Conférence-exposition sur la « Prison Militaire du Cherche-Midi, un trou noir de l’Histoire »

Rencontre prévu le 12/06/2009

Paroles de Femmes

DES RESISTANTES A LA PRISON MILITAIRE DU CHERCHE-MIDI

Mars 1941, six rescapés anglais de la bataille de Saint-Valery-en-Caux de juin 1940 sont arrêtés par la Gestapo à la Ligne de Démarcation en même temps que leurs deux convoyeuses, des jeunes femmes de 18 et 25 ans. Tous les membres du groupe qui les avaient cachés à Veules-les-Roses, sont arrêtés et emprisonnés au Cherche-Midi en attente de leurs procès. Parmi eux, il y a 11 femmes.

L’une d’elles, Henriette Docquier, 22 ans, arrêtée avec sa mère, est d’abord placée dans une cellule commune avec des prostituées, puis mise à l’isolement  dans un cachot d’un couloir réservé aux femmes.   .

L’endroit est, comme toute la prison, sinistre, vétuste, sale, plein de vermine. Les murs sont tachés, maculés, des restes de nourriture jonchent le sol. La  cellule d’Henriette Docquier est sans aération, sauf par une ouverture au-dessus de la porte. La lumière du jour n’y entre pas.  L’électricité est souvent coupée. Le mobilier est rudimentaire : un bas-flanc, une paillasse très mince, une couverture de cheval, un tabouret, un broc, une cuvette en émail brun-rouge, une petite table en bois blanc et un seau hygiénique avec un couvercle. Parfois, le seau fuit.

Alors qu’elle prenait connaissance de son « domaine »,  Henriette entend le bruit des portes de fer  des couloirs  que l’on ferme, puis une voix d’homme, un Français, annonçant : « Allô ! Allô ! Nous allons reprendre notre Radio Cherche-Midi et interroger la nouvelle arrivée au cachot. »

Craignant un piège de la Gestapo, Henriette ne répond pas. Une seconde fois, cette voix d’homme  insiste. Il lui demande son nom de guerre si elle en a un et la raison de sa mise au cachot. Henriette répond qu’elle avait refusé, lors son interrogatoire  plutôt « houleux », de donner les noms de ses compagnons. L’homme l’a alors assurée de son soutien moral.

Puis, comme c’était le Vendredi Saint, (nous sommes le 11 avril 1941), presque tout le couloir s’est mis à prier à travers les lourdes portes et les judas.

Henriette m’a écrit, il y a quelques mois,et je la cite « J’ai ainsi eu le grand privilège de connaître le Commandant d’Estienne d’Orves et des hommes et des femmes de grande valeur. Cela peut paraître paradoxal, ces 15 jours passés au cachot  sont les plus beaux jours de ma vie par l’atmosphère d’idéal, de patriotisme ainsi que de solidarité »

Après 15 jours de cachot, Henriette à qui ses voisines attribuent  le pseudonyme de Yeyette, est changée de couloir et transférée dans une cellule donnant sur la cour de la prison avec un vasistas en hauteur. La pièce est sonore et haute de plafond. Elle n’en paraît que plus petite, soit 1 m 60 sur 2 m 40. Les pas de lion en cage du prisonnier du dessus deviennent excédants. Henriette, elle,  ne s’en plaint pas.

C’est en effet par ses allers et venues incessants qu’un jeune aviateur, Marc, arrêté pour avoir fait du renseignement, fait savoir à Henriette qu’il pense à elle. Une amitié amoureuse s’était établie entre  Henriette et Marc sans s’être jamais vus.

