Le 18 septembre dernier, a été  organisé  au centre culturel de Loctudy, un colloque sur NOËL ARHA et sa mère ESTELLE, Résistants de la première heure de Loctudy. 

Sont intervenus  

Christian Bougeard, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de bretagne occidentale, auteur de nombreux articles et ouvrages sur l’occupation et la résistance en bretagne, dont : la bretagne de l’occupation à la libération  (p.u.r.) ; histoire de la résistance en bretagne (universels gisserot) ; occupation, résistance et libération en bretagne en 30 questions(la geste éd.)

Isabelle Le Boulanger, enseignante et chercheuse associée à l’UBO,auteure de Bretonnes et Résistantes – 1940-1944 ; Femmes d’exception sous l’Occupation(Coop Breizh) ; Enfants de guerre dans l’ouest de la France(Coop Breizh).

Emmanuel Couanault, docteur en histoire contemporaine, auteur de Des agents ordinaires, le réseau « Johnny » 1940-43(Locus Solus).

François Fouré, membre du comité départemental du concours national de la Résistance et de la Déportation, chargé de la page d’histoire locale de la revue municipale l’Estran.

Yves Blanchard, secrétaire du Comité, auteur de nombreux articles concernant l’occupation et la résistance en pays bigouden.

Cette journée a été un  succès plus de 180 personnes étaient présentes dont le Sénateur Michel Canevet, la députée Liliana Tanguy, le directeur de l’ONACVG Sylvain Le Berre, le président honoraire des familles des compagnons de la Libération Roger Guillamet, bref du beau monde.

Colloque

Noël ARHAN est un jeune garçon de Loctudy, qui s’est engagé très tôt dans les réseaux de résistance (Adolphe-Buckmaster, puis Confrérie Notre-Dame-Castille), dans lesquels il a tenu des responsabilités exceptionnelles pour son âge. Repéré par la Gestapo à la suite de dénonciations dans son réseau, il a dû se réfugier dans la clandestinité, d’abord à Pont L’Abbé à partir de novembre 1943, puis à Paris en janvier 1944. Mais il vit là dans des conditions très difficiles, toujours pourchassé par les Allemands, sans abri sûr, sans ressources, et sans tickets alimentaires. A la suite d’un abcès mal soigné à la gorge, il est victime d’une septicémie généralisée et meurt le 6 avril 1944 à l’hôpital Necker. Il avait 19 ans

1 – L’enfance à Loctudy

Les parents de Noël, Jean-Marie et Estelle Arhan, se sont mariés pendant la première guerre mondiale, le 7 octobre 1917. Estelle travaille avec ses parents au café-restaurant qu’ils tiennent à la Cale, au bas de la rue du Port (à l’emplacement de l’actuel café du Port), tandis que Jean-Marie, commissaire des Douanes, est mobilisé et sera grièvement blessé dans les combats des Dardanelles.

Arrivée de la « patache » de Pont-L’Abbé au café-restaurnant Arhan, terminus de Loctudy. A la fenêtre de l’étage, Mme Arhan mère (Marie Le Calvez), devant la porte les sœurs Estelle et Jeanne Arhan

 Noël Arhan nait à la Cale le 1^eraoût 1924, et il n’a que 14 mois lorsque ses parents s’installent dans un nouvel hôtel qu’ils ont fait construire rue de la Plage, au haut de la rue du Port

On le voit ci-dessous en compagnie de sa cousine Yvonne, née deux ans avant lui.

Noël (3 ans ? vers 1927) et sa cousine Yvonne (5 ans ?) – (coll. P-Y A)

 Jean-Marie Arhan décède en 1931, des suites de ses blessures de guerre, quand Noël n’a encore que 7 ans. Sa mère bénéficie d’une reconnaissance de « veuve de guerre », avec pension de réversion, tandis que Noël devient « pupille adopté par la Nation » en vertu d’un jugement rendu par le Tribunal Civil de Quimper le 6 août 1932.

