La Résistance de l’Esprit

Rencontre prévu le 18/12/2003

Accueil de M. Jean-Louis DEBRÉ

Président de l’Assemblée Nationale

Monsieur le Président de la Fondation de la Résistance, Monsieur le Président de Mémoire et Espoirs de la Résistance, Mesdames, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter à toutes et à tous la bienvenue à l’Assemblée Nationale pour votre colloque annuel, organisé conjointement par la Fondation de la Résistance et par l’association Mémoire et Espoirs de la Résistance.

Sachez que c’est avec le plus grand plaisir que j’ai répondu à votre invitation et que j’ai accepté d’ouvrir vos débats de ce jour, consacrés à la résistance de l’esprit. Plaisir d’autant plus grand que les occasions sont rares, pour nous parlementaires, qui sommes en permanence harcelés par l’actualité et la vie politique immédiate, de nous pencher, ne serait-ce que quelques instants, sur notre histoire et de prendre du recul. Par conséquent, un grand merci au Président Mattéoli et à son Secrétaire général François Archambault – dont je n’oublie pas qu’il officie également aujourd’hui en tant que Président de Mémoire et Espoirs de la Résistance – pour cette heureuse initiative et pour ce moment privilégié de réflexion et de mémoire auquel ils nous convient. Mes remerciements s’adressent aussi à vos éminents intervenants, dont je suis certain qu’ils apporteront une contribution précieuse à vos réflexions, ainsi qu’à vous tous.

Ma présence parmi vous ce matin me donne l’occasion de rendre un double hommage. Hommage à la Fondation que vous animez, Monsieur le Président, et à l’association Mémoire et Espoirs de la Résistance, dont je salue la qualité comme l’esprit des travaux et des publications, qui font de vous des gardiens incontestés de notre mémoire collective. En nous faisant revivre inlassablement le combat de ces femmes et de ces hommes qui, il y a plus de soixante ans, aux heures les plus sombres de notre XXème siècle, ont refusé de s’incliner lorsque la République a abdiqué face à l’ignominie et à la barbarie, vous nous rappelez en fait à l’essentiel.

Vous nous rappelez que la liberté, chèrement reconquise, est aussi précieuse qu’elle est fragile, contrairement à ceux qui la considèrent, un peu vite et à tort, comme définitivement acquise, oubliant au passage le combat de ceux qui l’ont rétablie au péril de leur vie. Vous- nous ne rappelez qu’aucun pays, qu’aucun ne peuple, qu’aucune démocratie n’est définitivement à l’abri du retour de ses vieux démons. En entretenant ainsi perpétuellement la flamme du souvenir, vous nous appelez en réalité à la vigilance et vous faites œuvre de pédagogie. Parce qu’il est essentiel que les générations qui n’ont pas connu la guerre, que nos plus jeunes générations soient informées. Qu’elles sachent, qu’elles comprennent, qu’elles mesurent la chance qui est la leur, de vivre dans un pays de droits et de liberté, et la richesse de l’héritage qui leur a été légué par leurs aînés. C’est pourquoi je me réjouis et je vous félicite d’avoir associé à vos travaux de ce matin de nombreux élèves issus de classes de première et de terminale littéraires.

Je suis certain que vos débats éclaireront, pour eux, d’un jour nouveau une période de notre Histoire qu’ils n’ont appréhendée jusqu’à présent que par livres d’histoire interposés. Je crois fondamentalement aux vertus de l’enseignement et de la pédagogie, parce qu’il nous faut bien sûr entretenir la flamme du souvenir, mais aussi transmettre le flambeau de l’espoir. Voilà pourquoi je voulais rendre hommage à votre action. Et j’ajouterai pour en terminer sur ce point que le message que vous délivrez dépasse, me semble-t-il, nos frontières pour s’adresser à toutes celles et tous ceux qui luttent de par le monde contre la dictature, les régimes autoritaires et l’oppression.

Le message qui nous vient de la France de l’ombre, et que vous relayez, constitue pour eux, un formidable encouragement et un merveilleux signal d’espérance. Mon second hommage ira bien entendu à tous les combattants de l’ombre, glorieux ou anonymes, sans lesquels nous ne serions pas réunis ce matin. N’oublions jamais que c’est à leurs combats passés que nous devons notre liberté présente. Et je tiens à souligner le vif intérêt que je porte à la thématique que vous proposez aujourd’hui à vos intervenants et à vos participants.

De la résistance, nous avons tous à l’esprit l’image de réseaux plus ou moins organisés, de langages codés, d’opérations de sabotage, d’attentats contre l’occupant ou contre la milice de Vichy. Autant d’actes de bravoure, toujours périlleux et pas toujours couronnés de succès. De la résistance, nous remonte l’image d’une France au combat, d’une France des maquis, d’une  » armée des ombres  » immortalisée, avec tant de talent, par le film de Jean-Pierre Melville. Et pourtant la résistance en armes est indissociable, inséparable de celle de l’esprit. L’une n’aurait jamais été possible sans l’autre. C’est parce que des esprits se sont élevés pour contester la vérité officielle, le discours à la fois lénifiant et totalitaire, diffusé à longueur de temps sur les ondes de la collaboration, que la résistance fut possible. Ce sursaut de l’esprit prit toutes les formes possibles et imaginables. Il y eut, bien sûr, les grands actes politiques que furent l’appel du 18 juin du Général de Gaulle ou les premiers tracts d’Edmond Michelet. Il y eut aussi les grands romans résistants signés Bernanos ou Mauriac, et bien sûr l’inoubliable  » Silence de la mer  » de Jean Vercors. Sans oublier le chant des partisans écrit à Londres par Joseph Kessel et Maurice Druon.

Mais, parallèlement, fleurirent tout au long de la guerre mille manières de s’élever contre l’oppression. De l’information clandestine, orale ou écrite, à l’impression de faux papiers, en passant par l’affichage sauvage, tous les moyens étaient bons pour affirmer sa rébellion contre l’occupant, sa résistance au régime en place. Ce sursaut spirituel, civique et patriotique, fut beaucoup plus répandu qu’il n’y paraît parfois, même s’il restât longtemps discret et caché pour échapper aux représailles de la Gestapo et de la milice de Vichy. Il ne fut l’apanage d’aucun mouvement politique, ni d’aucune appartenance confessionnelle. Il les dépassait toutes et tous, et c’était logique puisqu’il exprimait la vraie voix de la France, la voix de la France éternelle. C’est ainsi que se sont trouvées unies dans un même combat des personnalités de tous bords, de toutes origines, de toute obédience et de toutes confessions. Unies autour d’une même passion : la grandeur de la France. Unies avec pour seul but : le renouveau de la Nation.

Je ne serai pas plus long pour ne pas empiéter sur la durée de vos débats dont j’imagine, au vu de la qualité de vos intervenants et de vos participants, qu’ils seront riches et fructueux. Je vous souhaite donc un bon travail et vous donne rendez-vous en fin de matinée à l’Hôtel de Lassay où je serai heureux de vous accueillir.

Haut de page

Mr Jean-Marie de BEAUCORPS, Ancien Directeur du Service du Renseignement extérieur en Extrême-Orient de 1946 à 1950 Le cas des Résistante en Indochine

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs et mes petits-enfants, c’est surtout pour vous que je parle. Le Président Archambault m’a demandé de parler de la Résistance en Indochine de 1940 à 1945. Ce n’est pas sans beaucoup d’hésitations. Pourquoi ? Je vis en Extrême Asie depuis 60 ans et, chaque jour, il m’a été donné de constater avec amertume et parfois avec fureur que les Occidentaux, en général, et les Français, en particulier, ne connaissaient presque rien des pays d’Extrême Orient et cette remarque vaut pour l’Indochine.

