La Résistance dans le cinéma français. 1944-1994 De La Libération de Paris à Libera me
Par Suzanne Langlois Auteur : Suzanne Langlois Éditions : Éditions l’Harmattan
En explorant et en analysant plus de 80 films – visionnés ; scénarios, récits ou nouvelles à l’origine des productions cinématographiques consultés, ajoutés à quelques entretiens avec des résistants et des cinéastes – et en les replaçant dans le contexte social, culturel et politique de ces cinquante dernières années, Suzanne Langlois démontre que, tout au long de ces années, la perception de la Résistance ne fut pas immuable.
Vision consensuelle d’un peuple en lutte qui s’est soulevé pour se libérer : quand sort sur les écrans La Libération de Paris, l’événement cinématographique de l’automne 1944. L’auteur c’est : «Paris, la ville insurgée », film dont le montage renforce l’idée que l’insurrection a accompli l’essentiel avant l’arrivée des armées.
Le cinéma de fiction de l’immédiat après-guerre montre des gens ordinaires, « amateurs dans la Résistance » ; exemple : Le Père tranquille. Justesse de ton et humanisme que l’on oppose à la barbarie vaincue, témoignages sobres d’hommes et de femmes de la France résistante engagés dans l’action, c’est : La Bataille du Rail, l’autre grand film marquant de cette période.
Unanimité de la Résistance, donnant souvent de l’attitude des Français durant l’occupation une vision lénifiante, c’est le regard que donne le cinéma de l’année 46. Vichy, Pétain, la collaboration ne seront effleurés que dans certains films comme : Les Portes de la nuit, Jéricho, par exemple.
1947 à 1952 : le « geste héroïque des maquis », est moins présent, le contexte social est difficile, la rupture du gouvernement avec le Parti communiste est consommée, la France se reconstruit, mettant en œuvre les objectifs politiques de la Résistance, les nationalisations, la sécurité sociale, le droit de vote des femmes. Au cours de ces années, le cinéma commence à porter un regard différent sur la France résistante ; il fait apparaître dans ses productions les tensions passées (exemple : Au cœur de l’orage), et montre des résistants qui sont loin d’être au-dessus de tout soupçon, c’est : Nous sommes tous des assassins. La Résistance extérieure est privilégiée avec entre autres en 1948 La Bataille de l’eau lourde, et guerre froide et guerres coloniales obligent, de nombreux films font une plus large place à l’armée avec Bataillon du Ciel, Le Grand Cirque, Casabianca.
A partir de 1953 et jusqu’au retour au pouvoir du général de Gaulle, la Résistance s’absente du « grand écran ». Les guerres coloniales, et en particulier le conflit algérien, marquent une rupture chez les anciens résistants. Seul grand film marquant : Un condamné à mort s’est échappé. A la même époque apparaît à l’écran le thème des prisonniers et de leur retour et aussi celui de la déportation avec le moyen métrage documentaire Nuit et Brouillard de Resnais.
A partir de 1958 au retour du général de Gaulle, le cinéma a de nouveau rendez-vous avec la Résistance. Jusqu’en 1971 plus de 25 films sont tournés : tous les genres sont présents, de l’épopée au drame, de la comédie au film d’espionnage. C’est une résistance intérieure organisée, en liaison avec Londres qui est présente à l’écran où enfin apparaissent quelques visages féminins. Amour de la patrie, soif d’action et besoin de dignité sont l’objet de l’engagement qui anime les personnages présents dans ces films. Dans Marie-Octobre, L’Armée des ombres, Un taxi pour Tobrouk …etc., l’ennemi est Vichy, l’allié de l’Allemagne nazie, et c’est la collaboration d’Etat qui est ainsi dénoncée. C’est une vision gaullienne de la Résistance qui apparaît tout au long de ces années, cette dénonciation coïncidant avec le rapprochement franco-allemand, l’un des axes de la politique extérieure de la France de ces années.
1971 marque une rupture, avec la sortie du film de Marcel Ophuls : Le Chagrin et la Pitié, qui suscitera des débats passionnels, démystifiant la vision d’une France tout entière résistante et consensuelle.
De 1971 à 1983, période qui s’inscrit pour une grande part dans la continuité politique de la précédente, la production cinématographique va explorer les faces sombres de l’occupation : la délation, la collaboration : Lacombe Lucien, montrer la résistance communiste et immigrée : Section spéciale de Costa-Gavras, l’Affiche rouge de Franck Cassenti . Ce sont aussi les années du réveil de la mémoire juive, suite à l’étude scientifique de l’Holocauste, et suite aussi à une renaissance du négationnisme. La série télévisée américaine Holocaust sort en janvier 1979.
En 1983, Papy fait de la résistance donnera une vision assez déconcertante de la Résistance et de son souvenir.
De 1984 à 1994 les femmes et leur point de vue sont enfin présentes : Blanche et Marie, la «Résistance humanitaire », c’est à dire l’aide aux persécutées raciaux : Au revoir les enfants qui implique courage, détermination et organisation est présente sur le grand écran. La résistance communiste est largement représentée avec, par exemple L’Orchestre rouge et Uranus de Claude Berri, ainsi que le thème de l’épuration.
En parallèle au cours de cette décennie la production historique sur la Résistance est d’importance, complétée par deux biographies monumentales, celle de « de Gaulle » de Jean Lacouture et de « Moulin » de Daniel Cordier qui contribuent à rendre la Résistance « plus ouverte » à un plus grand nombre de Français,.
Tout au long de son livre Suzanne Langlois démontre ainsi que le film, comme l’écrit ou le débat public, est l’un des éléments de la construction historique et, sans doute, l’un des meilleurs lieux, peut-être l’un des plus accessibles, propice à la transmission et à la pérennité de l’héritage de la Résistance. Elle montre qu’à travers le «Septième Art » la Résistance est un événement positif de l’histoire de France et suivant la phrase de François Bédarida : « Là où surgit l’oppresseur -à fortiori l’occupant-oppresseur- là surgit le résistant, archétype de la conscience qui dit non ».