Du nazisme à la purification ethnique

Rencontre prévu le 10/12/2001

Dany TETOT, Président des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (AFMD)

Avant la barbarie nazie, il y avait, un bien vilain mot pour un horrible concept, les « lois de la guerre ». Par ces lois, inscrites dans quelques conventions internationales, les nations, que l’on ne nommait pas encore la « communauté internationale », avaient réfléchi à quelques dispositifs propres à rendre la guerre moins inhumaine, pour autant que ces termes soient opposés. Mais ces conventions, indice d’un droit international balbutiant, ne prévoyaient aucun mécanisme de sanctions. Il y eut bien quelques tentatives, après la première Guerre Mondiale, pour juger et punir, mais elles restèrent sans lendemain.

Puis il y eut le nazisme belliqueux, qui réduisit en chiffon ce premier édifice, voulut dominer l’Europe et en réduire sa population non « aryenne » à l’esclavage. Le second conflit mondial allait être meurtrier : 26 millions de victimes civiles à travers notre continent ; 10 millions de déportés dans les camps. Il allait, surtout, imposer un nouveau mot dans les dictionnaires génocide. En 1945, les 6 millions de victimes assassinées en masse, seulement coupables d’être nées juives ou tziganes, avaient été victimes d’un crime sans nom, ni dans les droits nationaux, ni en droit international. Non ; gazer, en masse, des millions d’êtres humains dans des chambres à gaz, cela était impensable. Nul code pénal ne le prévoyait.

A Nuremberg, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, furent jugés des criminels qui avaient, au-delà de toute imagination, défié les lois de la guerre, dénié le simple droit à vivre, broyé les êtres humains dans un univers de déshumanisation. Ce procès avait été voulu par les Nations alliées alors que la guerre n’était pas encore terminée. Ces Nations avaient choisi le recours au droit contre le recours aux exécutions sommaires, voire au lynchage. Ce recours au droit impliquait que le procès fût soumis aux règles tutélaires des droits de la défense : ce n’était pas la justice des vainqueurs mais la justice tout court. Quatre Nations à Nuremberg, soutenues par dix-neuf autres qui n’avaient pas connu l’occupation. Onze Nations à Tokyo jugeaient des crimes inédits dans leur nature et leur étendue.

Crime contre la Paix ; crimes de guerre, (qui au fil de la jurisprudence seraient déclarés prescriptibles) ; crimes contre l’humanité (qui désormais et après des décennies de combat sont reconnus imprescriptibles). Ces notions ne sont-elles pas hélas d’une triste actualité ?

Edgar Faure, Procureur général adjoint au Tribunal, membre de l’accusation française, indiquait, quarante après le procès de Nuremberg, que le procès avait eu un double esprit : un esprit rétrospectif : 195 000 dépositions, 271 auditions, 10 mois de débats ; un esprit prospectif : sanctionner pour prévenir. Ce second aspect s’illustra par l’évolution des conventions et traités (Déclaration universelle des droits de l’Homme, – dont c’est aujourd’hui le cinquante troisième anniversaire – convention de prévention des génocides, et bien d’autres) qui, ensemble, au fil des années, fondent désormais le socle de notre droit international, droit qui doit sans cesse s’appliquer et donc évoluer. Cet esprit prospectif est le fil conducteur des débats, plus proches de nous, sur les juridictions internationales et tout spécialement la Cour Pénale Internationale.

Parce qu’il y eut Nuremberg au XXème siècle, les tortures, les massacres, les génocides au Rwanda, de Bosnie et d’ailleurs peuvent être sanctionnés. Parce qu’il y eut Nuremberg, les meurtriers peuvent, à tout moment, être amenés à répondre de leur acte devant la communauté internationale. Nuremberg est une leçon d’éthique et de responsabilité car, de tout crime, l’homme ne doit jamais oublier celui qui atteint sa conviction d’appartenir à l’espèce humaine. Assurer la postérité de Nuremberg, c’est préserver ce que la culture humaine contient de liberté, de responsabilité, donc de possibilité d’agir sur le cours du monde et de l’histoire.

Les Fondations et associations organisatrices vous ont invité à réfléchir aujourd’hui à ces questions qui pour être des questions de droit conditionnent notre présent et notre avenir. Je voudrais pour conclure remercier et exprimer toute notre gratitude à nos intervenants, et plus particulièrement à M. Claude Jorda, président du Tribunal international de La Haye.

Monsieur le Président Jean Mattéoli et François-René Cristiani

François-René Cristiani animateur de ce colloque journaliste à France Culture

Monsieur le Président Jean Mattéoli et François-René Cristian.

François-René Cristiani animateur de ce colloque journaliste à France Culture

Nous aurons cet après-midi cinq intervenants.

Dans un premier temps, nous entendrons des témoins – ceux qui, hélas, ont vécu ces années terribles dans leur chair : Madame Chombart de Lauwe et Monsieur Matteoli ; une historienne, Madame Lévisse-Touzé ; ensuite Monsieur Jacques Patin, ancien collaborateur du Général de Gaulle, administrateur de la Fondation Charles de Gaulle, et enfin, Monsieur Claude Jorda, président du Tribunal pénal international.

Madame Chombart de Lauwe, vous êtes présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation (FMD). Vous avez été résistante à dix-sept ans, déportée à Ravensbrück, puis Mauthausen. Vous êtes évidemment un témoin direct des crimes nazis et toute votre vie, vous avez voulu être, et vous êtes encore, une combattante acharnée des négationnistes. C’est précisément de ces crimes contre l’Humanité dont vous nous parlez et de la nécessaire

Pérennisation, non seulement de leur mémoire, mais aussi de leur prévention au cours du siècle qui commence.

Marie-José CHOMBART de LAUWE : Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation

Au printemps 1945, les armées alliées libéraient les camps de concentration et d’extermination et découvraient la monstruosité des crimes perpétrés par le système nazi.

Le régime hitlérien avait été fondé sur une idéologie qui méprisait la personne humaine, hiérarchisait de prétendues « races » humaines et entendait dominer par la force les peuples qu’il réduisait en esclavage. L’univers concentrationnaire a été l’application la plus aboutie de telles conceptions. Les peuples réunis dans l’organisation des Nations Unies, bouleversés par cette découverte de multiples actes inhumains, décidaient alors d’instituer un tribunal militaire international, à Nuremberg, le 20 novembre 1945, pour châtier les grands criminels nazis. Ce tribunal a réservé une place spéciale aux crimes contre l’Humanité qu’il a dû définir. Il a prouvé ainsi l’évolution de la conscience internationale en réaffirmant l’importance vitale du respect de l’être humain pour l’avenir de l’Humanité.

Quelles sont les dimensions de l’Humanité, blessées ou détruites dans les camps ?

Celles de l’être humain, en soi, d’abord, qui devait perdre son identité dès l’entrée dans le camp. Les nazis déniaient l’appartenance à l’espèce humaine de certaines catégories d’hommes, par exemple aux sujets d’expérimentations pseudo médicales.

Celles de l’espèce humaine en faisant disparaître des groupes ethniques. Ils ont appauvri l’Humanité et privé son avenir de multiples richesses en assassinant les enfants eux-mêmes.

Arrêtée pour faits de Résistance, le 22 mai 1942, j’ai connu la misère de la prison – dont neuf mois au secret, isolée – la dureté des interrogatoires. Le parcours des internés était jalonné d’angoisses, de multiples formes de tortures, physiques ou morales, de l’attente de l’exécution possible.

La spécificité du nazisme réside surtout dans ce que j’ai connu dans les camps.

Dans les camps d’extermination, le crime le plus atroce a été celui d’enfants, d’enfants innocents, assassinés par l’appareil industriel de mise à mort : la chambre à gaz. Ces êtres étaient assassinés pour le seul crime d’être nés, nés juifs ou tziganes. Je ne peux le qualifier, encore aujourd’hui, que de mal absolu.

Au camp de Ravensbrück, dans lequel je suis arrivée en juillet 1943, ce procédé de mise à mort n’existait pas. Il a été installé, cependant, le dernier hiver, en janvier 1945.

Avant, les femmes, qui étaient sélectionnées pour être éliminées, étaient envoyées dans des centres d’euthanasie. Ces centres dont il ne faut pas oublier l’existence non plus. Mais j’en connaissais l’existence par les déportés revenant d’Auschwitz, car il y avait des échanges entre les camps. .

Dans un camp d’extermination, la majorité des arrivants, des familles entières, du bébé au vieillard, étaient tués tout de suite ; dans un camp de concentration, tous les déportés entraient, mais ils étaient également voués à la mort, du fait des conditions invivables, dégradantes et de l’épuisement de leur force par le travail. On peut déjà qualifier les situations qui nous étaient imposées comme des crimes contre « notre » humanité, les déportés.

Mais j’ai aussi vu commettre, dans un camp de concentration comme Ravensbrück, d’inconcevables crimes contre l’Humanité. Je vous en donne trois exemples dont j’ai été témoin direct.

En juillet 1943, pendant les appels, qui duraient des heures, debout, immobiles, pratiquement pas nourries, peu vêtues dans le froid, souvent des femmes tombaient d’épuisement. Mais j’ai découvert qu’un groupe de jeunes femmes avait droit au tabouret. Pourquoi ? Parce qu’elles ne tenaient pas sur leurs jambes. Elles étaient des sujets d’expérimentations pseudo médicales. L’autorisation de disposer d’êtres humains pour l’expérimentation et la recherche était délivrée par Himmler en personne.