Il me faut vous faire un point sommaire de ce qu’était ce pays en 1940. On pense souvent que les Français sont en Indochine comme les anglais sont en Inde, mais cela n’a rien à voir. Les anglais ont été 400 ans en Inde et nous n’avons colonisé l’Indochine qu’à partir de 1870-1880. C’est relativement récent et c’est un élément à ne pas ignorer.

Deux autres points pratiques sont à souligner : L’Indochine est un pays de grande superficie, à peu près égale à la surface de la France. La population est l’autre aspect fondamental de ce pays : en 1940, la population indigène de l’Indochine était de 27 à 30 millions d’individus. Mais, et c’est l’élément important, les Français ne représentaient qu’une proportion très réduite de la population avec 45000 individus dont 15000 militaires, 15000 fonctionnaires et 15000 du secteur civil.

Voici quelques données historiques permettant de préciser le contexte. En 1936, la guerre larvée qui existait entre le Japon et la Chine Nationaliste devient une guerre ouverte. Très rapidement, les Japonais occupent toutes les côtes maritimes d’Indochine et progressent vers l’intérieur. La Chine Nationaliste se trouve complètement enfermée. Elle n’a plus d’accès au monde extérieur que par deux voies : la Birmanie Anglaise, par la fameuse route de Mandalé, et de l’autre côté, par la route de l’Indochine Française, avec le chemin-de-fer allant de Haiphong, du golfe du Tonkin à Kuming, la capitale du Yunnam, province du sud de la Chine. Les Français et le gouvernement Français sont en sympathie avec la Chine et laissent passer par ce chemin-de-fer de nombreux produits stratégiques dont de l’essence et même de l’armement.

Naturellement les japonais s’indignent et protestent. Le gouvernement français, avec une grande dignité, est resté de marbre. Rien n’a bougé jusqu’à mai-juin 1940, date de l’écroulement. Les Japonais sautent sur l’occasion et ils ne demandent plus : ils exigent. En face d’eux se place le Général Catroux, alors gouverneur général. Il se bat avec acharnement contre les Japonais et négocie. Il n’a pas d’ordres du gouvernement français qui est sur les routes. Il approche les Anglais à Singapour et envoie même une mission à Washington mais les Américains lui refusent leur aide. Catroux se trouve donc seul. Acculé, il décide de donner une satisfaction partielle aux Japonais et leur donne l’autorisation d’implanter des commissions de contrôle du trafic à Haiphong. La réponse du gouvernement de Vichy est immédiate. Ce gouvernement, qui venait de signer l’armistice avec les Allemands, relève le Général Catroux et le remplace par l’amiral Decoux. Je suis Français libre et donc je suis opposé à Decoux théoriquement mais il faut reconnaitre qu’il s’est défendu comme un chien contre les Japonais. Les Japonais, dégoûtés de négocier avec lui, se sont tournés vers Vichy.

Vichy, avec une lâcheté incroyable, a tout lâché aux Japonais : le droit de stationner en Indochine, le droit d’utiliser nos moyens de transport, le droit de réquisitionner le riz, le minerai, le caoutchouc (n’oubliez pas que le caoutchouc est une matière vitale pour le Japon). Mais en échange, les Japonais s’engagent à ne pas intervenir dans les affaires de l’Indochine. L’Indochine restait sous la souveraineté française. Nos militaires n’ont pas été internés, ils sont restes libres, ils ont continué à faire leur petite manœuvre, nos fonctionnaires  » fonctionnaient  » autant qu’ils le pouvaient et le drapeau flottait ! Decoux a pris les choses en main, il réorganise l’administration et il se révèle très vite être un despote. Il chausse les bottes de Vichy, en adopte toutes les lois et il se lance à la poursuite des Juifs, des Francs-Maçons, il mène vraiment une guerre sauvage. Il interdit toute activité politique quelle qu’elle soit tant aux Français qu’aux indigènes.

Ce régime despotique de Decoux va durer 5 ans, jusqu’à la date du 9 mars 1945. Les Japonais commencent à être mis en difficulté militairement dans tout le Sud-Est-Asie qu’ils avaient conquis. Ils sont en retraite partout et le Grand Etat-major Impérial ne peut pas imaginer que l’Indochine Française se soulève sur leurs arrières, bien que les unités françaises soient insignifiantes. La France a disparu en 48 heures, c’est-à-dire que les militaires ont été cantonnés dans leur caserne, enfermés, et tous les civils ont été ramenés dans les villes.

On peut se demander alors quelle Résistance a pu voir le jour dans ce contexte ? Il est incontestable que dès août 1940, une poignée d’hommes, une centaine, tous européens, les indigènes étant tenus à l’écart, estime qu’ils ne peuvent pas rester passifs et qu’ils doivent faire quelque chose. Ils se sont soulevés spontanément. Ces hommes ne sont pas animés par une idéologie qu’elle soit politique ou religieuse. Ils sont d’origine sociale et d’éducation très différente. En somme ils agissent purement individuellement, spontanément. Ce sont des hommes qui ont dit  » NON ! On ne peut pas imaginer de Japonais circulant librement dans ce pays ! « . Pour cette poignée d’individus, il ne peut pas être question d’action. Ils ne vont pas se livrer à des sabotages ou à de la subversion. Saboter quoi et subvertir quoi ? Par ailleurs, ils ne sont pas des militants politiques donc, ils ne constituent pas ce qui a existé en France : la recherche d’une pensée politique, d’une pensée sociale, etc… Il leur reste alors un seul domaine : le renseignement. Deux ou trois personnes se réunissent (à ce moment-là le Japon n’est pas encore en guerre avec les Etats-Unis), ils se rendent à Singapour et y rencontrent des officiers anglais qui vont les prendre en main. Certains d’entre eux vont en Chine du sud et y contactent des Américains pour finalement réussir à constituer des petits réseaux disposant de postes radios.

On peut dire qu’à partir de 1941, nous trouvons des réseaux de renseignements qui correspondent régulièrement avec les  » Alliés  » – ce n’est pas encore les alliés puisque la guerre n’était pas encore généralisée. Ces réseaux fonctionnent, bien qu’ils n’envoient pas de renseignements vitaux au départ. Mais tout change en décembre 1941, avec la bataille de Pearl Harbor et l’entrée en guerre du Japon contre les Etats-Unis et, dans les 24 heures suivantes, contre l’Angleterre. Il est incontestable qu’à partir de ce moment-là, les renseignements fournis par ces réseaux indochinois vont devenir des renseignements extrêmement intéressants, primordiaux puis vitaux pour les alliés. Début 1942, les Japonais inondent le Sud-Est asiatique. Ils marchent sur la Malaisie. L’Indochine, grâces aux accords consentis par Vichy, est un porte-avion au milieu des forces alliées chinoises, américaines et anglaises. Ces réseaux se trouvaient d’un seul coup des pions très importants et ils ont joué leur rôle. Les transmissions étaient très lentes. Il fallait chiffrer, attendre la bonne heure pour transmettre puis déchiffrer… Le renseignement arrivait parfois alors qu’il n’avait plus d’intérêt mais ces hommes ont fait incontestablement un effort, un travail remarquable.

Après cette période de conquête japonaise, ils ont toujours donné des renseignements très précis aux Alliés sur les positions japonaises en Indochine et surtout sur le trafic maritime japonais. Cela a permis aux Anglo-Américains d’anéantir un grand nombre de navires. Les Anglais comme les Américains l’ont reconnu à la fin de la guerre, en admettant que ces réseaux leur avaient été très utiles et en remerciant la France. Cette Résistance a été, nous l’avons évoqué auparavant, le fait de quelques hommes. A partir de l’entrée en guerre des Etats-Unis, les effectifs ont augmenté de 200 à 300 individus. Leur mérite est grand : ces gens étaient 15000 français sur 30 millions de personnes dans un pays immense.