Quelques photos de famille (vers 1936-1939) :

Avec ses grands parents  paternel

1939 – Baptème de Pierre Arhan (coll. P-Y A)

Scolarisé à Loctudy, Noël passe son brevet à Saint Gabriel après un court passage à l’EPS. Ses papiers administratifs mentionneront comme seul titre universitaire ce Brevet élémentaire

2 – L’occupation à Loctudy

Le 20 juin 1940, après la débâcle des armées françaises, les premiers motocyclistes allemands arrivent à Loctudy. Bientôt des soldats descendent de camions et s’installent à l’hôtel Arhan. Tous les hôtels sont occupés. La Gast(douane maritime) est logée aux hôtels des Bains, Arhan, Flaouter et Prat. Le 25 juin l’état-major s’installe chez madame Soubiran à Moor Braz, la cavalerie à Kerpaul et à Kérandouret. Le fournil du bourg est réquisitionné. L’heure allemande entre en vigueur, les montres sont avancées d’une heure. On peut imaginer le fort ressentiment que suscite cette arrivée de l’occupant, contre qui on avait gagné la précédente guerre. Cette fois, ils arrivent en maîtres en pays bigouden, sans qu’aucun combat n’ait été livré.

Dès leur arrivée, les Allemands ordonnent aux hommes en âge de porter les armes de se rendre avec leur équipement à Quimper, le 25 juin avant 9 heures. On les fait monter dans un train en direction de Vannes, soi-disant pour y être démobilisés. Mais le tain ne s’arrête pas en gare de Vannes et file vers l’Allemagne : les « démobilisés » sont en fait prisonniers de guerre. Loctudy,qui compte à peine plus de 2000 habitants à l’époque, perd d’un coup une forte proportion de sa population masculine, maris, fils, et grand-frères. En même temps, la commune va devoir héberger près de 2000 réfugiés venus du nord de la France et de la région parisienne. Pour clore le tout,Loctudy est englobée en octobre 1941 dans la zone interdite qui concerne 218 communes (72%) du Finistère.

3 – Débuts d’Estelle et de Noël Arhan dans la résistance, les réseaux  Johnny et Buckmaster

Dans son hôtel, Estelle Arhan doit loger un officier par chambre. On peut imaginer la réaction d’une veuve de guerre, qui manifeste sa réprobation par des gestes hostiles : à l’approche de l’hiver, quand l’hôtel est habituellement fermé, elle refuse que l’on installe des poêles directement sur ses parquets, en prétextant les risques d’incendie. Quant à la nourriture, c’est madame Arhan mère qui s’en occupe, en réchauffant de grosses gamelles préparées à l’hôtel des Bains, « une vraie nourriture de cochons » dira Marie Cariou, l’employée de l’hôtel,  « des patates trempant dans de la flotte avec du chou ». Mais l’engagement d’Estelle va rapidement plus loin, quand elle s’engage dans la résistance naissante.

On sait que, dès juin 1940, le premier geste de résistance organisé a été le départ de marins volontaires, non seulement depuis l’Île de Sein, mais de pratiquement tous les ports de la côte bretonne, pour rallier le général de Gaulle à Londres. D’autres, restés sur place mais n’acceptant pas l’occupation étrangère, commencent à s’organiser dès septembre 1940, de façon relativement informelle au départ, au gré des contacts ou des impulsions de chacun. Dans le sud Finistère, ils s’efforcent de maintenir un contat avec Londres par des traversées en bateaux de pêche de plus en plus hasardeuses. Pour les aider à s’organiser, l’Intelligence Service britannique leur envoie en mars 1941 deux hommes qu’elle a engagés, Robert Alaterre et son radio Jean Le Roux, qui constituent sous le nom de Johnny(version anglaise du prénom du radio) le premier réseau du Finistère.