Ces jeunes femmes, soixante-quinze, presque toutes des Polonaises – nous les appelions familièrement « les lapins » – étaient emmenées à l’infirmerie, au « revier » du camp, et là, les médecins nazis procédaient aux opérations : fractures de jambe, prélèvements d’ongles ou de muscles, ensemencement dans les plaies de staphylocoques, de cultures de gangrène, de tétanos. Une dizaine de ces victimes sont mortes rapidement dans des souffrances atroces, d’autres ont été convoquées pour une seconde opération, elles se sont révoltées. Alors, on les a emmenées à la prison du camp, au « bunker », et opérées sans la moindre asepsie. Par la suite une dizaine d’entre elles ont été fusillées.

J’ai vécu quinze mois auprès d’elles, au fameux bloc 32, celui des NN, dont j’étais, les « Nuit et Brouillard », où j’ai noué des relations d’amitié avec quelques-unes d’entre elles, des étudiantes, résistantes, parlant bien le français. Des survivantes ont été sauvées par la solidarité des déportés qui ont pu les cacher dans le désordre final du camp. Elles auraient dû être exterminées afin que disparaisse la trace de ce crime.

Durant le dernier hiver, j’ai été informée par mes camarades de l’infirmerie d’un autre crime, le deuxième dont je voulais vous entretenir : à Ravensbrück, il y avait des mères tziganes avec leurs petites filles. Elles ont été appelées par le commandant pour subir des stérilisations.

Les infirmières prisonnières n’entraient pas dans la salle d’opération. Elles « ramassaient » les opérées à la sortie. D’autres infirmières ont été chargées de développer les radios qui étaient prises pendant l’intervention, pour suivre le déroulement de cette « expérience ».

On a su ce qui se passait : un liquide était introduit par les voies génitales qui allait brûler, détruire les trompes et les ovaires. A l’issue, une petite fille d’une dizaine d’années, était couchée dans ce pseudo hôpital. Elle avait le ventre ouvert. Ils avaient procédé à une plaie pour voir la suite de l’intervention. Elle est morte dans d’atroces souffrances. Ses plaies n’avaient pas été recousues.

Ces expériences ont été également faites à Auschwitz. On a recoupé les méthodes avec beaucoup d’autres qui existaient dans l’ensemble des camps mais je vous parle de celles dont j’ai été directement témoin.

Après la guerre, j’ai été témoin au procès du commandant de Ravensbrück, Franck Zuren, en janvier 1950. Il répondait aux crimes dont je l’accusais avec l’argument classique : ordres supérieurs auxquels il était obligé de se soumettre. Mais quand j’ai évoqué le cas de ces stérilisations, il m’a répondu, avec presque sourire et bonne conscience : « Bien sûr, j’ai fait stériliser des femmes et des enfants dans mon camp, mais vous savez, je l’ai fait faire aussi sur des hommes » – ce que nous ignorions – « mais enfin comprenez donc, c’était des tziganes ». D’où la bonne conscience de ce personnage horrible…

Troisième crime contre l’Humanité que je voulais vous évoquer ici, c’est celui où j’ai été le plus directement impliquée.

Dans un camp de femmes, arrivent des femmes enceintes. Il y avait une circulaire du 6 mai 1943 du service de sécurité disant qu’il ne devait pas y avoir de femmes enceintes et d’accouchements dans les camps. Mais on sait que malgré tout, elles ont été nombreuses à Auschwitz et j’ai des témoignages qui disent que souvent le bébé était tué à la naissance par les prisonnières elles-mêmes car l’accouchée, sans cela, allait à la chambre à gaz avec le bébé.

A Ravensbrück, comment ça se passait ?

Pour les Allemandes enceintes d’un non juif, elles étaient envoyées accoucher au dehors et le bébé confié à des institutions spécialisées, et la femme revenait au camp.

Pour toutes les autres femmes, ou bien il était procédé à un avortement de force, ou bien, si la grossesse allait à son terme, la femme voyait son enfant assassiné dès qu’il était né.

A partir de septembre 1944, les choses ont changé. Déjà au cours de l’année 44, il y avait eu des naissances clandestines mais l’enfant n’avait aucune chance de survie. A partir de septembre 44, une petite pièce, « la chambre des enfants », « Kinderzimmer », a été réservée aux nouveau-nés, et j’ai été une des infirmières choisies pour s’en occuper. Les conditions étaient, là aussi, invivables pour les enfants : le manque de linge, d’hygiène, de nourriture adaptée, faisait que tous les nouveau-nés mourraient avant trois mois. Ça c’est un crime contre l’espèce humaine à son départ même.

Il y avait une bureaucratie : un enregistrement dans un certain livre des naissances. J’ai retrouvé ce document d’archives, précieux : près de six cents nouveau-nés ont été enregistrés dans ce document. On en a la preuve. Sur ces six cents, il y a eu une quarantaine de survivants, dont trois Français.

Voilà ce que j’ai connu moi. Ce que j’appelle le pire dans un camp de concentration « ordinaire ». Je vous ai décrit ce que j’ai vu. Mais j’ai su ensuite par une série d’ouvrages que les expériences pseudo-médicales ont été pratiquées dans une série de camps.

A Buchenwald par exemple : essais sur des maladies infectieuses. Dans d’autres lieux, enfants qui auraient été l’objet d’expérience de vaccination sur la tuberculose, assassinés à la fin de la guerre avec les personnes qui les accompagnaient. Une trentaine de jeunes femmes ont été envoyées d’Auschwitz au Strutof pour des expériences sur des gaz, dans une petite chambre à gaz.

Voilà ces crimes contre l’Humanité dont j’ai été témoin ou que j’ai connus de près.

Alors on me dira : « Mais depuis, hélas, les crimes n’ont pas cessé à l’occasion de divers conflits ». Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est de les analyser, sans faire d’amalgames. Chaque camp doit être analysé dans sa spécificité, historique, géographique, politique, et socioculturelle.

Le nazisme reste un système de référence puisqu’il a organisé méthodiquement, industriellement, une société de la mort avec son instrument, la chambre à gaz, mais partout on retrouve le même non-respect de l’être humain, rejeté parce que classé différent, exclu jusqu’à la mort.

Depuis plus d’un demi-siècle, les associations de survivants des camps de concentration et d’extermination nazis, réunies maintenant dans la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, agissent pour pérenniser leur mémoire et demeurer vigilantes face au retour de nouveaux dangers. Elles ont toujours agi pour le châtiment des criminels. Elles espèrent aujourd’hui la création d’une Cour pénale internationale. Elles espèrent qu’enfin, elle va pouvoir être appliquée par la ratification des soixante Etats, qui n’a pas été encore obtenue. Elles espèrent surtout de nouveaux moyens pour prévenir et arrêter les crimes contre l’Humanité au cours de ce XXIème siècle qui s’ouvre, et pour cette jeunesse, que je vois ici aujourd’hui, qui aura en main la responsabilité de construire un monde meilleur, plus libre, plus juste.

Au premier rang Monsieur le Premier Président Ganivet et Monsieur Yves Guéna

Jean Matteoli, Président de la Fondation de la Résistance.

Entré en résistance dès 1940, déporté au camp de Neuengamme, puis à Bergen Belsen.

Ancien Président des Charbonnages de France, du Conseil économique et social, et tout récemment encore de la Mission interministérielle sur la spoliation des biens juifs.

Comme Madame Chombart de Lauwe, je suis entré en résistance en août 1940. Je n’avais pas tout à fait 17 ans, votre âge, Mesdemoiselles et Messieurs.

Pourquoi à cet âge-là, à ce moment-là, sommes-nous entrés en Résistance ? Tout simplement, parce que nous ne pouvions pas accepter la présence, sur notre sol, de soldats allemands en uniforme, de drapeaux allemands sur nos fenêtres, à nos façades. Toutes les manifestations allemandes, nazies, qui pouvaient être organisées dans nos villes, et qui naturellement ne se faisaient pas avec discrétion, mais au contraire dans un souci de démonstration, étaient à peine supportables.

Je voudrais invoquer à ce sujet, le témoignage, s’il me le permet, de Monsieur Yves Guéna, au premier rang dans cette salle, qui préside le Conseil constitutionnel, et qui, à lui seul, peut représenter tout ce qui a existé comme formes diverses de la Résistance en France entre 1940 et 1945. Je suis très reconnaissant à Yves Guéna de sa présence parmi nous, non pas seulement parce qu’il est aujourd’hui l’un des Français les plus importants dans notre construction constitutionnelle, mais vraiment parce que l’exemple qu’il a montré entre 1940 et 1945 mérite d’inspirer nos réflexions sur ce que peut être la Résistance. J’ai dit qu’il avait représenté à peu près toutes les formes de la Résistance, c’est vrai, car il a été résistant en France, il a été résistant en Grande-Bretagne, sous les diverses formes de la Résistance en Grande-Bretagne, il est revenu en France, il a eu la chance de n’être pas arrêté – je m’en réjoui pour lui – il aurait pu l’être, il aurait dû normalement l’être. Sa présence aujourd’hui me fait un très grand plaisir, je voulais le lui dire bien simplement puisqu’il s’agit d’un camarade résistant.

Je suis entré en Résistance à peu près comme toi, peut-être un petit peu plus jeune que toi, Yves Guéna en 1940. Parmi les diverses raisons de notre entrée en Résistance, je crois qu’il faut citer tout d’abord, le refus. Il y a des choses qu’on accepte, il y en a qu’on n’accepte pas. Et vraiment la présence allemande sur notre sol – je me répète, mais le fais volontairement – la présence allemande sur notre sol n’était absolument pas acceptable, car elle n’était pas discrète, la présence allemande, les Allemands occupant la France étaient en uniforme, avec leurs insignes, y compris les insignes nazis. La démarche des Allemands dans nos villes n’était pas discrète, elle non plus. Les soldats allemands, (pas les sous-officiers ou officiers) avaient aux pieds d’étranges chaussures ferrées, dont les talons étaient ferrés, un tout petit peu comme on ferrerait un cheval, c’était tout simplement pour éviter que les chaussures s’usent trop vite, mais dans la démarche des soldats allemands dans nos villes, c’était quelque chose qui ne pouvait pas ne pas nous frapper. Ceci s’entendait en permanence, il suffisait de ne pas se boucher les oreilles. Et dès lors, le côté insupportable, vraiment insupportable, de la présence allemande commençait à naître dans nos consciences.

