1941 : Vichy, l’opinion publique, la résistance par J-L Crémieux-Brilhac

Rencontre prévu le 27/06/2011

Conférence du 27 juin 2011

de Monsieur Jean-Louis Crémieux-Brilhac

à la Fondation de la Résistance à  l’invitation de M.E.R.

1941 : La guerre était seulement anglo-allemande depuis juin 1940. Elle redevient une guerre européenne en juin 1941 quand la Wehrmacht envahit l’Union Soviétique, puis devient une guerre mondiale en décembre après l’assaut sur Pearl Harbor. Impossible de comprendre la situation française sans tenir compte de ce contexte. « Croire en la défaite allemande en 1941 est vraiment le fait d’une minorité qui a foi en l’avenir de la France » écrit Jean-Marie GUILLON. Pourtant un des apports de l’année est que cette défaite de l’Allemagne est souhaitée par une large fraction de l’opinion, vraisemblablement la majorité pour autant qu’on puisse en juger en l’absence de sondages chiffrés, avec des fluctuations multiples, des hauts et des bas, des phases d’espoir d’abattement ou de colère liées aux soubresauts intérieurs et aux péripéties des combats. Ce dont je vous parlerai c’est de la dialectique opinion publique-résistance. Mais d’abord de Vichy dans la nouvelle conjoncture d’une guerre qui sera longue.

Début 1941, Vichy reste convaincu de l’invincibilité de l’Allemagne. Ainsi la collaboration d’Etat se traduit en actes. Pétain avait annoncé le 30 octobre 1940 qu’il entrait dans la voie de la collaboration, mais avait chassé spectaculairement Laval, laissant croire que Montoire n’avait été qu’une feinte. Churchill lui-même s’y était un moment trompé : le 13 janvier une émission en anglais de la BBC due à l’un des meilleurs connaisseurs de la France étroitement lié aux services secrets de Sa Majesté, le journaliste Thomas Cadett, explique que Pétain est « le fer de lance de la résistance passive en France ». L’arrivée aux commandes de Darlan en février 1941 dissipe vite les doutes. Darlan ne pardonne pas aux Anglais Mers el-Kébir, il a rencontré Hitler, il croit qu’une victoire allemande ouvrirait à la France un avenir maritime et colonial prometteur. Les succès de la Wehrmacht au printemps 41 le renforcent dans cette certitude : en juin Rommel est aux portes de l’Egypte et l’Allemagne est maîtresse de toute l’Europe non communiste hors la Suède et la Suisse, puis viennent ses triomphes d’été de Russie. Le gouvernement du Maréchal ne veut rien refuser aux Allemands, sauf d’entrer en guerre à leurs côtés, ce qui risquerait d’inciter les colonies à la dissidence. Certes Vichy obtient, en échange de ses concessions, quelques allègements au statut imposé par l’armistice. Mais on ne peut plus parler de ruse, sinon d’une prétendue politique du moindre mal. Darlan et Benoist-Méchin mettent sans barguigner les aéroports de Syrie et du Liban à la disposition de la Luftwaffe, ravitaillent en armes les Irakiens révoltés contre la Grande-Bretagne, Darlan offre de négocier les protocoles de Paris du 28 mai qui ouvriraient Bizerte et aux Allemands et accepte de renforcer l’Afrikakorps de Rommel en lui fournissant canons de 155 et camions. Le pire moment se situe en décembre, quand Rommel fait retraite vers l’ouest à travers la Libye ; les Allemands demandent l’accord de la France pour que l’Afrikorps se replie en Tunisie. Vichy en serait d’accord, sous réserve de compensations politiques et militaires. L’arrêt de l’offensive britannique en janvier 42 rend l’accord inutile. La collaboration économique va, elle aussi, bon train ; les mesures antisémites s’inscrivent dans le droit fil de la collaboration d’Etat. Celle-ci prend une forme atroce dans l’été 1941 quand le parti communiste s’engage dans l’action immédiate directe contre des militaires allemands. Face à cette résistance nouvelle le jeu allemand n’est pas seulement de faire céder, il est aussi de compromettre et de contraindre à la honte. Vichy accepte la honte. Ainsi le 21 août, l’aspirant allemand Moser est abattu au métro Barbès. C’est la 3e victime d’un attentat. Le lendemain 22, le général von Stülpnagel fait placarder un avis annonçant que tous les Français, détenus par des services allemands sont considérés comme otages » et que « « dans le cas où de semblables attentats se reproduiraient, un nombre d’otages correspondant à la gravité de l’attentat sera fusillé ». Les Allemands à cette date ont déjà fusillé isolément une cinquantaine de patriotes, l’un pour avoir coupé un fil téléphonique, un autre qui a bousculé un soldat, trois, sous-officiers de carrière arraisonnés sur la Manche alors qu’ils tentaient de gagner l’Angleterre. Il s’agit cette fois d’un degré nouveau dans la violence. Vichy avance aussitôt une contre-proposition : « entre autres mesures de réparation », la condamnation immédiate de six militants communistes par un tribunal extraordinaire français et le préfet Ingrand, en remettant la note, précise que les six seront condamnés à mort. Réponse téléphonique allemande le soir même :

« 1° On ne fait aucune objection à la promulgation de la loi concernant les communistes et les anarchistes, ladite loi portant effet rétroactif.