Mais c’est l’isolement total qui fait de leur condition quelque chose d’exceptionnelle. Il est difficile pour les jeunes générations de percevoir cela mais il faut se rappeler que l’Indochine avant la guerre n’avait qu’un seul moyen de transmission avec la France : un câble sous-marin qui allait de Saigon à Singapour, de Singapour à Londres et de Londres à Paris. Il n’y avait pas un poste radio français en Indochine qui pouvait correspondre avec la France directement. Enfin, il faut souligner que le régime de Vichy était très dur, que la vie de ses gens était très difficile. Le mérite de ses hommes à se soulever, à mon avis, a été considérable.

Haut de page

Mme Renée BÉDARIDA, Résistante, Membre du mouvement  » Témoignage Chrétien « ,

Les Catholiques et la Résistance

En juin 1940, la brutale et totale défaite de la France, suivie de la signature de l’Armistice fut une catastrophe sans précédent. Les Français, écrasés par le drame de l’exode et les conditions de l’occupation, seront, néanmoins, vite rassurés par la présence du maréchal Pétain à la tête des nouvelles institutions. Convaincus du caractère irréversible de la victoire allemande, ils vont se rallier à la Révolution Nationale du maréchal Pétain et au gouvernement de Vichy. Le régime républicain, dénoncé comme le responsable de tous les malheurs du pays, est aussitôt remplacé par l’Etat français, légalement instauré, et la devise  » Liberté, Egalité, Fraternité  » cède la place à  » Travail, Famille, Patrie  » : le programme de Vichy. La Liberté est vite réduite, l’Egalité fait place à un système hiérarchique, quant à la Fraternité, c’est l’exclusion des communistes, des francs-maçons et plus encore, des juifs, qui commence.  » C’est à un redressement moral et intellectuel que je vous convie « , assure le Maréchal et la majorité des Français et parmi eux les catholiques et l’Eglise de France vont tomber dans ce piège.

Cependant, venus des milieux les plus divers, des individus, des groupuscules, de modestes noyaux de Français patriotes et lucides s’interrogent, refusant de se résigner, d’accepter la défaite et de croire aux promesses de la Révolution Nationale. Les motivations qui vont conduire ces volontaires à un choix de Résistance sont multiples, qu’il s’agisse de convictions démocratiques et la volonté de défendre les droits de l’Homme, de la détestation du régime de Vichy, du refus de l’idéologie nazie, comme du besoin de denier l’inadmissible et de chercher un engagement. La Résistance a été l’occasion d’un brassage extraordinaire d’opinions, de confrontations et, parmi ces Français, venus de convictions différentes, qui vont entrer en Résistance, figurent des chrétiens nombreux, catholiques et protestants. Ils rejoindront soit la France Libre, soit les mouvements de la Résistance Intérieure, et figureront aussi parmi les victimes des Allemands et des polices de Vichy comme l’évoque les paroles d’Aragon :  » Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas, tous deux adoraient la belle prisonnière des soldats « .

La Résistance est multiforme. Le cinéma et les récits ont souvent privilégié l’action armée, les maquis, les parachutages, les sabotages, les réseaux de renseignements, présentation limitative et restrictive de la Résistance. Cependant place a été reconnue à la Résistance politique intellectuelle, spirituelle, caritative, etc… Mais quelle que soit l’origine des Résistants et le choix de leur engagement, la Résistance a d’abord été une décision morale. Ici je cite un Résistant de la première heure, Jean Cassou qui écrivit après la victoire :  » Sans doute chacun va-t-il soutenu sa révolte morale de ses raisons de chrétien, de juif, de républicain, de socialiste, de communiste, mais la Résistance fut et demeure un fait moral le même pour tous les Résistants.  » Ce terme de  » Résistance  » a d’abord servi de titre à un journal éphémère créé par un groupe dit du  » Musée de l’Homme « , dont le premier numéro sortit le 15 décembre 1940. Mais si l’on remonte dans l’Histoire, ce vocable est tiré de la mémoire des camisards et ce sont des femmes huguenotes du XVIIIème siècle qui, retenues prisonnières, gravèrent dans la pierre un commandement impératif :  » RESISTEZ « .

Le mouvement Témoignage Chrétien, qu’il m’a été demandé de vous présenter, mouvement que Maurice Schuman, le porte-parole de la France Libre à la BBC, qualifia en septembre 1944, de  » 18 juin spirituel  » ; il rejoint la conviction de Jean Cassou. Pour les créateurs du mouvement, des théologiens jésuites de Lyon, déjà connus et réputés pour leurs travaux, c’est au nom de leur foi qu’ils sont entrés en Résistance. Ils connaissaient le terrible danger de l’idéologie nazie, antisémite et antichrétienne, comme sa volonté de dominer le monde en lui imposant sa loi, aussi l’urgence était de le dénoncer. Mais dans la France muselée, le silence était la règle. Alors pour ces Chrétiens, puisque l’Eglise se taisait, il fallait l’audace inouïe, pour des catholiques, de briser le silence de la France et de leurs supérieurs hiérarchiques et créer une presse chrétienne clandestine. D’où le premier cahier du Témoignage Chrétien, sorti en novembre 1941, avec le titre claironnant :  » France prend garde de perdre ton âme ! « , où le rédacteur de ce cahier expliquait que l’Allemagne qui était notre ennemi, n’était plus l’Allemagne de 1914 mais était l’Allemagne Nazie.

Tous les mouvements de Résistance, qu’il s’agisse de  » Combat  » ou de  » Libération « , ont débuté par l’édition de journaux clandestins porteurs de nouvelles non censurées qui dénonçaient les propagandes et révélaient à leurs lecteurs ce que la presse de Vichy ou de Paris leur dissimulait. Pour tous la Résistance a débuté par l’écriture, a débuté par le Verbe. Pendant près de quatre ans, le mouvement qui se décrivait comme le front de Résistance spirituelle contre l’hitlérisme, a été le fer de lance de la Résistance chrétienne, qui s’est voulue œcuménique et universaliste.

Toutefois, Pierre Chaillet, le fondateur, s’est toujours défendu de prétendre accaparer la Résistance spirituelle. Il s’est donné pour mission de dénoncer à ses lecteurs catholiques, protestants, mais aussi Français de toutes tendances, la menace d’une idéologie à la fois antisémite et néo païenne. Il fallait lutter pour le respect de la personne humaine. Ce duel redoutable, le Témoignage Chrétien l’a mené avec les  » armes de l’Esprit « . Il importait pour ces chrétiens de témoigner de leur foi et de leur fidélité à l’Evangile dans une situation à la fois dramatique et exceptionnelle. L’enjeu était clair : c’était la croix du Christ dressée face à la croix gammée. Les treize brochures éditées par le Témoignage Chrétien, les douze Courriers sont les textes clés de la Résistance spirituelle. Un exemple : le cahier Antisémites, une brochure de 32 pages diffusée en juin 42, a révélé toutes les lois et mesures publiées contre les Juifs en France. Mais l’information s’accompagnait du souci d’alerter les esprits et les consciences. C’est pourquoi ce cahier a donné les raisons de refuser et de dénoncer la haine antijuive inspirée par les nazis. Autre exemple, alors que personne en France ne parlait du drame de l’Alsace-Lorraine, sauvagement annexée par les Allemands, le Témoignage Chrétien fit circuler jusque dans les provinces soumises à l’ordre nazi des cahiers de 60 pages révélant le martyr de ces provinces.

