Conférence de Mmes Christine LEVISSE-TOUZE et Dominique VEILLON à l’occasion de la sortie de leur livre « Jean Moulin, Artiste, Préfet, Résistant » et de l’Exposition présentée au Mémorial Général Leclerc,

Rencontre prévu le 25/04/2013

Cette exposition et ce livre nous font découvrir la vie de Jean Moulin depuis sa jeunesse en complément de Jean Moulin Résistant, grâce à des legs importants de papiers privés, de correspondances, de dessins de la famille et essentiellement de la petite cousine de Jean Moulin. Ainsi Jean Moulin était un homme qui aimait passionnément la vie, l’art, le service à l’état et grâce au legs nous découvrons Jean Moulin Artiste. En effet très tôt il se révèle doué pour le dessin et à l’école il agrémente ses notes de dessin. A l’âge de 16 ans il crée le personnage Hansi à la façon Poulbot et grâce à son père ses dessins paraissent dans un journal à partir de 1915. Il obtient le baccalauréat mais son frère Joseph décède d’une péritonite à l’âge de 19 ans en 1907 et son père reporte son affection sur son fils Jean. Son père était serviteur de l’état (Conseiller Général de l’Hérault) dans l’amour de la République. Alors que Jean Moulin voulait s’orienter vers une carrière artistique, son père le convainc à suivre des études de droit et Jean Moulin devient Sous-Préfet à Chambéry en Savoie. Malgré ses études et ses nouvelles fonctions il continue de dessiner et prend alors pour ses dessins le pseudonyme de Romanin (nom d’un château féodal des Alpilles visité très souvent en famille et avec des amis). En 1922 il peint en aquarelle « la leçon de danse » et « la prière du contribuable à Mr Chéron » qu’il fait publier dans un journal de presse satirique d’amour et d’humour « Le Petit Biterrois ». Jean Moulin est à l’époque très apprécié par le public de ses publications car il s’agit de l’époque Eiffel.

Puis il a trouvé son style par un coup de crayon et de sa plume. Il mène alors une vie civile, politique, de loisirs (il va souvent à Megève faire du ski avec ses amis ou bien il visite des expositions à Paris). Ses amis l’appellent « Le Guide ». Avant 1931 il peint « Le Carnaval », toile très colorée et très gaie avec une annotation humoristique. En 1931 il réalise des caricatures de l’exposition coloniale. En 1926 il s’est marié religieusement et divorce en 1928 car il n’était pas heureux en ménage (sa femme ne rentrait pas tous les soirs au domicile conjugal). Il reste très fidèle en amitié depuis sa jeunesse notamment avec Pierre Cot en poste à Chambéry et il réalise des caricatures en Savoie. Pierre Cot et lui-même étaient inscrits sur la liste Radical Socialiste. Le 2 avril 1934 il loue un appartement au 24 rue des Plantes jusqu’en juillet 1940 pour se rapprocher de Pierre Cot. Ainsi Jean Moulin développait des amitiés très fidèles ; de même il restait fidèle sur ses idées politiques. Léon Blum et Pierre Cot étaient les hommes politiques les plus expansés entre les Deux Guerres et lors du procès de Pierre Cot à Vichy, Jean Moulin est venu témoigner pour défendre son ami. Il rencontre également les poètes Max Jacob, Saint-Paul Roux. Il est alors nommé Sous-Préfet à Châteaulin en Bretagne en 1930. Dans un recueil « Armor » il illustre des poèmes très sombres sur la mort écrits par Tristan Corbière. Il utilise même pendant la guerre un poème Tristan Corbière comme codage. Il illustre également un poème sur le Noël des enfants des chômeurs en fin d’année 1935 « Eau Forte » et il évoque la pauvreté, le mal être et la misère qu’entraînent la crise économique avec des dessins du printemps 1936. Ainsi Jean Moulin avait une personnalité d’extraordinaire gaieté mais en portant un regard grave sur la société. Il dessine aussi une série « Enfants Prodigues » sur la Bretagne. Puis il a moins de temps pour dessiner et devient alors collectionneur de tableaux. Ainsi il achète « la Pergola » de Raoul DUFY : le Musée des Beaux-Arts de Béziers expose ses tableaux d’arts modernes collectionnés. Ainsi tout ceci confirme le visage humain de Jean Moulin passionné par la vie et par l’art, et ces temps de Front Populaire reflétaient une grande espérance où l’art était accessible à tous.