« 2° Les mesures proposées sont approuvées. Sur sa demande, le Führer a été mis au courant ; « 3° On attend des propositions au sujet des personnes qui doivent être traduites devant le tribunal extraordinaire ;

« 4° Le tribunal devra tenir ses séances à huis clos ;

« 5° Le jugement devra être exécuté au plus tard le jeudi 28 août.

On accepte que l’exécution ne soit pas publique. » A Vichy, un texte de loi portant création de tribunaux d’exception dits sections spéciales avait été préparé avant l’attentat, mais non promulgué. On le rend rétroactif comme l’ont demandé le Allemands : c’est la négation d’une des bases de notre droit. La loi est antidatée du 14 août, elle est publiée le 24, la section spéciale de Paris constituée le 26, elle prononce le 27 trois condamnations à mort contre des patriotes qui étaient en prison quand Moser a été tué et qui ne sont passibles que de peines légères en rapport avec les infractions retenues contre eux ; ils sont exécutés le 28. Le 29 août, les Allemands pour confirmer leur détermination font exécuter d’Estienne d’Orves et ses deux assistants, condamnés depuis mai et dont certains espéraient qu’ils seraient graciés. Et le 12 septembre, nouvelle note Stülpnagel à Vichy : « Tenant compte de la promesse [du gouvernement français] je me suis abstenu d’aucune autre mesures que la saisie d’otages. Le tribunal extraordinaire n’a encore prononcé de condamnations que dans le cas de trois inculpés. Je compte maintenant que la promesse donnée sera tenue jusqu’au 23 septembre dernier délai ». Réponse de Vichy : « Les nommés Voog, Guyot et Catelas ont été condamnés à mort par le tribunal d’Etat, les deux premiers le 20 septembre, le dernier le 21 septembre 1941. Ils ont été guillotinés le 24 septembre 1941 ». L’un des trois était Jean Catelas, député communiste condamné sous le gouvernement Reynaud à cinq ans de prison par défaut qui n’avait, pas plus que les deux autres guillotinés de responsabilité dans la mort de l’aspirant allemand. Le mécanisme infernal culmine en octobre avec les fusillades collectives de 97 otages. Le ministre de l’intérieur Pucheu a fait modifier et a approuvé la liste des otages à exécuter à Châteaubriant.

Ces marchandages sanglants, l’opinion les ignore, mais elle perçoit la soumission et l’arbitraire. Elle est d’autant plus sensible que la crise alimentaire est générale dans les villes. Il est clair qu’elle est due aux prélèvements de l’occupant. La quête de nourriture est devenue source obsédante de préoccupation et de mécontentement. Ainsi les évènements de juin à octobre, bissectrice de l’année, apportent un triple changement. L’hostilité à la collaboration s’étend, les actes de résistance individuels et sporadiques aboutissent à des débuts de regroupement, enfin une toute première jonction va s’établir avec la France Libre. Trois groupes d’acteurs se distinguent dans cette pré-résistance autochtone :  la première génération de ceux qu’on appelle aujourd’hui les vichysto-résistants,  un archipel mouvant d’individus et de petits groupes qui se coaguleront en mouvements à partir de la fin de l’année, à quoi s’ajoutent les recrues des premiers agents envoyés de Londres,  enfin, ostensiblement à partir de juin, le parti communiste.

Vichysto-résistants ? 1941 voit l’échec des plus voyants. On a beaucoup parlé de revanche dans l’été 1940 dans les arrière-cours de Vichy. Sous le couvert des deux premiers chefs d’état-major, le service des interceptions radioélectriques du commandant Bertrand, qui possède depuis 1939 une machine Enigma, a continué de renseigner l’Intelligence service ; une section de camouflage de l’armée dirigée par le commandant Mollard a été installée à Marseille et le général Bergeret a créé en septembre 1940 un Service de renseignement de l’Air qui établit au printemps 1941 une liaison radio quotidienne avec l’Angleterre. Toutes activités inconciliables avec la collaboration. Darlan au pouvoir les interdit ou les encadre rigoureusement. Seuls des éléments du SR Air survivront en 1942 à l’occupation totale de la France. De même se sont manifestés dès 1940 autour de Vichy quelques grands aventuriers ou dignitaires d’extrême droite, proches du Maréchal, mais antiallemands, tels le général de La Laurencie, le commandant Loustaunau-Lacau, ou le colonel Groussard. Ils ont voulu constituer des groupes semi-occultes destinés à la fois à juguler les ennemis du régime et à répandre l’esprit de résistance. Tous trois ont été démis partiellement ou totalement de leurs fonctions sous la pression allemande dès la fin 40, Groussard et Loustaunau-Lacau sont arrêtés en juin-juillet 41, l’un pour avoir fait un aller-et-retour à Londres, l’autre pour avoir commencé à faire collecter des renseignements au profit des Anglais, action qui sera à l’origine de l’Arche de Noé, prélude au réseau britannique Alliance. La Laurencie, roi en exil, est neutralisé. Dans l’été 1941, Darlan a écrasé ou muselé les formes voyantes de dissidence liées au maréchalisme.

