Le Réseau Oscar Buckmaster – par Pierre Morel

Rencontre prévu le 24/04/1994

Pierre MOREL, liquidateur du réseau : Bilan du réseau Oscar Buckmaster

 

«  A Rennes, en juin 1943, une organisation de Résistance, créée dès le début de 1941, après avoir été en contact avec le réseau Overcloud du Commandant Joël Le Tac, et avec le réseau Marathon-chinchillo du Colonel Yves MINDREN, entrait en liaison avec le capitaine François Vallée (pseudo «  Oscar Parson  ») de la Section Française du SPECIAL OPERATION EXECUTIVE (S.O.E.) dirigée par le colonel Maurice Buckmaster.

François Vallée, qui s’est brillamment distingué en Tunisie, sera porté disparu en 1945. Il sera fait Compagnon de la Libération à titre posthume. Une stèle à sa mémoire est inaugurée après la Libération, à Belle-Isle en Terre, en présence du Général Guillaudot.

Notre organisation devenait alors le réseau Oscar-Buckmaster

Sur les ordres du capitaine VALLEE, alias «  Franck  » , à partir de la Centrale installée à Rennes, 1 boulevard Magenta, chez Mme PRODHOMME (alias Herminie), avec le concours de son adjoint GAILLOT (alias Henry) officier du SOE, nous allions continuer et intensifier notre action, en liaison directe avec Londres, par le canal d’un officier-radio du SOE, d’origine britannique, Georges CLEMENT, alias «  Georges  » jusqu’en novembre 1943.

Henry et Georges avaient été parachutés le 25 juillet 1943 dans le secteur de Martigné-Ferchaud, à la suite du message «  j’aime le son du cor, le soir, au fond des bois  » et accueillis par Mme Angèle MISERIAUX.

Le réseau allait s’implanter sur l’ensemble de l’Ille et Vilaine : Martigné Ferchaud, St Aubin du Cormier, Hédé, St Briec des Iffs, Messac, Mordelles, Vitré, St Malo, Dinard — mais aussi vers les Côtes du Nord, le Morbihan (secteur de Guer) et vers Châteaubriant.

Le Capitaine Vallée avait confié la responsabilité de la Loire-Inférieure à Bernard DUBOIS, [qui sera arrêté à Paris au cours de l’année 1944 alors qu’il s’apprêtait à rejoindre Londres, via l’Espagne, avec Paul GOMMERIEL et moi-même (Pierre MOREL)].

Marcel LETERTRE-père assurait la coordination générale sur Châteaubriant avec comme adjoint Charles BESNARD-père. La liaison était assurée par Marcel LETERTRE (neveu), pseudo Jacques Gérard. L’organisation des parachutages relevait de Charles BESNARD (fils) et de Marcel LETERTRE (fils)

Les différentes sections avaient comme responsables :

pour Fercé-Rougé : Pierre MORVAN, avec Jules CAVE et Raoul GIQUELpour Sion-les-Mines : Célestin DEROCHE (père)pour Lusanger : Françis RABOUESNELpour Erbray : Michel de PONTBRIAND (seul)pour Nozay-Vay : Pierre GOURBIL avec un adjoint Maurice BRIANDpour Nort sur Erdre : Félix BOUDET, avec pour adjoint Joseph NAULEAUpour Soudan : RAIMBAUD et CHATELLIERpour Pouancé : Emile VERHAQUE (seul)

Les contacts radio, assurés par l’officier-radio, Georges, furent effectués notamment :   au château de la Haie-Besnou, sous l’autel de la chapelle, chez de Pontbriand   au magasin du syndicat agricole de Sion-les-Mines, chez Célestin Deroche   dans une maison appartenant à Pierre Gourbil à Vay   dans une maison isolée, route de St Nazaire, détectée par Marcel Letertre père   dans la chambre de Bernard Dubois, chez Madame Cavé, à Châteaubriant   dans l’entrepôt de glace chez Charles Besnard-père, à Châteaubriant

Neuf parachutages furent programmés, trois furent réussis :

le 13.10.1943 à Fercé : «  Le Fouzon est une rivière poissonneuse  »   le 8.11.43 : à Noyal-sur-Brutz «  la nichée de petits lapins se porte bien  »   le 12.11.1943 à Fercé : «  Et rose elle a vécu ce que vivent les roses  »

Ceci représente environ 50 containers et 5 colis. Conformément à la mission confiée à François VALLEE, ces parachutages étaient destinés à équiper les groupes des différents secteurs, en armes, munitions, explosifs, matériels de sabotage.