L’un des membres les plus actifs du réseau est un capitaine de la Marine marchande, Pierre Dréau, de Lesconil. Dès le début de l’occupation, il s’évertue à réunir un maximum de renseignements sur la situation militaire allemande, le long de toute la côte bretonne jusqu’aux ports militaires de Brest et Lorient. Avec ses liaisons radio assurées par Le Roux, le réseau Johnny, lui permet de les transmettre à l’Intelligence Service et au BCRA gaulliste. En septembre 1941, il s’offre à assurer lui-même une liaison avec un sous-marin anglais venu à sa rencontre dans le sud des Glénan au niveau de la bouée de la Jument. Le 18 septembre, il loue à un marin de Larvor, Louis Autret dit « Moustache », le Voltaire, une barque de 5,45 m qu’il échoue sur la plage des Sables Blancs pour la charger de valises de courrier, avant de l’emmener au mouillage dans le Ster. La nuit venue, malgré la tempête qui se lève, il prend la mer avec son complice Jean Bounnoure et parvient à échapper aux vedettes rapides allemandes en contournant les îles Penfret, Saint-Nicolas, Le Loch et en faisant semblant de pêcher du côté de Kastel Vraz. Le phare de Penmarc’h, un moment allumé malgré le couvre-feu, facilite leur route. Quand le moteur est noyé par un paquet d’eau, ils continuent à la voile. Le contact a lieu à minuit, avec une heure de retard, puis retour par les Glénan, toujours à la voile. Au petit matin, ils sont de retour dans le Ster après avoir passé  sans encombre un contrôle de la Gast.

Mais un drame s’est produit dix jours auparavant : le 9 septembre, deux opérateurs radio de Johnny, Leborgne et Lamandé, sont surpris en pleine séance d’émission à Carhaix. Le groupe de Carhaix est démantelé. Pendant un temps Jean Le Roux, qui s’est réfugié à Paris, parvient

Pierre Dréau (1898-1991)
à éviter l’hémorragie du réseau et à reprendre les liaisons radio. Robert Alaterre repart en Angleterre, en nommant André Malavoy pour lui succéder. Lamandé réapparaît en février 1942 : passé entretemps du côté allemand, il fait arrêter les rescapés du réseau. C’est un désastre.

Dréau, qui a toujours fait preuve d’une prudence extrême, est l’un des rares à en réchapper. Désormais isolé et sans contacts avec Londres, il va poursuivre sa quête de renseignements. Mais sans aucun moyen de transmission vers l’Angleterre, ceux-ci s’accumulent inutilement pendant plus d’un an dans son grenier à Lesconil.

Pour sa part, Estelle Arhan fait ses premières armes dans un autre réseau, également d’origine britannique, le réseau Adolphe – Buckmaster, qui a ses racines dans le Loir et Cher, où il a été fondé par le receveur des PTT Pierre Culioli. On ignore comment celui-ci a été amené à créer

une section de son réseau à Quimper, et comment Estelle Arhan est entrée en contact avec lui, mais on peut très bien imaginer que Culioli ait été avant la guerre un client de son hôtel. Toujours est-il qu’elle figure dans les recrues du réseau comme agent P1 à partir de juillet 1941, avec une fonction « d’hébergement, boîte aux lettres ». Appréciation de Culioli : « anti-allemande de la première heure, s’est mise immédiatement et sans réserve au service de la Résistance, amenant le concours de son fils âgé de 18 ans…»

Estelle Arhan (1894-1981)

Ce document confirme donc aussi l’entrée précoce de Noël au réseau Adolphe, où il est introduit par sa mère. Dans le questionnaire établi après la Libération pour la liquidation du réseau Adolphe, Culioli lui attribue la responsabilité d’agent P2,  Chef du groupe Loctudy, avec pour fonction : passeur en Angleterre par bateau, renseignements,liaisons.

En dépit de leur appartenance à deux réseaux différents, Pierre Dréau connaissait manifestement très bien les Arhan, en bons voisins de Loctudy et de Lesconil. Après l’alerte de Carhaix en septembre 1941, Noël est missionné pour aller y récupérer un poste émetteur, qu’il ramène sur le porte-bagages de son vélo pour le cacher à la gendarmerie de Rosporden. Il vient alors d’avoir 17 ans ! [1]Au printemps 1942, c’est Estelle qui propose à Pierre Dréau, à la recherche de nouveaux contacts avec l’Angleterre, de prendre contact Pierre Culioli. Après un courrier sans suite, Dréau décide de faire le déplacement dans le Loir et Cher. Mais toujours très méfiant, il n’est pas convaincu par ce contact et ne donnera pas suite.