C’est ailleurs qu’il faut regarder, là où la fermentation de l’opinion amorce le processus résistant qui conduira aux engagements dans l’action de 1943-44. Car le sentiment antiallemand a été répandu et perceptible dans la population urbaine dès l’automne 1940, principalement en zone interdite et en zone occupée,, comme en témoignait la manifestation du 11 novembre 1940 à Paris , qui s’est soldée par 9 blessés et 123 condamnations à des peines de prison, comme aussi l’attestent les rapports de l’Oberbefehlshaber allemand, sans que ceux-ci distinguent aucune forme organisée de résistance. Le fait est que celles-ci sont sporadiques : ce sont avant tout, les filières d’aide aux évadés de Belgique ou aux soldats prisonniers du Nord-Est, qui veulent gagner la zone libre, les passeurs de la ligne de démarcation, les relais d’abord improvisés qui bientôt se consolident et donneront naissance en 1941 à deux ou trois vrais réseaux d’évasion. Bien entendu, ce qui frappe le plus les correspondants étrangers, c’est l’attentisme et la passivité : La confiance mise dans le Maréchal anesthésie l’esprit de résistance.

Un épisode symptomatique de la confusion des esprits, retient l’attention des autorités de Vichy en février 1941. En l’espace de quelques semaines, près de cinq mille habitants du Nord-Pas-de-Calais dont une très forte proportion de jeunes, affluent vers Châteauroux pour y passer la ligne de démarcation, les uns munis d’Ausweis, les autres clandestinement. On ignore quelles rumeurs ont déclenché le mouvement. Le préfet rend compte, Vichy envoie un commissaire et cinq inspecteurs de police. On interpelle systématiquement les jeunes qui ont franchi la ligne, ils déclarent qu’ils vont à Marseille d’où il y a une filière pour rallier de Gaulle. On laisse ceux qui ont de l’argent poursuivre leur route et on offre aux autres de s’engager dans l’armée de l’armistice, en Afrique du Nord ; ils acceptent presque tous. Ils croient que Pétain et de Gaulle agissent en plein accord.

Deux phénomènes voyants sont de bons indicateurs d’une évolution des esprits, l’écoute de la BBC et la progression de la presse clandestine. L’écoute de Londres est interdite en zone nord sous peine de prison depuis le premier jour d’occupation ; deux imprudents ayant fait circuler par écrit des informations de la BBC ont été arrêtés et fusillés. En zone libre, l’écoute n‘est encore interdite que dans les lieux publics. L’audience est néanmoins de plus en plus étendue. La BBC reçoit malgré la censure 80 lettres par mois de France. La campagne des V lancée par la BBC connaît dans tout le pays un succès stupéfiant de mars à juin. C’est avant tout une fronde de lycéens, mais d’une telle ampleur que le ministre de l’Education nationale mobilise les proviseurs et directeurs d’école pour la contrer, que les Allemands taxent de lourdes amendes les propriétaires qui ne font pas effacer les V sur les portes et les murs de leur immeuble et que finalement Goebbels prend le symbole V à son compte, V pour Viktoria, et fait accrocher un immense V à la Tour Eiffel. Les slogans et les chansons de la BBC sont populaires malgré le brouillage au point que leurs airs, sifflés dans la rue, deviennent un signe de connivence, sinon de ralliement. La manifestation pacifique du 14 juillet, orchestrée par la BBC et à laquelle s’associe le parti communiste est, pour la première fois à Paris, une manifestation de masse.

