Mon oncle de l’ombre

Par Stéphanie Trouillard   Auteur : Stéphanie Trouillard    Éditions : Ed. Sko-Vreizh

Bonjour à tous, je m’appelle Stéphanie Trouillard. Je suis journaliste pour France 24 où je m’occupe de l’actualité internationale et aussi beaucoup d’histoire. Je viens de publier un livre « Mon oncle de l’ombre » aux éditions Skol Vreizh.

C’est particulièrement impressionnant d’être ici aujourd’hui à la fondation de la résistance, car c’est une institution qui perpétue la mémoire de la résistance et je vais vous parler d’un petit maquisard, mon grand-oncle.

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Au cours de cette conférence, je ne vais pas vous raconter tout le livre, car je préfère que vous le lisiez, mais je vais vous raconter comment j’ai débuté mes recherches et vous donnez quelques tuyaux pour faire aussi vos propres recherches.

Je vais d’abord vous présenter ma famille. Voici la photo de mariage de mes grands-parents en 1950, Félix Gondet et Célestine Jutel.  Ils se sont mariés dans la ville de Caro d’où était originaire ma grand-mère, c’est là que cette photo a été prise. Du côté de ma mère, toute ma famille vient de ce coin de Bretagne, qu’on appelle le pays de Malestroit, dans les terres dans le Morbihan.

Je suis née pour ma part à Nantes, mais quand j’étais enfant, je venais régulièrement à Caro où mon grand-père s’est installé au Grand Village à la retraite. Ma grand-mère est décédée malheureusement avant ma naissance. Je ne l’ai pas connu. Me voici en photo avec lui.

Quand j’étais enfant, je voyais toujours dans sa chambre, un cadre avec un portrait d’un jeune homme. J’ai appris qu’il s’agissait de son frère André et qu’il avait été tué dans la résistance. Mais c’est tout ce que je savais. Mon grand-père n’aimait pas du tout parler de la guerre. Quand il voyait des films à la télé, il nous disait de changer de chaîne car « c’était pas beau ». Je me souviens pourtant que quand j’avais une dizaine d’années, il nous avait accompagnés au musée de la résistance bretonne qui se trouve à Saint-Marcel et pourtant là encore il ne nous avait pas parlé de son frère, alors que pourtant déjà, j’étais passionné d’histoire.

Finalement, mon grand-père est décédé en 2001. J’avais 17 ans et je ne lui avais jamais posé de questions. C’était trop tard. C’est une dizaine d’années plus tard, quand mon père a commencé à faire la généalogie de la famille, que j’ai moi-aussi voulu m’intéresser à mes racines. Je me suis décidée à m’occuper des « soldats de la famille ». En remontant dans la généalogie, le premier sur lequel je suis tombée : c’est André. Et je me suis dit que c’était quand même incroyable d’avoir un héros dans la famille et de ne rien savoir sur lui.

Qu’est ce que j’avais comme info en ma possession ? Une photo, ce fameux portrait dans la chambre de mon grand-père et puis une date, celle de son décès le 12 juillet 1944 à Plumelec, lors du massacre de Kérihuel.

Je savais aussi qu’il était donc originaire de Bohal. Voici la maison de mes arrières grands-parents à Bohal, à Tircolet, qui est toujours occupé par une grande-tante. C’est là qu’André est né, ainsi que mon grand-père. Mon arrière grand-père était charron. Un métier aujourd’hui disparu. Il fabriquait les roues de charrette et mon arrière grand-mère Jeanne Menant, s’occupait de la ferme, ils avaient quelques bêtes. C’est la seule photo que nous ayons d’eux, ils sont sur la photo de mariage de mes grands-parents, mais ils sont décédés relativement jeunes dans les années 50, quelques années après les noces de leur fils.

Pour en savoir plus sur André, vu que je n’avais plus de témoins vivants dans ma famille. Je me suis donc adressée dans un premier temps aux archives du ministère de la Défense. Elles se trouvent au château de Vincennes près de Paris. Si vous allez sur le site du service historique de la défense, vous avez la liste des dossiers administratifs des résistants. Il y a environ 600 000 dossiers, que ce soit de FFI, forces françaises de l’Intérieur, de forces françaises livres FFL, de FFC, forces françaises combattants ou encore de déportés internés résistants.