Il me reste à vous dire quelques mots du fondateur du mouvement : le jésuite Pierre Chaillet. Nous avons été accueillis ce matin par le Président Debré et c’est son père Michel Debré que je vais citer :  » Les cahiers du Témoignage Chrétien doivent leur existence à un homme, le révérend père Chaillet, dont l’Histoire de France mérite de conserver le nom tant il a compté dans la Résistance spirituelle au poison nazi. Ce fut un homme de grand courage. « . Et Michel Debré d’ajouter que le père Chaillet reste  » un symbole de la Résistance à la fois chrétienne et patriotique « . Franc-Comtois et ardent patriote, témoin à Vienne, quelques mois après l’Anschluss, d’une ignoble chasse aux Juifs, le Jésuite opta, dès son retour en France, en décembre 1940, pour un engagement dans la Résistance. L’équipe des rédacteurs, des responsables, des diffuseurs et des Cahiers et des Courriers du Témoignage Chrétien que le Jésuite réunit autour de lui, était une équipe jeune, la moitié des résistants avaient moins de 40 ans et la proportion d’étudiants membres des mouvements d’Action catholique – dont je fus – très importante. Tous étaient comme « le patron » (on l’appelait le patron), animés par la volonté de mettre en pratique les commandements divins.

En conclusion je dirai que nous travaillons ici, certes, pour conserver la Mémoire de la Résistance mais qu’il importe de se méfier du danger d’idéalisation. La Résistance est restée un phénomène minoritaire, œuvre d’un petit nombre de volontaires. Toutefois, il faut bien reconnaître que, au fur et à mesure que la guerre avançait, que la Libération approchait, la Résistance est devenue de plus en plus nombreuse mais n’a jamais mobilisé la population entière pour jeter dehors les occupants.

Mr Laurent THEIS, Docteur en Histoire, Président Honoraire de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français

Les Protestants dans la Résistance

Il n’est pas facile de s’exprimer après des témoins et des acteurs de cette période difficile.

Les Protestants ne se sont acquis aucun mérite particulier pendant la Résistance. Néanmoins, pour sacrifier à l’exercice, j’essayerai de mettre en évidence quelques éléments qui peut-être ont permis à cette communauté de mieux comprendre, d’anticiper quelquefois les enjeux et les actions nécessaires face à un mouvement de l’Histoire auquel, pas plus que d’autres, ils n’étaient vraiment préparés.

Je vais donc vous présenter brièvement quelques éléments constitutifs de ce qui me paraît être l’identité protestante et ensuite voir par quelques cas concrets – et très rapidement – ce qu’il a pu en être sur le terrain. Comme tout le monde, les Protestants sont d’abord des citoyens, ensuite pour certains d’entre eux des Chrétiens, et pour une dernière part, des adeptes de la Foi issue de la Réforme Les Protestants, le Protestantisme de l’entre-deux-guerres comme aujourd’hui d’ailleurs est une petite minorité, quelques centaines de milliers de personnes bien que les statistiques soient impuissantes à donner raison de la réalité du Protestantisme. Etant une petite minorité de 700 000 ou 800 000 personnes dans ces année-là – donc représentant entre 1 et 2% de la population française – cette minorité, comme toute minorité, se trouvait être certainement plus mobile que les grands corps (et par grands corps j’entends à la fois nationaux et ecclésiastiques). Etant minoritaire, les réseaux familiaux, les accointances personnelles, les souvenirs collectifs tissent des liens forts à l’intérieur de cette collectivité.

D’autre part, l’organisation ecclésiale du Protestantisme est extrêmement légère. Les paroisses sont indépendantes, les organismes d’animation ou de direction sont élus, les pasteurs même sont élus au sein de leur paroisse. Le principe hiérarchique ne fonctionne pas à l’intérieur du Protestantisme, à l’exception de hiérarchies de normes ou d’influences, mais pas organisationnelles ou structurelles, ce qui rend, là aussi, l’action et la mobilisation plus faciles. C’est un monde où les laïcs sont personnellement engagés puisque chaque Protestant, dit-on, est prêtre, une bible à la main. Par ailleurs, les Protestants vivent en famille, en ce sens que les pasteurs eux-mêmes sont mariés, que la première femme-pasteur est ordonnée à la fin de 1940, Mme Elisabeth Schmidt – qui jouera un rôle important dans la Résistance – et avoir une épouse ou un mari, des enfants, qui peuvent être menacés du STO, qui sont insérés dans la vie fait que les familles pastorales jouent encore un rôle particulier. Quand on se rend au presbytère, on rencontre à la fois le pasteur et son épouse, qui est une sorte de  » pasteur bis « , et les enfants, qui tous font partie du service collectif de l’Eglise Réformée.

Le deuxième point qui caractérise les Protestants, qui les rend, à mon avis, plus disponibles dans de telles situations, c’est qu’ils sont davantage ouverts vers l’extérieur. Les Protestants sont, par l’histoire, des disséminés, des gens qui ont voyagé en Allemagne, en Angleterre, aux Etats-Unis. Les couples pastoraux sont très souvent constitués par un pasteur d’origine étrangère et une femme française, ou l’inverse. On trouve beaucoup d’Américaines, d’Anglaises, de Hollandaises surtout, de Suisses dans les couples pastoraux et également au sein des familles protestantes. On sait ce que sont l’Allemagne et les Allemands, les Suisses, les Néerlandais, les Anglais, les Américains. Cela entraine une familiarité avec le monde extérieur qui permet de disposer d’une bonne information sur les enjeux internationaux et notamment sur la connaissance de la montée du nazisme en Allemagne, parce que beaucoup de Protestants sont germanophones.

Le troisième point, qui là aussi est fondateur d’un comportement protestant, avec les limites que j’ai énoncées, c’est que l’identité protestante, même en écartant les questions et les raisons de Foi et d’attachement à l’enseignement évangélique, est fondée sur une Mémoire. Un Protestant en dehors de toute Eglise peut se sentir protestant parce que la mémoire historique est constitutive de son identité religieuse. Le mot de  » RESISTEZ « , que Mme Bédarida a cité, gravé dans la tour de Constance au XVIIIème siècle, le mot de  » REFUGE « , qui désigne les collectivités protestantes parties après la Révocation de l’Edit de Nantes, sont des mots familiers dans le cœur, dans l’esprit, dans la culture, dans les mentalités protestantes. Les droits de la conscience sont mis au premier rang. Souvenez-vous, qu’en 1521, c’est au nom des droits de la conscience que Luther a opéré sa rupture avec l’Eglise Romaine :  » Il n’est pas sain, ni salutaire de désobéir à ce que vous dicte votre conscience. « .

Egalement par leur culture, par leur formation, les Protestants sont assez disposés à l’esprit critique. On dit souvent :  » Dix Protestants sont réunis, il y a onze Eglises représentées. « . La responsabilité individuelle devant son Dieu, comme devant la collectivité, comme devant sa conscience, la responsabilité et le choix personnel, sont des clefs du comportement d’une grande partie des Protestants. Or, à quelle période plus que pendant l’Occupation, les choix personnels, l’engagement personnel, l’esprit de responsabilité ont-ils pu jouer quand il s’agissait de faire des choix décisifs ? Les Protestants sont également marqués par l’Affaire Dreyfus. Beaucoup ont été engagés aux côtés des Dreyfusards, dans une proportion assez représentative. Dans les années 1900 encore, les Juifs et les Protestants sont désignés comme des fauteurs de complot antinational par certains courants de l’opinion antidreyfusarde majoritaire. Ainsi une sorte de collusion entre minorité juive et protestante s’est créée très tôt.

Un autre point est à souligner. L’importance de l’enseignement biblique représente aussi un facteur déterminant. Les Protestants, sans être des intégristes ou des fidéistes, sont volontiers biblistes. En ce sens, ils fondent leur identité religieuse sur la lecture et le commentaire personnel de l’Ecriture. Ainsi, ce que l’on médite personnellement prend une force de conviction plus forte que lorsqu’une médiation est exercée par des prêtres ou par une hiérarchie. Les commandements bibliques, pour beaucoup de Protestants, même détachés de la Foi, sont pris très au sérieux. Cela peut les engager à des attitudes contradictoires. L’esprit de charité, de compassion, l’amour du prochain mais aussi le refus de la violence :  » Tu ne tueras point « . Un certain nombre d’objecteurs de conscience, au sein même de la Résistance, encourageront à l’insoumission mais refuseront de porter les armes. Un Résistant, très attachant et très peu connu, Jacques Monod, homme d’une quarantaine d’années, est parti au combat comme maquisard et s’est fait tuer dans le Cantal, en juin 1944. Sa dernière lettre est pour dire :  » Je demande pardon de devoir prendre les armes parce que c’est contraire à l’enseignement évangélique… « . Il est mort au combat.