S’ajoutait à cela le fait que, quand un soldat allemand venait en face de vous sur le trottoir, il était bienséant de s’en écarter un peu, sinon on pouvait être chassé par le soldat en question jusque dans la rue.

De proche en proche, les Français qui tous n’étaient pas résistants en 1940, car il y avait pour accueillir les Allemands, le régime de Vichy, avec à sa tête le Maréchal Pétain, qui avait signé avec l’occupant allemand un accord qui organisait la présence allemande en France. Cela nous était, à nous, insupportable bien sûr, ça ne l’était pas à tout le monde, mais parmi les gens dont certains étaient parfaitement de bonne foi.

Vous savez, les fonctionnaires français qui appartenaient au régime de Vichy qui étaient en permanence influencés par les instructions qu’ils recevaient de Vichy, finissaient par croire que, tout compte fait, leur présence était « utile » à la Nation, puisqu’ils recevaient le premier choc de toutes les instructions allemandes à l’encontre des Français, sans toujours s’apercevoir que leur présence était pour beaucoup de jeunes notamment, extraordinairement indicative, dangereuse.

Parmi toutes les souffrances que nous avons subies, tous les dangers que nous avons connus, l’un des plus insidieux a été celui de l’existence d’un état français à Vichy. Il aurait été bien préférable, que comme pour beaucoup de pays d’Europe nous soyons traités comme des occupés par des occupants, et non pas comme des sortes  » d’associés « 

Petit à petit, bien sûr, un certain nombre de ceux qui s’étaient réveillés dès 1940 en voyant les Allemands entrer en France, ont été progressivement rejoints par d’autres à qui ils avaient pu expliquer la vraie nature de l’occupation allemande et l’illusion de la dissimulation acceptée d’un gouvernement français à Vichy.

Personnellement, je n’ai jamais pardonné à Pétain, cette espèce de tromperie qu’il a introduite. Au point d’ailleurs que lorsque nous osons nous autres Résistants, évoquer Pétain autrement que dans les termes convenables dont on se sert à l’égard d’un grand combattant de la guerre 14-18, on était vraiment considéré comme des vauriens. Au point où nous en étions, ça nous était vraiment égal et puis les exemples que nous donnaient les grands Résistants suffisaient à nous convaincre que nous avions choisi la bonne voie.

Je ne vais pas m’étendre sur ce qu’était la Résistance. La Résistance consistait d’abord à tout faire pour que le gouvernement de Vichy ait aussi peu d’influence que possible sur la nation française, tout faire pour que les Allemands ne puissent pas, non seulement convaincre, mais petit à petit inséminer dans l’esprit de nos compatriotes, et notamment des jeunes qui étaient peut-être plus fragiles que d’autres, réussir à leur glisser ce germe de la nazification. Je ne suis pas sûr que nous y ayons totalement réussi. Nous avons quand même réussi partiellement à éviter les pires des choses.

Madame la Présidente Marie-José Chombart de Lauwe, Monsieur l’avocat général Jacques Patin, Madame Christine Levisse-Touzé

Jacques PATIN, administrateur dès la Fondation Charles de Gaulle, avocat général honoraire à la Cour de Cassation, collaborateur du Général de Gaulle de janvier 1963 à avril 1969

Chateaubriand a écrit : « Néron peut sévir, Tacite est né dans l’empire », conception fonctionnaliste de l’Histoire qui, dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui, doit être retenue Robert Badinter, rapportant le nouveau code pénal – auquel il a tant travaillé, tâche à laquelle je m’honore de l’avoir quelquefois aidé – a déclaré « la justice dans ce domaine, ce n’est pas la vengeance, c’est la mémoire ».

Châtiment, mémoire mais à propos de quoi ? A propos du National-Socialisme, une conception qui se voulait scientifique, qui a été la honte du milieu du XX siècle et d’une façon plus générale de l’Humanité toute entière.

Le chantre le plus connu c’est Adolf Hitler il n’en était pas le créateur réel. Dans le National- socialisme il y l’idée de race élaborée avant Darwin par trois personnalités.

D’abord le comte Joseph de Gobineau qui dans l’ « Essai sur l’inégalité des races humaines » lance ce concept de « race » et invente l’idée que de toutes les races, la « blanche », et au sein de la « blanche », 1″’aryenne » est la meilleure, la plus « pure ». Après lui un autre Français le Marquis de la Pouge, né en 1854. C’était un érudit, qui étudiait les insectes, la sociologie, le droit, l’histoire, un esprit qui se voulait curieux. Ayant entendu parler de Darwin, il emboîte le pas. Il commence par affirmer : il y a une nation, un

Peuple d’élite, c’est le peuple juif. C’est celui qui est resté le plus pur » finalement, puis il a changé d’avis totalement il en arrive lui aussi à vanter l’aryen comme fils des seigneurs, « . Ce Vache de la Pouge est probablement le vrai père du National-Socialisme, c’est lui qui a inventé ce mot d’ethnie employé maintenant si souvent. Dans sa conclusion une ethnie est un petit groupe social, qui pratique l’endogamie et qui, par conséquent, ne se mêle pas au reste de la société.

Troisième personnalité, un Anglais, – qui porte par ailleurs un nom illustre, le sien est méprisable -, c’est Houston Chamberlin. Ce Chamberlin n’a rien à voir avec l’homonyme qui fut premier ministre de la Grande-Bretagne au moment où la guerre a été déclenchée. Ce personnage est un névropathe, il a des visions, il devient l’ami du Kaiser d’abord, puis d’Hitler et il n’a cessé d’exciter l’un et l’autre dans les idées que je viens de résumer. Arrive Hitler qui est mis en prison à un moment – il avait raté son premier putsch – et dans les quatre murs de sa cellule, il a rédigé un livre « Mein Kampf ».

Qu’est-ce que ce livre ?

C’est un livre préfabriqué. Hitler n’est pas réellement un penseur politique, il a tout pris chez les trois personnes dont je viens de citer les noms mais aussi dans un publiciste allemand, dont il a démarqué l’œuvre en réalité, qui s’appelait Arthur Meuleur Von Der Bruck, qui venait d’écrire en 1923 un livre qui s’appelait « Le troisième Reich ». Adolf Hitler, dans ce même livre, se présente comme un autodidacte, avide de science, qui lui apporte la certitude dont il veut inonder le monde mais jamais il ne citera l’un des ouvrages qui auront été à la source de ses idées. C’est un faux autodidacte de deuxième main.

Dans cette œuvre de destruction raciste qui était préconisée, après les juifs, les Français étaient désignés comme les victimes de cette néo-sociologie. Voilà pour les origines.

Dès le début, dès Mein Kampf, la solution finale est dessinée. Ce sera la destruction, l’élimination. La solution finale est connue dès le début. Elle n’est pas écrite mais Goering et d’autres ont rapporté que, dès le début de la guerre, on connaissait l’ordre d’Hitler d’éliminer les juifs. Quand les troupes allemandes ont envahi la Russie, déjà des groupements qu’on appelait des Einsatzgruppen, procédaient à l’élimination dans des sortes de camions alimentés par les gaz d’échappement, à l’élimination de tous ceux qui apparaissaient indignes d’appartenir à la « race des seigneurs ».

Londres n’a pas manqué de s’émouvoir. L’information relative à ces atrocités, acheminée je ne sais trop comment par des allées et venues de résistants – et le Général de Gaulle a été un de ceux qui ont prononcé à Saint James, au début de l’année 1942, des paroles d’une extrême fermeté que je me permets de vous lire car elles sont très brèves : « Aujourd’hui, nos ennemis sont parvenus à faire régner sur l’Europe un régime de terreur plus effroyable…

…/….. En signant aujourd’hui cette déclaration commune, nous entendons proclamé solennellement que l’Allemagne est la seule responsable du déclenchement de cette guerre, qu’elle partage avec ses alliés et ses complices – il faut penser à Vichy – la responsabilité de toutes les atrocités qui en découlent, manifestons notre ferme intention de travailler à ce que tous les coupables ne puissent pas éluder comme ils le firent après les deux autres guerres le châtiment mérité.

Les Allemands ont bien entendu persévérer et à Wansee, faubourg de Berlin, le 10 juin 1942, la SS, Himmler et autres – ils étaient quinze – ont tenu une réunion qui se voulait secrète, au cours de laquelle on a élaboré par écrit l’ordre de rassembler dans tous les pays tous ces « indignes » et de les envoyer dans les camps.

Les Alliés se sont dit qu’il fallait aller plus loin, qu’il fallait apporter une novation. Autrefois, la guerre, c’était le vaincu qui souffrait et le vainqueur qui imposait sa loi. Les Alliés vont montrer une nouvelle voie : ce n’est pas le vainqueur qui va juger, c’est l’humanité. Jamais dans l’histoire du monde, cela ne s’était produit. De là est sorti le statut du tribunal de Nuremberg dont je vous ai fait distribuer les passages qui marquent ce changement, il est signé des quatre grands : la France libre, la Grande-Bretagne, l’URSS, les Etats-Unis. La lecture en est complexe. M. Churchill n’y a adhéré qu’avec peine. Article I : les responsables de l’axe – accord Berlin, Rome. Article VI : un plan concerté : les ordres d’Hitler. Trois crimes sont prévus : le crime contre la Paix, c’est la guerre de conquête, contre la Pologne par exemple ; les crimes de guerre, expression datée de 14-18, crime commis par la troupe contre les civils, ex. Oradour-sur-Glane ; le crime contre l’Humanité, innovation essentielle, assassinat, extermination, sont confondus des notions fort différentes. Le crime contre l’Humanité, c’est celui inspiré directement par le nazisme, qui condamne cette prétendue supériorité de 1″’aryen ». M. Badinter a préféré, à la suite d’un arrêt de la Cour de Cassation qui a eu le courage d’assimiler les Résistants aux juifs, détacher de ce paragraphe des crimes contre l’Humanité ce qui constituait en réalité le crime de génocide proprement dit qui est devenu l’Article 211 – 1 du nouveau code pénal, qui dit « constituer un génocide, le fait en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, etc. Le crime contre l’Humanité qui ne procède pas de ce mobile honteux de la « race », de l’ethnie, prend une autre place dans le code pénal.