Beaucoup d’acteurs de cette époque appartiennent en fait à plusieurs réseaux, simultanément ou successivement.Les archives du réseau Adolphefont durer la participation d’Estelle et Noël Arhan au réseau jusqu’au 31 mars 1943, après quoi, on ne sait pas bien dans quelles circonstances, ils rejoignent le réseau Castille – Confrérie Notre-Dame, développé sur un plan national par Gilbert Renault, alias colonel Rémy. Son chef en Bretagne est un ingénieur de la base de la Kriegsmarine à Lorient, Adolphe Tanguy, pseudonyme  Alex.

Du côté de Noël, ce sont sans doute les contacts de plus en plus fréquents avec le brigadier Ricco à Rosporden, noués par l’intermédiaire du gendarme Jaffray de Pont-L’abbé, qui l’ont amené à prendre des responsabilités dans la CND. Dès 1942, il est répertorié commeagent n° 89.117, pseudonyme Dauphin, responsable de la CND pour la zone Quimper-Carhaix.

4 – L’affaire Sweet Pea, et la coopération Arhan – Dréau

Quoi qu’il en soit, ce transfert d’un réseau à l’autre se trouve clairement confirmé à l’occasion d’un événement qui concerne plusieurs réseaux du sud Finistère, et accélère certainement les mutations en cours.

Dans l’après-midi du 6 mars 1943, le Sweet Pea, une forteresse volante américaine B27 en mission de bombardement sur Lorient, est sévèrement touché par la Flak allemande. Son pilote, le capitaine John L Ryan, parvient à stabiliser l’avion jusqu’à l’amener au-dessus du pays bigouden à Plomeur, où il donne l’ordre à son équipage d’évacuer en parachute l’appareil en détresse.

John L Ryan (1917-2003)

 

La zone où ils atterrissent est malheureusement soumise à une forte densité d’occupation, et sept aviateurs sont immédiatement capturés à leur arrivée au sol. Le copilote Gérald Simmons, dernier parachuté avant Ryan, connait un sort plus tragique. Il est abattu sommairement par un sergent allemand dont il aurait ignoré les sommations. Il ne reste finalement que deux rescapés : le mitrailleur Glenn Blakemore, premier à sauter, qui bénéficie ainsi d’un effet de surprise le temps de se dissimuler dans un champ de colza. Et le commandant de bord John Ryan, resté dernier à bord pour contrôler l’évacuation, qui atterrit à l’écart des autres tout près de Ploneour Lanvern, dans une zone moins occupée.

Glenn Blakemore après la guerre

Blakemore restera dissimulé près de trois jours dans sa cachette de colza, régulièrement ravitaillé par la famille Crédou qui habite la ferme de Lestiala toute proche. Le temps pour Jean Crédou de prendre contact à Pont-L’Abbé avec Sébastien Volant, un ami ancien combattant de la 1^èreguerre, membre sympathisant de la CND. Appelé à la rescousse par Volant, Noël Arhan réagit aussitôt : enfilant par-dessus son propre vêtement une seconde tenue civile, il se fait conduire à Lestiala où il rampe dans le colza jusqu’à Blakemore et lui fait enfiler sa tenue civile, avant de se retirer pour la nuit. Le lendemain soir, il revient sur place en bicyclette avec Georges Caillaud, un ami de Loctudy qui parle anglais. Ils sont bientôt rejoints par Pierre Dréau, qui vient avec une bicyclette complémentaire. Lorsqu’il fait bien noir, Blakemore et ses trois guides prennent la route de Loctudy. L’aviateur américain, blessé à la jambe, pédale difficilement et présente une silhouette bien insolite avec ses deux mètres engoncés dans le costume trop étroit de Noël, et chevauchant une bicyclette trop petite pour lui ! Mais l’équipe profite du couvre-feu pendant lequel les allemands eux-mêmes ne sortent pas. Le seul passage délicat, aux approches de Loctudy, est la traversée du camp de Quémeur, au niveau de Kerhervant, où ils peuvent entendre d’un peu loin les lourdes bottes du factionnaire qui monte la garde. Peu après, Estelle les accueille dans son hôtel – qui ne loge pas d’officiers allemands en cette période – et Blakemore est mis à l’abri d’une chambre du second étage.

