Etats-Unis de recueillir des informations, des renseignements, de réagir plus rapidement devant les événements et de peser auprès du gouvernement du maréchal Pétain pour l’aider à résister aux Allemands et aux Italiens.Certes il y avait dans cette perspective une certaine part d’illusion, mais derrière cette attitude il y a surtout une interprétation américaine des événements qui viennent de se produire. A partir du 22 juin 1940 – signature de l’armistice à Rethondes – pour l’Amérique, la France ne sera plus jamais une grande puissance. Jusqu’à sa mort en avril 1945, Franklin Roosevelt estimera que le rôle de la France ne sera plus jamais le même.Soutenant les Anglais, ils ne cachent pas à l’ambassadeur de Vichy en poste à Washington qu’ils approuvent l’attaque anglaise contre la marine française à Mers el-Kébir, mais désapprouvent l’expédition du général de Gaulle à Dakar, estimant que la confiance des Anglais dans la France libre est exagérée.Pour les Américains, de Gaulle est « l’homme des Anglais », c’est un général qu’ils ne connaissent pas, dont ils se méfient. Dans la tradition républicaine et démocrate des Etats-Unis, le militaire obéit au pouvoir civil. Le cumul de fonctions politiques avec des fonctions d’autorités militaires est difficilement compatible et même un peu suspect. Sur ce militaire atypique  ils se posent néanmoins nombre de questions : Quelles sont ses ambitions ? Veut-il reprendre le combat ? Quelle politique compte-t-il mettre en œuvre en France ? Au cours de cette période, la diplomatie de la Maison Blanche ne remporte pas que des succès. En novembre 1942, l’Amérique qui escomptait que la flotte française traverserait la Méditerranée pour rejoindre l’Afrique du Nord et les Alliés, est déçue : la flotte est restée à Toulon ; c’est donc un échec. Par ailleurs si les Etats-Unis se réjouissent que l’Empire français ne passe pas aux mains des Allemands, les représentants du Reich et de l’Italie sont partout présents au Maroc, en Algérie et en Tunisie au travers de multiples commissions qui sont en fait ni plus ni moins que des officines d’espionnage et de propagande : demi-succès. Ainsi la diplomatie que déploie la Maison blanche ne donne-t-elle pas tous les résultats escomptés et, aux Etats-Unis même, naît et se renforcera progressivement une opposition à la politique officielle du président Franklin Roosevelt. La presse s’en fait l’écho et s’interroge sur la façon dont le gouvernement fédéral se comporte vis à vis de la Résistance française.Anecdote significative : l’ambassadeur de Washington à Vichy, l’amiral Leahy, qui passait pour un homme clairvoyant, écrit dans ses mémoires  « qu’il a rencontré en France des gaullistes et qu’il a compris que ces gaullistes étaient des partisans de la Gaule et non des partisans du général ! ». Dérapage, absurdité, sans doute pas, mais plutôt une démonstration pour les Américains de la difficulté à comprendre ce qui se passe en France.
  • En résumé, on peut dire qu’au cours de cette période, la Résistance française n’est pas prise en compte dans la définition de la politique que conduisent les Etats-Unis d’Amérique à l’égard de la France : en un mot pour eux la Résistance française ne compte pas !.
  • Toujours durant cette période, on peut affirmer que les responsables de Vichy ont été peu sensibles aux influences américaines. Même le général Weygand , délégué général pour l’Afrique du Nord jusqu’en décembre 1941, refuse de suivre les conseils des Américains et ne manque pas d’informer le maréchal Pétain de toutes les tentatives qu’ils font pour entrer en contact avec lui.
  • Très vite entre les autorités américaines et le général de Gaulle, les rapports vont être empreints de méfiance, renforcés par le fait que, parmi les Français qui vivent aux Etats-Unis le Général est loin de faire l’unanimité. Pourtant, l’opinion américaine, que ce soit vis à vis de Vichy ou vis à vis du général Gaulle, va se trouver assez vite en désaccord avec la politique du gouvernement fédéral et une partie de cette opinion se rapproche progressivement d’une « certaine idée de la France », assez semblable à celle des gaullistes. Ainsi à partir de 1940, on relève aux Etats-Unis, dans l’opinion publique, une critique permanente à l’égard du Président Roosevelt, à propos de la politique qu’il conduit vis à vis de la France et du général de Gaulle.
  • Toujours durant cette première période, quelle est l’attitude des Etats-Unis vis à vis général de Gaulle ?
  • Pendant cette première période, la neutralité officielle des Etats-Unis, vis à vis du Troisième Reich (jusqu’au 11 décembre 1941), ne les empêche pas et sans hésitation d’apporter tout leur soutien à l’effort de guerre des Anglais. Ils considèrent que le « dernier rempart protégeant l’Amérique », c’est la Grande Bretagne. A mesure que les mois passent, cet allié devient de plus en plus privilégié, l’aide américaine de plus en plus importante. En août 1941, après la rencontre Churchill – Roosevelt au large de Terre-Neuve, est signée la charte de l’Atlantique. En mars 1941, le Congrès des Etats-Unis a adopté une loi dite du « prêt-bail » qui permettait aux Américains de livrer du matériel de guerre sans se faire payer.(Une manière aussi pour le président Roosevelt de contourner les courants politiques américains peu favorables à une intervention dans le conflit).
  • En 1940 hormis une marine de guerre puissante, l’armée de terre des Etats-Unis est la 17 ème du monde, donc très loin derrière les armées européennes ; en fait elle ne compte pas. Les Américains ont conservé de l’armée française le souvenir de l’armée victorieuse de 1918, alors la première armée du monde. Jusqu’au 14/15 juin 1940, ils sont persuadés que cette armée est toujours la première du monde (comme pour la plupart des Français ! ). Pour eux , il est impensable qu’elle puisse être battue par la Wehrmacht . Si le choc de la défaite de mai/juin 40 fut profond en France , on a parlé du « trauma de 40 », il fut considérable aux yeux des responsables et de l’opinion américaine pour qui cette armée, « la meilleure du monde, venait d’abandonner le combat » face aux Allemands. « Pauvre France ! » est l’expression qui revient souvent dans la presse américaine de juin 1940. 