Pour finir, c’est l’Histoire de cette minorité qui l’a rendue sensible aux souffrances des réfugiés et des persécutés parce qu’en effet – cette analogie est plus commode philologiquement que pertinente historiquement – camisards/maquisards est un jeu de mots facile mais pas sans substance, ni sans réveiller des harmoniques dans la Mémoire protestante – ce sont sur les lieux mêmes où se sont déroulés les combats camisards, c’est-à-dire dans les Cévennes, que cette Résistance de 1704-1705 s’est jouée, comme se sont joués des événements importants pour la Résistance de 1940-1944, dans cette région. On trouve dans l’enseignement de Jean Calvin, enseignement longtemps prédominant dans l’Eglise Réformée de France, des notations très fortes de sympathie avec les Juifs.

C’est sur ces bases que je veux citer quelques déclarations. Le 6 avril 1933 est une date importante. Hitler détient les pleins pouvoirs depuis mars. Le 4 avril, la première mesure étatique antisémite, dans l’administration allemande, a été prise, écartant les Juifs de certains postes. Le 6 avril, un an et demi avant les lois de Nuremberg, le Président de la Fédération Protestante de France, le pasteur Marc Boegner, écrit au grand Rabbin de France :  » Les fils spirituels des Huguenots tressaillent d’émotion et de sympathie chaque fois qu’une minorité religieuse est persécutée et ils savent trop ce que les Eglises de la Réforme doivent aux prophètes qui ont frayé la voie à l’Evangile pour ne pas se sentir meurtris des coups qui frappent les fils d’Israël « . Par les renseignements, par les complicités spirituelles, intellectuelles entre France et Allemagne, à une époque où les églises allemandes elles-mêmes commencent à se déterminer par rapport au nouveau régime, il y a ce premier signal, pionnier. Autre fait : l’Armistice a été signée le 22 juin 1940 pour s’appliquer le 25 juin. Dès le 23 juin, les pasteurs André Trocmé et Edouard Theis prononçaient dans leur sermon au Chambon-sur-Lignon :  » Le devoir des Chrétiens est d’opposer à la violence exercée sur leur conscience les armes de l’Esprit (…) Nous résisterons lorsque nos adversaires voudront exiger de nous des soumissions contraires aux ordres de l’Evangile « . Et nous pourrions citer d’autres déclarations que rejoignent peu à peu celles que les Chrétiens émettent vis-à-vis des persécutions nazies et des positions que la conscience demande d’adopter face au totalitarisme.

Un dernier exemple permet de finir d’illustrer mon propos, celui de la CIMADE (traitée au féminin mais qui signifie Comité Inter Mouvement Auprès Des Evacués). Cette organisation a été créée en octobre 1939 pour les réfugiés des départements d’Alsace-Moselle. A cette occasion, des femmes et uniquement des femmes se sont réunies pour aider les réfugiés. Voici quelques noms de ces femmes, chères à notre mémoire : Jane Pannier, première Présidente, Violette Manchon, deuxième Présidente, et des personnalités comme Suzanne de Dietrich, Jeanne Merle d’Aubigné et surtout la Secrétaire Générale, Madeleine Barot. La CIMADE intervenait dans les camps d’internement de réfugiés Espagnols républicains. Ensuite elle a été une officine de fabrication de faux papiers. Certains Protestants n’ont pas aimé fabriquer des faux papiers car l’Evangile prêche la vérité et la création de faux s’est posée comme un problème que des pasteurs ont ressenti personnellement : peut-on fabriquer des faux papiers quand on est un citoyen Français, même face à un Etat totalitaire ? La réponse à cette question trouvait, bien sûr, l’issue que vous imaginez. La CIMADE s’est occupée d’évacuations clandestines vers la Suisse, de protection des enfants. Aujourd’hui encore, la CIMADE reste la seule organisation autorisée à rentrer dans les centres de transit auprès des sans-papiers. Je voulais citer cette organisation exemplaire qui montre toute l’attention portée par des Protestants, individuellement ou collectivement à l’égard des personnes en difficulté et notamment des Juifs avec lesquels ils ont toujours ressenti une très forte parenté spirituelle.

Objectivement, très rares ont été les Protestants tentés par l’antisémitisme. Lors de ces années terribles, c’est leur passé qui a répondu en partie de leur action.

Haut de page

  1. Claude DUCREUX, Avocat, Secrétaire Général de Comité d’Action de la Résistance, Membre de la Commission Nationale consultative des Droits de l’Homme.

Francs-Maçons et Résistants

Je ne vais pas développer un historique de la Franc-Maçonnerie dans la Résistance. Une documentation assez variée est disponible sur ce sujet. Je vais m’appliquer à mettre en lumière ce qui dans  » l’Esprit  » de la Franc-Maçonnerie a permis de rester déterminé et de pouvoir supporter la souffrance et le combat.  » Seul demeure ce que l’Homme a accompli à la cime de son âme  » a écrivit l’instituteur Georges Lapierre, franc-maçon, mort à Dachau.

Fait unique dans notre histoire, la Résistance se caractérise par une mobilisation combative de bons citoyens généralement pacifiques mais dans un élan unitaire non destiné à l’héroïsme mais marqué par les aspects spécifiques de la clandestinité et du courage, et où toutes les formes et profondeurs des différentes spiritualités dont certaines ont été évoquées, ont aidé à faire le choix, aidé et soutenu ceux qui se réclamaient de cette spiritualité face à l’adversité.

De la libre pensée aux différents théismes, aux religions révélées ou à quelques croyances que ce soit, des femmes et des hommes ont trouvé en eux la force spirituelle d’inverser les plus fondamentaux des droits de l’Homme c’est-à-dire de placer la Liberté avant la Vie, de façon à affirmer le refus de la défaite et de l’ignominie. L’inadmissible se trouvait face à la Liberté.

Le franc-maçon puise sa force d’âme dans une éthique commune à toutes les croyances fondées sur des messages forts venus d’initiés à travers les âges. Alban VISTEL, le libérateur de Lyon, parlait dans son livre d’ » une primauté éthique  » dans la philosophie politique de la Résistance, message commun à beaucoup car la morale est proche de l’Esprit quand elle va jusqu’à l’éthique par la voie de la culture et de la justice – cela pourrait être une parole de Paul Ricoeur.

Celui qui se dit initié partage aussi l’espérance. Elle est spirituellement plus forte que l’Espoir mais elle est là. C’est une vertu très chrétienne, terriblement bien chantée par Péguy et qui n’est quelquefois qu’aussi ténue que la bougie de Bachelard, mais qui demeure ce rayon qui reste allumé quand tout devient ténèbres. L’initié a en lui une foi, qui est une totalité intérieure d’exaltation, dans le sens des valeurs de la vie qui fait dire au populaire qu’elle peut renverser des montagnes. La foi se vit et se ressent de différentes façons toutes personnelles, mais elle devient un élan pour tous et qui permet d’aller plus loin, s’il le faut. Elle se puise dans la connaissance et l’approfondissement de soi. L’initié seul et avec les autres s’est discipliné vers les connaissances et aspire à la Connaissance avec un grand C pour tenter d’acquérir, malgré le doute, les moyens d’une recherche sur le monde et sur soi-même. Ce travail est une règle, c’est aussi un devoir. Il faut connaître le devoir pour qu’il s’impose avec des impératifs quasi kantiens. C’est le devoir pour le devoir seul.