L’aventure du commandant de bord John Ryan sera plus compliquée. Bien que souffrant d’une clavicule cassée à l’atterrissage, lui aussi réussit à échapper aux recherches en descendant dans un ruisseau dissimulé sous le couvert d’un épais taillis. A partir de là, il survit pendant près d’une semaine dans le bocage, en ne se déplaçant que de nuit, de ferme en ferme, où il trouve couvert et nourriture pendant le jour. Au terme d’un parcours de près de 20 km autour de Ploneour Lanvern, il aboutit le soir du 10 mars à Tréméoc dans les bois du manoir de la Coudraie, propriété du comte Maurice de Pourtalès, autre membre de la CND.

L’odyssée de Ryan autour de Ploneour-Lanvern, 6-10 mars 1943

Noël Arhan est à nouveau appelé comme convoyeur. Il vient cette fois conduit par le docteur Souben de Pont-L’Abbé, qui possède une voiture à gazogène, véhicule particulièrement étrange pour l’américain, et bénéficie d’un Ausweis pour ses visites médicales. C’est la fin de l’odyssée. Le soir même, Ryan est conduit en moins d’une heure à l’hôtel de Loctudy, où il a la grande surprise de retrouver son équipier Blakemore arrivé la veille.

Tous deux resteront deux semaines dans ce hâvre accueillant, installés confortablement malgré le sentiment d’enfermement contre lequel ils luttent en observant de derrière un rideau le spectacle de la rue où défilent régulièrement les soldats du Reich. Leur quotidien est entrecoupé par les visites régulières de Pierre Dréau, et celles du docteur Souben qui, faute de moyen radiologique, ne peut intervenir autrement que par des bandages sur l’épaule cassée de Ryan. Mais plus tard celui-ci se souviendra surtout de l’excellente cuisine « à la française » de Mme Arhan, et de ses langoustines quasi quotidiennes. Rien à voir avec le maigre brouet qu’elle réservait peu de temps auparavant à ses hôtes forcés de la Wehrmacht.

Mais le matin du 22 mars, alerte soudaine : les Allemands ont annoncé leur intention de faire valoir leur réquisition de l’hôtel. La décision est immédiatement prise d’évacuer les aviateurs sur une autre maison amie de Pont Aven, chez les demoiselles Barbarin. Toujours guidés par Noël, ils bénéficient cette fois d’une voiture conduite par son propre chef Alex. Le départ est si précipité qu’on oublie dans le jardin sur un fil à linge deux chemises marquées au sigle de l’US Air Force ! Elles échapperont heureusement à la vigilance des officiers venus inspecter les lieux l’après-midi même.

Ici se sépare le chemin des deux réfugiés. Du fait de sa spécialité très recherchée de pilote, Ryan bénéficie dès le 15 avril d’une exfiltration rapide vers l’Angleterre, à l’occasion d’un vol clandestin affrêté pour ramener à Londres deux responsables gaullistes, le colonel Passy et son adjoint Pierre Brossolette, qui achevaient une mission en France. Blakemore restera près de huit mois à Pont-Aven, dans l’attente d’une hypothétique évacuation par mer, jusqu’à ce qu’en novembre une nouvelle alerte n’oblige à le déplacer une nouvelle fois vers Quimperlé, dans la famille Génot, membres du réseau Turma-Vengeance.Mais sa trace est toujours suivie. Après un dernier transfert chez le commandant Le Guennec à Quimper, il y est arrêté le 20 janvier, 10 mois après son parachutage forcé à Plomeur. Il finira la guerre prisonnier en stalag, tandis que ses hôtes de Quimper et de Quimperlé, déportés, périront tous dans l’horreur des camps nazis.
5 –L’agent actif d’avril à septembre 1943, la coopération avec Dréau

Cet épisode Ryan – Blakemore a eu pour effet direct la création d’un lien très fort entre Noël et Pierre Dréau, et l’adhésion de ce dernier à la CND. Noël lui apprend sa propre appartenance à ce réseau, et lui organise très vite un contact avec son chef Alex à l’hôtel Pascal, devant la gare de Quimper. Les deux hommes sont de la même trempe, presque du même âge, et l’accord se fait immédiatement. Dréau remet à Alex sa documentation en sommeil depuis de longs mois, elle s’avère remarquable. Il est engagé sous le n° 89411, pseudonyme Henri.