Deuxième période : Novembre 1942 – 6 Juin 1944

Cette deuxième période commence avec le débarquement des Anglo-américains en Afrique du Nord. Très tôt, c’est à dire dès septembre 1940, les services américains tentent de prendre contact avec des opposants à la politique suivie par Vichy au Maroc, en Algérie et en Tunisie. A cette date un rapport de l’attaché naval américain en poste à Vichy  concluait :  « Que, s’il y avait une reprise de la guerre en Méditerranée, avec une participation américaine elle se ferait en Afrique du Nord ». Les Etats-Unis ont acquis la conviction que  l’Afrique du Nord sera pour eux « la porte d’entrée de l’Europe ».

On peut, à première vue,  s’étonner de cette conviction, quand on sait que traditionnellement la stratégie américaine repose sur l’axiome : « qu’il faut combattre l’ennemi le plus fort là où il est le plus fort », qu’il convient  de conserver toutes ses forces afin de  préparer un futur  débarquement là où les Allemands  sont les plus forts, c’est à dire en Europe. Or,  le choix du futur théâtre d’opérations en Afrique du Nord correspond au contraire à une stratégie dite périphérique qui a la préférence de la Grande-Bretagne et résulte  d’une divergence entre les responsables américains de l’armée de terre et de la marine. Le général Marshall était très hostile à un débarquement en Afrique du Nord et considérait qu’il fallait porter tout l’effort d’un futur débarquement sur les côtes françaises.  Il n’empêche que  l’Afrique du Nord devient le lieu sur lequel les milieux décisionnaires américains réfléchissent.

En décembre 1940 Franklin Roosevelt décide  de nommer Robert Murphy comme son  représentant personnel à Alger, chargé de consulter et de nouer des relations avec des responsables politiques et militaires qui pourraient aider les Américains à ouvrir un futur théâtre d’opération sur les bords de la Méditerranée. L’homme connaît bien la France. Il était à Paris  conseiller d’ambassade depuis une dizaine d’années. Il parle français couramment. Il est catholique,   « il ira à la messe avec Weygand » dit Roosevelt,  et très rapidement nouera des relations avec des personnalités peu favorables à Vichy et qui escomptaient l’arrivée des Américains. Les accords qu’il signe avec Weygand en février 1941 renforcent sa position.