La presse clandestine ? Le Service des menées antinationales mentionne fin 40-début 41 l’apparition occasionnelle dans de nombreuses villes y compris de la zone libre de tracts antiallemands, mais isolés, et en nombre d’exemplaires minime, mis dans des boîtes à lettres ; la police juge ces débordements sans conséquence Cependant de petits journaux clandestins sont en outre apparus dès la fin 40 dans les deux zones, indépendamment de L’Humanité, clandestine depuis l’automne 1939. Ce sont à Paris, Pantagruel ou Résistance, des journaux faits le plus souvent par un seul rédacteur, comme Valmy, qui est tiré à partir de janvier 1941 sur une imprimerie d’enfant achetée dans un bazar, ou comme Libération Nord, qui reste l’oeuvre de Christian Pineau depuis décembre 1940 et durant toute l’année 1941. Cet auteur unique est toutefois le plus souvent le porte-voix de conciliabules de mécontents, ou est en liaison avec un réseau social préexistant. Ainsi Valmy est lié à une petite équipe de professeurs du lycée Buffon, Pineau a été cosignataire du Manifeste des syndicalistes de novembre 1940, Résistance s’appuie sur une équipe du Musée de l’homme. En zone interdite, Les Petites Ailes, feuille ronéotypée à 500 exemplaires qui a treize numéros jusqu’à juin 41, est imprimée par les jésuites lillois et diffusée par des scouts L’Evadé, qui réussit à produire neuf numéros, est dû à six étudiants de l’université de Nantes. En zone libre, le général d’aviation Cochet, patriote ardent longtemps maréchaliste qui s’est manifesté dès juillet 40, a diffusé à partir de septembre des bulletins appelant à la revanche signés de son nom et de son grade à une élite choisie de sympathisants « qui pensent comme lui ». De même, le journal ronéotypé en novembre 1940, puis imprimé à Marseille sous le titre de Liberté traduit les vues d’un groupe de juristes et d’économistes universitaires qui s’est constitué entre Lyon et Montpellier autour de François de Menthon et de Pierre-Henri Teitgen. Fin janvier 1941, le capitaine Frenay, officier du 2e Bureau de Vichy, se fait mettre en congé de l’armée de l’armistice où il garde de nombreux liens pour diffuser avec Bertie Albrecht, dans ce qui n’est encore que leur réseau de relations, une feuille dactylographiée, le Bulletin et d’Information et, de propagande, qui devient en mai Les Petites Ailes de France, un hebdomadaire qui affiche pour devise une phrase de Napoléon : « Vivre dans la défaite, c’est mourir tous les jours ». Très peu de ces tracts et journaux mentionnent de Gaulle. Le processus s’accélère au milieu de l’année : A Paris, Défense de la France, fait par des étudiants de Sorbonne, démarre en juillet-août. En zone libre », aux Petites Ailes de France de Frenay succède en août Vérités, un vrai journal tiré à 5 00 exemplaires. Vérités porte en exergue la phrase de Pétain : « Je hais les mensonges qui nous ont fait tant de mal », car Frenay continue de saluer en Pétain « le chef ». Libération d’Emmanuel d’Astier, tiré aussi à 5 000 exemplaires, sort en juillet et se signale immédiatement par une opposition radicale au gouvernement de Vichy. Lire un journal clandestin n’est pas signe d’engagement, mais leur diffusion de main en main crée une dynamique conduisant à des chaînes de contacts. Et autour d’eux se consolident des petits groupes d’intellectuels ou de militaires contestataires : qui s’appellent en zone libre Liberté ou Libération nationale. Quand le général Cochet est arrêté en juillet, le Bureau des menées antinationales repère comme étant en liaison avec lui en juillet 1941 une vingtaine de petits groupes régionaux surtout soucieux de propagande. Ailleurs de petits groupes se constituent sans rien publier, aussi resteront-ils longtemps ignorés, c’est le cas des deux comités d’action socialiste de Paris et de Marseille nés en mars 1941. L’existence du Comité de la rue Amelot ne sera connue qu’après la guerre en dehors du milieu juif.

A ce stade de mi-1941, avant même l’entrée en guerre de l’URSS, les rapports des préfets éclairent assez méthodiquement les signes avant-coureurs de changement, au milieu d’une opinion généralement silencieuse et pourtant moins atone qu’on ne le croit en général. Le Nord-Pas-de-Calais se distingue : zone interdite rattachée au gouvernement militaire de Bruxelles, le prestige du Maréchal s’y est effondré. Le 11 mai, à l’occasion de la Fête de Jeanne d’Arc, », rapporte le préfet du Nord, une importante partie de la population lilloise et des environs a pris pour but de promenade entre 15h et 18h suivant les consignes de la BBC, la statue de Jeanne d’Arc place Jeanne d’Arc. L’affluence a été telle que l’autorité occupante a conclu qu’il y avait une manifestation concertée ; cette opinion était renforcée par le fait que certains des promeneurs accompagnaient leur passage devant la statue d’un salut du bars levé, le poing fermé, à l’exception de l’index et du médium tendus en forme de V ». Plus significative, la grève des mineurs de mai-juin mobilise à l’appel d’Auguste Lecoeur jusqu’à 100 000 travailleurs. Revendicative au départ, elle devient rapidement antiallemande et se solde par 450 emprisonnements et 250 déportations. La nouvelle n’en filtre toutefois pas en dehors de la zone interdite et n’atteindra Londres que deux ans plus tard.. Rapport préfectoral du 5 août : « Vive agitation communiste, forte recrudescence de la diffusion de tracts prosoviétiques, symptôme d’alliance entre communisme et gaullisme. Beaucoup de tracts d’origine communiste se terminent par les vocables : « Vive l’URSS, Vive l’Angleterre, Vive de Gaulle ! « Manifestations de femmes et d’enfants pas très importantes contre le rationnement. « Quatre sabotages. « La population reste, dans son ensemble, hostile à l’idée de collaboration ».