Désormais les activités de Dauphinet Henriseront étroitement liées, dans des missions de toutes sortes : transmission, recrutement, opérations sur le terrain. On imagine mal aujourd’hui, par exemple, le nombre de déplacements risqués faits à bicyclette, sur des distances de 30 à 60 km, ne serait-ce que pour s’assurer du fonctionnement des postes-émetteurs à l’abri de la goniométrie allemande. Noël Arhan se rend fréquemment à Rosporden à vélo, parfois à moto avec le gendarme Guichaoua, afin de glaner des renseignements chezle brigadier Ricco ou le garagiste Sprauel. Le croquis ci-dessous de la situation à l’embouchure de l’Odet et à Loctudy, probablement de la main de Dréau, pourrait avoir été tracé sur ses indications. Il se rend également à Riec-sur-Belon, à la ferme Rudeval où émet un autre opérateur de la Confrérie Notre Dame, Alain Berthou pseudo Perrine.Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’il se soit initié lui-même au « pianotage » de l’émetteur pour suppléer à l’occasion le manque d’opérateur.

Relevé clandestin de la situation de Loctudy à Bénodet

Quandle colonel Rémy, trop compromis en France, doit se réfugier en Angleterre, il appelle à Paris son adjoint Alexpour le remplacer sur le terrain. La région Bretagne-Cotentin devient alors un réseau autonome avec l’indicatif Côtre, sous la responsabilité de Jean Sciou, pseudo Faucon, percepteur à Erdeven. Sciou organise son réseau en 7 sections, et confirme Dauphincomme responsable de la section Quimper – Carhaix. Le 20 octobre 1943, un télégramme du BCRA nomme Dréau au grade de capitaine.

6 – Débâcle du réseau, entrée de Noël dans la clandestinité

Mais le 4 novembre 1943, catastrophe ! A Paris, Robert Bacqué, pseudo Tilden, chef radio de la CND est surpris en plein exercice, et trahit tout de suite, en se lâchant au belge Masuy, cheville ouvrière de la Gestapo parisienne, et en rédigeant un long rapport qui détaille toute l’organisation parisienne de la CND. Voulant sauver les meubles, Alex se précipite porte de Champerret au garage Sarva où sont stockées toutes ses archives. Mais la Gestapo y a déjà tendu un piège, et il est abattu sur place d’une rafale de mitraillette à travers la porte. Exploitant les archives du garage, la Gestapo traque immédiatement tous  les agents parisiens.

Les répercussions en Bretagne ne se font pas attendre. Dès le 14 novembre, une série d’arrestations a lieu à Rennes, puis à Concarneau, Pont Aven et bientôt à Saint Guénolé. Le même soir la BBC lance sur les ondes le message : « Tempête sur l’ouest, Henri et Dauphin sont priés de gagner immédiatement la campagne ».

Dréau se sent encore à l’abri dans sa maison de Lesconil, dont il n’a donné l’adresse à personne. Estelle Arhan et sa sœur Jeanne se réfugient un moment dans leur belle famille de Paris. Noël se réfugie à Pont L’Abbé chez Sébastien Volant.

Mais Henriet Dauphinpoursuivent leur mission dans la clandestrinité, en assurant d’abord la sauvegarde du matériel radio du réseau. A Quimper Dréau rencontre fortuitement David, un correspondant de la CND qui a réussi à fuir en sauvant un poste radio, qu’il met à sa disposition, « si vous avez un code ». Un code a été effectivement ramené de Rudeval par Noël, et se trouve dans une bouteille vide de cerises à l’eau de vie, cachée… sous la niche du chien de Sébastien Volant.

Et ils continuent ! Dréau et David vont émettre avec ce code à partir du jardin de Lesconil, puis chez les frères Péron au bourg de Penmarc’h, et enfin dans une sorte de grotte au-dessus des Virecourt de l’Odet. Ilstransmettent des renseignements sur les convois qui remontent sur Brest ou descendent vers Bordeaux, et signalent par exemple la présence d’un cargo de 20 000 tonnes mouillé entre les Glénan et Concarneau, sans doute chargé de munitions. Quelques heures plus tard, attaqué par des Mosquitos, le cargo explose.Il était bourré de torpilles.