Vous pouvez faire une recherche par ordre alphabétique et savoir si un membre de votre famille a été reconnu comme résistant. André fait partie de cette liste, comme deux de ses cousins Gondet d’ailleurs, Georges et Joseph qui étaient originaires de Saint-Guyomard et de Josselin. Quand vous trouvez le nom vous avez une cote qui correspond au dossier. Pour André, c’est le GR 16 P 262486. Vous prenez ensuite rendez-vous au château de Vincennes toujours sur le site du service historique de la défense et ils vous préparent le dossier que vous pouvez consulter. Il est aussi possible de demander des copies, moyennant le prix des photocopies et de l’envoi.

Je me suis donc rendue au château de Vincennes début 2012 pour consulter ce dossier. A vrai dire, je pensais vraiment rien trouvé. Je me suis dit qu’André était un petit FFI de Bohal et qu’il n’y avait certainement pas grand-chose à raconter sur son compte. Et au final, j’ai été assez surprise car le dossier était assez conséquent. Je l’ai ouvert avec beaucoup d’émotions comme vous pouvez l’imaginer.

Ce qui était émouvant d’abord, c’est qu’il avait été rempli par mon arrière grand-père. Il y avait sa signature. Il avait fait toutes ces démarches pour qu’André soit reconnu comme FFI. C’était la première fois que je voyais sa signature et son écriture. C’était un petit peu comme un lien, comme s’il me transmettait à moi aussi cette histoire.

Donc, qu’est ce que j’ai appris dans ce dossier ? Qu’André avait été bien reconnu comme FFI, membre des forces françaises de l’intérieur, qu’il était membre du 8ebataillon de FFI du Morbihan et de la 7ecompagnie, celle de Plumelec. Qu’il avait rejoint la résistance en janvier ou juin 1944, suivant les dates, et qu’il était sous les ordres du commandant Caro. Il avait participé aux combats de Saint-Marcel et c’est à la suite de ces combats qu’il a trouvé la mort.

Alors qu’est-ce que sont ces combats ? A la veille du débarquement, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, des parachutistes français, des SAS, formés par les britanniques ont été parachutés en Bretagne. Leur mission ? Faire des opérations de sabotage pour ralentir la progression des Allemands vers la Normandie. Mais quand ils sont arrivés, ils se sont rendus compte qu’il y avait déjà des groupes de résistants importants. Au même moment, l’ordre avait été donné aux FFI du coin de se regrouper à Saint-Marcel, dans une ferme. Près de 3000 résistants y sont passés. On a appelé cela la Petite France, tellement il y avait de monde. Mais voilà, ce qui devait arriver est arrivé. Le 18 juin 1944, les Allemands ont trouvé le maquis et il y a eu des combats très violents. C’est la première fois qu’il y a eu une opposition entre résistants et allemands. Ils leur ont tenu tête. André a participé à ces combats qui ont duré toute la journée avant que les maquisards épaulés par les parachutistes se dispersent en fin de journée.

J’ai aussi découvert une première piste intéressante. Il était inscrit qu’il était mécanicien à Guéhenno avant d’entrer dans la résistance. Déjà, je ne connaissais pas Guéhenno et je ne savais pas qu’il était mécanicien.

Après avoir consulté ce dossier, je me suis efforcée dans un premier temps de retrouver des témoins. Je tenais absolument à rencontrer des personnes qui avaient connu André ou qui pouvaient me parler de lui et finalement, cela ne s’est révélé pas facile. Si j’avais commencé mes recherches plus tôt, j’aurais trouvé beaucoup plus de monde et malheureusement beaucoup de personnes de cette génération étaient déjà partie, d’ailleurs il n’y avait plus personne dans ma propre famille pour me parler de lui. J’ai donc envoyé des centaines de courrier, un peu partout dans le Morbihan pour tenter de trouver des témoignages. Peut-être que certains d’entre vous en ont reçu dans leur famille.