Quand en décembre 1941 les Etats-Unis entrent  en guerre, les activités du représentant américain  se développent. Après le limogeage de Weygand par Vichy, il  trouve  d’autres interlocuteurs favorables à l’intervention américaine comme les généraux Mast et Juin.

Tout au long  des contacts et des dialogues entretenus par le représentant de Roosevelt, les Américains acquièrent la conviction qu’en Afrique du Nord les résistants ne sont pas gaullistes et qu’une force militaire, venue d’Angleterre et d’Amérique, ne saurait imposer de Gaulle.

Quelle analyse les Américains font-ils à cette date du général de Gaulle, de la France libre et comment  expliquent-ils son rejet par les Français d’Afrique du Nord ?

Aux yeux des Français du Maroc, de l’Algérie et de Tunisie, ce général n’est pas, car il n’en vient pas, un général de l’armée d’Afrique, cette armée qui « règne » depuis plus d’un siècle sur un ensemble de colonies en Afrique,  dans le cadre d’un système colonial. Aux yeux  des colons, de Gaulle est catalogué comme un libéral dont le mouvement à Londres a accueilli de nombreuses personnalités de gauche et aussi des hommes appartenant au Parti communiste. Pour les Français d’Afrique du Nord,

 ce sont là « des liaisons dangereuses ». Par ailleurs, de Gaulle est aussi aux  yeux des dirigeants américains marqué par son échec en septembre 1940  devant  Dakar qu’ils imputent au fait que les Français Libres ont trop parlé, qu’ils sont responsables des fuites qui se seraient produites avant la malheureuse expédition. Qui plus est, en décembre 1941, le ralliement à la France Libre des îles de Saint-Pierre et Miquelon, proches des côtes américaines, ordonné par le général de Gaulle et que réalisera son compagnon l’amiral Muselier, provoque une crispation entre le général et Roosevelt.

En novembre 1942 pour le président Roosevelt, la France Libre est devenu un mouvement incontrôlable dont le chef ne doit en aucune manière être associé à l’opération « Torch » – nom de code du débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie du 8 novembre 1942.

Le  général de Gaulle exclu, les Américains  approchent d’abord l’amiral Darlan qui hésite, tergiverse puis prudent refuse. Le général de Lattre de Tassigny, que les militaires américains connaissent, est également approché, mais sa malheureuse équipée au moment de l’invasion de la zone libre par les Allemands lui vaut de séjourner en prison jusqu’en août 1943, date à laquelle il s’en évadera. C’est finalement Jacques Lemaigre-Dubreuil qui avance le nom du général Giraud.

Pour les Américains ce général,  auréolé par son évasion de la forteresse allemande de Koenigstein, présente de nombreux avantages. C’est à l’époque une grande figure de l’armée française, cinq étoiles contre deux pour de Gaulle. Ce n’est pas un politique. A ses yeux,, seuls comptent le combat, l’entrée en guerre de la France et  la victoire finale. De plus,  son profil, nettement conservateur, finalement assez proche des idées défendues par la Révolution nationale,  convient à une grande partie de l’armée d’Afrique et aux colons.

Dans la préparation de leur débarquement,  l’état-major anglo-américain  s’appuie sur le général Giraud, sur les réseaux algérois contactés par Robert Murphy et sur la complicité de quelques militaires et fonctionnaires français, escomptant ainsi que les soldats alliés seront accueillis en libérateurs. C’est la raison pour laquelle à la veille du débarquement un sous-marin de la Royal Navy conduit clandestinement Giraud des rivages français de la Méditerranée à Gibraltar afin qu’il rencontre le commandant en chef du débarquement, le général Eisenhower.

Première rencontre décevante, entre le général en chef américain et Giraud dont les conceptions stratégiques appartiennent au passé, qui tente pendant une nuit entière de convaincre Eisenhower qu’il faut envahir non pas l’Afrique du Nord, mais la France métropolitaine et exige de prendre le commandement de l’opération. Au matin, le général français finit par céder et obtient le soutien des Américains pour prendre la tête de la résistance française en Afrique du Nord, si l’opération « Torch » réussit.

Le 8 novembre 1942, le jour du débarquement, rien ne se passe comme prévu. Au Maroc et en Algérie,  les combats entre les Anglo-américains et les Français sont violents, en particulier au Maroc. En Tunisie,  c’est l’échec, et les Allemands occuperont rapidement le pays.