Alors face à l’ignominie, face à la nécessité de se battre, de résister, cette spiritualité est une aide. Elle se fonde sur des messages, tel le message d’amour du Christ. Le message de grands initiés, de mythes et de légendes de l’Histoire du monde, de messages d’autres cultures et qu’on ne peut ignorer sans trahir l’Autre. C’est le début de l’altérité.

On se souvient du soufi Rümi qui disait  » Viens qui que tu sois, croyant ou incroyant. C’est ici la demeure de l’Espoir ! « . Et en 1941-1943, il fallait avoir beaucoup d’espoir. Les découvertes des contenus intérieurs, qui sont des leçons, des recherches, où l’on cherche la Vérité, nous mènent à affronter l’étape ultime, la mort. Le franc-maçon est de ceux – et c’est très important quand on se trouve à Fresnes, qu’on est en train de vous envoyer sur les mains la machine qui les détruit et qui coupe les doigts – qui abordent facilement l’idée de la mort. Il peut en faire une grâce, un paradis, un nirvana …ou un néant total mais il essaye d’être familiarisé avec la mort. Ce côtoiement donne une force d’âme devant l’inéluctable et par les dangers, la souffrance, le coup meurtrier qui est annoncé, redouté, et auquel on essaye de se préparer dans l’ombre en se disant :  » c’est pour tout à l’heure où c’est pour demain. « . Il y en a, dans cette salle, qui le sait bien. L’ouverture en l’absence de croyances affirmées comme vraies est quasi totale et laisse place à la liberté. Cette Foi de l’initié est existentielle, active, non dogmatique. Elle se distingue des religions révélées par ce côté mais elle présente une confiance en elle-même, ce que souligne son étymologie latine  » fides  » : fidélité mais aussi son rattachement à une racine indo-européenne  » bheidh  » qui signifie  » avoir confiance « .

L’ouverture en l’absence des croyances affirmées comme vraies est quasi-totale et laisse une place prépondérante à la Liberté. L’initié portera celle-ci comme un drapeau et comme une finalité humaine et spirituelle. Le porteur de ce drapeau est prêt d’assumer son rôle de défenseur et quelques fois même se transformer en conquérant de la Liberté. La Résistance de l’Esprit, ainsi construite et vécue, permet d’aller toujours plus loin si le combat l’exige c’est-à-dire au-delà de ce coin secret, bien libre, qui est au fond de chaque être, là où tout s’arrête, et où il n’y a plus que la poésie pour franchir l’inconnu, voire l’indicible.

Picabia a très bien décrit ce phénomène dans un poème qui s’appelle  » Mon coin « . La Résistance, au-delà des grands poètes, Desnos, Soupault, Eluard, Pierre Emmanuel, Aragon, a recueilli des poèmes nés dans les camps, les prisons, les maquis ou tout simplement dans l’attente de la mort. J’avais 17 ans en Hypokhâgne. J’avais comme compagnons, Michel Alliot, Jorge Semprun. Nous écrivions des poèmes et je me suis commis dans un petit recueil qui s’appelle tout simplement  » Mes années vertes « . Le combattant va aussi faire des livres et des dessins. C’est extraordinaire le nombre de dessins qu’on a pu faire dans les camps. Alors la Résistance de l’Esprit débouche sur l’esprit qui devient sa propre finalité. Ricoeur définissait ce volontarisme de l’esprit en écrivant  » quand l’Esprit désigne de la main la fin à attendre, il ne faut regarder que la main. ». Ce philosophe protestant montrait ainsi que l’autre rive était peut-être dans le caché.

Mais cet Esprit est devenu action. Pierre Bloch, animé par cet Esprit que j’ai essayé de vous résumer, dirige le 1er parachutage. Louise Weiss, organise le renseignement. Blanche FERON de la loge féminine n° 1, scie, chaque nuit, des millimètres de barreaux dans son Kommando, Léon Boutbien résiste à la torture et au froid de Natzweiller en écrivant les vers du  » Gourou « . Pierre Brossolette saute deux fois des fenêtres de la Gestapo. Meunier réunit le premier Conseil National de la Résistance de Jean Moulin avec Chambeiron A Marseille, c’est Malacrida de la loge  » l’Etoile de la Crau « , qui unifie un groupe de combat. A Paris, c’est Kirchmeyer, Eychene et Marc Rucart, du Droit Humain, qui créent un mouvement de Résistance en Ile-de-France,  » Patriam Recuperare « , véritable loge maçonnique. A Lyon , ce sera le  » Coq enchaîné  » dont un des membres était M. Pradel, futur maire de Lyon et auquel se référença le Général de Gaulle qui leur envoya un message d’encouragement.

Le corps sera détruit mais pas la pensée.  » Chaque homme dans sa nuit s’en va vers la lumière.  » disait déjà Victor Hugo. C’était cela la Résistance de l’Esprit et dans les temples maçonniques, sous l’invocation  » gémissons, gémissons mais espérons  » à leurs portes l’on voit de longues colonnes de noms unis dans le silence mais vivants dans nos mémoires. L’espérance a été transmise.

Haut de page

Professeur Jean-Pierre VERNANT, Compagnon de la Libération, Professeur honoraire au Collège de France

Une Philosophie de la Résistance ?

La Résistance de l’Esprit… Qu’est-ce que c’est l’Esprit ? Où se loge-t-il ? On dit qu’il souffle de partout.

Par exemple, quand je pense à Descartes, je dis que l’Esprit de Descartes c’est lorsqu’il est dans son fameux cabinet, qu’il pense le monde et qu’il écrit le  » Discours de la Méthode « . Je comprends bien que l’Esprit d’un peintre, c’est lorsqu’il est devant un tableau avec son pinceau et qu’il crée un univers de formes, de couleurs, de rapports. Mais la Résistance de l’Esprit, où se trouve-t-elle ?

En juin 1940, nous sommes jeunes et nous nous trouvons en présence de l’effondrement, non seulement de l’armée française, mais de la France. Cela représente des millions de réfugiés, le désarroi total de la population et une victoire écrasante de l’armée allemande qui occupe la moitié de notre pays et qui, à l’Est, a vaincu la Pologne. On a l’impression que l’on se trouve devant un état de fait qui, quel que soit ses opinions, son idéologie, son tempérament, s’impose comme une évidence : il y a rien à faire, nous sommes battus, les Allemands sont là ! Et c’est ce qui explique que l’immense majorité des Français a accepté le régime de Vichy, et non seulement l’Armistice, mais une collaboration militaire et politique.

Que se passe-t-il alors ? Voici un exemple qui est la clef du problème que nous examinons. Germaine Tillon est une jeune anthropologue qui de retour d’Algérie entend le discours du Maréchal Pétain. Que fait-elle alors ? Elle vomit tripes et boyaux ! L’Esprit est dans ses tripes. Moi, jeune officié pas encore démobilisé, j’entends ce discours et je ne vomis pas mais je pleure toutes les larmes de mon corps. C’est aussi mon corps qui réagit. En écoutant, je me dis :  » D’autres que moi n’ont rien à faire, je ne peux pas digérer ça !  » Germaine Tillon vomit et mon corps se refuse. Je ne peux pas accepter ce qui est l’évidence incontestable sur le plan des faits.

Je me trouve à Narbonne et la majorité des gens pensent qu’il faut signer vite parce que les Allemands vont venir jusqu’à leur ville. Alors je me dis tout de suite, tout comme d’autres, pas très nombreux :  » La guerre commence aujourd’hui !  » Je me rappelle avoir rencontré à ce moment-là un ami proche. Il avait les mêmes idées que moi. Il avait été communiste avant-guerre et avait rompu tout comme moi au moment du pacte. Il m’a demandé ce que l’on pouvait y faire. Je lui ai répondu :  » Tu te sers trop de ta tête pour essayer de comprendre. Il faut réagir à des situations comme celles-là avec les tripes, avec le cœur ! « .