L’une des premières personnes que nous avons rencontrées, car mes parents m’ont beaucoup aidé dans ces recherches, a été Simone Dugalès. Je l’ai retrouvé grâce à un site de généalogie. J’ai pu contacter sa fille qui a organisé la rencontre. C’était extrêmement émouvant car Simone a assisté au massacre de Kérihuel, elle avait 14 ans. C’était la première fois qu’elle racontait devant sa fille ce à quoi elle avait assisté, c’est-à-dire la mort de 18 personnes dont son oncle et son cousin, le matin du 12 juillet 1944 dans cette ferme de Plumelec. En fait, après les combats de Saint-Marcel, les maquisards et les parachutistes se sont dispersés dans la campagne environnante, mais ils ont été traqués par les Allemands qui les ont retrouvés dans cette ferme de Kérihuel. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais ce massacre a été particulièrement sordide. Elle vit depuis plus de 70 ans avec ces images dans son esprit.

Nous avons ensuite rencontré André Danet, qui était lui aussi présent lors du massacre. Il vivait avec ses parents dans leur ferme de Kérihuel. Il avait 17 ans et a pu s’enfuir, sinon lui aussi il aurait été passé par les armes. Ce qui était très fort, c’est qu’il a été la première personne à reconnaitre André sur une photo. Il se souvenait très bien l’avoir vu la veille et il m’a même dit que je lui ressemblait. Il nous a aussi montré les lieux où il a été exécuté, car il est resté vivre toute sa vie dans sa ferme de Kérihuel. Il est malheureusement décédé depuis.

Nous avons aussi eu la chance de pouvoir parler avec Augustine Pédrono de Guéhenno qui elle aussi se souvenait très bien d’André quand il était mécanicien dans sa ville. Et elle nous a appris qu’il portait un faux nom et qu’il était donc caché dans cette ville.

Par la suite tout l’objet de mes recherches a été de comprendre pourquoi André s’était il retrouvé dans la résistance ? Quelles étaient ses motivations ? Comment était-il mort aussi ? Pourquoi ? Là on voit, une plaque dans l’église de Bohal où son nom est indiqué.

J’ai fait toutes les archives possibles et inimaginables. Je vous conseille tout d’abord de vous rendre aux archives départementales du Morbihan qui possèdent aussi des dossiers sur les FFI du département ainsi que sur les différentes compagnies de FFI. Je me suis aussi rendue aux archives d’Ille et Vilaine qui possèdent les archives judiciaires relatives au massacre de Kérihuel. J’ai aussi été à des archives auxquelles on ne pense pas toujours, aux archives du presbytères de Malestroit, j’y ai trouvé notamment un carnet écrit pendant la guerre par le recteur de Bohal et qui m’a apporté des informations très intéressantes. Je vous conseille aussi les archives du bureau des victimes de conflits contemporains qui se trouve à Caen et qui a des dossiers sur toutes les personnes qui ont été tuées pendant la guerre, mais aussi sur les déportés ou les prisonniers en Allemagne. Il suffit de leur adresser un courrier et ils feront les recherches pour vous.

Finalement, mes recherches m’ont conduites à ma grande surprise jusqu’en Allemagne, mais je ne vous expliquerai pas pourquoi car c’est l’un des rebondissements du livre.

Ce qui a été finalement assez difficile et j’ai compris aussi pourquoi mon grand-père ne voulait pas en parler, c’est de connaître au fur et à mesure les détails sur le massacre de Kérihuel et l’exécution de 18 personnes. Sur cette photo, on voit des agents français qui travaillaient pour les Allemands et qui ont participé au massacre et qui ont posé devant leurs victimes. Mon grand-oncle est l’un de ces corps à terre. Cela glace le sang surtout quand on voit leur sourire. J’ai aussi découvert qu’il y avait eu des massacres similaires et perpétués par les mêmes hommes à Sérent, à Trédion. Notre région a connu une violence extrême à la suite des combats de Saint-Marcel.