Dans le texte de Nuremberg, vous ne trouverez pas un mot sur l’imprescriptibilité. Les Anglo-saxons ne connaissent pas très bien cette notion qui en droit français est plus fondamentale. Une loi de 1964, votée à l’unanimité par le Parlement français, a décidé que les crimes contre l’Humanité étaient imprescriptibles. Elle n’était pas rétroactive. Le Ministre des Affaires étrangères, en 1979, a publié son avis : il est de l’essence du traité de Nuremberg de comporter l’imprescriptibilité de ces crimes abominables. Voici du point de vue juridique, le plus rapidement tracées que je l’ai pu, les règles élémentaires à connaître sur ces questions.

Monsieur le Président Claude Jorda

Christine Levisse-Touzé Directeur du Mémorial du maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris et du Musée Jean Moulin (Ville de Paris) Directeur de recherche associé à l’université de Montpellier III.

L’épuration à Alger

La création du Comité français de libération nationale le 3 juin 1943 à Alger sous la double présidence du général Giraud et du général de Gaulle est un tournant dans l’histoire de la France au combat. De Gaulle a obtenu que Marcel Peyrouton, gouverneur général de l’Algérie et le général Noguès, résident général du Maroc jugés trop proches du gouvernement de Vichy soient écartés. Il a, le 8 août 1943, d’une formule lapidaire annoncé l’épuration :  » Le pays, un jour, connaîtra qu’il est vengé.  » Jean-Pierre-Bloch, adjoint d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, au Commissariat à l’Intérieur, se fait l’écho des représentants de la Consultative, car  » L’épuration manquée en Algérie permettrait aux collaborateurs de redresser immédiatement la tête en France après la libération « . Par une ordonnance du 3 septembre, le CFLN s’est engagé à assurer au plus tôt l’action de la justice contre  » ceux qui ont capitulé ou collaboré avec l’ennemi (.) Qui ont livré les travailleurs français à l’ennemi et fait combattre des forces françaises contre les alliés ou contre ceux des Français qui continuaient la lutte « . La collaboration avec l’ennemi et  » l’abdication de la souveraineté nationale  » sont qualifiées d’actes de trahison. Pétain est directement visé. Des mesures sont prises concernant l’épuration : procédures sommaires ou judiciaires auxquelles sont soumis des Français accusés de trahison, de collaboration, de crimes et de comportements liés à l’occupation et à la collaboration avec l’ennemi. Une commission d’épuration de cinq membres présidée par le syndicaliste Charles Laurent, délégué à l’Assemblée consultative doit effectuer en Afrique du nord  » le criblage des dossiers des élus, fonctionnaires et agents publics qui, depuis le 16 juin 1940, ont, par leurs actes, leurs écrits ou leur attitude personnelle, soit favorisé les entreprises de l’ennemi, soit nui à l’action des Nations unies et des Français résistants, soit porté atteinte aux institutions constitutionnelles, et aux libertés publiques fondamentales. « 

Les autorités militaires :

L’épuration commence dans l’armée avec la création le 15 août 1943 de la Commission spéciale d’enquête de Tunisie, présidée par le doyen de la faculté de droit d’Alger, le professeur Viard, membre du mouvement Combat créé début 1942 par René Capitant. Elle doit établir les  » conditions dans lesquelles les forces armées de l’Axe ont pu pénétrer en Tunisie en novembre 1942 et déterminer les responsabilités encourues par les autorités civiles et militaires au cours de ces événements «. Sont examinés les rôles de Darlan et du général Noguès, du général Barré, commandant supérieur des troupes de Tunisie, de l’amiral Moreau, préfet maritime de la IVème région d’Alger, du général Mendigal, chef des forces aériennes, de l’amiral Esteva résident général en Tunisie. Les responsabilités du général Juin sont établies mais vite étouffées car de Gaulle n’y donne pas suite. Les raisons de sa clémence s’expliquent probablement dans l’esprit de corps à l’égard du camarade de à Saint-Cyr, major de la promotion  » Fez « . Il lui reconnaît des qualités de meneur d’hommes et de stratège au moment où il à tant besoin de chef de valeur pour réunifier l’armée jusque-là divisée entre l’Armée d’Afrique et les Forces Françaises libres. Ces mesures de clémence ne concernent pas l’amiral Esteva, ancien résident général en Tunisie, arrêté le 22 septembre, le général Bergeret, adjoint de Darlan, arrêté le 20 octobre, Marcel Peyrouton, ancien gouverneur de l’Algérie, le général Boisson, gouverneur général en Afrique-Occidentale française et Flandin le 11 décembre. Les amiraux Michelier et Derrien respectivement commandant la Marine au Maroc et en Tunisie sont déjà incarcérés,

Les Premiers procès, Les tortionnaires des camps :

Le tribunal d’armée juge au début de l’année 1944, les tortionnaires du camp d’Hadjerat M’Guil, responsables de la mort de 9 internés, puis ceux du camp de Djenien-Bou-Rezg. Il existait encore au premier trimestre 1943, une vingtaine de camps où étaient détenus encore quelques 15 000 détenus dont 7 000 Français. Les prisonniers appartiennent aux catégories pourchassées depuis novembre 1938 : communistes français et autochtones, nationalistes algériens, républicains espagnols, anciens des Brigades internationales, Allemands, Autrichiens,  » indésirables  » suivant l’expression du gouvernement de Vichy, envoyés par lui en Afrique du Nord afin de limiter  » l’effort  » de la métropole qui ne veut pas subvenir aux besoins pourtant réduits de ces apatrides. Il y eut des morts d’hommes dans ces camps, causées soit par des retards d’hospitalisation, soit à la suite de mauvais traitements comme ce fut le cas pour les deux camps précédemment cités. Des membres de la Phalange africaine engagée aux côtés des forces de l’Axe pendant la campagne de Tunisie sont jugés : quatre sont condamnés à mort, deux aux travaux forcés à perpétuité et deux à dix ans de travaux forcés. Le procès est largement couvert par La Dépêche algérienne jusqu’à ce que le procès Pucheu lui enlève la Une.

Le procès Pucheu Ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy de février 1941 à avril 1942 :

Son nom est associé à la mise en place des juridictions d’exception, les Sections Spéciales, après l’attentat du 21 août 1941 à Paris. Les Allemands ont menacé alors de prendre cent otages, sauf si le gouvernement de Vichy institue un tribunal spécial réprimant les menées communistes. Le point de vue de Pucheu a prévalu au détriment de celui du ministre de la Justice Barthélémy. Il préfère sélectionner les otages et envoyer des communistes au poteau. Il reste au pouvoir jusqu’au retour de Laval en avril. Peu après le débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie, le 8 novembre 1942, il tente de changer de camp, passe en Espagne et adresse à Giraud plusieurs demandes d’engagement militaire. Celui-ci lui répond favorablement le 15 février 1943. Pucheu arrive à Casablanca au début de mai. Giraud arguant d’impératifs de sécurité liés à la campagne de Tunisie, donne presque aussitôt l’ordre de l’interner à Ksar es-Souk dans le sud-marocain pour agitation politique. Mais il est officiellement arrêté le 14 août 1943 sur ordre du Comité français de libération nationale. Giraud, en tant que commandant en chef, aurait pu refuser de signer l’ordre d’incarcération ; il ne le fait pas. Il est favorable à un jugement ultérieur lorsque la nation indépendante et souveraine aura librement choisi de déterminer les responsabilités et de prendre des sanctions. Le procès s’ouvre le 4 mars 1944. Les débats sont passionnés. Les chefs d’accusation portent sur l’instauration des sections spéciales, la collaboration, la police au service de l’armée d’occupation. En dépit de l’intervention de Fernand Grenier, député communiste évadé du camp de Châteaubriant, qui a rejoint Londres le 11 janvier 1943 porteur d’un mandat officiel du PCF pour le général de Gaulle, l’affaire des otages exécutés le 22 octobre 1941 n’est pas retenue faute de preuves écrites. Giraud, à la barre, déclare tout ignorer des activités de Pucheu mais sous le choc de la mort de sa fille en déportation les jours précédents, ne le défend pas. Le 11 mars, Pucheu est condamné à mort à la majorité. Le 17 mars Giraud demande au général de Gaulle une commutation de peine qui la refuse. Le Chef de la France libre estime avoir des devoirs à l’égard de la Résistance dont le sacrifice est important. Il déclare  » Je le dois à la France  » Une tendance favorable à l’exécution s’est manifestée dans la Résistance métropolitaine et de Gaulle s’incline devant une intervention qu’il estime justifiée par les sacrifices consentis dans la clandestinité. Pucheu est exécuté le 22 mars 1944.