Nous soulignons également que Jean Moulin n’avait pas de si gros revenus qu’on ne pourrait le croire et il se trouvait souvent à court d’argent et demandait des aides financières à ses parents notamment pour l’achat d’une voiture. En 1939 il demeure Préfet à Chartres où il serait plus utile, les autorités le reconnaissent très bon Préfet. Il est alors submergé par les Réfugiés de Hollande, les gens du Nord et de Belgique : Chartres compte 800 habitants et en fin 1939 on dénombre 23000 habitants. Les réfugiés partent ensuite vers le Midi. Jean Moulin aide et soutient le plus possible les réfugiés et va les soigner auprès des Sœurs de Saint-Paul. Puis la Wehrmacht arrive le 17 juin 1940 à Chartres et des Officiers de Renseignements Allemands veulent obliger Jean Moulin à signer accusant à tort les soldats Sénégalais de l’Armée Française de massacres de femmes et d’enfants. Jean Moulin refuse et est alors tabassé. Pour échapper aux coups et à la torture il s’ouvre la gorge avec un tesson de bouteille. Il est alors transporté à l’hôpital où il est fait soigner jusqu’à fin juin puis il part en convalescence dans les Alpilles où il écrit un journal a posteriori « Premier Combat » pour ces moments exceptionnels où il a été sauvé in extremis et sa révolte : « Ne Pas Céder ». Dès qu’il va mieux il reprend ses fonctions de Préfet où il est renvoyé par le Gouvernement de Vichy en novembre 1940. Ainsi de nombreux historiens posent la question Pourquoi n’va-t-il pas démissionné du Gouvernement de Vichy : Jean Moulin a ralenti les dossiers à l’égard des Francs-Maçons et des Juifs ; il n’était pas un Préfet zélé pendant l’Occupation et dès septembre 1940 l’épuration des personnels administratifs a lieu et Jean Moulin ne voulait pas laisser les habitants en péril ; plus tard il est renvoyé par le Gouvernement de Vichy et prend une carte nationale d’identité d’agriculteur au nom de Joseph Mercier (mêmes initiales que Jean Moulin, Joseph pour rappeler son frère décédé et les mouchoirs et le linge étaient brodés avec les initiales). La famille a légué au Musée sa carte alimentaire et sa carte textile. D’après le témoignage de Daniel Cordier : Jean Moulin avait un sens des consignes d’identité et du secret très fort et à Londres il se faisait appeler Monsieur Mercier.

Il reçoit alors une deuxième mission et devient homme d’état clandestin où il doit fédérer les mouvements de résistance et légitimer l’autorité de Charles de Gaulle. Et l’art n’est jamais loin de Jean Moulin ; cela lui permet d’échapper à l’étouffement et à l’oppression car les réunions à Paris sont très tendues. Jean Moulin continue malgré tout de rechercher des tableaux dans les galeries d’art pour la Galerie Romanin à Nice. Dans ses activités il reste toujours très prudent et il fréquente les lieux où les Allemands sont peu présents tels que les jardins et les brasseries. Puis il y a eu la dénonciation de Caluire où les Allemands connaissaient tous les noms des dirigeants du Conseil National de la Résistance après des arrestations à Marseille d’après le rapport Flora, et les circonstances dramatiques de  la disparition de Jean Moulin.

Ce que nous pouvons dire : Jean Moulin était caricaturiste, peintre, amateur d’art. Il a ouvert la Galerie Romanin (de son nom d’artiste) pour servir de couverture pendant ses activités de Résistant. Il a en effet rencontré une jeune fille Colette Pons aux sports d’hiver à Megève en 1942 qui accepte de venir à Nice pour l’aider et être responsable de la Galerie Romanin ouverte officiellement avec l’accord de la Préfecture le 9 février 1943. Pourquoi Jean Moulin a choisi la Ville de Nice : Il y a à Nice de nombreux artistes réfugiés et beaucoup de toiles et de galeristes avec des gens qui avaient encore de l’argent pour acheter des toiles. Jean Moulin a exposé des œuvres de sa collection personnelle ainsi que des œuvres prêtées et mises en dépôt par d’autres galeristes. Nous savons qu’il a vendu des toiles dont une au Musée des Beaux-Arts de Grenoble. Pendant la Guerre et ses actions de Résistance il a toujours voulu protéger sa mère et lui envoyait des lettres en disant que tout allait bien à son travail dans la Galerie à Nice et qu’il vendait des toiles. Sa sœur Laure Moulin savait qu’il était Résistant et était en relation avec Colette Pons qui a fermé la Galerie Romanin quand Jean Moulin a disparu et Laure Moulin a récupéré les œuvres d’art.

Nous pouvons souligner que Jean Moulin portait un regard grave sur les affaires de l’Etat tout en ayant une passion pour l’art très forte lui apportant beaucoup de gaieté. Ainsi sa personnalité était très gaie avec un tempérament très provençal, très proche de la famille et fidèle en amitié.

Brigitte Atlan