La Résistance : une mémoire d’avenir

Rencontre prévu le 09/04/2008

Conférence donnée à Tours par Monsieur François Archambault

Président de MER

La Mémoire est un combat ! Combat contre l’oubli de ces jeunes maquisards enterrés en forêt du Lochois et ailleurs en France et Outre-Mer…. Mais nous devons aussi nous poser une question : « La Résistance est-elle une mémoire d’avenir ? ». Nous souviendrons-nous toujours du courage et du sacrifice de ces maquisards ?

Il me revient le redoutable honneur de tenter de répondre. J’ai pour alibi d’être fils et gendre de 4 Résistants, 2 Tourangeaux, 2 Versaillais. Mon père fut Agent « P1 » de la France Libre ; le père de mon épouse fut le chef national du « Service Maquis » de 1943 à 1944, il combattu au Mont-Mouchet. J’ai été élevé à l’ombre du réseau « CND Castille » du Colonel REMY et à celle du mouvement « Libération-Nord » de Christian PINEAU, ainsi que de « Combat » d’Henri FRENAY et de Pierre-Henri TEITGEN. J’ai connu ces hautes personnalités disparues. Notre devoir est de ne pas les oublier, pas plus que les jeunes maquisards.

A ce titre, je préside depuis 1996 l’association nationale « Mémoire et Espoirs de la Résistance », fille aînée de la Fondation de la Résistance qui lui a confié la mission d’établir un pont entre les générations sans aucun préjugé d’opinion. Le premier Président de la Fondation de la Résistance, Jean MATTEOLI vient de mourir il y a un mois. Le Président actuel est Pierre SUDREAU, bien connu dans la Région Centre qu’il a présidée.

La Résistance est un fait établi, celui d’un passé pas si lointain, même si les révisionnistes en minimisent le rôle. L’Appel du général de GAULLE, il y a bientôt 68 ans, reste la clef de voûte de milliers d’initiatives. Certes, notre passé national est tissé depuis des siècles de multiples faits glorieux ou méconnus. Mais la Résistance comporte un plus par rapport au reste de notre histoire : le fait d’être une culture toujours vivante, d’abord à travers ceux qui vivent encore après avoir justement résisté ; mais elle est aussi une sorte de code non écrit de déontologie, une éthique du refus sans haine et une morale de la continuité sans compromission.

Il serait long de définir une culture et encore plus hasardeux de le tenter pour le futur ! Toutefois, je me risquerais à proposer trois éléments constitutifs :

Bien sûr, une somme de connaissances : c’est le travail des historiens, des archivistes, des documentalistes, mais aussi la mémoire vivante et la tradition orale des Résistants eux-mêmes et de leurs proches; ensuite, un système de pensée : ici la tâche est plus ardue et le débat plus ouvert entre politologues et moralistes, entre stratèges et éducateurs, enfin une durabilité des signes : n’ouvrons pas le débat entre Edouard HERRIOT (« ce qui reste quand on a tout oublié ») et Paul VALERY (« nous autres, civilisations, nous savons aujourd’hui que nous sommes mortelles ») ; disons simplement que le présent colloque est un signe que nous espérons durable !

Pour toutes ces raisons, la résistance demeurera une mémoire d’avenir. J’essaierai de démontrer en deux parties que la Résistance est :

Un combat sans fin contre la haine

 

Un foisonnement renouvelé de solidarités.

 

Un combat sans fin contre la haine

D’Antigone à Missek MANOUCHIAN, en passant par Ernest RENAN ou Louis ARAGON, les textes fondateurs nous reviennent en mémoire. La Résistance a fonctionné aux trois niveaux de l’être : la tête, le cœur et les tripes.

Souvenons-nous de la lettre du célèbre officier de marine Honoré d’ESTIENNE d’ORVES à sa sœur, la veille d’être fusillé au Mont-Valérien le 29 août 1941 : « Que personne ne songe à me venger. Je ne désire que la Paix dans la grandeur retrouvée de la France. Dites bien à tous que je meurs pour elle, pour sa liberté entière, et que j’espère que mon sacrifice lui servira ». Cet officier de marine, qui avait tout de suite rallié la France Libre, avait été trahi par un agent double au service des nazis.

De même Missek MANOUCHIAN, chef des « FTP – MOI » écrit à sa femme le 21 février 1944 avant d’être également tué par les nazis : « Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine pour le peuple allemand et contre qui que ce soit. Chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous ».