Jean-Louis Crémieux-Brilhac souligne très justement que  » l’épuration en Afrique du Nord, dans la mesure où elle dépend de De Gaulle, combine la mansuétude et les grands exemples  » L’expérience nord-africaine de l’épuration n’est qu’un prélude sur un terrain particulier. La population n’a connu, ni fusillades, ni prise d’otages, ni déportations de masse sauf la Tunisie qui pendant six mois a été occupée par les forces germano-italiennes. Frenay qui rêve de créer un grand parti de la Résistance souhaite ce qu’écrivait Simone Weil  » que les défaillances des hommes de second plan et au-dessous, survenues après la défaite soient oubliées. Autrement la France vivrait des années dans une atmosphère atroce, dégradante, de haine et de peur. « 

Claude JORDA Président du Tribunal Pénal International

Réélu pour un second mandat de deux ans, à la première présidence du Tribunal Pénal International de La Haye, – Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie -, créé par l’ONU en 1993.

L’émotion qui nous a tous étreint lorsque nous avons entendu Mme Chombart de Lauwe relater ce qui se passait dans la réalité des camps, rapportée à la conception de M. Winston Churchill ou celle que nous entendons aujourd’hui rapportée sur ce que serait l’éventuel procès des terroristes qui ont initié le plan d’attaque contre le World Trade Center, m’amène à penser qu’entre l’exemplarité par un procès et l’exécution sommaire, il y a place à l’application du droit, application du droit né de notre civilisation. Car s’il est vrai que la paix doit se faire en s’accompagnant de la justice, je crois que c’est l’œuvre des institutions internationales que de mettre en place les processus judiciaires. Je suis ici comme témoin pour vous dire la difficulté de la mise en place du développement d’une justice pénale internationale. Je suis ici également pour vous dire que c’est possible, que c’est faisable. Le Tribunal Pénal International que j’ai l’honneur de présider, auquel j’appartiens depuis ces débuts, est né en quelque sorte par défaut. D’abord, par défaut d’une Cour pénale internationale permanente qui peut-être va voir le jour dans un délai relativement rapproché. Par défaut aussi, par la difficulté de mettre en place des mesures pour arrêter la barbarie. Il ne faut pas tout confondre, les crimes de guerre, les crimes commis par la troupe enserrée dans un cadre textuel ancien, et la barbarie, la forme la plus totale, celle connue par les déportés. La barbarie se manifeste aussi sous d’autres formes, je les vois tous les jours au cours des procès organisés à La Haye.

Ce Tribunal a une légitimité. Il a été créé dans un moment de panique. La communauté internationale ne savait plus quoi faire. Pas moins de vingt-deux ou vingt-cinq résolutions du Conseil de sécurité pour essayer de mettre fin à ces guerres balkaniques, interethniques, entre les Musulmans, les Serbes, les Croates sur le territoire de cette malheureuse Bosnie qui a été à l’origine territoriale du premier conflit mondial. Le Conseil de sécurité – je le dis pour les juristes de la salle – a fait œuvre d’une créativité extraordinaire, sans précédent. Le seul précédent connu de justice internationale, organisée, était Nuremberg auquel on associe Tokyo, procès des grands criminels de guerre japonais. Nuremberg est resté dans la mémoire sous une double appréciation : sur sa naissance qui faisait dire que c’était une justice de vainqueurs, mais surtout sur l’exemplarité de ces travaux, comme quoi souvent une justice née dans la précipitation peut faire la preuve de son exemplarité à travers l’application qu’elle en donne.

Le Conseil de sécurité s’est saisi, à la faveur des pouvoirs qui lui sont donnés dans le chapitre VII de la Charte, pas moins de vingt-deux résolutions qui avaient tout utilisé : les embargos sur les armes, les blocus de toutes sortes, les forces d’interposition, tout avait été utilisé, le conflit perdurait, accompagné de cet horrible concept de « purification ethnique » qui florait de façon nauséabonde ce qui avait été commis cinquante ans auparavant. C’est donc le Conseil de sécurité qui donc, ne sachant plus quoi faire, et avec une bonne dose d’alibis, a dit : nous allons créer un Tribunal Pénal International. Il a été créé, je dois dire, dans une relative indifférence et ces débuts ont été chaotiques. Il n’y avait rien. Rien, c’est vraiment rien : pas de locaux, pas de budget, pas de prison, pas d’accusé, pas de procureur. Il y avait onze juges, maintenant nous sommes seize. Onze juges venus des cinq continents, élus par l’Assemblée générale des Nations Unies à la majorité absolue des Etats. Ces juges ne disposaient pas d’un code de procédure pénale, pas de règlement de procédure, pas de règlement de la détention, pas de règlement pour les avocats, pas de règlement intérieur. Nous nous sommes mis au travail, d’autant que nous n’avions pas de procès immédiats.

Quels étaient les objectifs que poursuivait la création de ce Tribunal ?

Comme toute juridiction, un tribunal est fait pour poursuivre, juger, châtier ou acquitter. C’est la première mission de toute juridiction sur des bases démocratiques et sur des standards internationaux de droit humanitaire.

S’agissant d’un tribunal international, un autre objectif se dessine, d’ordre pédagogique. Travailler pour l’histoire. Dire ce qui s’est passé, démonter le plan. Essayer de démontrer par exemple pour les générations futures qui a conçu la « purification ethnique », qui a eu l’idée de dire qu’un territoire doit être vidé de sa population parce qu’elle est musulmane. De ce point de vue, je concède tout à fait que rien n’est plus horrible à mes yeux que la Shoah. La purification ethnique est « Otes-toi de là parce que tu es musulman ».

La troisième mission de ce Tribunal est aussi prévenir la récidive, c’est-à-dire faire en sorte que ces événements ne se reproduisent pas et essayer de faire reculer l’impunité des chefs d’Etat, des chefs de gouvernement, des chefs militaires, de tous ceux qui ont une responsabilité dans le déclenchement des guerres. Avec une limite : le Tribunal ne connaît pas de crime d’agression, concept qui figurera dans la prochaine Cour pénale.

Cette dimension est donc judiciaire, et politique, historico-pédagogique.

La compétence du Tribunal est matérielle – les juristes reconnaîtront cette notion – et applique une sorte de code pénal – notre statut fait trente-cinq articles, il est un condensé de ce que serait notre code de l’organisation judiciaire, un peu de procédure mais suffisamment pour indiquer les axes majeurs, un minimum de code pénal, quatre incriminations, quatre crimes : les violations et coutumes de guerre, les infractions aux conventions de Genève, les crimes contre l’humanité, les génocides. Voilà notre corpus juridiques que nous devons appliquer.

Au plan personnel, le Tribunal prévoit dans son statut, comme c’était prévu à Nuremberg, que les chefs d’Etat, les chefs de gouvernement ne pouvaient pas exciper de leur qualité pour se soustraire au jugement qui pourrait leur être destiné.

J’en reviens à la procédure extrêmement complexe à mettre en œuvre. Nous n’avions pas de précédent. Le procès de Nuremberg a utilisé peu de procédure, le règlement de procédure faisait onze ou douze articles. Nous, lorsque nous avons été créés, s’était empilé cinquante années de conception de droit international humanitaire. Nous avons fait un code de procédure qui au départ était orienté vers un code de procédure anglo-saxon. Pourquoi ? parce que les juges étaient en majorité originaire de ce système, mais surtout parce que les statuts, dans ces quelques dispositions, avaient indiqué quelques axes majeurs notamment qu’il n’y avait pas de juge d’instruction, que c’était le procureur qui assurerait la conduite des enquêtes mais aussi les poursuites à l’audience et que d’autre part, l’accusé, par exemple, serait son propre témoin s’il le souhaitait. C’est ainsi donc que nous avons commencé à fonctionner.

Un rapide bilan du Tribunal.

Nous sommes à l’orée de notre troisième mandat – mandat de quatre ans. Je situerai globalement ces deux premiers mandats sous les thèmes suivants. Le premier mandat, c’est la mise en place de cette institution, ses débuts, c’est-à-dire les premières arrestations et les premiers procès qui vont poser les questions les plus fondamentales au Tribunal, notamment la question de sa légitimité, de sa légalité, car cette question s’est posée dès notre premier accusé, M. Tadicz. Est-ce que ce Tribunal est légal ? Par qui va-t-il été créé ? Le Conseil de sécurité était-il habilité à créer un tel tribunal ?

Par ailleurs, ce sont poser également les questions de définition des infractions. Notre code est incomplet manifestement. Certes, chaque incrimination dit bien, par exemple, le crime contre l’humanité qu’il s’agit d’une attaque visant des populations civiles mais il y a les sous qualifications telles que le viol, à quelles conditions peut-il rentrer dans la catégorie des crimes contre l’Humanité ? Cela a été jugé ces temps-ci et j’ai le procès en appel à l’heure actuelle. J’ai oublié de vous dire que ce Tribunal est composé de trois Chambres, trois Chambres de trois juges et d’une Chambre d’appel de cinq juges. Le Président du Tribunal, président de droit à la Chambre d’appel et président de la Chambre d’appel du Tribunal international pour le Rwanda, créé une année après que le génocide ait éclaté à la face du monde.

Le bilan actuel du Tribunal du deuxième mandat : c’est là que les difficultés de la mise en place d’un système de justice internationale se sont révélées les plus importantes.

Dès le départ, nous nous sommes heurtés au manque de coopération des Etats, et au manque bien sûr de coopération des Etats de la région. Je vous rappelle que le Tribunal a été créé en mai 1993, les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre datent de juillet 1995. De sorte que pendant que le Tribunal essayait d’arrêter les inculpés, la communauté internationale négociait la paix avec ces mêmes personnes. Donc complexité à la mise en œuvre d’une justice internationale lorsque le conflit n’est pas terminé. De ce point de vue, Nuremberg était dans une position plus confortable que nous à La Haye, et je dirais même aussi au Rwanda, il est plus confortable que le sort des armes se soit prononcé avant la création d’un système judiciaire, espérant bien sûr que le sort des armes soit du côté du bien et non pas du côté du mal.