Le mécontentement gagne de même en zone occupée ; il est plus sensible que partout en Bretagne où les préfets noteront bientôt un véritable esprit d’opposition. Les rapports de Brinon, ambassadeur de Vichy à Paris, sont significatifs. Son premier rapport conclut en date du 18 février : « Psychose de famine, telle est la caractéristique de l’état d’esprit. L’hostilité grandissante d’une importante partie des habitants ne peut pas être niée. Elle s’est surtout développée dans les milieux de la Jeunesse universitaire à la recherche d’un nouvelle idéal, dans les cercles où l’on souffre de la faim et du froid, parmi tous ceux d’une façon générale qui n’ont aucun avantage à retirer de la présence de l’occupant ».

Dans son rapport du 10 mai, Brinon analyse le réveil communiste, à un moment où pourtant le parti est encore lié par le pacte germano-soviétique : « Le communisme prétend exploiter tous les mécontents en se plaçant sur le terrain d’une opposition systématique. Le Gouvernement est accusé notamment d’être d’accord avec les Allemands pour détruire les centres révolutionnaires parisiens en les faisant volontairement mourir de faim. Il pousse à l’émeute. Toutes les allusions à la Commune sont claires et leur but semble être de provoquer un mouvement de foule en le faisant apparaître comme la seule solution pour que les ouvriers ne meurent pas de faim. « Sur un point cependant, ajoute Brinon (et la nuance mérite d’être relevée), la propagande communiste ne paraît pas obtenir de résultats profonds. C’est dans les critiques [que cette propagande] formule à l’égard de l’Angleterre et du parti gaulliste à qui elle reproche de travailler pour le rétablissement d’un régime réactionnaire et capitaliste et de vouloir priver les Français de toute liberté en cas de victoire anglaise ». En ce mois de mai 1941, l’opinion ouvrière a suffisamment évolué en région parisienne pour que la direction du parti communiste ait jugé difficile de tenir le cap de la complaisance pour l’occupant : elle a suscité la formation d’un Front National. Fin juin, elle se lance dans l’action directe contre l’occupant, suivant la nouvelle consigne reçue du Komintern. Le Parti n’a probablement gardé qu’un noyau dur de militants ne dépassant pas 6 000 personnes et les jeunes qui font les attentats ne sont pas une dizaine, mais son activisme va partout se manifester. L’évolution globale de l’opinion publique est assez nette en zone occupée, même dans certaines régions rurales, pour que le sous-préfet des Andelys constate en juin que « les véritables tenants du régime ne sont qu’une infime minorité », ce rejet mental n’empêchant pas la confiance dans le Maréchal. Et la manifestation parisienne du 14 juillet, pour être silencieuse, n’en est pas moins une immense, une éclatante fête de l’espérance. Pétain peut ainsi dénoncer le 12 août le « vent mauvais » qu’il a senti se lever « L’autorité de mon gouvernement est discutée. Un véritable malaise atteint le peuple français ». Vichy y répond par une répression accrue. Pucheu réorganise la police, l’étatise, la spécialise et resserre tous les boulons. En octobre l’écoute de la BBC à domicile devient passible de trois ans de prison. Les exécutions d’otages ouvrent une nouvelle étape : -10 fusillés le 16 septembre, puis 26 à Lille les 15 et 26 septembre, et surtout coup sur coup l’exécution de 48 otages le 21 octobre dont 27 à Châteaubriant et de 49 le lendemain au camp de Souges. Elles provoquent un sentiment général d’horreur envers l’occupant, mais aussi de refus de ce genre d’attentats, tandis que dans les deux zones s’intensifie la chasse aux suspects. En décembre, l’exécution de 90 nouveaux otages dont Gabriel Péri en décembre creuse un fossé de sang si visible que le général Stülpnagel recommande de substituer aux exécutions la pratique des déportations collectives, qui commencent dès ce même mois avec un transport de 1175 communistes, cégétistes et notabilités juives, parmi lesquelles l’éminent avocat, sénateur et ancien ministre Pierre Masse.

Les rapports des préfets témoignent de ces glissements des esprits à l’automne. Ils soulignent l’incompréhension publique, marquée comme toujours plus qu’ailleurs dans le Nord-Pas-de-Calais et en Bretagne, plus en zone occupée qu’en zone libre, et plus dans les villes que dans les campagnes où les paysans sont considérés comme les profiteurs.