Et l’Esprit est là au moment où devant les faits, devant la réalité on s’écrie :  » NON ! NON ! NON !  » Non à quoi ? On ne sait pas encore ce que l’on va faire. On commence à coller des papillons, on se débrouille mais l’essentiel n’est pas cela.

L’essentiel – et c’est pour cela que l’on peut parler d’Esprit dans toute sa diversité – c’est reconnaître, contre l’évidence du réel, que l’on ne peut pas accepter. Car si l’on accepte cela, la vie n’est plus vivable. C’est le début de l’été, le ciel n’a plus sa beauté, sa femme, ses enfants, tout cela n’a plus de sens. La vie perd tout son sens tel qu’elle est. Parce que pour que la vie puisse être vécue il faut qu’il y ait en elle quelque chose de supérieur à la vie quotidienne. Quelque chose de supérieur à ce que je constate historiquement : il faut qu’elle ait un sens. La décision de combattre est une forme de l’Esprit parce qu’elle a pour fondement cette pensée particulière. Ce réflexe que Germaine Tillon a eu, que je ai eu et d’autres aussi, dégageait une nécessité : il s’agissait de faire face à l’évènement en voyant comment on pouvait continuer à vivre.

Mais nous n’avons pas eu l’impression d’un irrémédiable, quelques soient les risques (nous n’y pensions pas trop). J’ai retrouvé plus tard dans la lutte des personnes que j’avais combattues autrefois au Quartier latin, des militants de l’Action française, des Chrétiens, pour qui le message évangélique seul pouvait donner sens à leur propre existence et qui refusaient. Ils étaient des gens comme moi qui n’avaient pas de haine contre les Allemands mais contre le nazisme. Il existait aussi un Esprit dans le nazisme. Les jeunes nazis qui en 1945, alors que tout est perdu, continuent à se battre, ont une réaction du même type.

Mais il existe une différence : tous ces Esprits auxquels j’ai fait allusion ont eu en commun une chose : c’est le fait de résister qui les a renforcés. Issu d’une famille anticléricale, mon grand-père avait créé un journal républicain. J’ai beaucoup travaillé avec des élèves catholiques et certains, hélas, ont été tués, massacrés. Ils savaient tout de moi mais n’ont jamais parlé.

Et mon Esprit changeait. J’ai appris à respecter des gens autres que moi, que j’avais pu combattre ou ignorer. Je ne pouvais pas avancer spirituellement, mon Esprit de Résistance ne pouvait pas faire son chemin, si je ne les respectais pas. En fait, je comprenais qu’il y avait, à travers l’expérience qui était la nôtre, non seulement une certaine idée de la France, de la Résistance et de la Liberté, mais aussi une exceptionnelle solidarité. Près de dix fois, j’ai été sauvé par des hommes ou des femmes qui n’étaient pas des Résistants  » professionnels « . Ils m’ont ouvert une porte, ils m’ont planqué quand il fallait. Voilà ce qui fait la valeur d’une civilisation comme la nôtre, en dépit de l’égoïsme et de la haine. Devant le spectacle de cette tyrannie, de cette absence de liberté, de ces massacres, ces déportations, cette violence qui nous était faite, les gens étaient restés des êtres humains qui avaient trop bu le lait de la douceur humaine et qui, quand ils voyaient quelqu’un de menacé, lui tendaient la main quel que soit le risque. Eux aussi ont été résistants. Des résistants dont on ne parle pas assez. Ils n’étaient pas membres de réseaux ou de mouvements mais nous ont donné ce  » coup de main  » qui nous a permis d’aller jusqu’au bout.

Revenons un instant sur l’idéologie des nazis. Même si celle-ci avait l’apparence d’une spiritualité, elle ne pouvait pas l’être puisqu’il lui manquait la Liberté. Car être libre, c’est reconnaître que les autres sont libres. Etre soit même cela veut dire que l’on reconnaît que les autres sont eux-mêmes. C’est-à-dire que tous les Hommes sont des Hommes, que les Hommes sont frères, que son prochain c’est en même temps soi-même et plus que soi-même. Et c’était cela qui fait qu’on peut parler d’un Esprit de la Résistance et d’une Résistance de l’Esprit.

Haut de page

  1. François ARCHAMBAULT, Président de  » Mémoire et Espoirs de la Résistance « 

Conclusion

Je voudrais rappeler que ce que nous voulons montrer c’est que la Résistance n’a pas été un combat seulement physique et encore moins un combat sur ordre. Elle a été une convergence de décisions individuelles souvent très différentes et déchirantes, mais qui ne remontent pas seulement à la Nuit des Temps. Le Professeur Vernant pourrait dire mieux que moi que Socrate aurait pu fuir Athènes. Il n’en est rien. Il a affronté son procès et il s’est suicidé. La Résistance de l’Esprit n’a pas commencé par une mobilisation générale des Résistants. Pierre Brossolette, normalien, agrégé d’Histoire, journaliste, commence en 1933 à lutter contre le nazisme. Xavier de Hauteclocque, cousin du futur maréchal Leclerc, se fait assassiner par les nazis pour avoir écrit  » La peste brune « . La Résistance de l’Esprit recouvre des initiatives individuelles qui finissent toutes par converger. Or ces initiatives proviennent de gens très différents, pas seulement des Français, mais aussi des étrangers qui ont rejoint la Résistance. Souvenons-nous, par exemple, de Manouchian et de ses compagnons, aussi bien que des tirailleurs sénégalais dont l’honneur est défendu par le Préfet Jean Moulin dans son premier combat.

Haut de page

Question 2 – Mme Bédarida, pourriez-vous nous raconter votre engagement à Témoignage Chrétien ?

Tout ça est très impressionnant parce que je ne suis qu’une parmi les membres du Témoignage Chrétien. Mon choix personnel est venu de mon engagement comme lycéenne à l’Action Catholique où j’étais responsable jéciste. Etant jéciste, j’ai appris à découvrir à la fois le sens de l’Evangile et les commandements divins. Je n’ai pas pleuré en entendant le discours de Pétain mais au bout de quelques mois, j’ai essayé de rechercher des camarades. Le premier problème était le problème juif. Il fallait soutenir les Juifs moralement, à défaut de les soutenir matériellement, cela est venu plus tard. Mon premier engagement visible a consisté en une séance d’opposition orale. Un cinéma de Lyon a projeté le film antisémite  » Le juif Süss « . Nous étions une vingtaine d’étudiants, catholiques ou non, à nous rendre dans cette salle. Nous avons laissé passer les informations et au moment où le film a commencé, nous avons tous crié :  » Pas de films nazis en France !! ». Nous avons hurlé jusqu’à ce que nous n’ayons plus de voix, moment qui a coïncidé avec l’arrivée des policiers lyonnais. Puis nous nous sommes enfuis dans les rues environnantes. Voilà donc mon premier geste découvrant mes opinions personnelles. Au Témoignage Chrétien, j’ai eu la chance de rencontrer le Père Chaillet. Je n’ai pas écrit dans les Cahiers, sauf dans le Courrier n°13 que j’ai fait imprimer à Dijon pendant la nuit précédant le 11 septembre 1944, jour de la Libération de la ville. Je vous ai parlé de ce numéro spécial de soixante pages sur l’Alsace-Lorraine ; nous étions deux étudiants venus dans l’imprimerie pour aider au massicotage, pliage, etc… Après, le Père m’a envoyée dans l’Est où j’ai remplacé un camarade qui avait été emprisonné, et j’ai visité plusieurs villes pour assurer la diffusion des journaux, circulant en bicyclette, transportant sur mon porte-bagages, zincs, et textes des derniers Courriers, vers les imprimeries de Pont-de-Roide (Doubs) et de Lyon, puis retour à Dijon.