Problème qui malgré les progrès effectués n’est toujours pas complètement résolu, et je lisais avec satisfaction que le président Chirac rappelait à nouveau les obligations internationales que MM. Custoniza et Djijik se doivent.

Mais cette obligation de coopération concerne plus subtilement encore non seulement les arrestations mais la fourniture des preuves. Il n’y a pas de procès équitable sans preuve équitablement fournie. C’est là que cela devient très compliqué. La distinction entre Etat « vertueux » et Etat qui le sont moins est plus complexe, dans ces guerres balkaniques notamment, beaucoup d’autres Etats que les trois concernés ont pu interférer par forces d’interposition interposées. La disposition des preuves est une recherche rendue toujours plus compliquée.

Beaucoup d’arrestations sont arrivées par la suite. La communauté internationale s’est mobilisée progressivement en faveur de ce Tribunal pénal, comme celui du Rwanda, les premiers accusés sont arrivés, d’abord de niveau « moyen », puis les accusés majeurs, aujourd’hui, nous avons cinquante accusés au quartier pénitencier de Schevereningen, six procès en cours, dix accomplis.

Si je devais formuler sur ces deux mandats qui viennent de s’écouler un certain nombre d’observations, je dirais par rapport aux missions dévolues à ce Tribunal

la mission judiciaire proprement dite a été et est accomplie. Avec beaucoup de difficultés mais accomplie. Nous avons mis en place toute une série de réformes qui m’amènent à vous dire que ces procès s’effectueront dans des conditions, j’espère, exemplaires ;

la mission pédagogique a été aussi accomplie.

…/… Srebrenica, le siège de Sarajevo ne sont plus uniquement des lieux décrits par des journalistes ou des innombrables rapports déposés par les représentants spéciaux du Secrétaire général de l’ONU, ce sont des faits judiciaires qui ont été exposés dans des audiences publiques au Tribunal de La Haye.

Pour être complètement objectif, nous avons échoué sur la récidive. Au cœur de tout juge, il y a toujours une brûlure, et notamment pour le juge international qui vous parle, de savoir que nous étions créés depuis deux ans lorsque l’enclave de Srebrenica est tombée, nous étions créés depuis cinq ans lorsque la guerre a repris au Kosovo. Peut-être l’arme judiciaire n’est-elle suffisamment forte ? Peut-être la justice n’est-elle pas le bras armé qu’on peut supposer ? Peut-être que la paix ne peut pas se faire sans justice mais il faut que la paix soit conquise par ceux qui sont du côté de l’ordre et de l’ordre de la paix publique internationale. C’est une de mes observations.

Dernier point : quelles traces pouvons-nous laisser de ce Tribunal, quand nous aurons fini nos travaux ?

Certainement, nous avons aidé un peu cette Cour pénale internationale que depuis 1945 tout le monde civilisé appelle de ses vœux. Je crois que nous avons pu montrer que c’était faisable, possible. Certes lentement, certes avec de grandes difficultés, mais que la justice internationale était possible. A preuve, avant hier, la quarante-septième ratification est intervenue. Il ne reste plus que treize ratifications pour que la Cour se mette en place à La Haye, nous espérons tous que ce sera dans le courant 2002.

Nous avons peut-être un peu fait reculer l’impunité des chefs d’Etat qui, tyrans patentés, se croient toujours à l’abri soit dans leurs exils dorés soit même lorsqu’ils choisissent malencontreusement une clinique pour faire soigner leur maladie. C’est vrai que nous avons vu dans la décision des Lords renvoyer le général Pinochet une référence très précise à une décision que nous avions prise dans une procédure un peu spéciale de pseudo-contumace menée contre MM Karajic et Najic. Nous avons de ce point de vue-là peut-être dessiné un modèle possible. Cela étant, je crois que lorsqu’on crée un instrument de justice internationale aussi lourd que celui-ci, il faut bien travailler à l’intérieur avec modestie et ténacité, nous ne poursuivrons pas tout le monde, nous ne serons pas les seuls à pouvoir créer la réconciliation nationale. Je prône pour le nouveau mandat qui s’ouvre de réinvestir les juridictions nationales du droit de poursuivre certains de leurs criminels, certainement pas les plus élevés, à la condition toutefois que ces juridictions soient démocratiques et que les procès qui y sont conduits ne soient pas des procès de pure façade. Je crois aussi qu’on peut aider à mettre en place des commissions de réconciliation faisant mienne le beau propos du philosophe Paul Ricœur qu’un peuple ne peut pas rester indéfiniment fâché avec lui-même.

Je voudrais en terminer en disant que l’œuvre de justice internationale est en marche. On parle de justice internationale en Sierra Leone, au Timor oriental, au Cambodge. On parle de la Cour pénale internationale. C’est vrai qu’en œuvrant dans ce tribunal, j’ai pu vérifier ce que notre homme en débarquant sur la lune avait pu dire : « c’est un petit pas pour l’Homme mais c’est un grand pas pour l’Humanité ».

Questions /réponses

  1. Robert C.

Ancien du troisième régiment de commando de l’armée israélienne en 48, ancien des Forces françaises d’occupation en Allemagne. J’aurai une question pour chacun de vous, Messieurs et Mesdames.

A M. Mattéoli, d’abord. Sans l’intervention de M. Edgard Bronkman et du sénateur Damato à New-York, qui a littéralement mis le couteau à la gorge des Suisses, ne croyez-vous pas que le fait que la République française, pendant cinq décennies, s’est endormie sur le processus de restitution des biens en déshérence spoliés aux Juifs, sachant pertinemment, parce que un défaut que les Français n’ont pas est celui de la bonne comptabilité et de la bonne gestion, même des 252 centimes qui ont été prélevés sur un déporté en instance de départ pour Auschwitz, à Drancy, ont été consignés à la Caisse de dépôt et de consignation. Ma question est- les juristes éminents qui sont ici ne me démentiront pas – que le code pénal qualifie ce genre de comportement du nom de recel.

Ma question est : ne croyez-vous pas que l’attitude de la République française était une sorte de révisionnisme ?

Jean Mattéoli

Cette question s’adresse à moi. Je suis assez heureux qu’elle s’adresse à moi puisque je suis intervenu, modestement mais je suis intervenu quand même, pour lui apporter une réponse. Tout d’abord, réponse brève et précise à votre question : s’il n’y avait pas eu une sorte de mobilisation presque générale pour poser le problème tel que vous venez de le poser, peut-être n’y aurait-il jamais eu de réponse. Je crois que cela doit être dit. Et s’il y a eu une réponse, c’est bien parce que des pressions se sont exercées par toutes sortes de voix politiques et médiatiques qui ont convaincu le gouvernement français. Il l’a fait dans les conditions que vous savez. Il a créé une mission d’étude sur la spoliation des Juifs de France, mission d’étude que j’ai eu l’honneur de présider et qui a pu effectivement faire deux œuvres : la première, de nature un peu générale, constater qu’effectivement il y avait eu spoliation d’un certain nombre de nos compatriotes tout spécialement parce qu’ils étaient juifs et non pour d’autres raisons. Deuxième question : était-il possible d’obtenir, plutôt de délivrer réparations à ceux qui avaient été victimes de cette spoliation et dans quelles conditions ?

A la première question, il a été répondu oui d’une manière très claire, m’va-t-il semblé. Nous avons constaté qu’effectivement les Juifs, parce qu’ils étaient juifs, avaient été les victimes d’une forme de spoliation qui n’avait atteint aucune autre composante de nos populations où qu’elle se soit trouvée, en France ou ailleurs. Le premier problème a quand même reçu un début de solution – je ne dis pas que la solution ait été parfaite, qu’elle ait été complète – il y a eu un début de solution. Et ce début de solution, vous le connaissez, puisque effectivement cette mission a étudié, s’est prononcée, a fait des propositions, dont pour certaines d’entre elles ont été suivies. A la deuxième question que vous avez posée, il est peut-être un tout petit peu difficile de répondre parce qu’elle n’est pas aussi factuelle mais je crois qu’on peut dire quand même que d’une manière générale, les spoliations dont les Juifs ont été victimes – j’aurais préféré qu’on trouve un autre mot que spoliation – les mesures dont les Juifs ont été les victimes, ce qui montre bien que ces mesures n’étaient pas souhaitables, ces mesures ont été prises par ce qui servait de sup cause des Juifs pour leur retirer un certain nombre de leurs droits. C’est ce qui a été fait, c’est à quoi nous avons tenté, peut-être mal, nous avons tenté de nous opposer.

Bâtonnier François-Xavier Mattéoli quant à l’autorité d’un gouvernement français. Les réponses qui ont été apportées à ces questions sont-elles été satisfaisantes ? Je ne le dirai pas puisque j’y ai participé. Je crois quand même qu’elles ont ouvert la porte à un certain nombre de réflexions qui sont sans doute utiles, dont je souhaite qu’elles aient servi à ouvrir nos consciences et nos yeux sur ce qu’ont eu de condamnable les mesures de spoliation dont les Juifs avaient été les victimes. Et quand il a été dit tout à l’heure qu’en vérité, c’était la spoliation de la Shoah qui avait été en cause, cela veut bien dire que seule, l’appartenance, – excusez-moi, ce n’est certainement pas la bonne terminologie que je vais employer, mais je pense qu’elle est compréhensible à tout le monde – l’appartenance au peuple juif qui constituait le motif même de la mise en détention.

J’ai une question technique pour M. Jorda. Vous avez dit à la fin de votre propos que vous ne souhaitiez pas avoir compétence, enfin traiter tous les problèmes de crimes contre l’Humanité et laisser aux Etats la possibilité de les traiter eux-mêmes.