A Alger, règne la confusion la plus totale. Le demi-succès du débarquement  pour les Américains signifie que les réseaux de Résistance en Afrique du Nord avec lesquels Robert Murphy a négocié n’ont pas donné tous les résultats escomptés. Par ailleurs,  ils se rendent compte que cette Résistance là est loin d’être homogène, qu’elle est composée de tendances très diverses allant des éléments proches du Parti communiste jusqu’ à des  royalistes, les gaullistes sont très peu représentés.

Jusqu’en juin 1943, dans une atmosphère politique algéroise délétère  –on parlera plus tard des imbroglios d’Alger–  une méfiance croissante sépare Giraud,  qui a succédé à Darlan  assassiné le 24 décembre, et de Gaulle furieux ne pas avoir été consulté ni même informé et finalement d’être tenu à l’écart des évènements d’Afrique du Nord. La réconciliation entre les deux généraux français lors de  la conférence d’Anfa, au Maroc,  en janvier 1943, n’est qu’une façade.  Quand de Gaulle arrive à Alger le 30 mai 1943 et forme avec Giraud le Comité Français de Libération Nationale (C.F.L.N.), le conflit éclate au grand jour.  Giraud sera éliminé pour se retrouver au poste honorifique d’inspecteur général de l’armée.

Ainsi fin 1942 début 1943, on peut affirmer que l’hostilité des Etats-Unis vis à vis du général de Gaulle a été renforcée.  Parallèlement la stature politique dans la Résistance française du général de Gaulle s’est affirmée et avec la création du Conseil National de la Résistance (C.N.R.) en mai 1943, il est devenu le véritable chef de la Résistance française.

Durant cette deuxième période entre novembre 1942 et juin 1944,  se sont produits en métropole  et en Suisse les premiers contacts entre les services de renseignements américains, l’O.S.S. (Office of Strategic Services – dirigé par le colonel Donovan – l’agence suisse de l’O.S.S. est dirigée par Allen Dulles ) et des mouvements de Résistance français, en particulier avec Combat d’Henry Frenay. A cette époque la Résistance en France, au début de 1943 suite à l’instauration par Vichy du Service du Travail Obligatoire (S.T.O.)  accueille les réfractaires dans les maquis et peine à trouver des financements pour nourrir et armer les maquisards. C’est sous les regards jaloux et mécontents à la fois de la France Libre et des services secrets britanniques que l’O.S.S. verse aux mouvements de Résistance en France 65,7 millions de francs. Cette affaire du transfert de fonds entre l’O.S.S. et la Résistance française a donné lieu à diverses hypothèses et beaucoup d’arrière-pensées politiques. La réalité fut plus simple. On peut affirmer aujourd’hui qu’en aucune manière les Américains ne cherchaient par ce financement à « mettre la main » sur la Résistance française. Ils espéraient davantage par ce biais recueillir des informations et des renseignements  d’ordre militaire ou stratégique. On peut également affirmer aujourd’hui que les mouvements de Résistance, en particulier Combat, qui ont reçu des fonds d’origine américaine, ne cherchaient pas à se détacher de la France Libre du général de Gaulle.

Troisième période : Juin 1944 – Libération de la France

C’est la période, dont l’histoire est sans doute mieux connue, qui s’étend du débarquement du 6 juin 1944 sur les côtes normandes jusqu’à la libération complète du territoire en février-mars 1945.

La première question que se posent les Américains, à partir du moment où l’opération de débarquement « Overlord » est décidée,  est de savoir s’il convient que l’administration des territoires libérés en France soit confiée aux Français ou aux services alliés. Dans le premier cas, la France est souveraine, dans le second les Alliés envisagent de mettre en place le même système qui a fonctionné en Italie (l’A.M.G.O.T. , Allied Military Government of Occupied Territories), dont l’avantage premier à leurs yeux serait de rétablir le calme et de supprimer les tensions politiques qui pourraient surgir entre les Français.

Cette querelle sur l’A.M.G.O.T.,  l’un des thèmes favoris et récurrents de l’hostilité aux Américains,  est exagérée par la polémique, dans la mesure où les Alliés avaient décidé avant le débarquement de renoncer à cette administration militaire provisoire. En revanche,  ils n’avaient pas renoncé à émettre eux – mêmes  de la monnaie. Le général de Gaulle s’y opposa avec vigueur : cette monnaie fut émise, pour des raisons pratiques aux Etats-Unis, mais sous le contrôle des Français.

