Henri Frenay : De la Résistance à l’Europe
Par Robert Belot Auteur : Robert Belot Éditions : Éditions du Seuil 2003
Robert Belot livre dans une longue et dense biographie le portrait d’Henri Frenay, pionnier et grande figure de la Résistance française « du dedans », à la fois connu et méconnu, dont le parcours singulier et complexe est resté dans la mémoire parfois ambiguë.
Pour son biographe il y a d’abord une antécédence et donc une conséquence qui explique l’engagement de Frenay. A l’aube les menaces nazies du milieu des années trente, le futur fondateur de « Combat », brillant Saint-cyrien, élève de l’école supérieure de Guerre, issu d’une famille lyonnaise de la droite traditionaliste, sera profondément marqué par deux rencontres qui préciseront ses engagements. La première avec Berty Albrecht, « belle et tragique figure de l’idéalisme et de l’engagement », qui entraînera le jeune capitaine dans des chemins atypiques où il y croisera les idées du Front populaire et des exilés allemands fuyant le nazisme. Le non-conformisme de cette rencontre leur assurera une complicité à tous égards et à toute épreuve jusqu’à la mort tragique de Berty en 1943. La seconde, sera l’année passée au Centre d’études germaniques de Strasbourg avant la guerre qui lui permettra de devenir l’un des meilleurs connaisseurs de l’Allemagne nazie et des problèmes qui minent la paix précaire de L’Europe née des mauvais traités de 1919. C’est la synthèse de cette année studieuse à Strasbourg et la fréquentation des militants antinazis accueillis par Berty qui forgera la volonté de résister du chef de « Combat » et plus tard ses futures convictions européennes, antinazi mais pas anti-allemand.
Après une belle conduite pendant la campagne militaire de mai-juin 40, à Marseille dès novembre, démuni de tout, mais avec une foi inébranlable, il jette les bases du Mouvement Libération Nationale (MLN) et « organise l’invisible » avec Maurice Chevance.
Frenay sera comme tant d’officiers, «victime » du mythe Pétain, -contre l’occupant et pour Pétain-. Tragique illusion et premier malentendu. A l’appui d’archives et de correspondances inédites, Robert Belot décrit les étapes du long cheminement qui amènera Frenay à se détacher de Pétain. Il ne doute d’ailleurs pas que l’auteur d’un « encombrant manifeste » rédigé en novembre 40, objet d’une polémique, est bien de Frenay, du Frenay « maréchalo-résistant » de 40/41, qui rompra définitivement avec le Maréchal, au retour, en avril 42, de Laval. «Le mythe Pétain a vécu » écrit alors Frenay.
« Combat » naîtra de sa rencontre avec François de Menthon du mouvement «Liberté », que rejoindront d’Astier de La Vigerie, fondateur de « Libération » et Jean-Pierre Lévy du mouvement « Franc-tireur ». Un journal du même nom, facilitera et structurera le mouvement, dont Frenay fut le grand unificateur et le grand organisateur démontre Robert Belot. Tout est dit sur les « discussions dangereuses » à Vichy avec Pucheu, erreur tactique ou naïveté politique de Frenay : sans doute un peu des deux. Si cette affaire hantera longtemps le chef de « Combat », elle l’obligera à accélérer son rapprochement avec le gaullisme et à donner à son combat une dimension politique plus claire. Frenay arrive à Londres en octobre 42, Rober Belot, montre que c’est un gaulliste sincère qui rallie le général, ralliement à la fois au chef de guerre et à l’homme politique qui, la victoire acquise, doit donner à la France un nouveau visage démocratique. C’est dans la capitale anglaise, que « Charvet », avec bien d’autres se prend à « rêver d’une Europe unie qui pourrait naître d’une paix juste et généreuse » ; se situant déjà dans l’après-guerre, il prédit dans une lettre au général de Gaulle, le dépérissement du modèle de l’Etat-nation et son dépassement à travers le cadre fédéraliste.
Paradoxalement, à son retour en France en 42, et malgré sa volonté et celle des chefs de la Résistance intérieure de travailler à l’unification de toutes les forces sous la bannière gaulliste, Frenay se retrouvera au cœur d’un conflit avec Londres. La mise en place des Mouvements Unis de la Résistance (MUR) sera longue, houleuse, exacerbée par les passions, les tensions et les luttes au sein des divers mouvements, le choc des ambitions personnelles et les inimitiés des uns et des autres et ne sera pas étrangère à ces difficultés, tandis que se déroule en toile de fond le conflit de Gaulle – Giraud.
Sur « l’affaire suisse », Robert Belot démontre que le chef de « Combat », soumis à la nécessité, a bien cherché par la Suisse et les Américains des moyens en communication, en matériel et en finance (c’est l’époque où les maquis prennent de l’ampleur due aux mesures du (STO) mais n’a pas « fait le jeu des Américains au détriment du gaullisme ». A cette date, son ralliement à de Gaulle est total et public.
Dans la « mémoire résistante » l’affrontement entre « Max » et « Charvet », deux êtres d’exception, deux hommes en compétition de légitimité, laissera bien des traces, au détriment de Frenay qui fut l’opposant cardinal au martyr mort glorieusement.
Rejoignant Alger, en novembre 43, il est nommé commissaire aux Prisonniers, déportés et réfugiés où il accomplira une œuvre immense. Il est clair alors que pour Frenay, la raison politique l’emporte sur le reste, et il reprend sa posture d’unificateur, avec une ambition : que la Résistance force de guerre soit aussi une force de renouveau. Il trouvera sur son chemin l’opposition des communistes qui voit en lui un rival, et les quelques erreurs politiques qu’il va commettre lui vaudront de leur part une haine farouche qui se traduiront par de graves accusations qui chercheront à le salir. L’échec de la mise sur pied d’un grand parti de la Résistance autour duquel devait se structurer la vie politique nationale sera l’un des grands revers du chef de « Combat ».
Dans la troisième partie, de son livre Robert Belot reconstitue l’itinéraire européen de Fresnay qui après la Libération, déçu par le nouveau paysage politique français, milite vainement, pour la construction d’une Europe fédérale où il y devient l’une des figures de proue du fédéralisme européen et se retrouve au centre de nouveaux démêlés avec le général de Gaulle à propos du projet avorté de la CED.
En 1951, dans le contexte de la guerre froide, Frenay lance sur Moulin une terrible accusation : « Moulin aurait été l’homme du Parti communiste ». Si pour son biographe cette accusation est moins le reflet du passé que celui des préoccupations du présent, la peur du communisme ravivant chez Frenay, « les humiliations systématiques que les communistes français lui ont fait subir…. », c’est sans doute la phrase de trop qui contribuera à l’image troublée qu’il laissera dans la « mémoire résistante », d’être un « procureur des morts qui ne peuvent répondre et un profanateur de l’union sacrée de la Résistance. ».
Merci à Robert Belot pour cette biographie appuyée d’une impressionnante documentation souvent inédite, de nous faire découvrir le parcours de l’un des « inventeurs de la Résistance intérieure », dont François Mitterrand lui remettant la grand-croix de la Légion d’honneur disait : « ….la vie passe et dans le cas d’Henri Frenay, elle a toujours servi à montrer le chemin sans jamais s’y installer ».