Rapport du préfet du Nord du 2 décembre 41 : « Opinion : Ouvriers. Catégorie absolument calme, mais cette apparence, résultat de la rigueur et de la crainte dissimule seulement un mécontentement profond et inquiétant. Le complexe de l’occupation domine tout et la classe ouvrière, ne raisonnant pas, est aveuglée par ses réflexes sentimentaux. « Dans l’esprit des ouvriers, la collaboration représente  pour les patrons, la possibilité de s’enrichir dans la légalité ; pour les autorités françaises, l’avilissement dans la servilité ;  pour l’ouvrier, la menace constante d’être embauché de force et expatrié en Allemagne ; le chômage partiel actuellement, le chômage complet dans un proche avenir, de toute manière la misère certaine. « La propagande orale se fait plus insidieuse, mais entretient soigneusement le feu qui couve ». Le préfet des Côtes du Nord rend compte le 1er octobre : « Différence essentielle entre population agricole, accaparée par les champs, écoutant fort peu la radio, n’achetant guère de journaux, et la population côtière et urbaine, regrettablement intoxiquée par la radio anglaise et les émissions gaullistes. Toutefois, précise-t-il, cette sympathie indiscutable d’une grande partie de cette population côtière et urbaine conserve un caractère passif et ne se manifeste que par des inscriptions, des graffiti et des essais d’obéissance aux consignes de la radio anglaise » Et de signaler en octobre le premier procès en Côtes du Nord pour impression photos de De Gaulle suivi de trois condamnations. Du préfet du Finistère, le 4 octobre 41 : « L’opinion publique s’entête dans son incompréhension et commence à devenir inquiétante. Elle est docile aux consignes les plus niaises de la radio anglaise. Sur son ordre -aveuglement obéi- toute déclaration importante du Gouvernement doit être « considérée comme un moyen de lier davantage la France pour la mettre à la disposition du Reich ». Nous sommes revenus aux mauvais jours de l’affaire Dreyfus avec des divisions profondes jusque dans les familles : on classe les uns en partisans de la collaboration ou du général de Gaulle » Et cette conclusion étonnante : « Pour un bon nombre, un patriotisme exacerbé. […] Pour trop d’égarés, le Chef n’est pas celui de l’Etat français ». Rapport du même préfet du Finistère le 1er décembre : « Opposition sourde de toute une série de fonctionnaires. Cette hostilité prudente n’est pas spéciale à un service, elle caractérise la mentalité » Et le 1er janvier : « La propagande gaulliste retrouve son efficacité depuis l’entrée en guerre des Etats-Unis. Crise municipale à Brest : M. Le Gorgeu, son 1er adjoint et 8 conseillers se sont abstenus lors du vote d’une adresse de confiance au Maréchal, 10 voix pour, 10 abstentions. » Il faut savoir que le docteur Le Gorgeu est depuis 1929 sénateur maire de Brest. C’est un modéré, gauche démocratique. Sa rébellion lui vaut d’être révoqué le 1er janvier 1941. Le même rapport préfectoral poursuit : « Exécution à Paris de 11 jeunes originaires de Brest emprisonnés depuis le début de l’année ? Les victimes sont mortes en héros. Parmi celles-ci beaucoup de catholiques, c’est la grande majorité. (…) Il n’y avait parmi eux ni anarchistes ni révolutionnaires. La population a ressenti très vivement cette douloureuse épreuve. Elle ne saurait l’oublier.. M. Le Gorgeu m’a dit et répète partout qu’il ne saurait plus suivre le Maréchal depuis août dernier. «  Ecoutons ce que qu’écrit dans cette même phase de l’automne le Préfet de Seine-et-Oise, préfet de la banlieue rouge le 30 septembre, c’est-à-dire avant les fusillades d’otages) : « Trop nombreux ceux qui boudent encore la Révolution nationale.[…] La majorité de l’opinion est très nettement réservée à l’égard de la politique de collaboration européenne. A l’exception des chefs d’entreprise qu se souviennent de 1936, on espère dans les sphères modérées qu’avec l’aide de la Russie l’Angleterre viendra à bout de l’Allemagne. « Quant à l’activité des partisans de l’ex-général de Gaulle, elle est importante et affecte une grande partie de la population, mais c’est une tendance plutôt qu’un parti. […]. Sa propagande –nouvelles colportées et exagérées- est très difficile à déceler et à réprimer, d’autant plus que la répugnance du public à dénoncer les propagandistes gaullistes est encore plus grande que lorsqu’il s’agit de militants communistes ».

Et s’agissant de l’activité communiste en Seine-et-Oise, le préfet se livre à un long développement sur la propagande par tracts et orale dans les trains, les usines, les queues et qui se pare de plus en plus du paravent de l’unanimité nationale » A quoi s’ajoutent maintenant des sabotages contre les voies ferrées. En zone libre, le climat ne se prête guère à la contestation. Les fastes de la Légion et des voyages acclamés du Maréchal s’y déploient, le culte du Maréchal est organisé en 1941 à grande échelle, les 4 000 officiers de l’armée de l’armistice, liés par serment au Maréchal et « recrutés pour leur ferveur », ne veulent pas douter que Pétain soit le meilleur des boucliers. La très grande majorité, notamment paysanne savoure, selon le mot de Léo Hamon, « la douceur de la patrie conservée ». De l’avis de tous les préfets, « jamais le mécontentement ne s’adresse au Maréchal ».