Elle raconte :« Le soir, une fois les soldats allemands partis, les grilles de fer fermées à grands bruits, la prison revivait. Comment imaginer la vie bouillonnante de la prison à ces moments-là ? Avec Marc, lui à plat ventre sur le dallage et moi debout sur mon châlit, avec quel plaisir nous bavardions, faisant des tas de projets d’avenir… Et puis, il devint jaloux et possessif, m’interdisant de bavarder avec mes autres voisins de cellule. Finis les bavardages et le bruit de ses pas…

Nous  sommes restés fâchés durant quinze jours. Puis, un jour, en plein jour, ce qui n’arrivait jamais quand les Allemands étaient dans les couloirs, Marc m’a appelée pour m’annoncer qu’il partait pour Le Mont-Valérien pour être fusillé et qu’il voulait me voir.J’ai alors installé le tabouret sur la table et ensuite le seau hygiénique, couvercle renversé et j’ai réussi à atteindre le vasistas. J’ai ainsi vu dans la cour un grand et beau garçon regardant intensément la façade.

Je doute qu’il ait réussi à me voir, dans l’angle réduit du vasistas.

J’ai amèrement pleuré, regrettant notre bouderie. Je ne l’ai jamais oublié. »

Au Cherche-Midi, les surveillantes allemandes sont frustres. Les sentinelles qui font des rondes, parfois en chaussettes pour mieux surprendre leurs prisonnières, sont des lourdauds indélicats qui « matent » les femmes par les œilletons des judas pendant leur toilette. Les inspections des cellules et les fouilles sont fréquentes. Les objets de toilette, pourtant rares et inoffensifs, peuvent être confisqués. Des livres sont exceptionnellement prêtés. La pitance est frugale, peu variée.  Par punition, on peut en être privé.  Du bromure y est ajouté afin d’obtenir la passivité des détenues.

Les visites de parents sont autorisées à certaines détenues, sauf sanction. Ainsi,  en compagnie de ma mère, j’ai pu rendre visite à ma tante Thérèse Lemoine. J’avais dix ans.

A cette occasion, Thérèse, profitant de l’inattention d’une jeune sentinelle, s’est échappée du cagibi grillagé où elle se tenait pour nous parler. Elle en sortit en courant pour nous rejoindre dans le parloir où la sentinelle l’a prestement rattrapée. Elle riait du bon tour qu’elle venait de lui jouer. Thérèse était une femme gaie, un boute-en-train, faisant rire ses compagnes en s’adressant en patois cauchois aux Allemands qui s’en irritaient.

Un jour, ma mère qui lui rendait régulièrement visite au Cherche-Midi, la trouva inquiète. Avec certaines de ses compagnes, elle pratiquait le spiritisme. Cela consistait à faire tourner un seau hygiénique, comme on ferait tourner une table. Il fallait lui faire prédire le nombre d’années de prison  prononcé contre chacune. Pour l’une des femmes, le seau ne cessait pas d’osciller : en effet, elle fut condamnée à la prison à  perpétuité !

Les prisonnières s’adonnaient souvent à l’interprétation des rêves. Une façon de tromper l’attente et  de diminuer -ou d’accroître- l’angoisse.

Thérèse fut très bouleversée lorsque Honoré d’Estienne d’Orves fut transféré du Cherche-Midi à Fresnes avant d’être fusillé au Mont-Valérien. Il traversa, blême, le couloir des femmes, encadré par des soldats en armes. A son passage, les femmes entonnèrent un vibrant « Ce n’est qu’un au revoir… » Il eut le temps de leur lancer un « Au revoir » collectif. Les femmes pleuraient.

Honoré d’Estienne d’Orves a tenu un rôle essentiel pour maintenir le moral et la cohésion de ses voisines de cellule. Avant les interrogatoires, il leur donnait des conseils. Il soutenait très haut le patriotisme de ces femmes, dont il s’étonnait qu’elles fussent si nombreuses dans la Résistance en 1941.

Ensemble, ils entonnaient, parfois en sourdine, la Marseillaise et d’autres chants patriotiques. La cérémonie du salut aux couleurs se concluait par des « France vivra » et des « Vive de Gaulle »

Il rassurait ses voisines quand elles devinaient qu’il venait d’être frappé par ses gardes-chiourmes pour avoir refusé de se mettre au garde-à-vous devant des non-gradés allemands.

Avec celles qui le voulaient, il priait. De la prison, on entendait les offices de l’église Saint Ignace voisine. C’était un moment attendu.