Bien qu’activement recherché par la Gestapo, Noël continue à circuler dans la région, tout en revenant chez lui à plusieurs reprises. Mais en janvier 1944 il manque de se faire prendre par la police allemande en gare de Quimper en compagnie de Mimosa, l’une des soeurs Barbarin, avec qui il s’apprêtait à partir pour Paris. Ils s’avisent qu’ils sont suivis par deux femmes, et parviennent à les dépister.Dréau leur conseille alors de gagner Paris par une autre voie.

7 – Un refuge précaire à Paris, la mort en service commandé

Commence alors une période particulièrement difficile pour Noël. A peine arrivé à Paris, il est abordé par un agent de police nommé Rousseau, soi-disant ami d’Alex. Mais il s’en méfie, et renonce à prendre contact avec sa propre famille pour ne pas la mettre en danger. Il doit alors se réfugier dans des logements précaires, en changeant constamment de domicile, et sans donner son adresse à personne. Il cherche à trouver les contacts qui lui permettront de passer en Angleterre soit par l’Espagne, soit par avion clandestin, mais sans résultat.

De plus en plus affaibli, sans argent, sans carte d’alimentation et sans pouvoir recevoir d’aide, suite aux privations de toutes sortes, il contracte un abcès dans la bouche, mais n’ose pas sortir de son gîte malgré ses souffrances. Quand il se décide à consulter un médecin, début avril 1944, il est trop tard. Transporté d’urgence à l’hôpital Necker, il meurt le 6 avril d’une septicémie foudroyante. Il n’y avait à l’époque ni sulfamides ni antibiotiques pour annihiler l’infection.

Il n’a pas encore 20 ans. Dans son délire, les derniers mots recueillis par le médecin qui le soigne sont : « Je suis à la barre du bateau… En route pour l’Angleterre… l’Angleterre… ».

Il est inhumé dans la plus grande discrétion au cimetière parisien de Bagneux, division 77, ligne 17, fosse 22.

Il avait réussi à envoyer une lettre au Capitaine Dréau, qui ne la reçut qu’au lendemain de sa mort. On ne l’a malhereusement pas retrouvée.

8 – Après la guerre, un déficit de reconnaissance

Loctudy fut libéré le 3 août 1944, dans une liesse générale qu’Estelle Arhan ne pouvait évidemment pas partager. Et la guerre devait durer encore près un an jusqu’au 8 mai 1945

Dès le départ des Allemands, l’épuration s’abat sur ceux qui se sont compromis dans la collaboration. Mais les accusations ne s’arrêtent pas là, et les suspicions n’épargnent pas les réseaux de résistance eux-mêmes, parfois jusqu’au plus haut niveau, conséquence du manque de transparence inhérent à leurs contraintes de fonctionnement.

Dès février 1942 les rescapés de Johnny, ignorant la trahison de Lamandé, accusent Jean Le Roux d’être à l’origine du désastre, et prononcent sa condamnation à mort. Il parvient à s’enfuir in extremis et à se réfugier en zone libre, puis à passer en Angleterre où il n’aura pas grand mal à se disculper. De la même façon Pierre Culioli, chef du réseau Adolphe, est accusé en septembre 1947 d’être à l’origine de l’arrestation des fondateurs anglais de son réseau. Un moment arrêté, il est traîné en justice et ne sera totalement blanchi qu’en cour de cassation. A Quimperlé, une rumeur insidieuse a poursuivi Blakemore, sans la moindre preuve et hors de toute vraissemblance, du soupçon d’avoir provoqué par des bavardages imprudents l’arrestation de ses hôtes Génot. Elle sévit encore.

Pour la CND Castille, c’est Pierre Dréau lui-même qui se fait l’accusateur intransigeant de « nombre de traitres ayant retourné leur veste ». Il va jusqu’à mettre en cause publiquement Jean Sciou, successeur d’Alex à la tête du réseau et arrêté à son tour par les Allemands. Il aurait caché par une simulation d’évasion son ralliement à ses tortionnaires « en donnant le nom d’un grand nombre d’agents dont la plupart furent arrêtés »(extrait d’un courrier au Lieutenant-Colonel Lecomte).Ces soupçons, qui ne seront pas pris en condidération, ne sont certainement pas pour rien dans l’ostracisme dont s’est plaint Dréau au moment du règlement de ses droits d’ancien combattant. C’est peut être aussi l’origine du manque de reconnaissance  dont ont souffert plusieurs de ses proches au sein de la CND, et notamment Estelle et Noël Arhan, ainsi que les sœurs Barbarin.