Que pensez-vous de la compétence universelle que l’on rencontre de plus en plus et notamment en Belgique ?

Seconde question sur la Cour pénale internationale : que pensez-vous de la position des Etats-Unis qui refusent d’y adhérer ?

  1. Jorda

Sur la deuxième question : je condamne bien sûr la position des Etats-Unis, d’avoir adhéré mais de ne pas ratifier, ne pas partir dans ce grand mouvement de justice internationale. D’ailleurs je dois dire le drame de l’histoire des Etats-Unis, c’est qu’en fin de compte c’est l’Etat qui ne veut pas ratifier et qui finalement a été atteint par l’un des plus odieux attentats du 11 septembre. C’est vrai que je ne peux que déplorer qu’on s’engage dans un processus judiciaire, qu’on appelle réponse d’un pays en guerre, mais qu’on s’engage dans un processus judiciaire mais qui effectivement ne me paraît pas être, avoir un lointain rapport avec un processus judiciaire.

Les juridictions nationales : je suis confronté à un tribunal qui est asphyxié par les affaires où la politique pénale des procureurs, peut-être pour des raisons historiques, ne s’est pas exercée en allant directement vers les plus hauts dirigeants. Ce qui ne veut pas du tout dire que le tribunal n’est pas utile pour le progrès du droit international humanitaire, tous les procès ont beaucoup servi au début du tribunal pour façonner la jurisprudence en matière de droit international humanitaire. Mais, je demeure persuadé que la véritable mission d’un Tribunal pénal international, c’est de juger les concepteurs, les planificateurs, ceux qui ont pu concevoir la purification ethnique. De ce point de vue-là, je pense que eux doivent être à La Haye et au premier rang desquels, non seulement M. Milosevic, mais également Radovan Karazich, le général Vladich. Je crois que nous n’aurons achevé notre mission que quand nous aurons procédé aux jugements, en tout cas aux jugements, en toute équité d’ailleurs, avec la présomption d’innocence de tous ces personnages. Maintenant je crois aussi que quand un pays affleure à la vie démocratique, c’est vrai qu’il a tendance aussi à vouloir récupérer ce qui est quand même l’instrument même de la souveraineté qu’est la justice. Alors attention, il ne s’agit pas de leur donner, c’est ce que j’ai dit au Conseil de Sécurité, il ne s’agit pas de leur déléguer tout, les yeux fermés, pas du tout. Il faut mettre en place des observateurs internationaux, peut-être même des juges internationaux, composés de juridictions. Je vais m’y employer dès le premier trimestre, avec le procureur notamment en Bosnie-Herzégovine.

La compétence universelle : je vais vous surprendre, je ne suis pas un farouche partisan de la compétence universelle. Cette idée consistant à dire que dans tout Etat, on peut juger n’importe quelle personne qui se présente au prétexte qu’à l’autre bout de la planète, on aurait commis un crime contre l’Humanité est une très belle idée. Je crois que l’exemple de la Belgique montre que c’est une idée tout à fait impraticable. Qu’on le veuille ou non, Maître Mattéoli – j’ai compris que vous étiez le fils de votre père – qu’on le veuille ou non, la société internationale est gouvernée par les Etats, et je dirais même heureusement. L’expérience montre d’ailleurs politiquement que lorsque les Etats ne sont pas là pour essayer d’introduire un peu d’ordre dans la société, parfois ils y introduisent le désordre c’est vrai, je crois que c’est qu’on le veuille ou non, c’est une donnée.

Je crois difficilement à un système comme cela un peu abstrait et qui fait qu’à notre époque, tout chef d’Etat, qui peut avoir quelque chose à se reprocher sur la conscience, ne peut plus survoler le moindre territoire sans être poursuivi. Alors, certainement, je dois vous décevoir, mais je pense que c’est d’une praticabilité dont Bruxelles a montré maintenant toutes les limites. Finalement, ils ont jugé sur la compétence universelle deux sœurs, deux religieuses, impliquées dans le génocide rwandais, et puis ensuite ils sont aux prises avec une multitude de plaintes émanant de tous côtés. Je crois que ça introduit aussi beaucoup de désordre. Voilà pourquoi je suis plutôt prudent sur la compétence universelle.

François-René Cristiani

D’autant que dans le cas précis de la Belgique, cette compétence universelle est proclamée par un État et par lui-même seulement.

Claude Jorda

Absolument.

François-René Cristiani Et pas par la communauté internationale au seuil de l’ONU ou du Conseil de sécurité.

Mme Laurence A.

Avocat et Secrétaire général de l’Observatoire international du droit de la bioéthique et de la biomédecine, association créée sous l’impulsion du Bâtonnier Petiti, juge à la Cour Européenne. A cet égard, je souhaite insister sur les deux missions : M. le président Jorda, vous avez parlé de la mission judiciaire, mais également de la mission pédagogique. Je pense qu’il est très important d’insister sur cette mission pédagogique qui doit s’accomplir, notamment dans tous les milieux, à savoir aussi les étudiants en médecine, les étudiants avocats ou magistrats. Je crois qu’il doit y avoir davantage de pédagogie pour former, sensibiliser les nouvelles générations à ces problèmes de crimes contre l’Humanité. D’ailleurs, vous l’avez tous relevé. Je dois dire que l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris a créé, cette année, un nouvel enseignement sur les crimes contre l’Humanité, je souhaitais le souligner.

Claude Jorda

Nous essayons de la faire à La Haye. Nous recevons beaucoup d’universitaires, beaucoup de jeunes, de lycéens, notamment européens évidemment. Simplement, je voudrais dire que nous avons eu un moment très intense lorsque l’Association des enfants d’Yzieux est arrivée à La Haye, a passé deux jours, et avec des étudiants qui essaient de terminer leur mémoire, ils sont venus assister à des procès des crimes contre l’Humanité.

François-René Cristiani

Une autre question ? Je sais que les jeunes en ont puisqu’on m’a apporté une feuille du lycée Jean Lurçat à Paris. Je lis les questions par écrit mais ce serait aussi bien qu’ils les posent en direct. On ne me fera pas croire que les jeunes ont peur des micros…

Vous allez me permettre de les poser en leur nom et en particulier

« Quelle importance – nous dit Pierre Antoine – donnez-vous à la mémoire du passé pour instaurer l’universalité des droits de l’Homme ? », et il ajoute : « Quelle importance donnez-vous à une juridiction internationale pour instaurer l’université des droits de l’Homme ? »

Claude Jorda

Je pense avoir à peu près non pas répondu évidemment, mais il me semble que tout ce qui se passe à l’heure actuelle autour de la création de la Cour pénale montre bien que nous sommes dans cette voie. Mais je crois que rien ne peut se faire quand on est dans une culture de recul de l’impunité sans puiser dans les témoignages de ceux qui ont souffert et ceux qui ont vécu ces moments terribles. Rien ne peut se faire. Et je crois que les deux mouvements sont complémentaires l’un de l’autre. Une réunion comme celle-ci me paraît en être la meilleure illustration.

François-René Cristiani

Une autre question qui me vient du même établissement, mais qui est plus une remarque puisque le professeur a fait remarquer qu’à l’issue de son cours sur les droits de l’Homme, certains élèves écrivent que ces droits de l’Homme ne sont pas universels car la religion serait au-dessus d’eux. Alors, quels contenus fondamentaux envisageriez-vous – dit le professeur – de proposer au ministère de l’Education nationale pour instruire les lycéens sur ce point et pour nourrir un débat comme celui-là ?

C’est vrai qu’on est au cœur d’un débat dont les médias, et France Culture de temps à autre, parlent. Ce sont effectivement des débats qui confrontent ce qui est de l’ordre de l’exhibition de l’appartenance à telle ou telle religion. Mais il est vrai aussi que, de temps en temps, il y a un courant qui est celui de l’universalité des droits de l’Homme qui peut, dans certains pays, être mis en question et qu’on reproche à ce moment-là à ces pays, et comme par hasard aux pays occidentaux, de développer avant tout un certain droit de « l’Hommisme », comme on dit, que d’autres peuvent en effet contester et mettre en résonance d’une façon différente.

Marie-José Chombart de Lauwe

Cela rejoint, d’une façon plus générale, les questions qui me sont actuellement assez souvent posées dans les établissements scolaires par non seulement les professeurs d’histoire mais également les professeurs de philosophie. C’est de voir justement ce qui est fondamental à l’espèce humaine au-delà même des religions. Qu’est-ce que c’est que l’être humain ? Quels sont les droits des peuples ? C’est une réflexion au niveau éthique. La part du droit s’inscrit dans toute cette réflexion qui est à la fois historique et philosophique. Par exemple, le rapport entre l’Histoire, des archives, des données objectives et une mémoire vécue.

Et d’autre part, quelles sont les règles de la société qui vont être enseignées dans le cours de formation civique ? C’est quelque chose pour nous d’essentiel. La place du droit est de dire ce qu’une société autorise ou refuse. Et quand il y a ces procès, les procès disent : nous remettons en place la société après avoir condamné ce qui est interdit. Ça remet une société sur des rails et permet de se reconstruire vers l’avenir. C’est quelque chose d’essentiel et ça se situe au niveau de l’éthique, une réflexion beaucoup plus générale, ça rentre dans le civique mais aussi le droit. Quand on juge un criminel, il doit aussi réparer la faute et est-ce qu’on peut dire consoler, en tout cas, rendre justice aux victimes.

Mais cela concerne beaucoup plus largement l’ensemble de la société, ses remises en ordre, et dit ce qu’elle se donne le droit de faire et ce qu’elle doit interdire pour se construire.

Question

Considérant qu’il y a ici d’éminents juristes, et d’autre part considérant qu’il n’existe qu’une seule race, la race humaine, comment se fait-il qu’on ne pose pas la question de supprimer de nos textes fondamentaux, y compris le nouveau code pénal, l’emploi du mot « race » en lui substituant par exemple « prétendue race » ?