La veille du débarquement sur les côtes normandes,  l’une des questions que se pose l’état-major américain, qui cerne mal l’action de la Résistance en métropole, est de savoir quel rôle elle tiendra

 dans les combats à venir : un rôle capital ou un rôle accessoire ?

A l’évidence,  les Américains escomptent que les résistants, en particulier ceux de Normandie, par des actions de sabotages ?  Retarderont-elles l’arrivée des renforts allemands ?  Pour l’état-major des Alliés, ne compte  en fait que l’importance du matériel et des effectifs engagés. Dans ce domaine,  le rôle de la France demeure mineur ( le 6 juin 1944 ne débarqueront en Normandie que 177 Français du commando Kieffer).

Lors de la Libération de Paris, à l’origine, les plans de l’état-major anglo-américain prévoient de contourner Paris et d’encercler la capitale française. L’idée première est qu’il faut éviter les combats de rues qui  ralentiront la poursuite des armées allemandes en retraite. C’est le général de Gaulle et la Résistance qui réussissent à convaincre le commandant en chef  allié de changer ses plans, de détacher la 2ème D.B du général Leclerc et la 4ème division d’infanterie de l’armée américaine dont le rôle fut dans l’action libératrice de Paris à ce moment là minoré ; le général de Gaulle devait quelques jours plus tard reconnaître son importance. C’est sans aucun doute à partir de la libération de la capitale française que les Américains prendront davantage en compte l’action de la Résistance française,  plus encore pendant et après le débarquement franco-américain de Provence du 15 août 1944. Au cours de cette campagne militaire la progression et la montée vers le Rhin et l’Alsace, par la vallée du Rhône ou par les vallées alpines, de la 1ère Armée du général de Lattre de Tassigny et des divisions américaines du général Patch seront amplement facilitées par l’action de la Résistance française. A ce moment là, la vision que les Américains acquièrent de ces actions est celle d’une véritable union entre la Résistance française et les armées libératrices.

*         *

Au cours de la deuxième guerre mondiale, chez les Américains il y a toujours eu une forte dose de pessimisme à l’encontre de la Résistance française : elle n’a pas été pour eux un élément déterminant dans leur réflexion politique et stratégique. Politiquement, ils n’ont jamais considéré le rôle que pouvait jouer la Résistance française comme décisif.

Il y avait aussi, toujours dans l’esprit américain, une crainte latente qu’il y ait non pas une « libération de la France », mais une « insurrection des Français ». En 1942 dans un discours évoquant la libération à venir, le général de Gaulle a déclaré : « La Libération sera une insurrection », et les Américains ont pris ce terme au pied de la lettre. Ce terme  « dinsurrection » évoque pour eux un bouleversement de la société et dans l’atmosphère politique française 44-45, ils craignent que les communistes profitent de ce bouleversement.

Pour Roosevelt il était, bien évidemment, hors de question que la France devienne un pays où les communistes soient au pouvoir et de manière étonnante dans l’esprit du Président des Etats-Unis, le général de Gaulle apparaissait souvent comme «une sorte de fourrier du communisme ». Raison de plus pour que la Résistance française et son chef soient tenus à l’écart des décisions politiques et stratégiques des Alliés. Enfin dernier élément dans l’étude des rapports entre les Etats-Unis et la Résistance française, ce qui caractérise l’attitude américaine est le fait que les dirigeants de la Maison blanche n’ont pas défini de manière précise le rôle qu’une « guérilla » peut avoir dans un conflit aussi complexe que celui de la deuxième guerre mondiale.

En fait,  pour les Américains, la guérilla n’a pas sa place. Elle  apparaît comme un élément étranger, donc perturbateur et dangereux. C’est aussi ce qui explique les ambiguïtés de la politique américaine vis à vis de la Résistance française.

 

*Le Professeur André Kaspi a tenu cette conférence le 15 juin 2006, à l’hôtel des Fondations de la Résistance et de la Déportation, à l’invitation  de l’association Mémoire et Espoirs de la Résistance qui clôturait son assemble générale  annuelle.

Transcription Jean Novosseloff, Secrétaire général de M.E.R.