Pendant de nombreuses années, Estelle, qui avait repris seule l’exploitation de l’hôtel-restaurant sur une base saisonnière, s’attacha surtout à obtenir la reconnaissance officielle des mérites de son fils. Ses multiples interventions connurent plusieurs résultats :

Le 1^eroctobre 1945, Noël est cité à l’ordre de l’Armée à titre posthume, avec attribution de la Croix de Guerre avec palmes : « Agent des Services de Renseignements plein d’enthousiasme, a fait preuve au cours de plusieurs missions d’un courage tranquille et d’un sang froid inaltérable ; modeste autant que brave, a donné sa vie pour la Renaissance de son Pays. A bien mérité de la cause de la Résistance ».L’exposé des motifs est plus précis : « Jeune et vaillant patriote, s’est dépensé sans compter pour les besoins du service. A fourni d’admirables renseignements sur les défenses et sur l’ordre de bataille allemand en Bretagne. Toujours volontaire pour les missions périlleuses. A participé dans une large mesure aux dangereuses liaisons maritimes avec les alliés, risquant continuellement sa vie dans les transports d’armes, postes et courrier compromettants. Est mort en service commandé, traqué par la police allemande, dans le dénuement le plus absolu – est digne d’être cité en exemple. »

Le 3 mars 1947, la Médaille de la Résistance Française lui est attribuée, et le 5 mai sa nomination au grade de sous-lieutenant  à titre posthume, avec prise de rang au 1^eravril 1944 est homologuée.

Enfin le 6 décembre 1947 le Lieutenant-Colonel LECOMTE, Chef du Bureau Liquidateur du Réseau C.N.D. CASTILLE, atteste que Noël Arhan, « mort des suites d’une maladie contractée en Service Commandé, a droit à la mention « Mort pour la France » ». Celle-ci est alors portée sur le registre d’Etat Civil de la mairie du VIème arrondissement à Paris, puis sur celui de Loctudy. La carte d’Ancien Combattant Volontaire de la Résistance n°11863, est délivrée à Noël Arhan le 2 mars 1954.

La tâche la plus pénible restait d’obtenir le retour de la dépouille de Noël à Loctudy. Estelle la demande pour la première fois en décembre 1944, sans succès. Jusqu’en 1949, elle se rend quatre fois par an en pèlerinage sur sa tombe au cimetière de Bagneux, en faisant à chaque fois le siège des administrations pour obtenir un transfert à Loctudy. L’opération devint  urgente à l’approche de la limite à cinq ans de la concession provisoire, et la menace d’un transfert en fosse commune ! [Il nous reste à trouver la date où elle eut enfin gain de cause]

A partir de 1960, l’hôtel ne sera plus loué  que comme appartements, jusqu’à sa vente en 1965 (?). Estelle s’installe alors avec sa fidèle employée Marie Cariou dans les garages de l’hôtel, qui sont maintenant la propriété du fils d’Yvonne.

Elle décède le 3 juillet 1982 à l’Hôtel-Dieu de Pont L’Abbé, à l’âge de 88 ans. L’avis de décès la qualifie d’« ancien combattant volontaire de la Résistance, Medal of Freedom USA, Médaille de la France Libre, membre de l’Union bretonne des combattants »

Après elle, plus personne ne devait entretenir le souvenir de son fils, qui repose sans aucune mention spéciale dans la tombe familiale du nouveau cimetière de Loctudy. Le présent prime sur le souvenir qui s’éteint, mais il y a là une défaillance manifeste de notre devoir de mémoire. La célébration cette année du soixante-quinzième anniversaire du retour de la paix doit être l’occasion de réparer ce déficit de reconnaissance.

[1]Cet épisode signalé par P. Abgrall reste à vérifier. Il peut résulter d’une confusion avec une opération semblable où, après les arrestations en chaîne dans le réseau CND en novembre 1943, Noël Arhan fait 60 Km à vélo pour récupérer un poste-émetteur au domicile d’Henri Leclerc (Celo) [BOCQ-18-01]