Jacques Patin

Votre question n’est pas seulement un problème sémantique, vous avez tout à fait raison. Ce qu’incrimine le code pénal, c’est la faute de celui qu’elle vise, celui qui visait la « race » mais on ne prend pas partie dans le code pénal sur la justesse ou l’impropriété du terme. Si on dit dans le code pénal : ceux qui ont invoqué la suprématie de telle ou telle race vont être traduits devant tel ou tel tribunal international ou national, cela ne veut pas du tout dire que l’on prend en compte le terme. C’est comme le vol : quand on dit celui qui soustrait le bien immobilier d’autrui commet un vol, ça ne veut pas dire que l’on prend en compte le vol, ni l’assassinat. Un code n’est pas en lui-même un jugement, il incrimine.

Je me suis peut-être mal exprimé mais je comprends votre question, et si j’ai insisté dans mon exposé sur la partie historique, c’était pour montrer que le terme de « race » avait été, n’est-ce pas, par les propagateurs du nazisme, une infamie.

François-René Cristiani

Sachant que dans la feuille que M. Patin a distribué concernant Nuremberg, le passage dit bien que « les persécutions pour des motifs politiques, raciaux, religieux, etc… « , donc ce sont les motifs qui sont raciaux.

Question d’un anonyme :

Pourquoi les procès du Tribunal Pénal International sont si longs ?

Claude Jorda

C’est une très bonne question. Je me heurte à ce problème depuis que je suis au Tribunal. Il y a des causes objectives d’abord, c’est-à-dire qui tiennent à la spécificité de la procédure, qui était au début tout au moins, avant qu’elle ne soit modifiée, et assez profondément, était une procédure qui était purement une procédure anglo-saxonne. Je n’ai rien contre les procédures anglo-saxonnes mais elles ont ceci de particulier qu’elles s’appliquent très bien dans le contexte culturel des pays anglo-saxons, où il y le plebarguini (?), où finalement on affleure au prétoire qu’un certain nombre de procès.

Il y des causes aussi plus spécifiques au Tribunal : il y a les difficultés que nous avons eues, que nous rencontrons toujours d’ailleurs, sur le plan des arrestations et surtout des archives. Le procureur poursuit par zone criminogène, et évidemment quand il poursuit six accusés groupés sur le camp d’Omarsca (?), évidemment on n’arrête pas les accusés au même moment, donc on commence un premier procès et puis ensuite il faut commencer le second, ce qui ralentit d’autant plus les premiers procès qui sont intervenus.

La troisième cause également, toujours spécifique au Tribunal pénal international, c’est le problème des archives. Un tribunal qui est aussi indexé sur des événements Politiques aussi récents, bien entendu est dépendant des archives politiques, stratégiques, militaires, non seulement des pays de la région mais également des différentes forces militaires qui sont intervenues dans la Forpronu (?). Mais rien que pour parler des pays de la région, je vous donne un exemple très concret : le procès du Général Ladcic, que j’ai présidé, qui est maintenant en appel. Entre temps, le régime a changé à Zagreb et évidemment cet accusé demande très légitimement : « si on pouvait retrouver toutes les archives qu’on n’a pas communiquées lors de mon premier procès, je serais jugé de façon plus équitable ». Voilà un certain nombre de causes à la lenteur des procès.

J’en termine en vous disant, pour ne pas monopoliser la parole, c’est un des problèmes les plus lancinants de la justice internationale auquel se heurtera la future Cour pénale internationale. Ce sont des procès qui sont forcément long parce que les questions juridiques qui y sont traitées sont complexes et que s’y ajoutent les problèmes que je viens de mentionner.

  1. François B.

Question pour Mme Chombart de Lauwe : je crois que l’horreur nazie est une véritable référence, on peut espérer que ce point bas atteint par l’Humanité ne se reproduise jamais, mais on est ici pour parler de l’évolution du crime contre l’Humanité. Est-ce que vous ne croyez pas, vous qui avez connu les camps, que, aujourd’hui, les camps de réfugiés sont quelque part les descendants des camps de concentration, ils sont si nombreux parmi le monde et certains existent depuis des dizaines et des dizaines d’années ?

Marie-José Chombart de Lauwe

Les camps de réfugiés, par exemple dans l’ex-Yougoslavie, ou actuellement ce qui se passe en Afghanistan, sont les conséquences de conflits, de guerres. C’est autre chose que le système nazi qui avait été planifié, prévu, organisé avec des outils de mort. Même si ces populations déplacées sont dans des conditions de catastrophe, c’est autre chose, ce n’est pas une séquelle, ce n’est pas une volonté de mise à mort criminelle systématique. La plupart du temps, c’est tout à fait autre chose. On ne peut pas les aligner sur les crimes nazis. Au départ, ce n’est pas la volonté de mettre à mort un groupe ethnique particulier.

François-René Cristiani

Ils sont sans doute insuffisamment alimentés, Monsieur, mais il n’y a pas de volonté d’extermination des populations qui y sont réunies. Vous savez, vous pouvez toujours comparer des œufs ronds et des ronds carrés, mais l’extermination est une chose, mal s’occuper des réfugiés en est une autre.

Marie-José Chombart de Lauwe

S’il y a une évolution possible, par exemple, qu’on peut constater, c’est dans l’ex-Yougoslavie, un viol systématique des femmes dans les conflits violents, mais c’est encore autre chose. Alors que les populations déplacées, c’est une question de misère où on ne peut pas les nourrir, mais c’est d’un autre ordre.

François Archambault : Secrétaire général de la Fondation de la Résistance, Président de l’association : Mémoire et Espoirs de la Résistance,

Messieurs et Mesdames les Présidents, il me revient le redoutable honneur de terminer cette sympathique et très constructive réunion. Je sais que beaucoup d’entre vous pensent que nous aurions pu continuer longtemps mais il est vrai que l’évolution du crime contre l’Humanité est hélas une évolution qui n’est pas terminée mais si elle prend des aspects négatifs que l’on découvre souvent, elle prend aussi des aspects positifs comme cette réunion d’aujourd’hui.

En effet, pour prendre une référence, il y a six ans pour le cinquantième anniversaire de la victoire des Alliés, notre association, Mémoire et Espoirs de la Résistance, avait édité un petit livre qui était le document officiel pour les délégations venues célébrer la victoire des Alliés contre la barbarie, à Paris, petit livre qui s’a pelle « La Résistance Française, un héritage pour l’avenir ».

Et puis peu de temps après, nous avions à la Sorbonne – le président Jorda était présent – commémoré l’anniversaire de la création du tribunal de Nuremberg. Le premier président Truche, votre prédécesseur était venu à la Sorbonne avec une historienne, Mme Annette Wieviorka, pour parler justement de ce premier tribunal contre le crime contre l’Humanité.

Je passe toutes les étapes intermédiaires qui nous ont conduits ici, notamment le fait que, comme le rappelait la présidente Mme Chombart de Lauwe, le concours national de la Résistance et de la Déportation est une institution nationale pédagogique, scolaire. Ce concours national nous réunit, vous professeurs, vous lycéens, nous Fondations ou Associations chargées de la Mémoire de la Résistance et de la Déportation, pour promouvoir ensemble, sous des aspects différents, la mémoire de cette période dramatique et dont il est né aussi nombre de valeurs communes qui nous rassemblent aujourd’hui. Effectivement, depuis plusieurs années, la plaquette qui assure la promotion du concours national de la Résistance et de la Déportation est faite entre les trois Fondations : Fondation de la Résistance, Fondation pour la Mémoire de la Déportation et Fondation De Gaulle. Depuis trois ans bientôt, à la Sorbonne nos associations et nos Fondations font venir des témoins autour d’un historien, ou d’un universitaire, pour promouvoir le thème du concours. La prochaine réunion d’ailleurs, je vous y convie, est le dernier vendredi de janvier dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne sur le thème : « système concentrationnaire et création artistique et littéraire ».

Comme vous le voyez, nous évitons, et il faut l’éviter, l’esprit de chapelle, entre nous, que nous ayons été déportés, ou non. J’appartiens à une génération de descendants de Résistants qui a échappé à la déportation, mais qui justement essaient de pérenniser les valeurs que nos frères, ou nos mères ou nos sœurs, ont, dans l’isolement du début de la Résistance, mis en œuvre. Il faut que nous dépassions cet isolement face aux crimes de toute nature, crime contre la paix, crime de guerre, crime contre l’Humanité, crime de génocide et il faut que nous le dépassions dans une coopération contre l’inacceptable et contre l’inéluctable. Les deux grands ennemis ! On tourne la tête contre l’inacceptable, et face à l’inéluctable on laisse tomber les mains. En nous rassemblant, en bannissant l’esprit de chapelle, entre Fondations qui pérennisent la mémoire et les valeurs qui nous sont communes, entre associations chargées, auprès des jeunes, auprès des enseignants, auprès de la société civile, de faire passer ces valeurs, nous devons chaque fois que nous le pouvons saisir les occasions socioculturelles, éducatives, pédagogiques, civiles pour que ces crimes contre l’Humanité ne se renouvellent pas, ou en tout cas soient condamnés.

Je tiens donc à remercier au nom de nos Fondations, au nom de nos associations, le premier président Canivet de nous avoir accueillis ici, les orateurs, Mme Chombart de Lauwe, Mme Lévisse-Touzé, le président Jorda, le président Jean Matteoli, l’avocat général Patin et notre animateur M. Cristiani, au nom de mon ami Dany Tétot, je vous remercie tous d’être venus et je souhaite effectivement que nous nous retrouvions ici ou ailleurs pour poursuivre ce même combat moral.