L’aristocrate traditionaliste et l’immigré communiste ne puisaient-ils pas leur courage et leur sérénité dans la plus haute antiquité ? Ainsi 2.500 ans avant nos martyrs de la deuxième guerre mondiale, une jeune fille s’opposait à la dictature en disant : « Je ne suis pas venue pour distribuer la haine, mais pour partager l’amour ». C’était Antigone face à Créon. Il y a 2.000 ans un autre jeune « Résistant » épris de paix affirmait : « Vous serez des agneaux parmi les loups, ayez l’innocence de la colombe et la prudence du serpent… ». Je n’ai pas besoin de le citer. Je risquerais de faire du prosélytisme dans ce lieu de laïcité ! Il y a un peu plus d’un siècle et un tiers, en Sorbonne, Ernest RENAN prononçait son fameux discours sur la nation qui, expliquait-il  ne se définit ni par une race, ni par un territoire, ni par une langue, mais par une « volonté de vivre ensemble », « un plébiscite de tous les jours », un « ensemble de souvenirs et de projets communs »…

Il s’opposait déjà aux théories germanistes et servait, sans le savoir, d’inspiration à notre code actuel de la nationalité, voire à la construction européenne.

Le 17 juin 1940, quatre hommes commençaient sans « ordre de mission » leur Résistance à trois endroits différents de la France profonde. Jean MOULIN livrait son « Premier Combat » à Chartres et se tranchait la gorge pour ne pas signer un texte accusant injustement les tirailleurs sénégalais d’exactions commises en fait par les nazis.

A Brive, Edmond MICHELET distribuait son fameux tract inspiré par Charles PEGUY : « Celui qui ne se rend pas a raison contre celui qui se rend (…) Demander la victoire et n’avoir pas envie de se battre, je trouve que c’est mal élevé »… A Marseille, deux jeunes officiers ayant entendu Philippe PETAIN, désertaient et rejoignaient Londres via Gibraltar : ils s’appelaient Jean SIMON et Pierre MESSMER. Le lendemain, le 18 juin 1940, de GAULLE lançait son fameux appel à Londres : « Le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? Rien n’est perdu pour la France… La France n’est pas seule »…

Partout des tripes de la France occupée ou de la France Libre, surgissaient des textes : des milliers de messages, discours, poèmes, chansons, plus de mille journaux clandestins, notamment le bulletin précurseur du réseau du Musée de l’Homme, intitulé « Résistance ». Le lyrisme de la France humiliée, qui se redressait dans l’unité retrouvée vers 43 pour ne pas dire introuvable, ce lyrisme unitaire n’a pas de frontière. « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, un rebelle est un rebelle, nos sanglots font un seul glas… », écrit ARAGON dans son splendide poème « La rose et le réséda » dédié à Gabriel PERI et d’ESTIENNE d’ORVES comme à Guy MOQUET et Gilbert DRU ». D’une certaine façon, « MARX et JESUS » (pour paraphraser le philosophe Jean-François REVEL) se réconciliaient dans l’ombre !

Madame Anna MARLY compose dans cette même ligne lyrique à Londres, fin 1942, la musique accompagnant, sous la plume des écrivains Joseph KESSEL et Maurice DRUON, les paroles du « Chant des Partisans », devenu l’hymne de la Résistance en 1943. L’ennemi y apprendra à ses dépens que, quand il abat un Résistant, « un ami sort de l’ombre à sa place… ».

Enfin, on ne peut terminer cette série de citations sans évoquer le romantisme vibrant d’André MALRAUX accueillant le 19 décembre 1964 les cendres de Jean MOULIN au Panthéon : « Ecoute aujourd’hui, jeunesse de France, ce que fut pour nous le Chant du Malheur. C’est la marche funèbre des cendres que voici (…). Aujourd’hui jeunesse, puisses-tu penser à cet homme, comme tu aurais approché tes mains de sa  pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France ».

N’y a-t-il pas ici encore l’alliance de la tête, du cœur et des tripes ?

Tous ces textes fondateurs, vous les connaissez. J’en ai, hélas, écarté arbitrairement beaucoup. Car la Résistance fut et reste une immense culture, poétique, lyrique, romantique, humaniste. Elle rassemble des hommes de formation, d’aspiration, de tempéraments très différents. Ils avaient, souvent sans le savoir, une culture commune, celle du refus dans l’intérêt général, et un esprit de tolérance réciproque les unissant contre l’inacceptable.

La mémoire de ces multiples faits et créations n’est elle pas inscrite dans notre culture nationale, même inconsciente ? N’est-elle pas un facteur de sursaut ?

Un foisonnement renouvelé de solidarités

 

A ceux qui douteraient que la Résistance fut et reste une culture vivante, je voudrais maintenant signaler quelques faits concrets, qui sont autant de raisons d’espérer.