Là aussi le climat, pourtant, a changé.. « Il faut agir vite contre les juifs, écrit cyniquement le 4 novembre le préfet des Bouches du Rhône, car on risquerait sinon « de voir s’établir dans le public qui oublie vite ces sentiments populaires de pitié qui pourraient parer les Israélites de la qualité de victimes, voire de martyrs ». « Du point de vue de la politique extérieure, ajoute-t-il, l’opinion est très réticente sur le chapitre de la collaboration. Le public résiste. » Les rapports du préfet de la Haute Garonne livrent des appréciations et des comptes rendus tout aussi significatifs : 4 octobre : « Il n’est pas douteux qu’un public extrêmement nombreux n’ajoute foi qu’aux journaux suisses dont la faveur va croissant, et à la radio anglaise qui est écoutée partout. » Du même, le 3 novembre : « La pensée française ne retrouve une unité qu’autour du Maréchal : reconnaissance, confiance, dévouement. » Mais dans la rubrique « Manifestations », du même rapport, il écrit : « Les premières réactions du public à l’égard du film « Un an de Révolution nationale » n’ont pas toujours été très favorables. Cette projection n’a suscité généralement aucune manifestation. Toutefois lorsque quelques spectateurs applaudissent certains passages, la majorité de la salle riposte en sifflant, notamment à l’occasion de la projection de l’entrevue de Montoire ».

Rien d’étonnant dans ce climat détérioré si le processus : de regroupement autour des noyaux d’opposition s’accélère à l’automne au nord comme au sud. En zone occupée, seul le réseau du Musée de l’Homme avait donné, en début d’année, l’exemple d’une action de propagande jumelée avec une action de renseignement, cherchant à se développer en province et à trouver le contact avec les Britanniques. Il a été rapidement démantelé comme la plupart des premiers réseaux. De véritables mouvements de résistance sont parvenus pourtant à naître et à durer, comme le Front National et Libération Nord, si faible que soit encore leur rayonnement. Mais seul le PCF a une stratégie réfléchie et une cohérence dans l’action, facilitée par une expérience déjà longue de la clandestinité sous l’impulsion de Duclos et Frachon. Outre les attentats, il s’est lancé dans une politique de publication de journaux clandestins visant les différents secteurs de l’opinion, y compris une feuille en allemand pour les soldats d’occupation.. Il confirme, contre l’avis de De Gaulle, sa volonté d’action immédiate violente. Entre mai et octobre, le réveil du PCF en zone occupée est suffisamment net pour que le préfet Jean Moulin voie en lui un acteur susceptible de capter la résistance.

Même en zone libre, de nouvelles initiatives se font jour, c’est l’apparition dans le Sud-Est en novembre du mouvement Combat, né à l’initiative de Frenay de la fusion des groupes Liberté et Libération nationale et qui tire son nom du journal clandestin Combat publié à partir de novembre 1941. Or, Frenay est un des très rares contestataires qui ait dès ce moment un ensemble d’objectifs clairs, y compris dans le domaine paramilitaire et, dès ce mois de novembre, il accepte la proposition du jeune avocat Jacques Renouvin de constituer des groupes francs qui plastiqueront les boutiques de la collaboration. C’est au même moment la naissance à Lyon de Franc-Tireur, à la fois journal et regroupement d’équipes radicalisantes et partiellement franc-maçonnes. Dans ces mêmes semaines, d’Astier fait accord avec ce qui reste dans la clandestinité de la direction de la CGT, ainsi qu’avec le Comité d’Action socialiste constitué par Daniel Mayer et Félix Gouin à Marseille.

Ainsi 1941 voit s’étendre un climat nouveau. L’opinion reste majoritairement silencieuse, mais 1941 aura vu la naissance de la résistance-action, initiée par des communistes encore isolés, mais suivant les consignes d’une direction clandestine réfléchie et résolue. 1941 aura été d’autre part la phase d’implantation de la résistance des mouvements. On a pu qualifier cette forme de résistance de féodale, car chaque groupe se consolide autour d’une personnalité douée de charisme et qui en restera le chef. C’est une résistance qui achèvera dans les mois suivants de rompre avec le respect dû au Maréchal. Mais c’est avant tout une résistance-démonstration. Et la capacité d’engagement reste ultra-minoritaire. Les équipes acheminées de Londres -parachutées à partir de mai- n’y ont pas ajouté grand-chose car elles ont été pour la plupart traquées, voir démantelées. Il en est resté des contacts utiles, des relais, un beau sabotage à Pessac, la technique des « messages personnels » diffusés par la BBC et -au mieux -la mise en place de deux réseaux de renseignement, la CND de Rémy, équipée de six postes émetteurs en fin d’année et qui envoie des rapports mensuels à Londres et en Bretagne, injustement méconnu, le réseau Allah rebaptisé ensuite Johnny, de Robert Alaterre. André Malraux donnera de cette résistance non communiste purement autochtone de l’automne1941 au moment où l’ex-préfet Moulin arrive à Londres pour en informer les Anglais et de Gaulle une définition flamboyante difficilement contestable : « Désordre de courage (il avait écrit d’abord : poussière de courages désarmés), une presse clandestine, une source d’informations, une conspiration pour rassembler ces troupes qui n’existaient pas encore ». La liaison avec la France Libre va transformer la donne.