Question 3 : Maître Ducreux, quelles étaient vos motivations pour entrer en Résistance ?

C’est une question de réflexion personnelle. J’avais un père franc-maçon, libre penseur, et une mère Protestante. J’ai réfléchi dans les deux sens et je reconnais que les deux sens m’ont poussé dans la même voie. Ma modeste participation dans la Résistance tient à ses deux courants qui m’ont fortement impressionné. Quand on a 17 ans, on se demande de quoi le monde sera fait, pourquoi on est là. Il y a une réflexion et on va dans les directions qui sont à votre portée, par ceux qui sont à votre portée. J’ai été fortement influencé par des professeurs, absolument pas francs-maçons, mais dont l’idée était de nous apprendre ce qu’étaient les Hommes et la vie. J’ai eu la chance inouïe d’avoir comme professeurs pendant l’Occupation des personnes comme M. Lacroix, M. Alba, M. Alquié et M. Pompidou. Avec un arsenal comme celui-là, on est forcément amené à réfléchir et on prend une voie. Est-elle bonne ou moins bonne ? C’est une voie qui donne un sens à la vie.

Question 4 : M. Theis, vous dites que l’Eglise Protestante est  » dispersée « , sans hiérarchie, mais vous évoquez la lettre d’un  » chef  » de l’Eglise réformée de France à un Rabbin. La direction de l’Eglise Réformée de France n’a-t-elle pas pris parti plus ouvertement ?

D’un point de vue technique, j’ai dit que c’était une Eglise sans hiérarchie en ce sens que toutes les fonctions exercées sont des fonctions électives et donc révocables. En ceci, il n’y a pas de hiérarchie où le pouvoir partirait d’en haut pour s’étendre en bas selon un principe de droit divin. Tous les pasteurs et les présidents de Consistoire de l’Eglise sont élus pour un mandat et révocables. Les Eglises, par leurs organes, c’est-à-dire la Fédération Protestante de France qui regroupe différentes Eglises dont la plus importante, l’Eglise Réformée de France, ont pris parti. Il me faut lire au moins un extrait de la lettre du 26 mars 1941, adressée par le pasteur Boegner, à la fois Président de l’Eglise Réformée de France et de la Fédération Protestante de France, au Grand Rabbin IsaÏe Schwartz. Elle constitue le premier geste public, et largement diffusé, en faveur des juifs persécutés :  » Notre Eglise qui a jadis connu les souffrances de la persécution, ressent une ardente sympathie pour vos communautés.  » Le 22 septembre 1942, le chef de l’Eglise Réformée de France, élu – ainsi porte-parole de sa communauté – a demandé à ce que tous les pasteurs de France lisent publiquement en chaire un autre message dénonçant les persécutions des Juifs. Sur 650 paroisses, seuls 8 pasteurs ont déclarés ne pas pouvoir accomplir un tel geste. Voilà deux exemples de cette organisation mais qui est fondée sur un principe de consensus, d’élection et non pas une hiérarchie qui fait que le supérieur commande à l’inférieur. Il n’existe pas de degré de hiérarchie de supériorité, d’infériorité. Il y a simplement une organisation bien ordonnée. Intervention de M. Jean MATTEOLI, Résistant et Déporté, Président de la Fondation de la Résistance. Ce que je souhaitai dire c’est que, dans la jeunesse en 1940, il y avait la JEC, dont j’étais membre. J’en ai été l’un des responsables, pas très longtemps d’ailleurs parce que j’avais autre chose à faire, mais la JEC était un mouvement chrétien qui s’affirmait comme tel et qui avait des positions qui ressemblait très fort à celles de Témoignage Chrétien. En tant que chrétien, je me suis toujours senti très fortement engagé dans la Résistance et je n’ai fait que ça pratiquement. On me surnommait  » M. Faux papiers « . Il fallait bien que quelqu’un les fasse ! Et j’en ai fait beaucoup. Cela n’était pas déshonorant.

Question 5 : M. de Beaucorps, l’isolement des Résistants Français étant total en Indochine, comment ont-ils réussi à faire parvenir des renseignements sur les activités japonaises aux mouvements et réseaux de la Résistance Française ?

Ils n’en ont jamais fait parvenir une ligne étant donné qu’ils n’avaient aucun moyen de le faire. Les Résistants d’Indochine avaient des réseaux qui étaient basés sur leur poste radio lesquels étaient en liaison avec les Américains et les Anglais. A l’époque, il n’existait pas de postes radios pouvant correspondre de Saigon à Paris. Il n’y a jamais eu de contact entre ses Résistants indochinois et la Résistance française. Les seuls contacts entre la France et l’Indochine se sont constitués par l’intermédiaire de deux missions militaires dans les années 44-45 et d’une mission privée à la même époque. Question 6 et 7 : Mme Bédarida, avez-vous participé à la formation des catholiques durant la guerre ? Quel fut le rôle de l’Eglise ? A la première question, je répondrai simplement que la Résistance était clandestine. Nous portions notre badge de jécistes mais il n’était pas question, excepté dans des discussions de personne à personne, de parler notre point de vue. Nous ne pouvions pas faire de stages de formation pour inciter les catholiques à participer à la Résistance. Les Cahiers du Témoignage Chrétien que nous faisions circuler étaient là pour cela. La deuxième question est connue et délicate. Si beaucoup de catholiques se sont impliqués dans la Résistance, le rôle de l’Eglise est évidemment pointé du doigt. L’Eglise s’est tue. En 1940, elle a reconnu que le gouvernement de Vichy était un gouvernement établi, légalement institué, et elle a recommandé à son clergé un loyalisme complet envers le Maréchal. Vous savez, de plus, que le gouvernement de Vichy a fait des facilités à l’Eglise. Celle-ci s’est tue lors des premières mesures contre les Juifs, en 1940-1941.Ce n’est qu’à l’été 1942 que six évêques sur quatre-vingts ont protesté de façon publique contre les rafles et les arrestations. C’est un fait que l’Eglise n’a pas brillé durant cette période dramatique. Elle s’est culpabilisée puisqu’il n’y a pas si longtemps, en 1997, une déclaration officielle de repentance a été lue à Drancy pour reconnaître les erreurs et les fautes de l’Eglise de France.

Question 6 et 7 : Mme Bédarida, avez-vous participé à la formation des catholiques durant la guerre ? Quel fut le rôle de l’Eglise ?

A la première question, je répondrai simplement que la Résistance était clandestine. Nous portions notre badge de jécistes mais il n’était pas question, excepté dans des discussions de personne à personne, de parler notre point de vue. Nous ne pouvions pas faire de stages de formation pour inciter les catholiques à participer à la Résistance. Les Cahiers du Témoignage Chrétien que nous faisions circuler étaient là pour cela. La deuxième question est connue et délicate.

Si beaucoup de catholiques se sont impliqués dans la Résistance, le rôle de l’Eglise est évidemment pointé du doigt. L’Eglise s’est tue. En 1940, elle a reconnu que le gouvernement de Vichy était un gouvernement établi, légalement institué, et elle a recommandé à son clergé un loyalisme complet envers le Maréchal. Vous savez, de plus, que le gouvernement de Vichy a fait des facilités à l’Eglise. Celle-ci s’est tue lors des premières mesures contre les Juifs, en 1940-1941.Ce n’est qu’à l’été 1942 que six évêques sur quatre-vingts ont protesté de façon publique contre les rafles et les arrestations. C’est un fait que l’Eglise n’a pas brillé durant cette période dramatique. Elle s’est culpabilisée puisqu’il n’y a pas si longtemps, en 1997, une déclaration officielle de repentance a été lue à Drancy pour reconnaître les erreurs et les fautes de l’Eglise de France.