Près de 450 associations ont fleuri depuis la Libération sur notre territoire, afin d’assurer la mémoire de la Résistance. Peu ont disparu ; anciens des réseaux, des mouvements, des maquis s’y retrouvent, mais, hélas, la biologie fait son œuvre implacable ; il appartient à la Fondation de la Résistance 30, boulevard des Invalides à Paris 7ème, de recueillir leur patrimoine documentaire et moral afin d’en pérenniser la flamme. Près de 100 associations ont signé une convention avec la Fondation de la Résistance, telles que la CNCVR, le Réseau Brutus ou l’ADIR.

Parallèlement, 187 Musées de la Résistance existaient en l’an 2000, soit près de 2 par département. Mais, ils sont parfois peu visités et insuffisamment animés, à de rares exceptions près comme à Caen. A Montparnasse, le Mémorial de la Libération Maréchal LECLERC – Musée Jean MOULIN, que dirige Madame Christine LEVISSE-TOUZE, réalise de nombreuses expositions et colloques, notamment au moins une conférence d’auteur, par mois, parrainée par notre association « MER ». Nous en avons tiré quelques DVD.

Le Concours National scolaire de la Résistance et de la Déportation depuis un demi-siècle nous laisse à nouveau de fortes raisons de croire en notre jeunesse et en nos enseignants grâce à Madame Joëlle DUSSEAU, Présidente Nationale du Jury. En effet le nombre de participants oscille entre 45000 et 60000 élèves, la moitié des dissertations étant des travaux de groupe souvent audiovisuels ou informatiques. Ce sens de l’équipe devrait être prometteur. Aucun concours de l’Education Nationale ne réunit autant d’élèves. La brochure préalable est conçue par cinq Fondations : Charles de GAULLE, Résistance, Mémoire de la Shoah et de la Déportation, France-Libre. La présentation annuelle à la Sorbonne réunit près de 1000 personnes grâce à la coopération de plusieurs institutions et organismes. « MER » en fut précurseur dès 1996, avec l’aide de l’Association Nationale des Professeurs d’Histoire.

Autre raison de croire en l’avenir de la mémoire de la Résistance, la base des données universitaires de « MER » rassemblait en 2007 plus de 3 500 mémoires et thèses sur la Résistance. Depuis fin 2000 les bénévoles qui s’en occupent ont ouvert aux publics intéressés un site Internet www.memoresist.org . Il est une des bases du site portail www.fontationresistance.com, qui fédère ou assure la liaison avec les autres sites compétents. L’un d’entre eux est l’intranet de l’AERI, que préside Madame Michèle BADAIRE : il coordonne les 14 CD-rom réalisés sur la Résistance Régionale et Départementale (22 Départements traités) et les projets en cours (Doubs et Cher prochainement). Le site www.charles-de-gaulle.org accueille fraternellement des informations sur la Fondation de la Résistance, MER et l’AERI. Cette dernière a édité aussi 2 livres l’un sur les Femmes, l’autre sur les Jeunes dans la Résistance.

Chaque année, dans le cadre institutionnel du « Printemps des Poètes », notre association « MER » organise aux Invalides un Récital de Poésie sur la Résistance. Plusieurs lycées parisiens y préparent leurs élèves : de grands artistes y ont participé comme Mesdames Carole BOUQUET, Charlotte RAMPLING et Elise SIMORRE, MM. Gérard DEPARDIEU et Xavier MARTEL, ainsi que le Club des Poètes que préside Jean-Pierre ROSNAY, ancien du Vercors. On y découvre des poètes méconnus qui sont autant de héros « obscurs et sans grade », mais non sans un immense mérite. Le prochain Récital a lieu demain ce jeudi 10 avril après-midi où un lycéen récitera le poème de Senghor, « Pour un FFI noir blessé ».

Un Festival du Film de la Résistance a été organisé par l’association, fin 1998, à la Vidéothèque de Paris, avec un grand succès ; il a été élargi à la Déportation avec le Musée de la Résistance Nationale de Champigny, en mars 2002 à Créteil et à l’Hôtel de Ville de Paris. « MER -41 » a pérennisé cette opération à Vendôme, Blois et Romorantin grâce à son dynamique Président, Jean-Philippe DESMOULIERES, Délégué Régional de « MER » pour la Région Centre, ici présent.