Sur ce cliché que j’ai retrouvé aux archives d’Ille et Vilaine, dans le dossier judiciaire, on peut voir le visage de Maurice Zeller qui commandait ce groupe de Français qui travaillait pour les Allemands. Dans le livre, je n’ai pas seulement voulu parler des gentils résistants, et vous verrez en lisant le livre qu’il n’y a pas eu que des bons résistants, mais j’ai aussi voulu comprendre comment des Français comme ce Zeller, ancien officier de la marine, avait pu tuer d’autres Français. Quand je faisais mes recherches, je regardais en parallèle la série un village français pour ceux qui connaissent et qui a été diffusé sur France 3, et j’ai retrouvé vraiment le même esprit. Ce n’était pas blanc et noir, mais tout en nuance. Des gens se sont retrouvés dans la résistance sans vraiment le vouloir, d’autres ont collaboré, mais n’avaient pas forcément d’idéologie. C’est beaucoup plus complexe que les méchants d’un côté et les gentils de l’autre.

Heureusement, cela m’a aussi permis d’en savoir plus sur de belles personnes comme Yvonne Aimée de Malestroit dont je parle dans le livre. Cette sœur de la clinique des Augustines, bien connu ici, qui a reçu la croix de guerre, la légion d’honneur, la médaille de la résistance et la médaille de la reconnaissance française pour son action envers les résistants. Elle a caché et soigné des résistants et des parachutistes dans la clinique, tout en soignant également des blessés allemands.

Au cours de mes recherches, j’ai pu constater que cette mémoire était encore bien vivante dans la région. Les gens ont véritablement été marqués par ce qu’il s’est passé ici et toutes les violences. On a pu le voir pour les 70 ans du maquis de St Marcel, il y avait une foule nombreuse, là c’est une photo de la cérémonie à Kérihuel en 2014 pour le massacre de Kérihuel. Cette mémoire est aussi très vive car il y a encore des gens en vie qui peuvent en parler, même si peu à peu ils disparaissent. J’ai aussi compris qu’il y avait des choses qui n’étaient pas encore réglées, beaucoup de rumeurs, de règlements de compte, c’est un sujet vraiment très sensible.

Pour conclure mes recherches, j’ai voulu aussi pour qu’on n’oublie pas le nom d’André, qu’il y ait des choses concrètes qui soient faites pour qu’on le reconnaisse. Finalement, je me suis rendu compte qu’à Bohal, sa ville natale, à part sur le monument aux morts et sur la plaque à l’église, il n’y avait aucun souvenir de lui, alors que c’est le seul FFI du village à avoir trouvé la mort. J’ai donc déposé un dossier à la mairie pour qu’une rue porte son nom. Il n’y avait pas de projets de nouvelle rue, mais un chemin était en construction. Cela nous a semblé une bonne idée surtout qu’il passait près de sa maison natale et devant son école. Le projet a été validé et le 11 novembre dernier nous avons inauguré son chemin au cours d’une belle cérémonie. Il y avait même des reconstitueurs habillés comme à l’époque. Les enfants de Bohal ont aussi participé, c’était vraiment très beau.

Et la semaine dernière, j’ai eu le bonheur d’apprendre que la médaille de la résistance a aussi été attribuée à André. Là encore, j’avais déposé un dossier il y a deux ans, quand j’ai appris que cette médaille pouvait être encore attribuée mais à titre posthume à des personnes tuées au cours du conflit ou en déportation suite à des faits de guerre. Cela a pris un peu de temps, car les commissions se réunissent que quelques fois par an à l’ordre de la libération pour statuer sur les dossiers. Mais finalement le décret a été signé le 4 avril par le président de la république et il vient de paraitre au bulletin officiel.

Normalement, une cérémonie va être organisée pour nous remettre cette médaille et ce sera finalement le point final de ces recherches. André va rejoindre les quelques 65 000 résistants qui ont reçu cette médaille. Il est désormais sorti de l’ombre.