Je n’ai pas le temps de parler d’un autre personnage exceptionnel pour les prisonnières. C’est l’aumônier allemand Franz Stock, francophone et francophile. Il leur apportait le réconfort de son ministère. Certaines détenues, pourtant, refusèrent de se confesser à un Boche, car ses questions pouvaient paraître indiscrètes. Il semble que la religion ait tenu une grande place pour les croyantes .C’était un refuge.

 Elles avaient aussi pour compagnes de cellules, Olga Brühlmann, dite Mimi, une Suissesse de 27 ans, mariée à un Italien. Cette jeune femme avait fait évader des prisonniers français, hospitalisés au Val-de-Grâce et destinés à être envoyés dans un camp en Allemagne,  puis des Britanniques, en les faisant passer par les catacombes au travers d’un mur démoli par un soir d’orage. Mimi cache les Anglais au dernier étage de l’hôtel qu’elle tient rue de l’Arcade à Paris, occupé par les Allemands. Trahie par une femme de chambre, elle est incarcérée au Cherche-Midi où elle se signale par une vibrante Marseillaise le 11 Novembre 1940, reprise par les autres détenus. Sans doute, seule femme, à l’époque, dans cette partie de la prison, elle est  facilement repérée et punie.

Au Cherche-Midi, elle anime le couloir des femmes en chantant  « La petite Tonkinoise » ou  « La reine du Cherche-Midi », une chanson de sa composition.

Car on chantait, dans cette prison militaire, les samedis après-midi et les dimanches, après le départ des sentinelles et entre les rondes. Le retour inopiné de celles-ci était signalé par Agnès Humbert, ethnologue au Musée de l’Homme, par un sonore « Vingt-Deux ». Ce „  zwei und zwanzig “ laissait les Allemands perplexes. L’alerte passée, Agnès fredonnait « Cadet Roussel ». Agnès, qui avait pu conserver sa montre, indiquait l’heure à ses voisines en tapant avec sa cuiller sur les parois ou les tuyauteries. Elle faisait passer les messages. Pour cela, elle s’était donné le titre de « Lapin de Couloir » en référence aux petites employées des maisons de couture, chargées de porter les paquets d’un atelier à l’autre.

Yeyette interprétait « La chanson de Solveig » de Grieg. Une autre, avait un franc succès avec « Brave marin ». Pour Mouka, c’était « Jean-François de Nantes ».Yvonne Oddon, une résistante du Musée de l’Homme, composait des « Chansons des prisonnières » souvent teintées d’humour.

Car il régnait parfois, dans le quartier des femmes, une ambiance de pensionnat. Cette façon festive de résister aux brimades, leur donnait  le sentiment d’appartenir à une communauté, à un clan très solidaire. Honoré d’Estienne d’Orves en était l’âme.

En effet, il fallait avoir un moral d’acier et un caractère de battante, pour résister  aux manœuvres d’intimidation des Nazis. Nous avons le témoignage écrit d’une détenue, Jane Jeunet Darbois :

« Monsieur le Commandant, j’accuse Madame Blümlein de se comporter de telle sorte que je puis donner des précisions sur le sadisme tortionnaire avec lequel elle amène les prisonnières aux actes extrêmes et aux crises de dépressions nerveuses dont vous devez avoir des échos… »

 

Jane Jeunet Darbois recevait fréquemment dans sa cellule, la visite de cette Blümlein. Elle manifestait apparemment une nette sympathie pour la prisonnière. Elle était membre du SR allemand. Cherchait-elle à recruter Jane Jeunet Darbois comme ce fut tenté pour d’autres détenues contre la promesse de leur liberté ? Blümlein poursuivait aussi Agnès Humbert de ses assiduités.

 

On dénombra plusieurs suicides dans le quartier des femmes.

CONCLUSION

La dignité de ces femmes, pendant leur procès, fut exemplaire, et le magistrat militaire allemand leur rendit hommage

 Quant à moi, je les ai toutes affectueusement admirées et je leur dédie la pensée de Fernand Braudel à qui nous devons cette Maison des Sciences de l’Homme :

 

 «  Aimer, c’est ressusciter  »

Texte est de Michel Lemoine