Un colloque franco-allemand a eu lieu en Sorbonne le jeudi 14 décembre 2000 en coopération antre « MER », et le Comité Guillaume FICHET-Octave SIMON, que préside l’Ambassadeur Jacques MORIZET, sur le thème de l’imprimerie, arme de la liberté » avec une contribution de Mme Hélène VIANNAY, cofondatrice de « Défense de la France » sur la presse clandestine et la présence de Mme Geneviève de GAULLE. Guillaume FICHET était Recteur de la Sorbonne en 1470 et SIMON, son descendant, avait dessiné sa statue, mais fut tué par la gestapo en 1944, alors qu’il remplissait une mission dans la Sarthe pour le SOE du fameux Colonel BUCKMASTER.

Ce Comité FICHET-SIMON finance des travaux universitaires franco-allemands que parraine MER. De son côté, le Comité Historique et Pédagogique de la Fondation de la Résistance a lancé, sous l’autorité du Doyen René REMOND, décédé l’an dernier et remplacé par le Professeur Antoine PROST, plusieurs groupes de travail avec les meilleurs spécialistes : relations avec l’Education Nationale, opération CD-rom locaux ; sites Internet de la Résistance ; dictionnaire historique et thématique ; archives de la Résistance et de la Déportation. Sur la suggestion de la Fondation Charles de GAULLE de réfléchir ensemble aux crimes contre l’humanité, un colloque juridique a eu lieu à la Cour de Cassation le 10 décembre 2001, avec les plus hauts magistrats. N’y a-t-il pas là l’esquisse d’un nouveau patriotisme ?

Un trésor caché …

Je clos ici cette énumération d’initiatives récentes prises solidairement, comme le colloque de ce jour, par des organismes voisins. Nous pourrions en évoquer bien d’autres, en province notamment, de Château-Renault à Saint-Etienne et Montauban, en passant par Romorantin ou La Rochelle. Le Lochois a été exemplaire avec la célébration de la Libération de Loches en 2004 et l’édition de deux remarquables plaquettes sur « Les Maquis du Lochois » et sur « les lieux de mémoire de Loches (1939-1945) ». N ‘oublions pas ces jeunes maquisards tués par les nazis et enterrés dans les forêts du Lochois. L’auteur de toutes ces actions de Mémoire est Vincent AUDREN, délégué départemental de « MER » pour la Touraine et fondateur de l’ERIL en 1999.

Pour terminer, j’évoquerai deux faits.

Pendant toute la guerre, le Général de GAULLE remet des Croix de l’Ordre de la Libération à ses Compagnons. Le journaliste Georges VERPRAET nous rappelle que 30% avaient moins de 25 ans, le plus jeune était entré dans la Résistance à 12 ans ? Ce Compagnon de la Libération s’appelait Lazare PYTKOWICZ.

Le 7 mai 1948 il y a presque 60 ans, s’ouvrait à la Haye le Congrès de l’Europe. Les représentants de 17 nations étaient réunis, pour la première fois depuis la guerre. Parmi les fondateurs de l’Europe moderne, on trouve Konrad ADENAUER, destitué par les nazis, dès 1933, puis déporté en camp de concentration : il était le bourgmestre démocrate-chrétien de Cologne. Alcide de GASPERI, lui s’était, comme journaliste très vite opposé à MUSSOLINI et était entré dans la Résistance italienne.

Désormais, nous vivons en paix en Europe. La liberté est revenue grâce à tous ces Résistants qui se sont engagés parfois au prix de leur vie et souvent sans se concerter. Beaucoup sont et resteront inconnus, comme le soldat de l’Arc de Triomphe. On n’allait pas chez le notaire ou à la Mairie faire constater son engagement ou sa bravoure ! On conciliait des utopies naguère inconciliables : n’est-ce pas une leçon pour le présent … ?

Nous ne cesserons jamais de chercher à connaître ces disparus prématurés, ces adolescents devenus maquisards, ces « hommes tranquilles », ces soldats de l’ombre, ces femmes innombrables. Les travaux scolaires, les recherches universitaires, les films, les DVD, l’Internet, les recueils de poésies, les archives familiales, les témoignages vécus, la tradition orale doivent rendre justice, pour longtemps encore, à ces actes multipolaires de générosité et de dignité.

 N’est-ce pas ce tissu encore mal exploité qui constitue une vraie culture et même une mémoire d’avenir, construite à force de patience et de modestie ? Comme pour le champ du laboureur dans la fable de la Fontaine, ne faut-il pas dire à nos enfants « qu’un trésor est caché dedans » ? En janvier dernier, à l’Elysée, le Président SARKOZY, présentant ses vœux au monde combattant et résistant, déclarait :« La mémoire, ce n’est pas la nostalgie, c’est la préparation de l’avenir »

François ARCHAMBAULT

Président de MER

Secrétaire Général de la Fondation de la Résistance

Administrateur de l’ONAC