Cette action était complétée par le camouflage des résistants recherchés, des réfractaires au STO, des aviateurs récupérés et des ressortissants des armées alliées et par l’hébergement des agents en déplacement et l’établissement de faux papiers.

Malgré toutes les précautions exigées par la clandestinité, cette action allait attirer l’éveil de la Gestapo, aidée par certains Français rémunérés ou adeptes fanatiques de la Collaboration. Nous étions dans «  l’année terrible, au cours de laquelle la vraie Résistance a perdu les deux-tiers des siens  » , a rappelé André Malraux. La Gestapo a pris la relève de l’Abwehr et, sous la direction du sinistre Colonel Boemelburg, va multiplier les actions contre les Résistants et les Réseaux.

Fin novembre 1943, début décembre 43, brutalement, une cascade d’arrestations à Rennes et dans différents secteurs est opérée :   à Châteaubriant : 14 arrestations et déportations   à Fercé-Rougé 12   à Noyal sur Brutz 2   à Sion-les-Mines 1

Les conséquences de ces arrestations furent catastrophiques : un grand nombre de nos agents arrêtés, des dépôts d’armes découverts, le réseau désorganisé.

Malgré cela, le réseau n’allait pas disparaître. Différents groupes se restructureront avec les rescapés, continueront la lutte, se rattacheront aux Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), pour participer à la Libération, en rejoignant par exemple le Maquis de Saffré. Certains agents s’engageront ensuite dans les Forces Françaises : la 2e DB du général Leclerc, la 1e armée du Général de Lattre de Tassigny, ou dans la formation de l’Armée Américaine, par exemple Charles Besnard.

Le monument de Fercé, érigé par Raoul GIQUEL, évoque la mémoire de ceux qui ont payé un lourd tribut pour la Libération de la France : 93 agents du réseau furent déportés, seulement 40 rapatriés. Plus de 50 morts : fusillés ou disparus dans les sinistres camps de concentration : Buchenwald, Dachau, Mauthausen, Neuengamme ou Ravensbrück .

En France il y eut 95 réseaux Buckmaster. 366 officiers ont été parachutés au cours de 3733 parachutages réussis. 5 007 000 kg de matériels dont 104 536 mitraillettes Sten, 409 224 grenades, 307 023 kg d’explosifs.

Permettez-moi …

Permettez-moi d’avoir une pensée pour tous ces amis qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes avant de subir le processus de DESHUMANISATION mis au point par les SS, piliers de l’ordre nazi, pour tous ces camarades qui nous ont permis de connaître «  des lendemains qui chantent  » .

Au mois de janvier 1950, à Martigné Ferchaud, un monument était inauguré à leur mémoire. Je me rappelle la conclusion de mon intervention : «  Mesdames, messieurs, rappelez-vous toujours que ce monument perpétue le souvenir d’un officier Allié, de Françaises et de Français qui n’ont pas hésité à faire le sacrifice de leur vie pour que nous soyons libres  » .

Maintenant, qu’en est-il ? Je relisais, récemment, une citation de BRECHT : «  Ne vous réjouissez pas de la défaite de la bête immonde car, de par le monde qui l’installa puis l’arrêta, il est encore chaud le ventre qui l’engendra  »

Et hélas ! oui :   n’est-il pas apparu une certaine école révisionniste, pour tenter de réformer l’histoire contemporaine afin d’y effacer certaines traces gênantes ?   n’a-t-on pas soutenu, en Faculté, certaines thèses aux relents collaborationnistes très avancés ?   n’a-t-on pas entendu un leader politique bien connu pour sa xénophobie, traiter la déportation et les exactions nazies de «  détail  »  ?

A une époque où (…) d’abominables atrocités rappellent singulièrement le comportement et les agissements nazis, souvenons-nous qu’il a fallu le sacrifice de milliers d’hommes et de femmes pour reconquérir ce bien qui n’a pas de prix : la LIBERTE, «  ce bien qui fait jouir des autres biens  » , écrivait Montaigne.

Nous avons le devoir de réveiller les consciences, de rappeler à certains qu’on ne pactise pas, et même qu’on ne flirte pas avec ceux qui, eux, ont pactisé, continuent à pactiser ou pactiseront avec les ennemis de la LIBERTE et des idéaux pour lesquels nous avons combattu et pour lesquels tant des nôtres sont morts.

Les générations qui nous succéderont doivent savoir. C’est à nous de leur faire connaître, en nous rappelant que :

«  Seuls les morts peuvent pardonner Les vivants n’ont pas le droit d’oublier  »

Discours de Pierre Morel, liquidateur du Réseau Oscar-Buckmaster, lors de l’inauguration du monument de Fercé – 24 avril 1994