Cérémonie, à Malines – Pas-de-Calais – en hommage aux Juifs et Roms du Nord-Pas-de-Calais déportés depuis la Caserne Dossin.

Rencontre prévu le 15/01/2020

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Une commémoration a été organisée, pour la première fois, le mercredi 15 janvier dernier à Malines afin de rendre hommage aux communautés juives et tsiganes, déportées du Nord-Pas-de-Calais, à l’initiative de Sophie LENIS, professeur d’histoire-géographie au lycée Vauban d’Aire-sur-la-Lys et de David LABOUX, professeur d’histoire-géographie au lycée français Jean Monnet de Bruxelles.

Le 15 janvier 1944, il y a 76 ans, le convoi Z, pour Zigeuner en allemand (tsigane en français), quittait Malines emmenant 352 Tsiganes arrêtés en Belgique et dans le nord de la France, à destination d’Auschwitz-Birkenau. Comme eux, ce sont 25 846 personnes, Juives[1]et Tsiganes, qui ont été déportées de Malines, parmi lesquels 584 Juifs et environ 150 Tsiganes du Nord-Pas-de-Calais.

Cette histoire reste très peu connue. Le Nord-Pas-de-Calais, devenu « zone interdite » après l’armistice du 22 juin 1940, fut alors rattaché à la Belgique, à la Kommandantur de Bruxelles, et dirigé directement par l’administration militaire nazie. Les lois raciales s’y sont appliquées avec la même rigueur que dans la France occupée et peut-être même, de manière plus zélée. Il faut rappeler qu’il n’y a que dans cette région que les Tsiganes ont été déportés, subissant le même sort que les communautés juives.

Ces déportés dits « raciaux » ou de « persécution » ne furent pas rassemblés à Drancy, comme la plupart des victimes présentes sur le territoire français, mais au « Sammellager » de Malines, seul camp de rassemblement pour déportés raciaux en Belgique et dans le nord de la France. Il fonctionna du 27 juillet 1942 au 4 septembre 1944. Les déportés y étaient détenus pour une durée variable avant d’être transférés, pour la plupart (99% d’entre eux), vers le camp d’Auschwitz-Birkenau en Pologne. Seuls quelques transports spéciaux (5) prirent notamment la destination des camps de concentration de Ravensbrück[2], Buchenwald ou Bergen-Belsen en Allemagne ou du camp d’internement de Vittel.

Si l’historiographie* récente a grandement contribué à diffuser cette histoire, le Nord et le Pas-de-Calais, par leur détachement administratif du territoire français pendant la guerre, font encore, trop souvent figure de « grands oubliés » des commémorations nationales. Si les communautés juives et tsiganes semblent avoir subi le même sort dans le Nord-Pas-de-Calais, les historiennes Danielle DELMAIRE, Monique HEDDEBAUT et Laurence SCHRAM, débattant sur la question « Juifs et roms[3], un destin commun ? », ont toutes été d’accord pour affirmer que le procédé, similaire en apparence, ne répondait pas aux mêmes objectifs de la part des nazis. En effet, la déportation des Juifs avait été planifiée et organisée par les nazis, la politique à l’égard des Tsiganes n’était pas aussi cohérente et n’a pas été la même sur l’ensemble des territoires. D’abord internés car considérés comme suspects, voire comme asociaux par leur mode de vie nomade, la décision de les arrêter fut prise à partir du décret du 16 décembre 1942 sur ordre d’Himmler.

Les nazis ont été longtemps indécis sur les mesures à prendre vis-à-vis de ces communautés, certains peuples tsiganes s’apparentant, selon les études biologiques et raciales des pseudo-médecins nazis, à la race des aryens. À partir de 1942, les nazis commencent à percevoir les peuples tsiganes comme des peuples métissés (Mischling) dont le sang aurait été souillé par des mariages réalisés avec des êtres racialement inférieurs. C’est à ce moment que l’on peut estimer que la persécution des Tsiganes devint raciale et que certains d’entre eux furent déportés vers Auschwitz.

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C’est pour ne pas oublier cette histoire que les élèves ont souhaité s’investir et présenter leurs projets lors de la commémoration. Un film fut projeté, fiction réalisée par une élève du lycée Jean Monnet, à partir de documents d’archives issus de Kazerne Dossin, retraçant le parcours d’une famille juive du Douaisis, les SOKOLSKI. Les élèves du lycée Vauban ont ensuite présenté les recherches qu’ils ont menées l’année dernière, dans le cadre d’un accompagnement personnalisé, dédié à la préparation du Concours National de la Résistance et de la Déportation, où ils ont travaillé sur la répression et la déportation des communautés tsiganes[4].

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Ils ont présenté la situation du Nord-Pas-de-Calais pendant la seconde Guerre Mondiale, le parcours d’une déporté juive, Lili LEIGNEL, présente à la commémoration, et celui d’Antoine LAGRENÉ, déporté manouche. Ils ont ainsi expliqué la spécificité de la déportation des Tsiganes qui ne sont pas sélectionnés à leur arrivée sur la rampe et sont conduits en famille à Birkenau, dans le sous-camp des familles où, coupés des autres déportés, ils furent affamés avant d’être finalement conduits dans les chambres à gaz dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Ils ont bien pris conscience de cette réalité lors de leur déplacement pédagogique à Auschwitz et Birkenau en novembre 2019.

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DELMAIRE, Danielle, Les communautés juives septentrionales, 1791-1939. Naissance, croissance, épanouissement. thèse de doctorat d’Etat, Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 1998.

DELMAIRE Danielle (sous la direction de), Tsafon, Revue d’Études Juives du Nord, de 1990 (n°1) à 2020 (n°78)

HEDDEBAUT Monique, Des Tsiganes vers Auschwitz. Le convoi Z du 15 janvier 1944, Collection Ces oubliés de l’histoire, Edition Tirésias, 2018.

LEIGNEL Lili, Moi, Lili Keller-Rosenberg, Je suis encore là, Canéjan, novembre 2017, 284 p.

MARIOT, Nicolas et ZALC, Claire, Face à la persécution, 991 Juifs dans la guerre, Paris, Odile Jacob, 2010.

SCHRAM, Laurence, Dossin : l’antichambre d’Auschwitz, Racines Lannoo, 2017

[1]J’utiliserai la majuscule pour le mot « Juif » à chaque fois que celui-ci sera employé comme nom renvoyant au peuple juif dans sa dimension ethnique et culturelle et la minuscule pour le substantif et quand le nom qualifiera la communauté religieuse comme le prévoit la convention orthographique de la langue française.

[2]C’est notamment par ce convoi que Lili LEIGNEL-ROSENBERG quitta la caserne Dossin de Malines avec sa mère et ses petits-frères. Son père fut déporté au camp de Buchenwald.

[3]Cette terminologie a été adoptée dans le programme pour satisfaire aux demandes de l’institution Kazerne Dossin et de l’historiographie belge. Personnellement, je préfère utiliser le terme de « tsigane », certes plus proche de la terminologie et de la langue des bourreaux, mais qui semble, aujourd’hui, être plus rassembleur et plus consensuel. Les communautés tsiganes sont, en effet, très diverses. Si nous trouvons plutôt des manouches dans le nord de la France, on trouvera davantage de gitans dans le sud, de sintis ou de roms dans l’est de l’Europe…

[4]Les élèves ont réalisé un site sur ce travail,  https://larepressiondestsiganes19391945.wordpress.com