L’année 1941 a vu dans le même temps la consolidation de ce que personne n’appelle alors « la résistance extérieure », la France Libre. L’Angleterre a tenu et de Gaulle s’est imposé. En cet automne 1941, les Forces Françaises Libres sont encore minimes, moins de 40 000 hommes sur lesquels seulement 18 000 sont des non coloniaux dont10% de volontaires étrangers. Elles ne s’accroissent que lentement : de 200 nouveaux volontaires par mois en moyenne. Mais pas un seul jour ils n’ont été absents de la guerre. Et il y a un Empire français Libre où flotte librement le drapeau français, base territoriale de souveraineté. De Gaulle a desserré la contrainte anglaise, il a affirmé l’inconstitutionnalité et l’illégalité du gouvernement de Vichy et reconstruit en terre étrangère une légalité. Le Journal Officiel de la France Libre paraît depuis le 20 janvier 1941 dans une présentation identique au JO de la IIIe République. Partout dans le monde, de Gaulle prétend être la voix de la France et le garant de ses intérêts, quitte à s’opposer à Churchill. En septembre 1941, il constitue un Comité national français, amorce d’un gouvernement destiné à faire pièce au gouvernement de Vichy, et qui comporte un Commissariat national à l’Intérieur, dont nul ne voit clairement ce que sera la mission. C’est à ce moment que Jean Moulin, arrive à Londres. Reçu par de Gaulle le 25 octobre, lui apporte un tableau des premiers mouvements de résistance –dont les services londoniens viennent tout juste de découvrir l’existence- et il lui soumet un plan de développement de l’action à conduire en France : il faut miser non pas seulement sur des réseaux étroits de renseignement ou de sabotage pilotés de Londres comme ce fut le cas jusque là, mais il faut viser à susciter une action populaire de masse à fins militaires qui devrait permettre à terme aux forces résistantes d’apporter une contribution majeure à la libération du pays. De Gaulle a l’ardent désir de s’imposer comme leader de la résistance intérieure. Ainsi a-t-il prescrit aux Français de faire pendant une heure le vide dans les rues le 1er janvier 1941 et il a ordonné la manifestation nationale le 14 juillet. Deux jours avant la rencontre avec Moulin, il s’est automandaté comme chef d’une résistance encore insaisissable en prescrivant aux Français de ne pas tuer actuellement d’Allemands et le 27, il leur prescrit un garde-à-vous national de cinq minutes en hommage aux fusillés. Il est d’autant plus accessible aux propositions de Moulin. Il soumet ce même 27 octobre le nouveau plan d’action en France à l’approbation britannique et le 5 novembre, il investit Moulin d’une mission militaire en France : assurer en son nom la liaison avec les trois principaux mouvements clandestins, en vue de les amener chacun à créer une branche militaire sous l’autorité de la France Libre. Un second ordre de mission, civil, celui-ci, du 24 décembre désigne Moulin comme son représentant et comme délégué du Comité national en zone non occupée. Six mois suffiront à Moulin pour rassembler sous l’égide de De Gaulle les trois principaux mouvements de zone libre, Combat, Libération et Franc-Tireur. En même temps de Gaulle a amorcé ce qu’on a pu appeler son « virage démocratique ». Dès le mois d’août 1940, sensible à la pression de ses grands lieutenants militaires, il avait mis au rancart la devise « Liberté-Egalité-Fraternité » et en juin encore, il refusait qu’il soit dit que la France libre combattait pour la démocratie. Le 15 novembre 1941, il se sent assez fort pour franchir le pas : lors du grand rallye des Français de Grande Bretagne à l’occasion du 11 novembre, c’est le premier discours de lui que j’entends, il se réclame au nom de la France Libre des deux devises Liberté-Egalité-Fraternité et Honneur et Patrie. C’est le début d’une évolution qui en six mois le conduira à proclamer que la France Libre n’incarne pas seulement la Patrie, mais la République combattante, avant de se réclamer à l’automne 1942, face à l’amiral Darlan « des justes lois de la légitime République ». La conjonction entre la France Libre et les formations résistantes ne saurait se faire sur une autre base. Une époque nouvelle dans l’histoire de notre guerre s’ouvre ainsi fin 1941. Grâce à Moulin, l’union de la Résistance se fera , et se fera sous l’égide du chef de la France Libre. Le mot d’ordre lancé par de Gaulle en avril 1942 : « La Libération nationale ne peut être séparée de l’insurrection nationale » deviendra finalement réalité, même si la Résistance restera jusqu’au bout pour beaucoup, selon le mot terrible du Père Bruckberger, le regret de n’avoir rien fait.

Le 1er janvier 1942, je suis invité à déjeuner dans une famille de la gentry anglaise. Nous écoutons, debout autour de la table d’acajou, le discours du Nouvel An de George VI. « He does not stutter so much this year ! » constate le maître de maison, ce que je prends pour un gag. Nous portons des toasts au roi, à la France Libre et à la Résistance, une résistance que nous imaginons nombreuse, cohérente et efficace. Illusion, mais les jalons sont posés. Nous ne doutons ni de la victoire, ni de la participation victorieuse des Français Libres et des Français résistants à notre libération.

Jean-Louis CREMIEUX-BRILHAC

27 juin 2011